Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040920

Dossier : IMM-5287-03

Référence : 2004 CF 1282

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL                         

ENTRE :

                                                      MIAN MOHAMMED HANIF

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté, le 7 mai 2003, la demande d'asile présentée par Mian Mohammed Hanif (le demandeur).

LES FAITS

[2]                Le demandeur est un ressortissant musulman chiite du Pakistan.


[3]                Le demandeur participait beaucoup à des activités de bienfaisance dans sa collectivité musulmane chiite au Pakistan. Entre autres, il a été le secrétaire financier du comité de son imambargah.

[4]                Le demandeur affirme que compte tenu de ses activités de bienfaisance et de l'exécution de ses fonctions en tant que secrétaire financier il a fait l'objet de persécution religieuse importante au Pakistan. La persécution incluait des agressions verbales occasionnelles et du harcèlement occasionnel, une menace téléphonique en septembre 2000, trois incidents subséquents de vandalisme nocturne, des coups en décembre 2000, une menace téléphonique de mort le 5 juin 2001 et la destruction partielle de son lieu d'affaires à la suite d'un incendie criminel.

[5]                Il a signalé aux policiers, en vain, la plupart des incidents. Les policiers l'ont finalement informé de prendre toutes les précautions qui lui semblaient nécessaires pour se protéger. Le demandeur affirme qu'à une reprise, lorsque lui et des collègues chiites ont eu recours aux policiers pour avoir de l'aide, ils ont été menacés d'arrestation.

[6]                Le demandeur affirme qu'il craint d'être tué par des membres du Sipah-i-Sahaba (S.S.P.) ou par des membres d'organisations militantes sunnites liées au S.S.P. s'il retourne au Pakistan. Il croit en outre qu'il ne pourra plus pratiquer librement, totalement et de façon sécuritaire sa religion en tant que musulman chiite par crainte d'être tué par des militants sunnites.


LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[7]                Dans un avis de décision daté du 22 mai 2003, la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas le profil des personnes le plus à risque au Pakistan. La Commission a mentionné que le poste de secrétaire financier occupé par le demandeur dans son imambargah (un lieu de culte chiite) ne l'amènerait pas à être particulièrement ciblé par le S.S.P.

[8]                La Commission n'a pas accepté l'explication du demandeur selon laquelle le responsable de son imambargah n'était pas exposé au même risque que lui parce qu'il travaillait à l'intérieur de l'imambargah. En fait, la Commission a conclu qu'on pouvait considérer que le responsable était dans une situation similaire à celle du demandeur. Le commissaire a ensuite soutenu qu'étant donné qu'une personne dans une situation similaire à celle du demandeur avait pu rester au Pakistan, et que le profil du demandeur ne le plaçait pas dans une situation plus à risque, le demandeur ne serait pas ciblé s'il devait retourner au Pakistan.

[9]                La Commission a mentionné que le gouvernement Musharraf avait mis en oeuvre des initiatives qui fourniraient une protection adéquate, mais pas nécessairement parfaite, à une personne dans une situation comme celle dans laquelle le demandeur se trouvait. La Commission a en outre conclu qu'étant donné que la persécution infligée au demandeur lors des incidents n'était pas de la persécution pouvant être qualifiée d'atroce et d'épouvantable, il n'y avait pas de raisons impérieuses permettant au demandeur de rester au Canada.


[10]            La Commission a effectivement reconnu que des éléments de preuve documentaire récents mentionnaient qu'il existe des problèmes importants au Pakistan, notamment le fait que les policiers manquent de professionnalisme, que la corruption policière existe et que les policiers ne prennent pas toujours les mesures appropriées pour régler les conflits. La Commission a mentionné qu'en dépit du fait que des problèmes soient survenus sous le régime Musharraf, la fréquence des incidents de violence sectaire a diminué au cours des récentes années et le régime Musharraf n'a pas hésité à utiliser l'armée pour s'occuper de la violence sectaire. En résumé, la Commission a conclu que la preuve documentaire mentionne que l'État pakistanais fait des efforts sérieux pour s'occuper des problèmes qui touchent le demandeur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[11]            Le demandeur soulève les questions suivantes :

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit par une omission de tenir compte de la preuve dont elle disposait ou par une interprétation erronée de cette preuve?

La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables ou a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?


La Commission a-t-elle mal appliqué ou mal interprété la définition de réfugié au sens de la Convention et, ainsi, commis une erreur de droit?

Si les erreurs commises par la Commission envisagées séparément ne constituaient pas des erreurs de droit susceptibles de contrôle, l'effet cumulé de ces erreurs équivalait-il alors à une erreur de droit?

LES PRÉTENTIONS

Le demandeur

La protection adéquate de l'État

[12]            Le demandeur prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle il existe au Pakistan une protection adéquate de l'État compte tenu de l'interdiction visant le S.S.P. prononcée en janvier 2002, et compte tenu d'autres mesures prises par le président Musharraf, était fondée sur de la preuve qui était manifestement contradictoire et non concluante par nature.

[13]            L'évaluation faite par la Commission à l'égard de la protection de l'État était fondée sur un examen sélectif et intéressé de la preuve documentaire contenue au dossier. En effet, le même document intitulé « RIR PAK 37965.EF » cité par la Commission mentionne en outre ce qui suit :

Absolument personne ne peut concevoir que le gouvernement Musharraf s'attaquera [au programme fondamentaliste de l'État du Pakistan]. L'État doit atteindre sa phase terminale, comme l'État créé par Mullah Omar [ancien taliban d'Afghanistan] (janv. 2002, 52).


Le même document mentionne ensuite ce qui suit :

Depuis le début de février 2002, la [traduction] « campagne contre les militants a ralenti » (Washington Post 18 févr. 2002). Par conséquent, [traduction] « certaines personnes au Pakistan pensent que malgré des centaines de prétendues arrestations, les mesures de répression [de Musharraf] n'ont pas été intransigeantes, que plusieurs militants ont pu rester en liberté en échange de leur engagement à se tenir tranquilles » .

