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Date : 20020314

Dossier : IMM-6240-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 MARS 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

ENTRE :

WEI WEI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                     ORDONNANCE

Après avoir examiné la demande de contrôle judiciaire visant l'annulation de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié a refusé, en date du 1er novembre 2000, de reconnaître à Wei Wei (le demandeur) le statut de réfugié au sens de la Convention;

Après avoir pris connaissance des documents déposés et entendu les arguments des parties;                                

Et pour les motifs déposés en ce jour;


LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

[1]                 La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 1er novembre 2000 est annulée. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

[2]                 Aucune question n'est certifiée.

  

                                                                                                                     « Dolores M. Hansen »             

Juge

                                                                                                                                                                       

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                                                                                                                                       

  

Date : 20020314

Dossier : IMM-6240-00

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 285

ENTRE :

WEI WEI

demandeur

  

et

  

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

        La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a tranché, en date du 1er novembre 2000, que Wei Wei (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il n'avait pas d'arguments crédibles à l'appui de sa revendication.


Contexte

        Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (RPC) âgé de 22 ans. Il a revendiqué le statut de réfugié et affirme craindre avec raison d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social, les adeptes du Fa Lun Gong.

       Le demandeur a commencé à pratiquer le Fa Lun Gong en Chine après qu'un camarade de classe le lui a fait connaître à l'été 1995. Il est allé à une station de pratique et l'instructeur lui a donné un livre intitulé « Zhuangfalun » . En lisant cet ouvrage, le demandeur s'est intéressé aux vertus du Fa Lun Gong : bonté, patience et sincérité.

        Après environ un mois de pratique du Fa Lun Gong, le demandeur a informé ses parents de sa participation à ce mouvement. Durant les mois de l'été, il est allé à la station de pratique presque tous les jours et, lorsque l'école a commencé, il a participé seulement les fins de semaine. Le demandeur a témoigné que le groupe se réunissait à l'extérieur dans un endroit situé près de la mer. Le groupe comptait environ 30 adeptes et l'instructeur était M. Zi Quiang Zhang.

        En août 1998, le demandeur est allé en Suisse pour étudier l'anglais. Il y est resté environ quatre mois et il a fait de brefs séjours en Hollande et en France durant cette période. Pendant qu'il étudiait à l'étranger, il a continué de pratiquer le Fa Lun Gong même s'il était généralement seul pour le faire.


        Le demandeur a témoigné que la plupart des gens qui vivaient près de chez lui en Suisse parlaient français. Il voulait apprendre l'anglais dans un environnement anglophone. Ainsi, au cours de son séjour en France, il s'est rendu à l'ambassade du Canada à Paris pour demander un visa d'étudiant. À son retour en Suisse, il a reçu son visa canadien. Toutefois, il est retourné dans sa famille, à Dalian, pour les festivités du nouvel an chinois et a recommencé à pratiquer le Fa Lun Gong avec son groupe.

        En mars 1999, le demandeur est allé à l'école Sintungfong dans les montagnes situées près de Beijing pour y étudier l'anglais. Pendant deux mois, il a pratiqué le Fa Lun Gong seul. Durant cette période de temps, il n'a pas eu accès à l'information concernant le traitement réservé aux adeptes de ce mouvement dans le pays. À son retour à Dalian, il a appris que de nombreux adeptes du Fa Lun Gong avaient été arrêtés et que des milliers de personnes manifestaient à Beijing. Le demandeur n'a pas participé aux manifestations parce qu'il se préparait à partir pour le Canada.

        Le demandeur est arrivé au Canada le 6 mai 1999. Il s'est inscrit au collège Sheridan où il a étudié l'anglais jusqu'en août 1999. Il a continué de pratiquer le Fa Lun Gong au Canada. Au début, il vivait à Brampton et pratiquait seul. Toutefois, il n'a pas tardé à déménager à Toronto et a adhéré à un groupe qui se réunissait à l'extérieur, à Allan Gardens, pour pratiquer le Fa Lun Gong.


