Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191217


Dossier : IMM‑1800‑19

Référence : 2019 CF 1623

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 17 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ABDIRAHMAN ALI HASSAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, monsieur Abdirahman Ali Hassan, est un citoyen de Djibouti. Il a demandé l’asile en 2017. Il craint d’être persécuté à Djibouti en raison de ses activités politiques et de son appartenance à un clan minoritaire. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté sa demande d’asile. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR.

[2]  M. Hassan sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la LIPR]. Il soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre en preuve de nouveaux éléments de preuve se rapportant au fait qu’il souffre de diabète. Il prétend aussi que la SAR : 1) a conclu de façon déraisonnable qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale du fait de son état de santé devant la SPR; 2) a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité et dans son appréciation des éléments de preuve dont elle disposait; 3) a omis de prendre en compte de façon raisonnable le risque auquel il était exposé en tant que membre d’un sous‑clan minoritaire dans le contexte de ses activités politiques; 4) a omis de procéder à une appréciation indépendante des éléments de preuve.

[3]  Je ne suis pas convaincu que M. Hassan a démontré que la SAR avait commis la moindre erreur justifiant l’intervention de la Cour. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La SAR a d’abord pris en compte un affidavit souscrit par M. Hassan et déposé devant la SAR en tant qu’élément de preuve nouveau. Elle a rejeté l’affidavit, soulignant qu’il ne satisfaisait pas aux conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR. Puisqu’aucun élément de preuve nouveau n’a été admis en preuve, la SAR a aussi rejeté la demande d’audience.

[5]  La SAR a ensuite abordé le manquement à l’équité procédurale allégué découlant de l’état de santé de M. Hassan. Elle a souligné que la SPR savait qu’il était diabétique et lui avait fait savoir qu’il pouvait demander de prendre une pause chaque fois qu’il en avait besoin. Elle a signalé que la SPR avait encouragé le demandeur à faire savoir s’il ressentait un malaise, et que la transcription révèle que des pauses avaient été accordées lorsqu’elles avaient été demandées. La SAR a conclu que si M. Hassan avait bel et bien eu un malaise, il lui incombait de faire savoir à la SPR ou à son conseil qu’il ne se sentait pas bien. M. Hassan ne l’a pas fait. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale.

[6]  En analysant la crédibilité, la SAR a constaté que les éléments de preuve du demandeur contenaient des contradictions et des omissions inexpliquées au sujet de ses activités politiques contre le gouvernement à Djibouti. La SAR a abordé chacune des contradictions et a conclu dans chaque cas que les explications qui avaient été fournies étaient illogiques ou déraisonnables.

[7]  La SAR a reconnu que M. Hassan faisait partie d’un sous‑clan minoritaire et a conclu que les clans minoritaires à Djibouti étaient exposés à la discrimination, mais a convenu avec la SPR que la discrimination n’équivalait pas à de la persécution.

III.  Questions en litige

[8]  La demande soulève les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur en jugeant que les nouveaux éléments de preuve étaient irrecevables aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR et en refusant la demande d’audience?

  2. La SAR a‑t‑elle procédé à une appréciation indépendante des éléments de preuve?

  3. La SAR a‑t‑elle de façon déraisonnable conclu ce qui suit :

  1. Il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale pendant l’audience devant la SPR?

  2. L’affirmation de persécution pour activités politiques n’était pas crédible?

  3. M. Hassan ne serait pas exposé à de la persécution en raison de son appartenance à un clan?

IV.  Norme de contrôle

[9]  Lorsqu’une question traitée dans un contrôle judiciaire soulève des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, la norme de la décision raisonnable s’appliquera. De la même façon, le tribunal adopte la norme de la décision raisonnable lorsqu’il interprète sa propre loi constitutive (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 53 et 54 [Dunsmuir]).

[10]  En l’espèce, les questions soulevées sont toutes des questions se rapportant aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la SAR ou à l’interprétation et à l’application de la LIPR par la SAR. Toutes les questions qui ont été soulevées seront examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[11]  La norme de la décision raisonnable est une norme déférente. La cour de révision doit se demander si 1) le processus décisionnel présente les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité; et si 2) la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au par. 47). Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit éviter de soupeser ou d’apprécier à nouveau la preuve (Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48, au par. 13).

V.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en jugeant que les nouveaux éléments de preuve étaient irrecevables aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR et en refusant la demande d’audience?

