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Date : 20010214

Dossier : T-1761-99

Référence neutre : 2001CFPI78

ENTRE :

                                           JOHN MITCHELL, ANITA MITCHELL,

                                                          LEONARD STEWIN et

                                             J.A. FRASER IMPLEMENT CO. LTD.

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]         Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) par laquelle il refusait d'établir une nouvelle cotisation pour leur année d'imposition 1984 (la décision). Cette décision est contenue dans une lettre datée du 31 août 1999 et elle est fondée sur le fait que les demandeurs n'ont pas déposé de renonciations dans le délai de trois ans prescrit par le sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, tel que modifié (la Loi).


[2]                Les demandeurs sollicitent les réparations suivantes :

·            une ordonnance en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, déclarant que la décision est nulle;

·            une ordonnance en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur la Cour fédérale ordonnant au ministre de procéder à une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1984 des demandeurs, au vu des principes établis dans le cas type Bellingham c. La Reine, [1996] 1 C.F. 613 (C.A.);

·            une déclaration portant que les demandeurs ont déposé des renonciations valables en vertu du sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi; et

·            les dépens sur la base avocat-client.

Les faits

[3]         Les demandeurs en l'instance sont John Mitchell, Anita Mitchell, Leonard Stewin et J.A. Fraser Implement Co. Ltd. (J.A. Fraser Ltd.), collectivement identifiés comme les demandeurs. Les terrains qu'ils possédaient à Grand Centre (Alberta) ont été expropriés en 1981. On a aussi exproprié des terrains appartenant à Brenda Bellingham et à Paterson Park Ltd. Bien que ces entités ne soient pas parties à la présente demande, leurs noms sont mentionnés au dossier. Les demandeurs, auxquels viennent s'ajouter Brenda Bellingham et Paterson Park Ltd., seront collectivement identifiés comme les propriétaires.

[3]                En juin 1984, les propriétaires ont été indemnisés pour les terrains expropriés, recevant par la même occasion des « intérêts de pénalisation » . Tous les propriétaires ont inclus ces intérêts de pénalisation dans leur revenu imposable au titre de l'année 1984.


[4]                En 1985, Brenda Bellingham a retenu les services d'un avocat fiscaliste, M. Neil Nichols, pour obtenir un remboursement de l'impôt sur le revenu qu'elle avait payé sur les intérêts de pénalisation, au motif que cette somme n'était pas imposable. Par la suite, soit en janvier 1986, les demandeurs et Paterson Park Ltd. ont retenu les services de M. Nichols aux mêmes fins.

[5]                L'affidavit de M. Nichols en l'instance a été souscrit le 29 octobre 1999. Il indique que M. Nichols était à l'emploi du ministère de la Justice et ensuite de Revenu Canada en qualité d'avocat fiscaliste principal de 1973 à 1978. M. Nichols y reconnaît qu'il représentait tous les propriétaires et déclare avoir rencontré William Wiesener et Bruce Bigelow de Revenu Canada le 6 février 1986, au nom des propriétaires (la réunion). Selon l'affidavit de M. Nichols, voici ce qui a été convenu à la réunion :

·            les affaires de tous les propriétaires soulevaient des questions identiques;

·            l'action de Brenda Bellingham serait présentée à la Cour comme cas type pour tous les propriétaires, afin de faire déterminer si les intérêts de pénalisation n'étaient pas imposables comme elle le prétendait (le cas type);

·            les déclarations d'impôt des autres propriétaires pour l'année 1984 feraient l'objet d'une nouvelle cotisation si le cas type était décidé en leur faveur; et

·            jusqu'à ce que le cas type soit tranché, les dossiers des autres propriétaires seraient mis en suspens par Revenu Canada sans autres formalités.


[6]                Lors du contre-interrogatoire sur son affidavit, M. Nichols a ajouté, à la page 20 de la transcription, que même si Revenu Canada avait convenu de ne pas exiger de renonciations lors de la réunion, les parties avaient aussi convenu que si Revenu Canada décidait d'exiger des renonciations de la part des propriétaires, il en ferait la demande.