        Vers la fin de juillet, le demandeur a appris par le biais de l'Internet que le Fa Lun Gong avait été interdit en Chine et que de nombreux autres adeptes avaient été arrêtés. Le gouvernement chinois a déclaré que le Fa Lun Gong était un culte néfaste et il en a interdit la pratique à tous les citoyens.

      Le demandeur a témoigné qu'il a reçu un appel de ses parents au début d'août 1999. Il a alors appris que son professeur, M. Zi Quiang Zhang, avait été arrêté et que des agents étaient allés chez lui pour s'enquérir à son sujet. Il a dit qu'il avait été effrayé par cette nouvelle et qu'il avait peur de retourner en Chine. À la fin d'août, il a fait la demande du statut de réfugié.

La décision de la SSR

      La SSR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en raison des incohérences et des contradictions relevées dans son témoignage. De plus, considérant le fait que le demandeur avait tardé à faire sa demande, la SSR a tiré une conclusion défavorable. Le tribunal était d'avis que le demandeur avait inventé l'histoire de son appartenance au Fa Lun Gong afin de pouvoir rester et étudier au Canada.

      La SSR a également conclu que même si le demandeur était un adepte du Fa Lun Gong en Chine, il ne craignait pas avec raison d'être persécuté. Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal s'est fondé sur un article de journal, une déclaration du comité central du Parti communiste de Chine et un « avis public » affiché sur le babillard d'un site Web Fa Lun Dafa.


Les questions en litige

      Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en omettant ou en mal interprétant les éléments de preuve dont elle disposait lorsqu'elle a décidé que le demandeur n'était pas un adepte du Fa Lun Gong et qu'il n'avait pas d'arguments crédibles à l'appui de sa revendication?

2.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en omettant ou en mal interprétant les éléments de preuve dont elle disposait lorsqu'elle a décidé que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté s'il était un adepte du Fa Lun Gong?

3.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en mal interprétant la définition de réfugié de la Convention?

4.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et en concluant que le demandeur n'avait aucun argument crédible à l'appui de sa revendication?

Analyse

Question 1


1.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en omettant ou en mal interprétant les éléments de preuve dont elle disposait lorsqu'elle a décidé que le demandeur n'était pas un adepte du Fa Lun Gong et qu'il n'avait pas d'arguments crédibles à l'appui de sa revendication?

                                                                                   

      Le demandeur allègue que la décision par laquelle la SSR a tranché qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention est principalement fondée sur une évaluation défavorable de sa crédibilité. Il soutient que la SSR a mal interprété les éléments de preuve et qu'elle a tiré des conclusions injustifiées et non soutenues par la preuve. En outre, son obsession des détails l'aurait empêchée de tenir compte de l'essence même des faits sur lesquels le demandeur a fondé sa revendication.

      Le défendeur allègue qu'une évaluation de la crédibilité est de par sa nature progressive. Prises cumulativement, les incohérences et contradictions apparemment de peu d'importance peuvent être suffisantes pour entacher la crédibilité du demandeur. Tout en concédant que certaines des conclusions de la SSR en l'espèce sont faibles, le défendeur soutient que ces conclusions ne sont pas essentielles à la décision et qu'il existe amplement de conclusions justifiant l'évaluation de crédibilité défavorable.

      J'examine maintenant ces conclusions tirées quant à la crédibilité du demandeur.

1) L'appel téléphonique des parents du demandeur


      La SSR a relevé une incohérence entre le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur et son témoignage verbal concernant l'appel téléphonique reçu de ses parents au début d'août 1999, qui l'informaient que des agents étaient venus à la maison pour l'arrêter. Les motifs du tribunal sont les suivants :

Dans son FRP, le revendicateur a déclaré que son père lui avait téléphoné pour l'informer que le BSP s'était rendu chez lui afin de l'arrêter. Dans sa déposition orale, il a dit que sa mère lui avait téléphoné. Lorsqu'on lui a indiqué cette contradiction, il a déclaré que son père et sa mère lui avaient parlé tous les deux.