[12]  La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre en preuve les nouveaux éléments de preuve de M. Hassan ou en refusant la demande d’audience.

[13]  Le paragraphe 110(4) de la LIPR est ainsi libellé :

Éléments de preuve admissibles

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Evidence that may be presented

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[14]  L’affidavit de M. Hassan compte 50 paragraphes et aborde deux questions : sa capacité au moment de l’audience, et les questions de fond se rapportant à sa demande d’asile. Trois paragraphes portent sur la question de la capacité; le reste du document aborde les questions de fond.

[15]  La SAR a examiné la transcription de l’audience devant la SPR. Elle a constaté que la SPR savait que M. Hassan était diabétique, qu’il avait besoin de pauses à intervalles réguliers et qu’il pouvait avoir des malaises pendant l’audience, et qu’elle y avait été sensible. Toutes les pauses demandées ont été accordées, et M. Hassan a été encouragé à faire savoir s’il ressentait un malaise. Dans ce contexte factuel, la SAR a de façon raisonnable conclu que les quelques renseignements divulgués dans l’affidavit au sujet du problème médical de M. Hassan ne constituaient pas de l’information répondant aux conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR : ils n’étaient pas survenus depuis le rejet de sa demande; ils étaient normalement accessibles; et ils auraient normalement pu être présentés au moment du rejet.

[16]  Par ailleurs, il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que le reste des nouveaux éléments de preuve proposés relativement aux questions de fond n’étaient pas nouveaux ni normalement inaccessibles à M. Hassan. La SAR a raisonnablement conclu que l’affidavit ne satisfaisait pas aux conditions énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[17]  Selon le paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR « peut tenir une audience » si les nouveaux éléments de preuve qui sont admis soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité, sont essentiels pour la prise de la décision et, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée. En l’espèce, après avoir raisonnablement conclu que l’affidavit ne serait pas pris en compte dans le cadre de l’appel, la SAR a aussi, de façon raisonnable, interprété et appliqué le paragraphe 110(6) en concluant qu’une audience n’était pas justifiée.

B.  La SAR a‑t‑elle procédé à une appréciation indépendante des éléments de preuve?

[18]  M. Hassan soutient que la SAR s’est contentée de faire siennes les conclusions de la SPR sans procéder à une appréciation indépendante des éléments de preuve.

[19]  En soutenant cette position, M. Hassan a résumé la jurisprudence se rapportant au rôle de la SAR. Toutefois, il n’apporte aucun argument à l’appui de l’affirmation selon laquelle la SAR n’a pas procédé à une appréciation indépendante des éléments de preuve.

[20]  Dans sa décision, la SAR résume le rôle qu’elle est appelée à jouer, soulignant qu’elle « doit établir de façon indépendante si la SPR a commis chacune des erreurs soulevées — de droit, de fait ou mixte ». Elle reconnaît qu’elle peut faire preuve de déférence quant aux appréciations de la crédibilité effectuées par la SPR lorsqu’elle « estime que la SPR disposait d’un avantage certain ».

[21]  La SAR affirme qu’elle a examiné la transcription de l’audience devant la SPR. La décision démontre que la SAR a tiré ses propres conclusions quant aux questions qu’elle devait trancher. Le fait que les conclusions de la SAR correspondent aux motifs qu’a aussi énoncés la SPR, ou ont été tirées en fonction de ceux‑ci, n’établit pas que la SAR a omis d’effectuer une appréciation indépendante des éléments de preuve.

C.  Les conclusions de la SAR étaient‑elles déraisonnables?

[22]  M. Hassan conteste le caractère raisonnable d’un certain nombre de conclusions tirées par la SAR, et chacune d’elles est abordée ci‑après.

1)  La SAR a‑t‑elle de façon déraisonnable conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale pendant l’audience devant la SPR?

[23]  M. Hassan soutient que la SAR a commis une erreur en omettant de reconnaître qu’il n’était pas en mesure de bien évaluer son propre fonctionnement en raison de son problème de santé et, par conséquent, qu’il avait été incapable d’informer le tribunal de sa propre incapacité. Par ailleurs, il affirme que la SAR a commis une erreur en concluant que de simples pauses suffisaient pour atténuer ses préoccupations relatives à sa déficience cognitive.