[7]                L'affidavit de M. Wiesener indique qu'il ne se souvient pas de la réunion et qu'il n'a aucun dossier pertinent en sa possession[1]. Toutefois, il a témoigné qu'en 1986 Revenu Canada n'avait pas pour habitude de dispenser les contribuables de l'exigence de produire une renonciation. M. Nichols était en désaccord avec cette déclaration et a déclaré que son expérience démontrait que, nonobstant la formulation de la circulaire d'information no 75-7R3 de Revenu Canada, datée du 9 juillet 1984, on n'exigeait pas de renonciations durant les années 70 ou en 1986 pour délivrer de nouvelles cotisations hors du délai prescrit par la loi lorsque Revenu Canada avait convenu d'être lié par le résultat d'un cas type et que les contribuables avaient convenu de ne pas faire appel de la nouvelle cotisation.

[8]                Les avis de cotisation pour les déclarations d'impôt des demandeurs de 1984 ont été mis à la poste aux dates qui suivent. Ceci veut dire qu'en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi, des renonciations en la forme prescrite devaient être produites en 1988, dans les trois ans de chacune dates suivantes :

·            J.A. Fraser Ltd. - 6 juin 1985

·            Anita Mitchell - 18 juillet 1985

·            Leonard Stewin - 9 août 1985

·            John Mitchell - 30 septembre 1985.


[9]                L'affidavit de M. Nichols indique que le 24 février 1986 il a écrit à M. Wiesener, pour confirmer les questions discutées lors de la réunion et dans des conversations subséquentes. Il écrivait notamment ceci au sujet des renonciations :

[traduction]

Nous voulons confirmer l'entente faisant que ces contribuables feront l'objet d'une nouvelle cotisation afin qu'ils reçoivent le même traitement que les autres, dans l'éventualité où il est déterminé que les « intérêts de pénalisation » ne sont pas imposables. Comme ces questions ont tendance à prendre beaucoup de temps, nous vous saurions gré de nous envoyer les formulaires de renonciations que nous pourrions remplir et livrer comme nous en avons discuté.

                                                                                        [je souligne]

[10]            Quatorze mois plus tard, le 4 mai 1987, M. Nichols a écrit à William Blahun, chef, appels, Bureau de district d'impôt d'Edmonton, au nom de Brenda Bellingham et des demandeurs. Voici ce qu'il écrivait à ce moment-là :

[traduction]

Prière de confirmer qu'il n'y a rien d'autre à faire en ce moment suite à notre entente. Ma préoccupation est liée au fait qu'il s'agit ici d'une transaction de 1984 et que nous devons donc savoir si vous avez besoin de renonciations signées par les autres contribuables au cas où la période prescrite dans loi pour une nouvelle cotisation serait expirée lorsque l'appel Bellingham au sujet de la question des « intérêts de pénalisation » est réglé en faveur des contribuables.

                                                                                        [je souligne]

[11]            Selon les demandeurs, les lettres du 24 février 1986 et du 4 mai 1987 (les lettres) constituent, lorsqu'elles sont prises comme un tout, leurs renonciations en vertu du paragraphe 152(4) de la Loi. Revenu Canada n'a pas répondu à ces lettres par écrit, mais elle l'a fait par téléphone comme on peut le voir plus loin.


[12]            Le 22 mai 1987, Maxine Mateyko, une agente des appels de Revenu Canada à Edmonton, a téléphoné à M. Nichols. Comme il n'était pas disponible, elle a parlé à son adjointe juridique, Vivian Hart, et lui a dit que Revenu Canada [traduction] « aurait probablement besoin de renonciations dans ces dossiers » (selon les notes annexées à l'affidavit du 9 décembre 1999 de Mme Mateyko). Dans le contexte, il est clair qu'il s'agit des dossiers des demandeurs. Il semble que Mme Hart aurait répondu qu'elle allait en parler à M. Nichols et rappeler Mme Mateyko. Mme Hart n'a pas souscrit d'affidavit et la preuve n'indique pas si oui ou non elle a rappelé Mme Mateyko comme elle l'avait promis.

[13]            Une semaine plus tard, le 28 mai 1987, Mme Mateyko a téléphoné à Mme Hart au bureau de M. Nichols et lui a déclaré ceci :

[traduction]

... nous aurons probablement besoin de la renonciation pour Paterson Park dès maintenant, nous aurions besoin d'une renonciation pour J.A. Fraser afin de garder ce dossier ouvert, nous aurons besoin des renonciations des Mitchell et Stewin.