      À l'audience, le demandeur a témoigné que ses parents l'avaient appelé au début d'août 1999. En réponse à la question [traduction] « qui vous a appelé? » , posée par l'agent chargé de la revendication, il a répondu que c'était sa mère. Lorsqu'on lui a fait remarquer qu'il avait déclaré dans son FRP que c'était son père qui avait appelé, il s'est ravisé en affirmant que son père avait appelé et qu'il s'était entretenu avec son père et sa mère au cours de l'appel téléphonique. Il a expliqué que, comme ces parents vivaient ensemble, [traduction] « peu importe qui j'ai mentionné [dans le FRP], cela ne fait pas de différence » .

      À mon avis, la SSR a omis de tenir compte de cette explication logique fournie pour cette incohérence mineure. En outre, que ce soit le père ou la mère qui ait en fait appelé n'est pas une question pertinente quant à l'essence même de la revendication du demandeur.

2) Le mois où le demandeur a informé ses parents qu'il pratiquait le Fa Lun Gong

      À propos de cet aspect du témoignage du demandeur, la SSR a donné les motifs suivants :


Le revendicateur a déclaré qu'il était devenu un adepte du Fa Lun Gong durant l'été 1995. Quand on lui a demandé si ses parents étaient au courant de sa participation au Fa Lun Gong, il a répondu qu'il le leur avait révélé un mois après avoir commencé à le pratiquer. Lorsqu'on lui a demandé d'être plus précis, il a dit que c'était en juin. Ensuite, on lui a demandé s'il y avait une variation entre les mois d'été en Chine et en Amérique du Nord, et il a répondu que non. On lui a demandé pourquoi il avait dit que c'était en juin; il a affirmé qu'il ne s'en souvenait plus.

      Le demandeur a déclaré qu'il a commencé à pratiquer le Fa Lun Gong au cours de l'été 1995. Il a également déclaré qu'il avait informé ses parents de sa participation à ce mouvement environ un mois plus tard. Après une série de questions ambiguës posées par l'agent chargé de la revendication et le membre du tribunal, le demandeur a affirmé qu'il en avait informé ses parents après le mois de juin. Le membre du tribunal a répondu ce qui suit :                      

[traduction]

Mais vous avez dit que vous participiez au mouvement Fa Lun Gong et que vous avez commencé à pratiquer au cours de l'été 1995.

[¼]

Comment cela se peut-il? Vous avez informé vos parents que vous participiez à ce mouvement un mois après avoir commencé à pratiquer. Comment cela pouvait-il être en juin, au mois de juin? Si vous avez commencé à pratiquer durant l'été et avez informé vos parents un mois après, comment cela pouvait-il être en juin?

Le demandeur a répondu : [traduction] « Je n'ai pas dit que c'était en juin » .


      Le SSR n'a pas expliqué quelle était au juste l'incohérence. Il semble qu'elle ait toutefois été fondée sur l'interprétation que la SSR a faite de la preuve, selon laquelle le demandeur avait informé ses parents en juin. De ce point de vue et compte tenu de la preuve selon laquelle le demandeur avait pratiqué le Fa Lun Gong pendant environ un mois avant d'en aviser ses parents, la SSR a conclu qu'il y avait incohérence entre l'affirmation selon laquelle le demandeur avait commencé à pratiquer au cours de l'été et celle selon laquelle il avait commencé à pratiquer en mai. Il n'est pas nécessaire de débattre ici s'il est possible de soutenir que le mois de mai est un mois de l'été. Je suis d'accord avec le demandeur que l'incohérence perçue provient d'une inexactitude dans sa preuve. Le demandeur a déclaré qu'il avait avisé ses parents après juin. Considérant la réponse du demandeur, la question aurait dû alors être éclaircie s'il y avait encore confusion quant aux dates pertinentes.