Finalement, le document décrit ensuite comme suit les difficultés à venir :

Certains observateurs prévoient aussi que Musharraf éprouvera des difficultés à tenir ses promesses [traduction] « [parce qu']il doit travailler avec des systèmes bureaucrate et judiciaire au sein desquels se trouvent beaucoup de fondamentalistes du genre de ceux qu'il tente de freiner » (The Herald févr. 2002a, 39). En effet, il tente de [traduction] « mettre un terme à plus de 25 années de gains, en termes de pouvoir, par les fondamentalistes islamiques [...] et remet carrément en question le pouvoir moral et politique des mullahs, même si l'islam militant gagne en popularité dans la région » (Washington Post 20 janv. 2002). Selon le Washington Post, [traduction] Musharraf est maintenant aux prises avec un conflit interne potentiellement grave qui, à l'opposé de ceux qu'il vient de vivre avec les talibans et leurs alliés fondamentalistes au Pakistan, pourrait le paralyser ou, du moins, entraver sa campagne contre le terrorisme [...]. Mais durant la transition politique, la bataille que livre Musharraf entre un État musulman modéré et le fondamentalisme religieux pourrait être éclipsée par une lutte plus familière entre l'armée et l'élite civile du Pakistan - et accorder aux fondamentalistes en difficulté un sursis très important (18 févr. 2002).

[14]            Le demandeur mentionne en outre un autre élément de la preuve documentaire contenue au dossier (Dawn Internet - 20 juillet 2002) qui indique qu'en dépit de l'interdiction prononcée contre le S.S.P. en janvier 2002, une personne déclarée coupable d'avoir blasphémé a été assassinée en prison par un militant du S.S.P.

[15]            En outre, le même rapport du Département d'État des États-Unis sur les conditions du pays au Pakistan (U.S. Department of State Report, Pakistan Country Report) pour l'année 2001, publié le 4 mars 2002, sur lequel la Commission s'est fondée en partie, mentionne ce qui suit :

[TRADUCTION]


(i)             Le dossier du gouvernement en matière des droits de la personne est demeuré médiocre; bien qu'il y ait eu certaines améliorations dans quelques domaines, en particulier à l'égard de la protection des minorités religieuses contre l'intimidation des extrémistes, il y a encore des problèmes sérieux (page 1 de 37);

(ii)            Des policiers ont commis des homicides extrajudiciaires (page 2 de 37);

(iii)           Le professionnalisme des policiers est peu élevé (page 3 de 37);

(iv)           Les juges ont soutenu qu'ils n'avaient pas réussi à tenir des procès et à faire condamner en temps opportun des personnes soupçonnées d'être des terroristes en raison du traitement médiocre des dossiers par les policiers, de la négligence de la poursuite et du manque de preuve en résultant. En réponse à ce problème, la loi antiterroriste a été adoptée et des tribunaux antiterroristes spéciaux ont commencé à entendre des causes en 1997. Les tribunaux antiterroristes, conçus pour punir rapidement les personnes soupçonnées d'être des terroristes, utilisent une procédure spéciale simplifiée. Toutefois, en raison de l'intimidation continue subie par des témoins, des policiers et des juges, les tribunaux n'ont d'abord prononcé qu'une poignée de déclarations de culpabilité [...].

Le 20 juin, le gouvernement Musharraf a approuvé une modification à la loi antiterroriste. La loi modifiée définit le terrorisme comme [TRADUCTION] « l'utilisation ou la menace d'une action lorsque l'utilisation ou la menace d'utilisation est conçue afin de contraindre et d'intimider ou d'influencer le gouvernement, le public, une partie du public, une collectivité ou une secte, ou afin de créer une sorte de crainte ou d'insécurité dans la société et lorsque l'utilisation ou la menace a pour but de faire avancer une cause politique, religieuse, idéologique ou ethnique » .

Des membres influents de la magistrature, des groupes de défense des droits de la personne, la presse et des politiciens de nombreux partis ont exprimé des réserves sérieuses à l'égard des tribunaux antiterroristes, alléguant qu'ils constituent un système de justice parallèle et qu'ils pourraient être utilisés comme un moyen de répression politique. Les fonctionnaires du gouvernement et les policiers croyaient, après l'adoption de la loi, que l'effet dissuasif des dispositions de la loi relatives à la peine de mort contribuait à la réduction de la violence sectaire [...] (page 11 de 37).

(v)            Des représailles et des menaces de représailles contre des personnes soupçonnées de s'être converties à une autre religion sont courantes. Des membres de minorités religieuses font l'objet de violence et de harcèlement et les policiers refusent parfois d'empêcher de telles actions ou de porter des accusations contre les personnes qui les commettent (page 17 de 37).


(vi)(vi)      Une loi religieuse discriminatoire a créé une atmosphère d'intolérance religieuse plus intense, ce qui a entraîné des actes de violence contre des sectes musulmanes minoritaires de même que contre des chrétiens, des hindous et des membres de ramifications de sectes musulmanes comme les ahmadis et les zikris (voir la section 5). Le gouvernement n'encourage pas la violence sectaire. Toutefois, il y a eu des situations dans lesquelles le gouvernement n'est pas intervenu dans des cas de violence sociétale contre des groupes religieux minoritaires. L'absence d'une réponse adéquate de la part du gouvernement a contribué à créer une atmosphère d'impunité quant aux actes de violence et d'intimidation commis contre des minorités religieuses. Des partis et des groupes qui ont des affiliations religieuses ciblent des groupes minoritaires (page 19 de 37).