Le même jour, M. Nichols a produit le formulaire de renonciation en la forme prescrite au nom de Paterson Park Ltd., sous sa signature. Selon moi, ceci indique qu'il a reçu le message de Mme Mateyko et qu'au 28 mai 1987, il savait que Revenu Canada voulait obtenir les formulaires de renonciation des demandeurs. Ceci est un avis plus que raisonnable, étant donné que le dernier délai pour déposer la première renonciation était le 6 juin 1988. Toutefois, M. Nichols n'a jamais produit les formulaires de renonciation des demandeurs. En contre-interrogatoire, il a déclaré n'avoir aucun souvenir du message de Mme Mateyko du 28 mai 1987, qui porte sur la nécessité de produire les formulaires de renonciation des demandeurs.


[14]            Le 22 juin 1987, Mme Mateyko a rappelé Mme Hart pour l'informer que Revenu Canada ne pouvait accepter la signature de M. Nichols sur le formulaire de renonciation de Paterson Park Ltd. Elle a demandé qu'on lui envoie un formulaire signé par une personne ayant le droit de signer au nom de la société. Dans une lettre datée du 22 juillet 1987, Mme Hart a répondu à Mme Mateyko en lui envoyant la renonciation sur la formule prescrite, signée par le président de Paterson Park Ltd.

[15]            Plusieurs semaines plus tard, soit le 18 août 1987, Mme Mateyko a rappelé le bureau de M. Nichols pour parler à Mme Hart. On l'a alors informée que Mme Hart ne travaillait plus pour M. Nichols. Lorsque Mme Mateyko a demandé à parler à ce dernier, on l'a informée qu'il était en vacances. Elle a donc laissé un message demandant que M. Nichols la rappelle à son retour. Il n'y a toutefois aucune preuve qu'il l'ait rappelée, non plus qu'aucune preuve qu'elle ait tenté de le joindre à nouveau.

[16]            Plusieurs années après, soit le 24 février 1994, M. Nichols a écrit à Douglas Titosky, l'avocat du ministère de la Justice chargé du cas type pour la Couronne, lui envoyant copie de sa lettre du 4 mai 1987 à M. Blahun, document que M. Nichols décrivait comme étant [traduction] « l'équivalent d'une renonciation autorisant la délivrance d'une nouvelle cotisation à ce sujet » . M. Nichols a écrit à nouveau à M. Titosky le 8 mars 1994. Dans cette dernière lettre, il fait état des échanges de lettres décrivant l'entente qui voulait que les demandeurs fassent l'objet d'une nouvelle cotisation lorsque le cas type serait réglé. Il écrit ceci :

[traduction]

Comme nous l'avons déjà fait, nous vous demandons de confirmer que Revenu Canada, Impôt, va respecter cette entente et appliquer le résultat de la même façon à tous ces contribuables, dans l'éventualité où le contribuable a gain de cause dans cet appel.

[17]            En novembre 1995, la Cour d'appel fédérale a tranché le cas type et conclu que les intérêts de pénalisation versés dans le cadre d'une indemnité par suite d'une expropriation n'étaient pas un revenu imposable. Ceci voulait dire que les propriétaires qui avaient payé de l'impôt sur les intérêts de pénalisation s'attendaient à une nouvelle cotisation et à un remboursement. En conséquence, M. Nichols a écrit à M. Titosky le 16 janvier 1996, pour demander que Revenu Canada délivre une nouvelle cotisation aux demandeurs suite à la décision rendue dans le cas type.

[18]            Dans une lettre datée du 12 avril 1996, M. Titosky a informé M. Nichols que Revenu Canada considérait que son engagement d'appliquer le résultat du cas type au dossier des demandeurs ne s'appliquait pas en l'absence de renonciations.


[19]            Le 29 avril 1996, M. Blahun a écrit à M. Nichols au nom de Revenu Canada pour insister sur le fait que Revenu Canada s'était engagé à délivrer une nouvelle cotisation pour les demandeurs, qui serait alignée sur le résultat du cas type, uniquement dans le cas où ces cotisations n'étaient pas hors du délai prescrit par la loi ou si des renonciations valables avaient été produites. Il déclarait aussi que Revenu Canada n'avait pas le pouvoir de délivrer une nouvelle cotisation après trois ans en l'absence d'une renonciation, et que la politique au sujet des renonciations était décrite dans la circulaire d'information no 75-7R3.