3) La pratique en Suisse

      La SSR a noté que le demandeur avait mentionné dans son FRP qu'il avait pratiqué le Fa Lun Gong seul pendant qu'il était en Suisse. Dans son témoignage verbal, le demandeur a déclaré qu'il lui arrivait parfois de pratiquer avec deux autres étudiants.

[traduction]traduction]

L'AGENT                                                  [¼] Et lorsque vous étiez là-bas, avez-vous pratiqué le Fa Lun Gong?

LE REVENDICATEUR                           Oui.

  

L'AGENT                                                  Avez-vous pratiqué avec d'autres adeptes du Fa Lun Gong?

  

LE REVENDICATEUR                           Il n'y en avait que deux et nous étions ensemble dans une maison.

[¼]

  

L'AGENT                                                  Étaient-ils eux aussi étudiants?

  

LE REVENDICATEUR                           Oui.

  

L'AGENT                                                  Et où pratiquiez-vous?

  

LE REVENDICATEUR                           Dans une salle.

  

L'AGENT                                                  Dans une salle? Mais pourquoi? Laissez-moi seulement éclaircir ce point. Pourquoi n'avez-vous pas inscrit ce renseignement sur votre formulaire de renseignements personnels? Vous avez inscrit ici que vous pratiquiez le Fa Lun Gong ou le Fa Lun Dafa tout seul?

  

LE REVENDICATEUR                           Parce qu'il n'y avait que deux autres adeptes. Ce n'était pas comme en Chine où quelque trente personnes se réunissaient pour pratiquer ensemble.

  

L'AGENT                                                  Bien, ma question est la suivante : pourquoi avez-vous indiqué sur votre formulaire de renseignements personnels que vous pratiquiez le Fa Lun Dafa - c'est bien ce que vous avez écrit - « tout seul » .

  

LE REVENDICATEUR                           Ils ne -- nous ne pratiquions pas ensemble tout le temps. Les deux autres n'étaient pas vraiment enthousiasmés par le Fa Lun Dafa.

      Le demandeur soutient que la SSR, dans son obsession des moindres incohérences existant entre le FRP et son témoignage verbal, n'a pas saisi la logique de ses explications. Je suis de cet avis. Le demandeur a expliqué qu'il ne faisait pas partie d'un groupe qui pratiquait ensemble lorsqu'il a séjourné en Suisse. Par conséquent, il avait l'impression de pratiquer seul. Il s'agit, à mon avis, d'un autre exemple où la SSR semble résolue à déceler les incohérences, au lieu de prêter attention aux explications du demandeur.


4) L'arrestation des adeptes du Fa Lun Gong

      La SSR a noté que le demandeur a omis d'inscrire sur son FRP que ses parents lui avaient dit au cours de leur conversation téléphonique du mois d'août que certains de ses camarades pratiquant le Fa Lun Gong avaient été arrêtés en Chine.

      Le demandeur a déclaré, dans son témoignage verbal et son FRP, que ses parents lui avaient dit que son professeur, M. Zi Quiang Zhang, avait été arrêté. Toutefois, il n'a pas fait état dans son FRP que certains autres membres de son groupe avaient également été arrêtés.

      Le demandeur soutient que cette omission pouvait être attribuable à une erreur de la part du traducteur. Je suis d'accord avec le défendeur qu'il n'y a aucun élément de preuve qui permette de faire de cette affirmation plus qu'une simple hypothèse. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la SSR de conclure que l'omission d'inclure cette information supplémentaire dans le FRP était une omission significative. L'arrestation d'autres adeptes avec qui le demandeur avait pratiqué est un fait important et pertinent pour sa revendication.