(vii)          La violence sectaire et les tensions ont continué à être un problème grave dans tout le pays (voir la section 5). Selon un rapport journalistique digne de foi, plus de 300 personnes sont décédées lors d'incidents de violence sectaire au Penjab au cours des 4 dernières années. Un autre journal a mentionné que plus de 2 000 personnes sont décédées lors d'actes de violence sectaire depuis 1981. La violence sectaire, qui avait diminué de façon marquée après le coup d'État d'octobre 1999, a augmenté de façon soutenue au cours des 9 premiers mois de l'année, mais a diminué après le 11 septembre [...].

Des tribunaux antiterroristes ont en outre prononcé des déclarations de culpabilité contre plusieurs individus accusés de violence sectaire. En avril 2000, un tribunal antiterroriste à Rawalpindi a condamné 23 personnes à des peines d'emprisonnement à vie pour avoir mené une procession de personnes qui avaient brûlé une mosquée chiite en 1996. En juillet 2000, un tribunal antiterroriste à Gujranwala a condamné 2 hommes pour avoir soi-disant tué un agent de police supérieur chiite. Toutefois, les hommes ont par la suite été libérés (page 20 de 37).

(viii)         Des tribunaux antiterroristes ont prononcé des déclarations de culpabilité contre plusieurs individus accusés de violence sectaire au cours de l'année. Toutefois, les autorités gouvernementales n'ont pas détenu de suspects dans de nombreux autres cas de violence sectaire (page 30 de 37).

[16]            Le demandeur signale de plus que le même rapport d'évaluation sur le Pakistan préparé par le Home Office britannique en avril 2002 (U.K. Home Office Report-Pakistan Assessment, April 2002 Report), sur lequel la Commission s'appuie en partie, mentionne ce qui suit :

[TRADUCTION]


(i)             4.17 [...] En dépit de son engagement à respecter l'indépendance du système judiciaire, le gouvernement a pris des mesures pour contrôler la magistrature et pour être à l'abri de la surveillance judiciaire [...]. Le décret à cet égard exclut efficacement les actions du gouvernement Musharraf de la surveillance judiciaire. Le président Musharraf a miné encore plus l'indépendance de la magistrature lorsqu'il a ordonné que tous les juges de la cour suprême, de la cour de la charia et de la cour supérieure provinciale prêtent serment de soutenir le PCO qui a porté l'armée au pouvoir. Les salaires peu élevés, les ressources inadéquates, l'importante charge de travail, la corruption et l'intimidation par les groupes de pression politiques et religieux ont contribué à l'inefficacité judiciaire, en particulier dans les cours de première instance [2b] (page 14 de 65).

(ii)            4.18 Le processus judiciaire continue à être entravé par des querelles bureaucratiques, par l'inactivité et par le chevauchement de compétences des différents systèmes judiciaires. Des postes de juge vacants et des procédures judiciaires inefficaces causent des retards importants. Les juges de plus haut niveau sont considérés comme compétents et généralement honnêtes, mais il y a eu beaucoup de rapports de corruption à l'égard des juges de cours inférieures et des officiers de la cour moins importants [2b] (page 14 de 65).

(iii)           4.21 En février 2002, une nouvelle loi a été adoptée afin d'établir des tribunaux antiterroristes dirigés par une formation de trois membres composée d'un juge de la cour supérieure ou de la cour des sessions, d'un magistrat et d'un officier militaire haut gradé [35ao]. Un porte-parole de la Commission des droits de l'homme du Pakistan a critiqué la décision en disant que l'inclusion d'un officier militaire diluerait la force de la magistrature [41b] (page 15 de 65).

(iv)           4.30 Au cours de 2001, on a signalé moins de meurtres entre les factions politiques rivales qu'au cours des années précédentes; cependant, il y a eu une augmentation de violence et de meurtres entre les sectes religieuses rivales [2b].

Penjab

4.31 La province du Penjab a également été touchée par la violence sectaire. Des militants armés étaient actifs dans de nombreuses villes du Penjab et un grand nombre de décès ont résulté des affrontements entre les groupes extrémistes sunnites et chiites [5a] (page 16 de 65).

(v)            4.50 Lorsque des causes relatives au blasphème et d'autres causes religieuses sont présentées devant les tribunaux, les extrémistes remplissent souvent la salle d'audience et font des menaces publiques quant aux conséquences d'un acquittement. Par conséquent, les juges et les magistrats remettent souvent indéfiniment les procès et l'accusé doit supporter d'additionnels frais juridiques et comparutions à la cour. De nombreux juges tentent en outre de transférer de telles causes à d'autres juristes [2b]. En février 2001, un groupe de partis politiques religieux ont menacé d'exécuter leurs propres peines dans l'éventualité où les responsables de la publication d'une lettre présumée être blasphématoire n'étaient pas sévèrement punis. La lettre avait été publiée dans le quotidien Frontier Post [39] (page 19 de 65).


(vi)           4.51 Des changements administratifs ont néanmoins été effectués à la procédure de dépôt d'accusations relatives au blasphème afin qu'il y ait un contrôle judiciaire de la preuve avant que les accusations soient portées. En outre, si l'on juge qu'une accusation relative au blasphème est sans fondement, une contre-accusation sera portée contre le plaignant qui sera exposé à une peine d'emprisonnement pouvant atteindre dix ans [12d]. Le régime actuel a abandonné le projet initial qui visait à changer la façon selon laquelle les causes relatives au blasphème sont inscrites après que de nombreuses organisations islamiques eurent menacé d'organiser des manifestations. La Commission des droits de l'homme du Pakistan a réagi fortement à la dérobade de l'armée. Le front de libération chrétien estimait également qu'il s'agissait d'une preuve de l'incapacité du régime militaire d'introduire une mesure relativement peu importante (mesure jugée inadéquate) à l'égard de la loi relative au blasphème [35g] (page 20 de 65).

