Date : 20191205
Dossier : T-423-19
Référence : 2019 CF 1565
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 5 décembre 2019
En présence de monsieur le juge Diner
TEKLE WELDEGEBRIEL
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demandeur
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Le contexte
[1]
Tekle Weldegebriel, membre des Forces armées canadiennes [les FAC] depuis 2003, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 21 février 2019, par laquelle le ministre du Revenu national a refusé, en vertu du paragraphe 207.06(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR], d’annuler l’impôt sur les cotisations excédentaires qu’il a versées à son compte d’épargne libre d’impôt [CELI]. L’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a avisé M. Weldegebriel qu’il avait versé des cotisations en trop à son CELI à de nombreuses occasions de 2009 à 2013, et de nouveau en 2018. Cependant, selon M. Weldegebriel, il a reçu un avis de l’ARC pour la première fois par courriel en 2018.
[2]
M. Weldegebriel a présenté une première demande d’annulation de l’impôt et des pénalités en août 2018, demande que l’ARC a refusée deux mois plus tard. M. Weldegebriel a expliqué qu’il ne savait pas qu’après avoir cotisé la somme maximale à un CELI (de 5 000 $) et retiré de l’argent de ce compte par la suite pour ses besoins personnels, il ne pouvait pas renflouer ce compte pour remplacer les sommes retirées au moyen de nouvelles cotisations au cours de la même année.
[3]
L’ARC a expliqué à M. Weldegebriel qu’elle n’accorde une annulation que si la cotisation excédentaire découle d’une erreur raisonnable et que la personne agit immédiatement pour retirer cette cotisation excédentaire du CELI. Comme M. Weldegebriel a continué de verser des cotisations excédentaires au cours de l’année d’imposition 2017, malgré des avertissements antérieurs, l’ARC a rejeté la demande. M. Weldegebriel a demandé un examen de deuxième niveau à l’ARC, au motif qu’il n’avait pas reçu les lettres et n’était pas au courant des cotisations excédentaires.
II.
La décision faisant l’objet du contrôle (rejet au deuxième niveau)
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Un agent principal du traitement des cotisations et des ressources de l’Unité de traitement des CELI [l’agent] a rejeté la deuxième demande [la décision]. L’agent a énuméré les avis écrits annuels de cotisation au CELI envoyés à M. Weldegebriel à l’adresse figurant au dossier de l’ARC pour chacune des années d’imposition de 2009 à 2011, ainsi que les cotisations pour chacune de ces trois années. Ces six avis décrivaient tous la question en détail. L’agent a expliqué dans la décision que [traduction] « l’ARC envoie sa correspondance à la dernière adresse figurant au dossier des particuliers et tient également compte de leur préférence quant au mode de transmission »
, laquelle était à l’époque le courrier sur support papier. L’agent a ajouté qu’il n’y avait [traduction] « aucune indication de Postes Canada que la correspondance avait été renvoyée à l’expéditeur »
.
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Les décisions discrétionnaires de l’ARC, comme les demandes d’allègement pour les contribuables, y compris l’annulation des pénalités pour cotisations excédentaires au CELI et des intérêts, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd c Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, au par. 22; Gekas c Canada (Procureur général), 2019 CF 1031, au par. 12 [Gekas]).
[6]
M. Weldegebriel soutient devant la Cour que la décision est déraisonnable, car elle est fondée sur l’hypothèse erronée que les avis ont été distribués avec succès; après tout, l’ARC a reconnu en février 2019 qu’une lettre au sujet du CELI a été renvoyée avec la mention [traduction] « non distribuable »
. Compte tenu de ce fait, ainsi que du fait que les membres des FAC doivent se déplacer fréquemment et à court préavis, comme l’a fait M. Weldegebriel tout au long de sa carrière militaire (qui continue d’accepter de nouvelles affectations), l’ARC a agi de manière déraisonnable en ne s’assurant pas qu’il soit informé des cotisations excédentaires.
[7]
M. Weldegebriel soutient que sa conduite démontre qu’il ne savait pas qu’il ne pouvait pas déposer de nouveau les sommes retirées de son compte de CELI pour l’année, jusqu’à l’année suivante. Il soutient donc que l’imposition des pénalités était injuste et qu’elle mine l’intention et l’esprit du CELI, en particulier (i) puisqu’il a pris des mesures correctives (en 2018) dès qu’il a appris ce qui s’était passé, et (ii) compte tenu de ses nombreux voyages pour les FAC, tant au Canada qu’à l’étranger, au cours des années en question.