5) L'attitude des parents quant au livre interdit

      Prenant en considération le fait que le Zhuangfong avait été interdit en 1996, la SSR a conclu qu'il était peu plausible que les parents du demandeur l'aient autorisé à lire ce livre avant qu'il parte de la Chine. Selon la SSR, la lecture de ce livre aurait été « très dangereuse et [...] il [le demandeur] était trop jeune pour en comprendre les répercussions » .


      Le demandeur allègue que la SSR ne disposait d'aucun élément de preuve indiquant que ses parents étaient opposés à la pratique du Fa Lun Gong ou qu'ils savaient que le Zhuangfong était

un livre interdit. En fait, le demandeur a déclaré que, même si ses parents craignaient initialement que la pratique du Fa Lun Gong nuise à ses études, ils en sont venus à respecter cet enseignement et à l'encourager dans sa pratique du Fa Lun Gong. En outre, le demandeur fait remarquer que la preuve documentaire démontrait, à l'appui de sa position, que les adeptes du Fa Lun Gong de sa ville n'avaient eu aucun problème et qu'ils avaient pratiqué librement jusqu'au moment de l'interdiction en 1999. Il faut également noter que la preuve documentaire portant sur la date à laquelle le livre a été interdit n'est pas claire et qu'elle tend à corroborer le témoignage du demandeur qui a affirmé que le Zhuangfong n'avait pas réellement fait l'objet de mesures d'interdiction avant 1999.

      Les conclusions défavorables de crédibilité fondées sur des incohérences relevées dans le témoignage du revendicateur doivent être tirées suivant des inférences raisonnables. Le défendeur n'a fait référence à aucun élément de preuve à l'appui de l'inférence selon laquelle les parents du demandeur ne lui auraient pas permis de lire le Zhuangfong à un moment où il pouvait pratiquer librement le Fa Lun Gong. À mon avis, cette conclusion d'incohérence s'appuie sur une conjecture et n'est pas soutenue par la preuve.

6) Adresse du lieu de pratique du Fa Lun Gong à Toronto

      La SSR a tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n'a pas été en mesure de fournir l'adresse exacte du lieu et les heures de pratique de son groupe de Fa Lun Gong à Toronto.


      Le demandeur, dans son témoignage verbal, a déclaré qu'il pratiquait le Fa Lun Gong de 6 h à 7 h 30 du lundi au vendredi et de 8 h à 9 h les jours du week-end à Allan Gardens. Lorsqu'on lui a demandé de préciser l'endroit, il a répondu que Allan Gardens était situé au coin des rues Sherbourne et Gerrard, à Toronto. Il a mentionné que son groupe pratiquait à l'extérieur.

      L'avocate du défendeur a admis que le demandeur avait fourni l'information pertinente durant son témoignage verbal.

7) La demande tardive

      La SSR a indirectement attaqué la crédibilité du demandeur en tenant compte du fait qu'il avait tardé à faire sa demande du statut de réfugié. Elle a conclu que le délai de trois semaines qui s'est écoulé entre le moment où il a reçu l'appel de ses parents et la date à laquelle il a déposé sa demande faisait douter de sa crainte subjective d'être persécuté.

      Lorsque le demandeur a expliqué que le délai était attribuable à son inexpérience de la démarche de production d'une demande du statut de réfugié, la SSR a répondu ce qui suit :

J'estime qu'il est invraisemblable que le revendicateur ne soit pas au courant du processus concernant les réfugiés au Canada car selon son témoignage, il a vécu au Canada pendant quatre mois et a visité le quartier chinois à Toronto.

      L'avocate du défendeur reconnaît que le raisonnement de la SSR sur ce point particulier était sans fondement.


Conclusion

      La cour qui siège en révision doit faire preuve d'un degré de retenue élevé lorsqu'elle examine l'évaluation de crédibilité faite par le tribunal. En l'espèce, la conclusion de la SSR comporte une erreur suffisante pour donner matière à révision.