(vii)         4.52 Selon Amnesty International, la loi relative au blasphème a été utilisée au fil des ans pour harceler, intimider et punir principalement des membres de minorités religieuses comme les ahmadis et les chrétiens de même que les musulmans qui préconisent de nouvelles idées. Suivant cette loi, les ahmadis peuvent faire l'objet d'accusations pour s'être identifiés en tant que musulman; des chrétiens se plaignent que cette loi est utilisée de façon abusive et donne prise à de fausses accusations visant à de l'extorsion ou à du vol de terres [20a]. Selon une publication de la Commission des droits de l'homme asiatique, les jugements des tribunaux d'instance supérieure ont démontré que la loi relative au blasphème est utilisée de façon abusive et comme un moyen de règlement de comptes personnels de même qu'à des fins de persécution religieuse [36] (page 20 de 65).

(viii)         Police

5.6 La corruption policière est présentée comme répandue. Le Département d'État américain signale que les policiers ont commis de nombreux homicides extrajudiciaires, mais déclare qu'il y a eu moins de tels homicides en 2000 qu'en 1999. Les policiers ont en outre commis des agressions et des viols sur des citoyens. Bien que les policiers responsables de telles agressions aient parfois été mutés ou suspendus en raison de leurs actes, aucun n'a été déclaré coupable et très peu de policiers ont été arrêtés. À Karachi, il y a eu des signes de progrès à l'égard du redressement des abus des policiers, mais en général les policiers continuent à commettre sans impunité des abus graves [2b].

5.7 Selon la société pour les droits de l'homme et pour l'aide au prisonnier (SHARP), un ONG local, 43 décès imputables à la torture policière ont été signalés au cours de 2001. Amnesty International évalue qu'au moins 100 personnes décèdent chaque année en raison de la torture policière. En plus de tuer des suspects pour les empêcher de les compromettre à la cour, des policiers ont soi-disant tué des personnes soupçonnées d'avoir commis des actes criminels afin d'éluder ou de surmonter l'insuffisance de preuve, l'intimidation subie par les témoins, la corruption judiciaire et, parfois, la pression politique [2b].


5.8 Le professionnalisme des policiers est peu élevé. Les policiers estiment que les assassinats de personnes soupçonnées d'avoir commis des actes criminels sont appropriés compte tenu du manque d'action efficace du système judiciaire contre les criminels. Les juges à leur tour critiquent les policiers pour les causes peu étoffées qui sont rejetées à la cour [2b]. Par exemple, en mars 2001, un tribunal antiterroriste a acquitté un ancien politicien du MQM et trois autres militants du parti qui étaient accusés d'avoir tué un policier au cours d'une embuscade en juillet 1999. Le juge a en outre acquitté six accusés qui s'étaient enfuis et il a déclaré que l'enquête policière était inappropriée [33q] (page 25 de 65).

(ix)            Torture

5.12 La Constitution, qui a été suspendue, et le Code pénal interdisent expressément la torture et d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toutefois, les policiers torturent et agressent régulièrement des gens. Les policiers utilisent couramment la force pour obtenir des confessions, bien qu'il y ait eu moins de rapports à cet égard au cours de 2001. Des observateurs des droits de l'homme suggèrent qu'en raison de la torture, des suspects confessent généralement des crimes indépendamment de leur véritable culpabilité. Les tribunaux rejettent par la suite un grand nombre de ces confessions [2b].

5.13 Les méthodes ordinaires de torture incluent les coups, les brûlures au moyen de cigarettes, les coups de fouet sur la plante du pied, les agressions sexuelles, l'isolement prolongé, les chocs électriques, la privation de nourriture ou de sommeil, la suspension la tête en bas, l'écartement forcé des jambes et l'humiliation publique. Certains magistrats ont soi-disant aidé à cacher les abus en produisant des rapports d'enquête établissant que les victimes étaient décédées de cause naturelle. Amnesty International a évalué à au moins 100 le nombre de personnes décédées chaque année en raison de la torture policière [2b].

5.14 Il a été signalé que les policiers sont les plus fréquents auteurs de détention arbitraire et de torture. Les gardes et la FIA (agence fédérale d'enquête) ont soi-disant également de telles pratiques. À un degré moindre, les agents non gouvernementaux comme les partis politiques ou les fondamentalistes ont également été signalés comme des responsables de torture. Dans ces cas, il se peut qu'ils agissent à des fins d'intimidation ou qu'ils commettent des agressions pour se venger [40] (page 26 de 65).


[17]            L'argument du demandeur est que de grandes portions de la preuve documentaire contenue au dossier contredisent les conclusions de la Commission à l'égard de la disponibilité de la protection de l'État au Pakistan et, en particulier, les conclusions de la Commission à l'égard du caractère adéquat et efficace des forces policières et du système judiciaire. En outre, de grandes portions de la preuve documentaire établissent clairement que le gouvernement et l'État du Pakistan ont été inconséquents, négligents et inefficaces dans leur démarche à l'égard du problème soutenu de violence sectaire et religieuse dans ce pays.

[18]            Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle il existe maintenant une protection adéquate pour lui au Pakistan était une conclusion largement hypothétique et excessivement optimiste. C'est particulièrement vrai compte tenu de ce qui suit : la preuve documentaire contradictoire contenue au dossier, le fait que la Commission a elle-même reconnu qu'il y avait encore de la violence sectaire au Pakistan, les indications dans la même preuve citée par la Commission selon lesquelles la campagne contre les militants avait en fait [TRADUCTION] « ralenti » et le fait que la violence sectaire et religieuse en question soit cyclique et date de longtemps.

[19]            Dans ce contexte, le demandeur affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle il existait au Pakistan une protection adéquate de l'État pour des chiites comme lui était moins que raisonnable.