[8]
Malgré les arguments concertés qu’a présentés M. Weldegebriel devant la Cour, dont je salue le professionnalisme, je ne crois pas que l’agent a rendu une décision déraisonnable. Il était plutôt loisible à l’ARC de conclure que divers avis avaient été envoyés sans indication que l’adresse n’était pas valide, ce qui confirmait la décision prise après le premier examen. Les examinateurs des premier et deuxième niveaux ont tous deux conclu que M. Weldegebriel n’avait pas agi rapidement en réponse à l’avis de cotisations excédentaires pour l’année d’imposition 2017, et compte tenu du nombre d’avis envoyés au fil des ans, je ne peux conclure que cette décision est déraisonnable. Le fait que M. Weldegebriel ait finalement corrigé la cotisation excédentaire en 2018 n’annule pas son erreur, qu’il admet avoir commise en toute innocence. La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur administratif, qui dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu de la loi pour décider d’accorder ou non un allègement.
[9]
En fin de compte, en supposant que M. Weldegebriel n’ait pas été mis au courant de la question avant 2018, alors qu’il était trop tard pour corriger le trop-payé pour l’année d’imposition 2017, je ne conviens pas qu’il incombait au ministre de s’assurer qu’il recevait les avis. En effet, en l’espèce, après chaque avis de cotisation excédentaire qui accordait une période de correction de 30 jours, l’ARC n’a émis les cotisations (pour les années 2010 à 2012) que plusieurs mois par la suite. Et lorsque l’ARC a reçu la lettre de 2013 non distribuable, les responsables ont communiqué avec la banque de M. Weldegebriel pour obtenir une adresse à jour. Pour communiquer avec lui, l’ARC a certainement fait ce à quoi on pouvait s’attendre d’elle (Bowen c Ministre du Revenu national, [1991] ACF no 1054, 1991 CarswellNat 520, au par. 8).
[10]
De plus, dans le contexte d’un système d’autodéclaration, il incombait à M. Weldegebriel de comprendre la loi (Kapil c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 1373, au par. 24); l’ignorance des règles, en particulier dans un système qui dépend du contribuable, n’est pas une excuse. Comme l’a conclu le juge O’Keefe dans la décision Lepiarczyk c Agence du revenu du Canada, 2008 CF 1022, au paragraphe 19, « l’innocence est peut‑être un facteur à prendre en compte, mais elle n’est pas déterminante en l’espèce »
.
[11]
Bien que le défendeur ait fait remarquer qu’il y a peu de jurisprudence sur les cotisations excédentaires au CELI, je suis d’accord avec le ministre pour dire que cette affaire ressemble à la décision récente Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 [Jiang], de notre Cour, qui concernait également la disposition d’allègement du CELI prévue au paragraphe 207.06(1) de la LIR. Dans l’affaire Jiang, l’ARC a écrit plusieurs lettres à la demanderesse au fil des ans au sujet de cotisations excédentaires à son CELI. Bien que sa situation était plus compliquée puisqu’elle ne résidait pas au Canada, aggravant ainsi la question des cotisations excédentaires au CELI, l’ARC a également envoyé des avis à son adresse canadienne au dossier. Toutefois, elle non plus n’a jamais reçu les avis.
[12]
Comme dans le cas de M. Weldegebriel, l’ARC a retracé l’adresse de Mme Jiang par l’entremise de la CIBC, sa banque. Lorsqu’elle a finalement reçu l’avis, elle a pris des mesures pour remédier à la cotisation excédentaire. L’ARC a rejeté sa première demande d’allègement, rejet qu’un deuxième agent a par la suite confirmé. Le juge Campbell a conclu que la décision de l’ARC était raisonnable, au motif que la contribuable n’avait pas mis à jour son adresse et qu’elle ne s’était pas informée de la loi (Jiang, aux par. 11‑13).
[13]
Il est certain que la Cour a tranché en faveur du contribuable dans le cadre de contrôles portant sur des allègements fiscaux, mais les situations étaient différentes. Dans la décision Gekas, le juge Boswell a conclu que les cotisations excédentaires du contribuable ne lui étaient pas attribuables et, après avoir appris l’erreur, le contribuable a immédiatement pris des mesures pour corriger la situation. Il a conclu que le décideur avait injustement étiqueté le contribuable comme un « surcotisant récidiviste à son CELI »
(Gekas, au par. 30).
[14]
Dans une autre affaire récente et inhabituelle de cotisations excédentaires à un CELI, le juge Spiro de la Cour canadienne de l’impôt a écrit dans un [traduction] « épilogue »
– autrement dit, dans une remarque incidente – que si le ministre devait exercer son pouvoir discrétionnaire d’annuler l’impôt établi en vertu du paragraphe 207.06(1) pour corriger une erreur hors du contrôle du demandeur, une telle mesure [traduction] « serait amplement étayée par les faits extraordinaires de cette affaire »
(voir Robitaille c La Reine, 2019 TCC 200, aux par. 29‑30). Dans cette affaire, le contribuable avait l’intention de déposer un chèque d’une somme importante dans son compte chèques, mais l’a déposé par inadvertance dans son CELI.
