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Date : 20010117

Dossier : IMM-295-99

Entre :

SHU-YEE CHENG

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]         M. Shu-Yee Cheng, demandeur, s'est vu refuser sa demande de résidence permanente au Canada à titre de chef cuisinier dans la catégorie des travailleurs autonomes. Dans la présente demande, il réclame une ordonnance fondée sur l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, afin de faire infirmer la décision de Moira L. Escott (agente des visas) qui a refusé sa demande de résidence permanente.


[2]         Ni l'agente des visas ni M. Cheng n'ont déposé d'affidavit dans la présente demande. La demande de M. Cheng était étayée par l'affidavit de sa consultante en immigration, Mlle On, qui, d'après le dossier du tribunal, a présenté la demande de résidence permanente pour le compte de M. Cheng et communiqué avec le bureau des visas concernant la demande, et à qui la lettre de refus a été envoyée.

[3]         La Règle 306 des Règles de la Cour fédérale (1998), rendue applicable aux demandes de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent des visas du fait de la Règle 4(2) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, 1993, exige que les demandeurs déposent des affidavits à l'appui de leur demande. La Règle 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) stipule que les affidavits doivent se limiter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle.

[4]         D'après les faits de l'espèce, compte tenu de la participation de la consultante en immigration dans le processus global, je ne suis pas disposée à rejeter la demande au motif que le demandeur n'a pas déposé son propre affidavit. L'affidavit établi sous serment par Mlle On est suffisant pour établir qu'une demande a bien été présentée et rejetée.


[5]         Toutefois, il s'ensuit que les seuls éléments de preuve qui peuvent être à bon droit présentés au nom du demandeur sont ceux dont Mlle On a une connaissance personnelle. Je n'ai donc tenu compte que de ces éléments de preuve. J'ajoute cependant une réserve. Il est bien établi en droit que le contrôle d'une décision d'un office fédéral se fonde sur la preuve dont était saisi le décideur, à moins qu'une preuve additionnelle ne soit par ailleurs admissible aux fins d'établir qu'il y a eu partialité, manquement à l'obligation d'agir équitablement, ou d'autres manquements semblables. Cela signifie que le témoignage de Mlle On au sujet des restaurants de Toronto, de la communauté cantonaise de Toronto, des agents des visas et de leurs pratiques, même s'il est constitué de faits dont Mlle On a une connaissance personnelle, n'est pas admissible étant donné qu'il n'a pas été établi que l'agente des visas était saisie de ces éléments de preuve .

[6]         Finalement, pour ce qui a trait au dossier de la preuve dont la Cour est saisie, je suis d'avis qu'en l'absence d'affidavit de l'agente des visas je peux considérer la lettre de refus et les notes au STIDI comme constituant les motifs de la décision contestée. Les notes au STIDI et les notes manuscrites de l'agente des visas sont également admissibles sur l'instance du demandeur à titre d'aveux. Voir : Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1450, IMM-2063-99 (le 1er septembre 2000) (C.F. 1re inst.).

[7]         La preuve produite à bon droit devant moi établit en fait que la demande de M. Cheng a été évaluée dans la catégorie des travailleurs autonomes, et refusée au motif qu'il n'avait pas réussi à convaincre l'agente des visas qu'il répondait à la définition d'un travailleur autonome. L'essentiel de la lettre de refus indique ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 définit le « travailleur autonome » comme étant un « immigrant qui a l'intention ou qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » .

À mon avis, vous ne répondez pas à la définition précitée. Vous n'avez pas réussi à me convaincre que vous êtes en mesure d'établir une entreprise au Canada. Vous n'avez aucune connaissance pratique de l'anglais et n'êtes jamais venu au Canada. Bien qu'il semble que vous ayez exploité un restaurant d'aliments-minute à Porto Rico, vous n'avez pu discuter d'aucun détail concernant l'exploitation d'un restaurant au Canada. Vous avez déclaré que vous pensiez devoir compter sur votre famille pour vous aider à établir une entreprise au Canada. Vous avez également déclaré qu'il vous faudrait très probablement travailler d'abord dans le restaurant d'une autre personne pour vous familiariser avec l'industrie de la restauration au Canada.


[8]         Comme il ressort de la lettre de refus, l'agente des visas a reconnu que M. Cheng avait exploité un restaurant d'aliments-minute à Porto Rico et qu'il souhaitait poursuivre dans cette voie au Canada. Toutefois, elle a conclu que M. Cheng n'avait pas réussi à la convaincre qu'il était en mesure d'établir un restaurant au Canada, même s'il en avait exploité un à Porto Rico. Bien que l'agente des visas ait déclaré qu'elle n'était pas convaincue que cette entreprise était susceptible de contribuer de manière significative à l'économie du Canada, elle n'a pas motivé cette conclusion.

[9]         L'agente des visas a déclaré qu'elle n'était pas convaincue que M. Cheng serait en mesure d'exploiter une entreprise au Canada pour les raisons suivantes :

(i)          il n'a aucune connaissance pratique de l'anglais;

(ii)         il n'est jamais venu au Canada; et

(iii)        il n'a pas été en mesure de discuter des détails concernant l'exploitation d'un restaurant au Canada, et a déclaré qu'il devrait compter sur sa famille et fort probablement travailler chez un autre restaurateur pour se familiariser avec l'industrie de la restauration au Canada.