[20]            Pourtant, un autre élément de preuve documentaire au dossier, un article du Globe and Mail de Geoffrey York, daté du 3 septembre 2002, suggère que les extrémistes religieux agissent maintenant impunément au Pakistan :

[TRADUCTION]


Un an après le 11 septembre, la rhétorique des extrémistes religieux du Pakistan est plus enflammée que jamais. Le projecteur des médias occidentaux s'est déplacé, mais ces dirigeants continuent de conspirer pour atteindre leurs buts. Leurs slogans sont les mêmes, leur colère est aussi intense, leurs buts antioccidentaux et protalibans sont aussi inébranlables qu'avant [...].

Bien que le dictateur militaire du Pakistan, le président Pervez Musharraf, ait changé la Constitution du pays le mois dernier afin de s'assurer qu'aucun civil ne puisse sérieusement contester son autorité, M. Haq et les fondamentalistes demeurent de sérieux adversaires. Leurs partis religieux sont mieux organisés que jamais auparavant. Alors que le pays se prépare aux élections du 10 octobre, ils ont formé une alliance électorale qui les place dans une bonne position pour exploiter la montée au Pakistan du ressentiment à l'égard de la domination de la région par les États-Unis [...].

Cependant, un an après que l'armée pakistanaise a triomphé des fondamentalistes dans une confrontation qui a soulevé des craintes de guerre civile, les extrémistes croient qu'ils ont repris leur position de pouvoir dans l'ombre [...].

Pour quelle autre raison le général Musharraf semblerait-il disposé à coopérer avec eux, une perspective qui pourrait rendre furieux les stratèges américains qui voient leurs madrasas (écoles religieuses) comme des pépinières d'extrémistes islamiques et de terroristes? Dans un pays dans lequel plusieurs centaines de personnes sont exposées à la peine de mort pour avoir blasphémé contre l'islam, il est effectivement clair que les fondamentalistes ont conservé une importante influence.

Le général Musharraf a rencontré les partis religieux dans son bureau où il les a assurés que le Pakistan demeurera un État islamique avec une armée islamique. Malgré la forte pression exercée par les États-Unis afin de mettre un frein aux madrasas, il a pris ses distances par rapport à un plan rigoureux visant à réglementer les écoles [...].

Un an plus tard, le général Musharraf est plus faible et plus isolé. L'appui qu'il reçoit est en baisse étant donné que les gens ordinaires souffrent grandement de pauvreté et restent sans emploi en dépit d'une augmentation marquée de l'aide financière américaine depuis le 11 septembre.

Le dirigeant militaire a été forcé de se soumettre au monde imprévisible des élections et des politiques internes. C'est un domaine périlleux dans lequel il a déjà commis une faute en tenant un référendum truqué pour étendre son autorité, ce qui a miné sa crédibilité et provoqué des critiques cinglantes de presque tous les coins de la société pakistanaise.

Pendant ce temps, il subit une pression accrue des États-Unis pour étendre la campagne antiterroriste en mettant un frein aux fondamentalistes islamiques qui dominent les madrasas et la campagne des guérilleros contre les troupes indiennes au Cachemire. Cependant, ces groupes sont des parties intéressées principales dont il aura besoin durant les élections et ils sont des alliés importants pour l'armée pakistanaise dans la crise du Cachemire.

[...]


[21]            Le demandeur cite plusieurs sources de preuve objective dignes de foi de l'incapacité continue du gouvernement pakistanais ou de son omission de s'occuper adéquatement du problème de la violence sectaire et du terrorisme.

Le manquement à la justice naturelle et à l'équité

[22]            Le demandeur mentionne en outre que la Commission, lors de l'évaluation de la question de la protection de l'État, s'est incorrectement fondée sur des [TRADUCTION] « reportages télévisés récents » , un élément de preuve qui n'était pas contenu dans le dossier. La justice naturelle et l'équité requièrent que la Commission accorde au demandeur une possibilité d'examiner la preuve provenant de tels reportages et d'en traiter. L'omission de la Commission d'accorder au demandeur une telle possibilité constituait une erreur susceptible de contrôle.

Le caractère manifestement déraisonnable

[23]            Le demandeur affirme que des éléments de preuve documentaire récents contenus au dossier mentionnent clairement que l'État pakistanais est incapable d'efficacement fournir une protection adéquate dans des cas de violence sectaire.


[24]            Le demandeur affirme que l'évaluation de sa demande par la Commission était manifestement déraisonnable, abusive et fondée sur une appréciation étroite, intéressée et sélective de la preuve documentaire, en particulier à l'égard des cibles et victimes réelles ou potentielles du S.S.P., une organisation musulmane sunnite militante qui malgré l'interdiction prononcée par le président Musharraf en janvier 2002 est demeurée une préoccupation soutenue au Pakistan et a continué ses attaques, tant au hasard que ciblées, contre des musulmans chiites comme le demandeur.

[25]            Il était manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur était dans une situation dans laquelle il pouvait raisonnablement s'attendre à une protection adéquate au Pakistan de la part des mêmes autorités qui avaient refusé de le protéger avant son départ.

Le profil

[26]            Le demandeur affirme que le fait qu'il puisse ne pas correspondre complètement au profil de ceux qui sont aujourd'hui le plus à risque au Pakistan ne signifie pas nécessairement que sa crainte de persécution n'est pas objectivement bien fondée. En effet, la preuve documentaire contenue au dossier lors de l'audience était remplie d'exemples de différents chiites, actifs et non actifs dans leur collectivité, qui étaient devenus les proies des attaques sectaires par le S.S.P. La persécution a continué malgré l'interdiction du S.S.P. imposée par le gouvernement.