[20]            Le 6 avril 1999, chaque demandeur a déposé une demande de remboursement auprès du ministre. Toutefois, le ministre a pris la décision de rejeter chacune de ces demandes dans une lettre datée du 31 août 1999.

Les arguments des parties

[22]       Les demandeurs soutiennent que la preuve démontre qu'il y avait à la fois une entente de délivrer une nouvelle cotisation pour les déclarations d'impôt de 1984 des demandeurs, ainsi qu'une entente de ne pas exiger de renonciations sauf avis contraire, ententes valables qui liaient le ministre. Subsidiairement, les demandeurs ont soutenu que je devais conclure qu'ils avaient en fait fourni les renonciations en cause étant donné que toute l'information requise se trouvait dans les lettres (à l'exception d'un numéro de société et d'un numéro d'assurance sociale qui n'étaient pas disponibles).

[21]            Le défendeur a reconnu que l'intention de Revenu Canada était de mettre les dossiers des demandeurs en suspens jusqu'à ce que le cas type soit tranché, ainsi que le fait qu'il avait été convenu de délivrer de nouvelles cotisations dans ces dossiers si la Cour approuvait leur point de vue. Toutefois, Revenu Canada a ajouté que cette entente de délivrer de nouvelles cotisations était nécessairement subordonnée à la production de renonciations, étant donné que la Loi et la politique ministérielle l'exigeaient, et du fait qu'il n'était pas habituel de dispenser un contribuable de l'exigence de produire une renonciation.


[22]            Le défendeur a reconnu dans sa plaidoirie qu'il n'était pas essentiel que les renonciations soient sur le formulaire prescrit et qu'en théorie, les lettres pouvaient constituer une renonciation implicite. Toutefois, le défendeur a déclaré que la question d'une renonciation implicite fondée sur les lettres ne se posait pas étant donné que la preuve présentée par M. Nichols indiquait qu'il n'avait jamais eu l'intention de produire des renonciations au nom des demandeurs parce qu'il croyait qu'elles n'étaient pas nécessaires. Le défendeur a déclaré que Revenu Canada ne pouvait considérer que les lettres constituaient des renonciations, étant donné qu'elles n'avaient pas été envoyées dans ce but.

Les dispositions législatives pertinentes et le formulaire de renonciation

[25]       Le sous-alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi est rédigé comme suit :

Le Ministre peut, à une date quelconque, fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun impôt n'est payable pour l'année d'imposition, et peut,

(a)     à une date quelconque, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration

...

(ii)    a adressé au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, dans un délai de 3 ans de la date de mise à la poste d'un avis de première cotisation ou d'une notification portant qu'aucun impôt n'est payable pour une année d'imposition,

...

procéder à de nouvelles cotisations ou en établir de supplémentaires, ou fixer des impôts, intérêts ou pénalités en vertu de la présente Partie, selon que les circonstances l'exigent, sauf qu'une nouvelle cotisation, une cotisation supplémentaire ou une cotisation peuvent être établies en vertu de l'alinéa (b) plus de 3 ans après la date visée au sous-alinéa (a)(ii) seulement si cette mesure peut être raisonnablement considérée comme se rapportant à la cotisation ou à la nouvelle cotisation visée à cet alinéa.

                                                                                        [je souligne]

[23]            Le paragraphe 244(16) de la Loi définit la formule prescrite comme suit :

Chaque formule donnée comme constituant une formule prescrite ou autorisée par le Ministre est réputée être une formule prescrite par ordre du Ministre en vertu de la présente loi, sauf si elle est mise en doute par le Ministre ou quelque personne agissant pour lui ou pour Sa Majesté.

Le formulaire de renonciation prescrit par le ministre, qui porte le numéro T2029, est annexé sous la cote « A » . Il s'agit d'un formulaire d'une seule page où le contribuable doit inscrire ses nom, adresse et numéro d'assurance sociale ou numéro de la corporation. On y voit que l'année d'imposition visée par la renonciation doit être inscrite. Un espace est prévu pour inscrire une brève description de l'objet de la renonciation.

[24]            L'article 32 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, porte que certaines différences par rapport à un formulaire prescrit sont autorisées. Il est rédigé comme suit :

32.L'emploi de formulaires, modèles ou imprimés se présentant différemment de la présentation prescrite n'a pas pour effet de les invalider, à condition que les différences ne portent pas sur le fond ni ne visent à induire en erreur.