[15]
Contrairement aux affaires Gekas et Robitaille, le demandeur en l’espèce n’a pas commis une erreur ponctuelle ou mal acheminé des fonds, erreurs qui avaient été corrigées par les contribuables à la première occasion. Bien que l’erreur de M. Weldegebriel puisse fort bien avoir été commise de bonne foi, elle lui était attribuable parce qu’il n’a pas fourni à l’ARC son changement d’adresse résidentielle (même s’il a eu diverses affectations). Il ne faisait également aucun doute qu’il avait l’intention de cotiser à son CELI, contrairement aux demandeurs dans les affaires Gekas et Robitaille. M. Weldegebriel l’a fait en toute innocence, quoique par ignorance de la loi, ou comme il le dit dans son affidavit, [traduction] « par simple mécompréhension des règles »
. Toutefois, les erreurs commises de bonne foi n’excusent pas l’ignorance de la loi. Le juge Annis de notre Cour a récemment résumé le principe dans la décision Pouchet c Canada (Procureur général), 2018 CF 473, au paragraphe 37 :
Les erreurs de bonne foi et l’innocence ont été jugées non pertinentes par la Cour fédérale du Canada dans la décision Lepiarczyk c Canada (Agence du revenu), 2008 CF 1022 (CanLII). L’ignorance de la loi ne constitue pas une erreur ou une faute raisonnable. Comme l’écrit le juge Brown dans la décision Levenson c Canada (Procureur général), 2016 CF 10 (CanLII), aux paragraphes 16 et 17 :
[16] Toutefois, le caractère raisonnable ne dépend pas de l’innocence et de l’absence d’intention. Bien que ces facteurs subjectifs fassent partie des considérations dont le ministre peut tenir compte, c’est le caractère raisonnable de l’erreur – évaluée objectivement – qui est en cause, et la preuve de la demanderesse est faible à cet égard.
[17] Le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l’auto-cotisation, ce qui signifie qu’il appartient à tous les contribuables de mener leurs affaires financières d’une manière conforme à la Loi de l’impôt sur le revenu : R. c McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLll 137 (CSC), [1990] 1 RCS 627. Il appartenait à la demanderesse de s’assurer qu’elle ne faisait pas de contributions excédentaires à son REER et son incompréhension de la loi ne constitue pas une erreur raisonnable. Le système d’imposition est certes complexe et pour s’y retrouver, les contribuables doivent s’attendre à demander conseil.
[16]
Bien que M. Weldegebriel ait souligné à juste titre que cette affaire concerne une autre disposition d’allègement pour les contribuables, à savoir le paragraphe 204.1(4) de la LIR concernant les REER, les deux dispositions sont semblables en ce qu’elles exigent toutes deux que le contribuable remplisse un double critère, à savoir qu’il lui incombe de convaincre le ministre a) que la cotisation excédentaire découle d’une erreur raisonnable; et b) que des mesures sont prises « sans délai »
pour éliminer la cotisation excédentaire (Gekas, aux par. 24‑26; voir également Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, au par. 52).
[17]
Enfin, M. Weldegebriel soutient que la décision est déraisonnable, car l’ARC a supposé que toute sa correspondance avait été distribuée, ce qui ne tient pas compte du fait que les membres des FAC voyagent fréquemment et à court préavis. Pour intervenir, la Cour devrait se mettre à la place du ministre et annuler sa décision. Bien que je sois compatissant envers le sort de M. Weldegebriel et que je reconnaisse son impressionnante liste d’affectations et ses nombreuses années au service du Canada, je ne peux me mettre à la place de l’agent et apprécier de nouveau la preuve, pas plus que je ne peux faire porter le blâme au ministre en l’espèce. Cela reviendrait à apprécier ou soupeser de nouveau la preuve, ce qui n’est pas permis dans le contexte du contrôle judiciaire.
III.
Conclusion
[18]
La décision était justifiée, transparente et intelligible, et elle appartenait aux issues possibles et acceptables. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés. Comme l’a demandé le défendeur, sans opposition, l’intitulé sera modifié pour désigner le procureur général du Canada conformément au paragraphe 303(2) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106.
JUGEMENT dans le dossier no T-423-19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
L’intitulé est modifié de manière à désigner le procureur général du Canada comme défendeur, avec effet immédiat.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 7e jour de janvier 2020.
Mylène Boudreau, traductrice
Annexe A
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-423-19
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INTITULÉ :
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TEKLE WELDEGEBRIEL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 DÉCEMBRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 5 DÉCEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Tekle Weldegebriel
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LE DEMANDEUR
POUR SON PROPRE COMPTE
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Cherylyn Dickson
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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pour le défendeur
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