[27]            Le demandeur affirme que la Commission a déraisonnablement et arbitrairement refusé de reconnaître la différence entre lui et le [TRADUCTION] « responsable » de son imambargah. En effet, le demandeur a témoigné que le responsable pouvait rester au Pakistan et que le risque à son endroit n'était pas le même parce que contrairement à lui cet individu travaillait à l'intérieur de l'imambargah.

[28]            Le fait que le responsable serait généralement connu dans la collectivité en tant que partisan au sein de l'imambargah, comme le serait le demandeur, n'entraînait pas raisonnablement une conclusion selon laquelle le demandeur et le responsable étaient dans une situation similaire compte tenu de la preuve contenue au dossier qui mentionnait que le demandeur avait participé à toutes sortes d'activités publiques alors que le responsable avait travaillé à l'intérieur de l'imambargah.

[29]            Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle il n'avait pas le profil pour attirer l'attention du S.S.P. était manifestement déraisonnable, arbitraire et abusive.

L'effet cumulé

[30]            Si la Cour n'est pas convaincue que les questions soulevées par le demandeur équivalent séparément à une erreur de droit, alors la décision de la Commission devrait être annulée au motif que toutes les préoccupations mentionnées par le demandeur, prises cumulativement, équivalent bien à une erreur de droit (Molina c. Canada (ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration) (1975), 12 N.R. 317 (C.F.) (1re inst.).


Le défendeur

La protection adéquate de l'État

[31]            Le défendeur adopte la position que la principale question soulevée par le demandeur est celle de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'une protection adéquate de l'État est offerte au demandeur au Pakistan. Le demandeur prétend que la Commission, lorsqu'elle a tiré sa conclusion, a omis de tenir compte d'éléments de preuve et qu'elle a été excessivement sélective lorsqu'elle a examiné les autres éléments de preuve. Le défendeur soutient que cette prétention n'est pas fondée.

[32]            Le défendeur affirme que rien n'indique que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve ou qu'elle a été excessivement sélective dans son appréciation. Au contraire, la Commission a manifestement examiné tous les éléments de preuve présentés par l'avocat du demandeur et toute la preuve documentaire. La Commission mentionne clairement que même s'il y a encore des problèmes à l'égard de la protection de l'État au Pakistan, la présomption selon laquelle l'État fait des efforts sérieux pour protéger les citoyens chiites n'est pas réfutée.


[33]            Il est simplement incorrect, par conséquent, de prétendre que la Commission a omis de tenir compte d'éléments de preuve ou n'a pas examiné des éléments de preuve. Il est possible que le demandeur soit en désaccord avec la Commission quant aux inférences tirées de la preuve, mais il n'a pas présenté d'éléments de preuve à l'égard de sa prétention selon laquelle ces inférences étaient erronées, encore moins à l'égard de celle selon laquelle les conclusions de la Commission étaient abusives ou arbitraires. Les prétentions du demandeur équivalent à demander une nouvelle appréciation de la preuve dont la Commission disposait. La Cour devrait résister à intervenir sur ce fondement.

[34]            La Cour suprême du Canada a statué qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il est généralement présumé qu'un État est capable de protéger ses citoyens. Cette présomption « sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange » . Pour réfuter cette présomption, le demandeur doit démontrer « d'une façon claire et convaincante » l'incapacité de l'État à assurer la protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 51).

[35]            Le défendeur prétend que la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer d'une façon claire et convaincante que le Pakistan était incapable d'assurer la protection de ses citoyens. La Commission disposait de beaucoup de preuve documentaire à l'égard de la protection assurée par l'État aux membres de la religion chiite contre le S.S.P. et d'autres extrémistes religieux. La Commission s'est appuyée sur des éléments de preuve contenus dans le rapport sur le Pakistan préparé par le Département d'État des États-Unis pour l'année 2001 (U.S. Department of State Report on Pakistan for 2001) et sur le rapport d'évaluation du Pakistan préparé par le Home Office britannique (U.K. Home Office Pakistan Assessment), daté d'avril 2002. Par exemple, la Commission constate ce qui suit :


[TRADUCTION]

a)              Le président Musharraf a autorisé l'utilisation des forces armées afin de maintenir l'ordre public lors des fêtes religieuses.

b)              Le gouvernement a apporté certaines améliorations en matière de protection des minorités religieuses.

c)              Le gouvernement a en outre pris des mesures afin d'augmenter l'efficacité des policiers en améliorant leur formation, en déployant des militaires aux postes de police, en mutant des policiers afin de couper des liens locaux et en rendant les policiers plus imputables aux élus.

d)              Le gouvernement du Pakistan a protégé la célébration religieuse chiite du Muharram en arrêtant les personnes soupçonnées de participer à la violence sectaire. Cette mesure a fait qu'il y a eu moins de décès durant le Muharram de 2001 que durant celui de 2000.

e)              En 2002, le gouvernement Musharraf a entrepris des mesures importantes afin de freiner les extrémistes religieux; il a prononcé l'interdiction de groupes extrémistes, a critiqué publiquement des ecclésiastiques et a adopté des mesures pour réduire la corruption policière.

f)              En 2002, le gouvernement Musharraf a prononcé l'interdiction de cinq autres groupes extrémistes, notamment du S.S.P.

g)              Six cents bureaux des groupes faisant l'objet d'une interdiction ont été mis sous scellés.

h)              Les biens des groupes extrémistes faisant l'objet d'une interdiction ont été gelés.

i)               Le gouvernement a instauré des tribunaux antiterroristes spéciaux pour s'occuper des extrémistes.

j)               La preuve mentionne en outre qu'ils ont réussi à porter des accusations et à faire déclarer coupables les responsables de violence sectaire, notamment les dirigeants de groupes comme le S.S.P.

k)              Le Pakistan a le contrôle de ses territoires et est prêt à agir, par les autorités militaires et civiles, pour protéger ses citoyens contre la violence liée à la religion.

l)               Le Pakistan a un système judiciaire fort et indépendant qui est disposé à assurer la protection des droits de ses citoyens et capable de le faire.