Les questions sur lesquelles il y a entente

[28]       Personne ne conteste le fait que Revenu Canada a convenu de délivrer une nouvelle cotisation aux demandeurs qui serait conforme au résultat du cas type et que les demandeurs pour leur part ont convenu qu'ils ne feraient pas appel de cette nouvelle cotisation.

Les questions en litige

Au sujet de la réunion


1.    Y a-t-il eu entente lors de la réunion sur la question de savoir si les demandeurs devaient produire des renonciations?

Au sujet du défaut de produire les renonciations

2.    Revenu Canada a-t-il demandé à M. Nichols de produire les renonciations des demandeurs?

Au sujet d'une renonciation implicite

3.    Les lettres constituent-elles une renonciation implicite déposée au nom des demandeurs?

LA RÉUNION DU 6 FÉVRIER 1986

[29]       Les demandeurs soutiennent que cette réunion s'est terminée sur une entente portant qu'il n'était pas nécessaire de produire des renonciations, sauf demande à l'effet contraire adressée à M. Nichols par Revenu Canada. Toutefois, j'arrive à la conclusion que cette version des événements n'est pas appuyée par la preuve. Si M. Nichols avait une entente précise portant que les renonciations n'étaient pas requises sauf avis contraire, il n'aurait pas dit dans sa lettre du 24 février 1986, écrite suite à la réunion, que « comme ces questions ont tendance à prendre beaucoup de temps, nous vous saurions gré de nous envoyer les formulaires de renonciations que nous pourrions remplir et livrer comme nous en avons discuté » .

[25]            De plus, il n'aurait pas écrit, dans sa lettre du 4 mai 1987 :

[traduction]

Au nom de chacun des contribuables, nous confirmons qu'ils n'ont pas d'objection à toute nouvelle cotisation, qu'elle soit faite avant ou après le délai prescrit dans la loi, afin de permettre qu'on puisse déclarer que les « intérêts de pénalisation » ne sont pas imposables. Si cela ne suffit pas, vous pouvez peut-être me faire savoir si oui ou non il y a lieu de produire des renonciations.

                                                                                        [je souligne]


[26]            Ces passages indiquent qu'il n'y a pas eu d'entente à la réunion quant à la question de savoir s'il y avait lieu de produire des renonciations.

[27]            Par ailleurs, le défendeur soutient que l'exigence de production des renonciations a été mentionnée à la réunion et que l'entente visant la délivrance de nouvelles cotisations pour les déclarations d'impôt des demandeurs de 1984 était conditionnelle au dépôt des renonciations en la forme prescrite. Rien dans la preuve ne vient étayer cette prétention du défendeur. Tout ce que M. Wiesener pouvait dire, c'est que Revenu Canada n'avait pas l'habitude d'accorder une dispense de production des renonciations. Ce témoignage est contredit par M. Nichols, qui déclare que, selon son expérience, on n'exigeait pas de renonciations lorsqu'il y avait un cas type devant les tribunaux.

[28]            J'ai conclu qu'il n'y a pas eu d'entente à la réunion quant à savoir s'il y avait lieu d'exiger ou non les renonciations. Étant donné que lors de la réunion, soit le 6 février 1986, la première renonciation n'avait pas à être déposée avant plus de deux ans, je suis convaincue que la discussion à la réunion a porté essentiellement sur l'entente visant la délivrance de nouvelles cotisations au vu des résultats du cas type. Dans les circonstances, je considère qu'il est plus que probable que les renonciations n'aient été mentionnées qu'en passant et qu'il n'y ait pas eu de décision quant à savoir s'il y avait lieu de les produire.


LE DÉFAUT DE PRODUIRE LES RENONCIATIONS

[34]       Comme, selon moi, la preuve démontre que M. Nichols savait pertinemment que la question des renonciations restait à régler, il avait la responsabilité de déterminer si on allait effectivement les exiger. Il a traité de cette question dans sa lettre du 4 mai 1987. Je conclus que M. Nichols a été informé de la décision de Revenu Canada portant que les demandeurs devaient produire les renonciations au moment où Mme Mateyko en a parlé à Mme Hart le 28 mai 1987. Les notes de Mme Mateyko indiquent qu'à cette occasion, elle a dit à Mme Hart que les renonciations des demandeurs étaient et seraient nécessaires. De plus, il est clair que M. Nichols a reçu ce message puisqu'il a tout de suite signé et produit une renonciation en la forme prescrite au nom de Paterson Park Ltd., en réponse à la demande de Mme Mateyko qu'on lui expédie ce document « dès maintenant » .