[10]       Les notes au STIDI et les notes manuscrites de l'agente des visas font ressortir que l'agente des visas a pris note de ce qui suit :

a)          M. Cheng avait déposé 380 000 $ au Canada;

b)          M. Cheng [TRADUCTION] « devra probablement travailler pour quelqu'un d'autre dans un restaurant ou dans le restaurant de sa soeur » ; et

c)          Outre lui-même, M. Cheng fait travailler sa femme et quatre autres personnes.


[11]       Les motifs de l'agente des visas ne tiennent guère compte, sinon pas du tout, du sens des affaires de M. Cheng, de son actif, ou de ses antécédents commerciaux. Dans ce contexte, le manuel d'immigration Traitement des demandes d'immigration à l'étranger publié par Citoyenneté et Immigration Canada indique ce qui suit : « L'expérience des affaires ou la réussite passée en affaires peuvent être fortement révélatrices de la capacité du requérant d'établir une entreprise au Canada. Une expérience pratique de la gestion peut également constituer un élément décisif... » et « Les avoirs financiers du requérant peuvent également servir à évaluer son intention et sa capacité d'exploiter une entreprise au Canada. Un travailleur autonome n'a pas à investir une somme minimale. Le capital requis dépend de la nature de l'entreprise. Le requérant doit avoir des fonds suffisants pour créer un emploi pour lui-même et pour subvenir à ses besoins et à ceux des personnes à sa charge. »

[12]       À mon avis, il s'agit là de questions qui sont pertinentes et qui, d'après le dossier dont était saisie l'agente des visas, auraient dû être examinées.

[13]       À mon avis, il était loisible à l'agente des visas de considérer l'effet que pouvait avoir sur la capacité de M. Cheng d'établir une entreprise au Canada son ignorance de l'anglais.

[14]       Le fait de n'être jamais venu au Canada n'est certainement pas un obstacle à l'immigration dans ce pays. Pris isolément, ce facteur est de peu d'utilité.


[15]       Concernant le dernier facteur examiné par l'agente des visas, dans la décision Margarosyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 37 Imm. L.R. (2d) 53 (C.F. 1reinst.), le juge Gibson a statué que tant et aussi longtemps qu'un demandeur avait l'intention sincère d'établir une entreprise au Canada il n'était pas nécessaire qu'il mette cette intention à exécution dès son arrivée au pays, et qu'un agent des visas avait commis une erreur en ajoutant à la définition de travailleur autonome la condition qu'une entreprise soit établie immédiatement à l'arrivée de l'immigrant. Ainsi, l'intention déclarée de M. Cheng de travailler dans un restaurant, peut-être celui de sa soeur, pour se familiariser avec l'industrie de la restauration au Canada, n'aurait pas dû constituer un motif de refus de la demande, dans la mesure où l'agente des visas était convaincue que M. Cheng avait l'intention d'établir une entreprise.

[16]       Vu que l'agente des visas était apparemment convaincue que M. Cheng avait la capacité d'exploiter un restaurant à Porto Rico, elle a, selon moi, commis une erreur susceptible de contrôle en refusant la demande de M. Cheng pour les motifs indiqués dans sa lettre dans des circonstances où rien n'indique qu'elle a tenu compte d'autres facteurs pertinents comme ceux exposés ci-dessus. Cela ne signifie pas qu'il n'était pas raisonnablement loisible à l'agente des visas de décider de refuser la demande de M. Cheng. Cela signifie simplement que sa décision, fondée sur les motifs qu'elle a donnés, ne peut passer l'épreuve d'un examen approfondi. Comme l'agente des visas n'a pas motivé sa conclusion que l'entreprise n'était pas susceptible de contribuer de manière significative à la vie économique canadienne, sa décision ne peut être maintenue.


[17]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

[18]       M. Cheng a demandé que les dépens lui soient adjugés, ainsi qu'une ordonnance obligeant le défendeur à approuver sa demande ou une ordonnance de la nature d'une directive contraignant le défendeur à payer tous les frais raisonnables qu'il devra engager pour se présenter à une autre entrevue. Il demande également une ordonnance de la nature d'une directive exigeant que les agents d'évaluation accordent « pleinement foi et crédibilité » à certains demandeurs. Je ne suis pas convaincue que l'octroi d'un tel redressement est justifié en l'espèce.

[19]       Pour ce qui a trait à la certification d'une question grave, les avocats pourront déposer des observations écrites à ce sujet dans les 14 jours suivant la date des présents motifs, après qu'ils se seront communiqués leur position respective sur la question. Le jugement accueillant la présente demande de contrôle judiciaire sera rendu après l'examen des observations fournies à la Cour.

                                                                                                                        « Eleanor R. Dawson »               

       Juge

Winnipeg (Manitoba)

le 17 janvier 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-295-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Shu-Yee Cheng c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 31 août 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON

DATE :                                                le 17 janvier 2001

ONT COMPARU:

Thimothy E. Leahy                                             POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy E. Leahy                                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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