I.B.L. (Re), [2003] D.S.P.R. no 3, aux paragraphes 33 à 62; et M.Q.T. (Re), [2003] D.S.P.R. no 75, aux paragraphes 9 à 44, 48 et 49.


[36]            La Commission reconnaît que la protection de l'État n'est pas parfaite au Pakistan, mais il est bien établi que la protection n'a pas à être parfaite. Comme la Cour d'appel fédérale a statué dans l'arrêt Villafranca :

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. [...] Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l'effondrement total de l'ordre au pays. Par contre, lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.).

[37]            De plus, des décisions récentes de la Cour ont confirmé des décisions de la Section de la protection des réfugiés par lesquelles il a été statué que le Pakistan offre une protection adéquate de l'État aux victimes de persécution par le S.S.P. (décision Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] C.F. 189 (1re inst.), décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 334 (1re inst.), et décision Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 64 (C.F.)).


[38]            Le défendeur prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l'État est offerte au demandeur au Pakistan était raisonnable et bien appuyée par la preuve. Le fait que la Commission ait préféré certains éléments de la preuve documentaire à d'autres éléments de preuve n'est pas susceptible de contrôle. Il est présumé que la Commission a examiné toute la preuve. La Commission a le droit d'examiner et d'apprécier la preuve. Le défendeur affirme qu'il n'y a pas de motif justifiant un contrôle judiciaire.

L'appréciation de la preuve documentaire

[39]            Le défendeur affirme que c'est le devoir de la Section de la protection des réfugiés non seulement d'examiner la preuve dont elle dispose, mais également d'en apprécier sa valeur. La Commission pouvait par conséquent conclure que, compte tenu de la preuve dont elle disposait, le demandeur ne s'était pas acquitté du fardeau de démontrer qu'il était exposé à une crainte de persécution bien fondée au Pakistan du fait de sa foi chiite ou de sa participation à son imambargah local (arrêt Canada (Procureur général) c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.), arrêt Herrera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 2 C.F. 801 (C.A.), et arrêt Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Dan-Ash (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 78 (C.AF.)).


[40]            Rien n'indique que la Commission a omis de tenir compte des éléments de preuve ou qu'elle a été excessivement sélective dans son appréciation. Au contraire, la Commission a manifestement examiné les éléments de preuve présentés par l'avocat du demandeur et toute la preuve documentaire. La Commission mentionne clairement que même s'il y a encore des problèmes à l'égard de la protection de l'État au Pakistan, la présomption selon laquelle l'État fait des efforts sérieux pour protéger les citoyens chiites n'est pas réfutée. En outre, la Commission mentionne expressément les prétentions du demandeur à l'égard de l'incapacité du Pakistan de protéger ses citoyens chiites et rejette clairement ces prétentions.

[41]            Le défendeur prétend que la question de la préférence de certains éléments de preuve documentaire est une question de pondération qui entre dans la compétence de la Commission. La Commission peut choisir certains éléments de preuve et s'y appuyer et non d'autres éléments s'ils sont contradictoires ou incompatibles. La Commission n'a pas à mentionner tous les éléments de preuve qu'elle a examinés. Dans la mesure où les conclusions de la Commission sont rationnellement fondées sur les documents dont elle dispose, la Cour ne devrait pas intervenir à l'égard de la décision définitive (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317, à la page 318 (C.A.F.)).

La situation particulière du demandeur

[42]            Indépendamment de sa conclusion selon laquelle une protection adéquate de l'État est offerte au demandeur au Pakistan, la Commission a ensuite examiné la question de savoir s'il existait des raisons impérieuses pour ne pas renvoyer le demandeur au Pakistan.


[43]            L'avocat du demandeur avait présenté trois questions qui étaient susceptibles de constituer des raisons impérieuses, à savoir : « le demandeur a été humilié lorsqu'il a été battu et a eu besoin de l'aide de son épouse; le demandeur a été contraint de fermer son commerce; le demandeur a été menacé de mort » . La Commission a conclu que bien que ces événements puissent avoir été traumatisants, ils ne constituaient pas de la persécution « atroce et épouvantable » qui justifierait de ne pas renvoyer le demandeur au Pakistan (arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj (1992), 93 D.L.R. (4th) 144, à la page 156 (C.A.F.)).

Conclusion

[44]            Le défendeur affirme que le demandeur n'a pas démontré qu'il existe une question défendable qui puisse justifier le contrôle judiciaire de la décision. Le demandeur n'a pas démontré que le tribunal a omis de tenir compte d'éléments de preuve, a mal interprété les éléments de preuve ou a tiré des conclusions abusives ou arbitraires à cet égard.

[45]            Les déclarations du demandeur équivalent à une divergence d'opinions à l'égard de la conclusion de la Commission, une conclusion que la Commission pouvait tirer compte tenu de la preuve dont elle disposait et qui ne constitue pas un fondement d'intervention pour la Cour (arrêt Brar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] A.C.F. no 346 ( C.A.), et arrêt Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1233 (C.A.)).


[46]            En outre, le défendeur prétend que les motifs de la Commission sont clairs, convaincants et détaillés et que le demandeur n'a fourni aucun argument convaincant donnant à penser que la Commission a commis une erreur importante dans sa décision. Lorsque la décision est lue dans son ensemble, il est clair que la Commission comprenait les questions et la preuve dont elle disposait et qu'aucune injustice n'a eu lieu. L'intervention de la Cour n'est pas justifiée (arrêt Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 120 N.R. 385 (C.A.F.), arrêt Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration) (1972), 26 D.L.R. (3d) 216 (C.S.C.), et arrêt Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 437 (C.A.)).