[24]  M. Hassan ne conteste pas que la SPR a pris des mesures d’adaptation en fonction de sa situation. Il soutient plutôt que la SPR a commis une erreur en omettant de reconnaître les conséquences possibles de son problème de santé pour son fonctionnement cognitif, conséquences que ni M. Hassan ni son conseil n’ont signalées à la SPR, et en omettant de prendre des mesures d’adaptation à cet égard. M. Hassan n’a présenté aucun élément de preuve à la SAR corroborant l’affirmation selon laquelle son problème de santé avait influé sur ses capacités cognitives au point où il n’a pas pu défendre sa demande d’asile comme il se devait devant la SPR.

[25]  En prenant en compte les arguments soumis par M. Hassan, la SAR a examiné l’instance devant la SPR, a souligné que la SPR était au courant du problème de santé de M. Hassan et avait pris des mesures d’adaptation à cet égard, et, en fin de compte, n’a relevé aucun élément de preuve dans le dossier étayant l’affirmation de manquement à l’équité procédurale. En dépit du fait que M. Hassan n’est pas d’accord avec cette conclusion, celle‑ci n’est pas déraisonnable.

2)  La SAR a‑t‑elle de façon déraisonnable conclu que l’affirmation de persécution pour activités politiques n’était pas crédible?

[26]  M. Hassan soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que son affirmation voulant qu’il ait été persécuté pour ses activités politiques n’était pas crédible, faisant valoir que les contradictions et les omissions relevées avaient été expliquées de façon raisonnable.

[27]  La SAR a relevé en tout cinq contradictions à partir desquelles elle a tiré une inférence défavorable :

  • 1) Le demandeur a déclaré dans son formulaire Annexe A qu’il s’était joint au Mouvement des jeunes de l’opposition [le MJO] en 2011, mais il a affirmé devant la SPR qu’il s’y était joint en 2013. Il a expliqué que la contradiction devant la SPR découlait d’une confusion au sujet de la date à laquelle l’organisation a été créée. En appel, il a expliqué que la contradiction était une simple erreur typographique;

  • 2) Devant la SPR, M. Hassan a déclaré qu’il était membre du Mouvement pour le Renouveau Démocratique [le MRD]. Cette information ne figurait pas dans son formulaire au point d’entrée et dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA];

  • 3) Une lettre soumise par le MJO à l’appui de la demande d’asile affirme que M. Hassan était un membre de l’organisation, tandis que M. Hassan a déclaré qu’il était l’un des fondateurs de l’organisation;

  • 4) La lettre du MJO contient une erreur quant à la date à laquelle M. Hassan prétend avoir été arrêté;

  • 5) Devant la SPR, M. Hassan a déclaré que son épouse avait été arrêtée et torturée à Djibouti pour des motifs liés à ses activités politiques. Cette information ne figure pas dans son formulaire FDA.

[28]  M. Hassan a expliqué que les contradictions étaient des erreurs typographiques ou de simples omissions fondées sur son incapacité à reconnaître l’utilité ou l’importance de l’information dans le cadre de sa demande d’asile.

[29]  J’estime que l’inférence défavorable de la SAR se rapportant à la contradiction quant à la date de son arrestation est déraisonnable. L’écart de quatre jours a été expliqué par le fait qu’il peut y avoir eu confusion entre la date de l’arrestation et la date du procès. Je relève que la SAR a souligné que cette contradiction n’était pas déterminante quant à l’issue de la demande d’asile. Cette erreur ne rend pas la décision déraisonnable en soi. Les autres contradictions, lorsqu’elles sont prises ensemble, constituent un fondement permettant à la SAR de conclure de façon raisonnable que la demande d’asile n’était pas crédible.

3)  La SAR a‑t‑elle de façon déraisonnable conclu que M. Hassan ne serait pas exposé à de la persécution en raison de son appartenance à un clan?

[30]  M. Hassan soutient que la SAR a omis de prendre en compte son appartenance à un sous‑clan dans le contexte voulu. Plus particulièrement, il affirme qu’en raison de ses activités politiques, il ne pourrait pas bénéficier de la protection de l’État.

[31]  La SAR avait déjà établi que l’affirmation relative aux activités politiques n’était pas crédible. Par conséquent, elle n’a pas commis d’erreur en prenant en considération la question de savoir si les éléments de preuve documentaire étayaient la persécution pour le seul motif de l’appartenance au sous‑clan.

VI.  Conclusion

[32]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas relevé de question grave de portée générale aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1800‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de janvier 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1800‑19

INTITULÉ :

ABDIRAHMAN ALI HASSAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉcembrE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

DATE DES MOTIFS :

LE 17 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Lina Anani

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.