[29]            Par conséquent, quoiqu'on ait pu discuter à la réunion, à un certain moment M. Nichols a été saisi d'une demande de produire les renonciations des demandeurs en la forme prescrite et il ne l'a pas fait.

LA RENONCIATION IMPLICITE


[36]       Les demandeurs soutiennent que même s'il n'y a pas eu d'entente portant qu'ils étaient dispensés de produire des renonciations, et même si les renonciations n'ont pas été produites dans la forme prescrite, je devrais considérer que les lettres constituent une renonciation implicite. Ils me demandent d'examiner la question de savoir si les lettres contiennent l'information qui serait normalement portée sur une renonciation dans la forme prescrite, ainsi que la question de savoir si les lettres peuvent être traitées comme une renonciation même si elles n'ont pas été écrites dans ce but.

[30]            Pour traiter de ces questions, je vais utiliser l'expression « renonciation implicite » pour décrire un document (ou des documents) envoyé(s) à Revenu Canada à titre de renonciation et qui contiennent tous ou presque tous les renseignements qu'on doit inscrire sur le formulaire prescrit. D'un autre côté, j'utiliserai l'expression « renonciation par interprétation » pour décrire un document (ou des documents) qui contien(nen)t tous ou presque tous les renseignements qu'on doit inscrire sur le formulaire prescrit, mais dont l'objectif n'était pas de servir de renonciation au moment où on les a expédiés à Revenu Canada.

[31]            Selon moi, les lettres correspondent plus à une renonciation par interprétation qu'à une renonciation implicite. Elles ne respectent pas le formulaire prescrit et elles n'avaient pas pour objectif de servir de renonciation. Prises comme un tout, elles contiennent toutefois presque tous les renseignements nécessaires qu'on doit inscrire sur le formulaire prescrit.


[32]            Le défendeur admet qu'il n'insiste pas toujours sur une renonciation dans la forme prescrite et il a déclaré qu'il pouvait aussi accepter comme valables des formulaires comportant des modifications ou des documents autres que le formulaire prescrit, à condition qu'ils contiennent les renseignements nécessaires et qu'ils soient envoyés à Revenu Canada pour servir de renonciations. Toutefois, Revenu Canada n'est pas disposé à accepter comme renonciations des documents qui ne respectent pas la forme prescrite et qui n'ont pas été produits dans l'intention qu'ils servent à cette fin. Pour l'essentiel, si je reprends ce qu'on m'a dit dans mes propres termes, le défendeur peut accepter des renonciations implicites mais il n'acceptera pas de renonciations par interprétation.

[33]            Selon moi, cette approche est raisonnable. Comme Revenu Canada avait informé M. Nichols qu'il devait produire les renonciations et que, par ailleurs, il n'a reçu aucune telle renonciation ou documents devant en tenir lieu à titre de renonciations implicites, je ne crois pas qu'il était tenu d'accepter comme renonciations des documents envoyés avant que Mme Mateyko demande les renonciations et qui n'ont été décrits comme tels qu'après que le délai pour présenter des renonciations eut été expiré.

[34]            L'exigence de produire des renonciations a été examinée par la Cour d'appel fédérale dans Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655 (C.A.)[2]. Dans cette affaire, le litige portait sur le traitement fiscal des intérêts réalisés sur des valeurs à court terme durant les années 1973 à 1976. En 1986, le contribuable a eu gain de cause dans son pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Le ministre a toutefois refusé d'établir de nouvelles cotisations pour les années 1977 à 1981, au motif qu'il n'a pas le pouvoir de le faire parce que les renonciations requises n'avaient pas été produites.


[35]            La Cour a jugé que le ministre n'avait aucun pouvoir d'établir de nouvelles cotisations pour les années d'imposition en cause, parce qu'il en était empêché par la loi en l'absence notamment d'une renonciation produite dans les délais. La Cour n'a pas examiné la forme de la renonciation, mais elle a dit clairement qu'une renonciation était une condition essentielle à la délivrance d'une nouvelle cotisation, même dans le contexte d'un litige qui n'était pas encore tranché.