ANALYSE

[47]            Le demandeur soulève deux préoccupations principales. Une de ses préoccupations concerne la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve présentée n'a pas réfuté la présomption de l'existence de la protection adéquate de l'État. L'autre préoccupation concerne la question du manquement à la justice naturelle et à l'équité résultant du fait que la Commission s'est appuyée sur des reportages télévisés qui n'ont pas été fournis au demandeur pour qu'il les examine et les commente.


[48]            Bien que je sois d'avis que la Commission ne devrait pas s'appuyer sur des éléments de preuve auxquels le demandeur n'a pas eu la possibilité de répondre, la nature des reportages dans la présente affaire (des commentaires concernant les résultats d'élection qui ne contiennent aucun nouveau renseignement qui prendrait quelqu'un au dépourvu) m'amène à conclure que l'omission de la Commission en l'espèce n'a pas empêché le demandeur de présenter pleinement sa cause et n'a pas eu de conséquences sur la décision de la Commission d'une façon importante et préjudiciable au demandeur. L'essentiel de la décision de la Commission est que la présomption de l'existence d'une protection adéquate de l'État au Pakistan pour quelqu'un qui a le profil du demandeur n'a pas été réfutée. Je ne crois pas que les deux reportages en cause ont eu, à l'égard de cette question, une influence sur la décision d'une façon importante qui justifierait que la décision soit annulée.

[49]            L'ensemble des faits dans la présente affaire et les questions qui y sont soulevées sont maintenant malheureusement familiers à la Cour et les prétentions des deux parties ont été faites si souvent qu'elles ont maintenant un irréel air de cliché. Au fond, la question est celle de savoir si le régime du président Musharraf au Pakistan peut vraiment offrir une protection contre les extrémistes religieux et les terroristes aux gens comme le demandeur. Les rapports sont souvent contradictoires. Les manoeuvres politiques semblent échapper à la compréhension.

[50]            Le défendeur a raison de prétendre que la Commission a l'expertise à l'égard de ces questions, et qu'il lui appartient d'apprécier la preuve dans une situation qui est très difficile à apprécier, et que la Cour ne devrait pas intervenir même si elle n'est pas d'accord avec la Commission quant à ses conclusions. Des gens raisonnables peuvent ne pas avoir la même opinion, mais cela ne signifie pas qu'une erreur susceptible de contrôle a été commise.

[51]            Comme c'est le cas dans un si grand nombre de ces demandes qui traitent des risques liés à la violence sectaire au Pakistan, l'arrêt Villafranca est une fois de plus invoqué pour rappeler à la Cour qu' « il ne suffit pas que le demandeur démontre [qu'un gouvernement] n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans [la] situation [du demandeur] [...] » et que :


lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection.

[52]            Le problème est que, à l'égard du régime Musharraf, cette directive générale de la Cour d'appel ne fait que soulever une foule de questions : le président Musharraf a-t-il le contrôle efficient de son territoire alors que la violence sectaire sévit et que les actes terroristes surviennent si fréquemment; les autorités militaires, civiles et policières ont-elles le professionnalisme pour s'occuper des situations critiques ou la capacité ou la volonté pour le faire; combien de personnes doivent-elles mourir ou souffrir de persécution avant qu'on cesse d'excuser l'État parce qu'il ne « réussit pas toujours » à protéger et qu'il soit conclu qu'en dépit de ce qui peut être de bonnes intentions, il n'est pas efficient?

[53]            Ces questions sont des questions difficiles et troublantes pour la Section de la protection des réfugiés et pour la Cour. Cependant, je ne vois rien dans la preuve dont la Cour dispose qui donne à penser que la Commission a omis de tenir compte de faits pertinents ou d'appliquer la jurisprudence actuelle. Je suis aussi conscient, comme le défendeur le mentionne à bon droit, que la Cour a récemment confirmé des décisions rendues par la Commission à l'égard de faits très similaires à ceux dont elle dispose.


[54]            La Commission n'a jamais mis en doute la crédibilité du demandeur à l'égard de ce à quoi il avait été exposé dans le passé, mais elle a tranché que son profil ne correspondait pas à celui « des personnes identifiées par Amnistie Internationale comme étant les personnes les plus à risque [...] » . À l'égard de la situation particulière du demandeur, la Commission a mentionné que le responsable de l'imambargah du demandeur a pu rester au Pakistan et qu'il est « une personne se trouvant dans une situation similaire à celle du demandeur » .

[55]            Le demandeur a expliqué que ce responsable travaillait à l'intérieur de l'imambargah et qu'il était exposé à moins de risques que lui, mais la Commission déclare simplement : « Je n'accepte pas cette explication » . Elle ne nous dit pas pourquoi elle ne l'accepte pas.

[56]            En fin de compte, à l'égard de la question principale, nous n'avons qu'un simple rejet de la preuve de risques personnels et la conclusion suivante : « J'ai la conviction que le gouvernement Musharraf a mis en oeuvre des initiatives qui fourniraient au demandeur une protection [protection de l'État] adéquate, sans être nécessairement parfaite, s'il y retournait aujourd'hui » .

[57]            Compte tenu de la jurisprudence actuelle de la Cour, je n'ai pas l'impression que le demandeur a établi qu'il existe une erreur susceptible de contrôle dans la décision. Cependant, je tire cette conclusion avec appréhension. Le moins qu'on puisse dire est que l'analyse des risques personnels du demandeur est sommaire.


ORDONNANCE

1.          La demande est rejetée.

2.          Il n'y a pas de questions aux fins de la certification.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-5287-03

INTITULÉ :               MIAN MOHAMMED HANIF

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

John Savaglio                                                    POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio

Avocat

Pickering (Ontario)                                            POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

130, rue King Ouest, case postale 36

Toronto (Ontario)    M5X 1K6                                        POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.