Question 2

2.         La SSR a-t-elle commis une erreur de droit en omettant ou en mal interprétant les éléments de preuve dont elle disposait lorsqu'elle a décidé que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté s'il était un adepte du Fa Lun Gong?

      Même si j'estime que l'évaluation défavorable de la crédibilité du demandeur par la SSR ne résiste pas à un examen approfondi, il demeure néanmoins nécessaire de considérer l'argument du défendeur qui fait valoir que le tribunal aurait refusé la revendication même s'il avait conclu que le demandeur était crédible.

      La SSR a conclu que, même si le demandeur était un adepte du Fa Lun Gong, il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté. Pour en venir à cette conclusion, elle s'est fiée à seulement deux sources d'information. Le premier élément de la preuve documentaire sur lequel elle s'est appuyée est un article paru le 30 août 2000 dans le Toronto Star. Le passage en question est rédigé comme suit :

[traduction] Les principaux leaders à Beijing ont peut-être bien orchestré la campagne politique apparemment la plus rude de toute une décennie, mais les anciennes méthodes de coercition et d'intimidation ne sont plus efficaces [¼]


[¼]

[¼] La plupart des manifestants adeptes du Fa Lun Dafa ont été écroués pendant quelques jours ou semaines puis relâchés avec pas beaucoup plus qu'une simple réprimande. Peu ont souffert d'un quelconque stigmate social. Le Parti communiste a perdu l'autorité qu'on lui connaissait normalement, et ceux qui le contestent ne sont plus considérés comme des ennemis.

      Le deuxième élément de la preuve documentaire dont la SSR a tenu compte est une déclaration du comité central du Parti communiste de Chine rapportée dans le New York Times du 24 août 1999 :

[traduction] Le comité central du Parti communiste et le cabinet ont déclaré que les « membres principaux » du Fa Lun Dafa seraient sévèrement punis, en ajoutant toutefois que « seule une toute petite minorité de fidèles au Fa Lun Gong ferait l'objet d'accusations criminelles » et que « la plupart des adeptes seraient pardonnés » s'ils cessaient de pratiquer.

      Le demandeur allègue que la SSR a tiré une conclusion de fait erronée en faisant abstraction des centaines de pages de preuve documentaire relatant en détail la détention, l'arrestation et le confinement dans des établissements psychiatriques des adeptes du Fa Lun Gong, ainsi que la torture qu'ils ont subie.

      Les motifs de M. le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, sont particulièrement pertinents vu les circonstances de la présente affaire. Après avoir fait remarquer qu'un organisme administratif n'a pas à énumérer ni à expliquer chaque élément de preuve contraire à ses conclusions, le juge Evans a déclaré ce qui suit aux paragraphes 16 et 17 de la décision :


[¼] Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examinél'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiréune conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

      Dans la présente affaire, la SSR a choisi de fonder ses conclusions sur deux éléments de la preuve documentaire sans analyser ni prendre en considération la vaste preuve documentaire qui contredisait directement ses conclusions tirées à l'égard du fondement objectif de la crainte de persécution du demandeur. Je suis convaincue que la SSR a, en l'espèce, tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

      Je désire également ajouter au sujet du deuxième article que je suis d'accord avec le demandeur lorsqu'il allègue qu'il est abusif de décider qu'une personne ne sera pas persécutée en se fondant sur une déclaration faite par une autorité ou une personne présumée être le persécuteur.


      Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'examiner les deux autres questions soulevées par le demandeur.

      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 1er novembre 2000 est annulée et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

  

                                                                            « Dolores M. Hansen »             

                                                                                                             Juge                          

OTTAWA (ONTARIO)

Le 14 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6240-00        

INTITULÉ :                          Wei Wei c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

     

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 12 février 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          MADAME LE JUGE DOLORES M. HANSEN

DATE DES MOTIFS :                  Le 14 mars 2002

COMPARUTIONS :                 

Mme Barbara Jackman                 POUR LE DEMANDEUR

  

Mme Ann Margaret Oberst                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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