[36]            Les demandeurs s'appuient sur la décision de la Cour canadienne de l'impôt dans Trynor et autres c. Le ministre du Revenu national (1988), 88 D.T.C. 1294. Dans cette affaire, les contribuables n'avaient pas fait état de leur décision d'utiliser la juste valeur marchande au jour de l'évaluation (Jour-E) en déposant le formulaire prescrit. Ils ont déposé un document annexé à leurs déclarations, qui indique clairement qu'ils avaient choisi les valeurs au Jour-E. Le problème tient au fait que le règlement pertinent porte que le choix « doit » être exercé en produisant le formulaire prescrit.

[37]            Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que le terme « doit » n'était pas utilisé pour imposer une obligation impérative, mais qu'il était plutôt de nature indicative étant donné le caractère procédural de la disposition. La Cour a conclu que l'intention du contribuable d'utiliser les valeurs au Jour-E a été clairement communiquée et que le ministre ne pouvait prétendre à aucune surprise, confusion ou préjudice par suite du mode de communication de ce choix. La Cour a aussi fait remarquer que le fait d'exiger que les contribuables utilisent le formulaire prescrit aurait pour effet d'accorder plus d'importance à la forme qu'au fond.


[38]            La décision dans Trynor a été appliquée par la Cour de l'impôt dans Adelman c. Canada (M.R.N.) (non publié, 21 août 1991). Toutefois, cette décision a été infirmée en appel à la Section de première instance de la Cour fédérale (1993), 66 F.T.R. 140, sur la question du sens à donner au terme « doit » . La Cour a jugé que ce terme est, par présomption, impératif, sauf si cette interprétation rendait un texte irrationnel ou vide de sens. La Cour a conclu que l'exigence impérative d'utiliser le formulaire prescrit pour choisir la valeur au Jour-E n'était ni irrationnelle ni vide de sens. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale (1997), 97 D.T.C. 5529.

[39]            En l'instance, le terme « doit » n'apparaît pas dans la disposition législative qui traite de la forme prescrite et, comme je l'ai déjà dit, le défendeur accepte de traiter comme des renonciations des documents qui ne respectent pas la forme prescrite à condition qu'ils contiennent les renseignements requis et qu'ils aient pour objectif de servir de renonciation. Cette pratique me semble respecter l'esprit de la décision du juge de la Cour de l'impôt dans Trynor.

[40]            Les demandeurs déclarent toutefois que, dans l'esprit de Trynor, le défendeur devrait aller plus loin et accepter de considérer les lettres comme une renonciation par interprétation, étant donné qu'elles contiennent à peu près toute l'information à inscrire sur le formulaire prescrit et du fait que, dans le contexte de l'entente de délivrer de nouvelles cotisations au vu du résultat du cas type, on ne peut faire valoir que Revenu Canada serait surpris ou trompé, ou subirait un préjudice par l'utilisation d'une renonciation par interprétation.

Conclusion


[48]       Bien que je sympathise avec les demandeurs, je conclus au vu des circonstances de cette affaire que le défendeur a le droit de soutenir que les lettres ne correspondent pas à une renonciation. Le fait que prises comme un tout elles contiennent presque toute l'information requise pour constituer une renonciation ne fait pas, selon moi, que Revenu Canada soit tenu de les qualifier de renonciation. Leur envoi à Revenu Canada s'est fait à un intervalle de 14 mois, avant que Mme Mateyko demande la production de renonciations. Lorsqu'elles ont été envoyées à Revenu Canada, leur objectif n'était pas de servir de renonciations. En bref, je conclus que Revenu Canada n'est pas tenu d'accepter des renonciations par interprétation.

Les dépens

[49]       La question des dépens est traitée dans l'ordonnance ci-jointe.

[41]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

(signé) « Sandra J. Simpson »

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 14 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         JOHN MITCHELL, ANITA MITCHELL, LEONARD STEWIN et J.A. FRASER IMPLEMENT CO. LTD.

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

No DU GREFFE :                                           T-1761-99

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 21 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE SIMPSON

EN DATE DU :                                               14 février 2001

ONT COMPARU

K.G. Nielsen, c.r.                                                              pour les demandeurs

C.R. McNary

J.E. Fulcher                                                                                   pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fraser Milner                                                                                pour les demandeurs

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



     [1]       M. Bigelow n'a pas souscrit d'affidavit ou fourni d'autre preuve.

     [2]       Demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada rejetée (1992), 90 D.L.R. (4th) viii.

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