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Date : 20050914

Dossier : IMM-8446-04

Référence : 2005 CF 1262

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

RICHARD OLAWALE JOHNSON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]                M. Richard Olawale Johnson est un citoyen du Nigeria qui, à son arrivée au Canada, a formulé une demande visant à obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention et de personne protégée. Il a présenté la présente demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Tribunal ou la SPR), dans laquelle on a déclaré qu'il y avait eu désistement de la demande de M. Johnson.

[2]                Le ministre a présenté une requête, par écrit, visant à obtenir une ordonnance sur consentement qui annulerait la décision du Tribunal et qui renverrait l'audience relative au désistement à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu'il statue à nouveau sur le désistement. M. Johnson a contesté cette requête. Un juge de la Cour a ordonné que la requête du ministre soit plaidée oralement au moment de l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[3]                Les présents motifs traitent de la requête en jugement du ministre.

[4]                Le ministre fait valoir que, vu son consentement, une audition de la demande de contrôle judiciaire n'est pas nécessaire et constituerait un gaspillage des ressources judiciaire. M. Johnson répond qu'une audience est requise pour un certain nombre de raisons : il a soulevé dès le début la question des dépens ainsi que celle des conditions selon lesquelles la décision devait être annulée et ces questions n'ont pas été tranchées; le ministre n'a pas présenté les faits au complet dans son dossier de requête; la conduite du Tribunal a été si répréhensible, outrageuse et scandaleuse que cela justifie [traduction] « de la part de la Cour qu'elle exprime bien haut son désaccord et une réprimande de sorte que, nous l'espérons, non seulement cela empêcherait qu'un tel outrage se reproduise mais aiderait également à inspirer confiance dans le système de protection des réfugiés au Canada. L'affidavit que le demandeur a souscrit dans le cadre de la présente requête [...] indique la mesure dans laquelle la conduite du commissaire a brisé la confiance que [M. Johnson] avait dans le système. »

[5]                Je traiterai des questions soulevées par la requête du ministre dans l'ordre suivant :

            1.          La décision de la SPR devrait-elle être annulée?

            2.          Dans l'affirmative, à quelles conditions la demande devrait-elle être accueillie? La Cour devrait-elle donner des directives à la SPR?

3.                   Une adjudication de dépens est-elle appropriée?

[6]                Avant d'aller plus loin, il est utile d'aborder quelque peu le contexte factuel.

LE CONTEXTE FACTUEL

[7]                L'audience relative au statut de réfugié de M. Johnson était prévue pour le 10 août 2004. Ce jour-là, M. Johnson est tombé malade et a ressenti des douleurs aiguës après s'être entraîné dans un gymnase avec un ami. Vu son état, l'ami de M. Johnson l'a emmené à une clinique de médecine familiale. Il est arrivé à la clinique vers 9 h 15 et a été vu par un médecin. Après l'examen, on a prescrit des médicaments à M. Johnson et on lui a dit que les médicaments lui donneraient le vertige et l'envie de dormir. M. Johnson a informé le médecin qu'il devait se présenter à une [traduction] « cour de l'immigration » à 13 h ce même jour. Le médecin l'a avisé qu'il ne pourrait pas s'y présenter et il a écrit une note expliquant l'état de M. Johnson et l'incapacité de celui-ci à se présenter à l'audience prévue.

[8]                M. Johnson a immédiatement communiqué par téléphone avec le bureau de son avocat et il a parlé avec un adjoint. L'adjoint l'a informé que son avocat n'était pas disponible et qu'il ne retournerait pas au bureau avant de se rendre à l'audience relative au statut de réfugié, mais il a conseillé à M. Johnson d'expédier la note du médecin au bureau de son avocat en vue de sa retransmission à la SPR. La note du médecin a été envoyée au bureau de l'avocat un peu après midi le 10 août 2004 et elle a ensuite été expédiée par télécopieur à la SPR entre 12 h 23 et 12 h 26. L'avocat de M. Johnson a été avisé de la situation difficile de celui-ci avant le début de l'audience.

[9]                L'avocat de M. Johnson s'est ensuite présenté à l'audience le 10 août 2004 à 13 h. Il a avisé le Tribunal que son client n'était pas en mesure de se présenter parce qu'il était malade et il a ajouté qu'une note médicale avait été expédiée par télécopieur à la SPR. Le Tribunal a mentionné qu'il n'avait pas reçu la note médicale et il a refusé d'envoyer un membre du personnel pour voir si on pouvait retrouver une copie de la note. Le Tribunal a mentionné que la demande de M. Johnson serait envoyée dans le flux des désistements et une audience relative au désistement a été fixée pour le 10 septembre 2004.

[10]            Le 10 septembre 2004, alors que M. Johnson était en route pour se rendre à la SPR, il a reçu un appel de son avocat lui mentionnant qu'il ne pourrait pas se présenter à l'audience en raison d'une situation d'urgence familiale. Plus précisément, l'avocat avait dû conduire son fils à l'urgence d'un hôpital la nuit précédente et il n'était retourné à la maison qu'aux petites heures du 10 septembre 2004. L'avocat l'a avisé qu'il communiquerait avec la SPR pour l'informer de sa situation, mais que lui, M. Johnson, devait toujours se rendre à la SPR.

[11]            M. Johnson s'est rendu à l'audience, laquelle a débuté en la seule présence de M. Johnson et du commissaire. Après une brève discussion avec M. Johnson, le commissaire a prononcé des motifs oraux et il a déclaré qu'il y avait eu désistement de la demande de M. Johnson.

1.          La décision de la SPR devrait-elle être annulée?

[12]            Dans la décision Douglas c. Canada, [1993] 1 C.F. 264 (1re inst.), le juge MacKay a analysé le rôle de la Cour lors du prononcé de jugements sur consentement des parties à l'instance. Il a fait remarquer, au paragraphe 18, que dans un litige en matière de droit privé, la Cour n'est pas tenue de mettre en question le consentement des parties à un jugement, ce qui fait qu'en général, la Cour ne va pas au-delà des modalités convenues, pourvu que la réparation recherchée reste dans les limites de celles que recherchaient les actes de procédure et qu'elle aurait pu être accordée s'il y avait eu procès.

[13]            Toutefois, des considérations différentes s'appliquent dans un litige en matière de droit public, où l'exercice du pouvoir de contrôle de la Cour est discrétionnaire. Comme cela a été mentionné dans l'ouvrage de Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998) à la page 3-1, [traduction] « la nature discrétionnaire du pouvoir de contrôle des tribunaux reflète le fait que, contrairement au droit privé, il ne soit pas, et n'ait jamais été, dirigé exclusivement vers la défense des droits des particuliers » .

[14]            Pour ces motifs, et peut-être d'autres, la Cour a, dans le contexte de demandes en matière de droit public, exigé des parties qu'elles fournissent une raison convaincante, hormis leur consentement, pour annuler une décision d'un tribunal. Comme l'a fait remarquer le juge Muldoon dans la décision Ladio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 991, aux paragraphes 3 et 4, cela apporte de la transparence au processus en offrant l'assurance que, par exemple, le consentement de la Couronne n'est pas motivé par du favoritisme et en faisant assumer publiquement à la Couronne le motif pour lequel elle a décidé de consentir à un jugement en particulier.

[15]            En l'espèce, l'avocat du ministre a concédé qu'il y avait un certain nombre d'erreurs dans la décision du Tribunal, dont notamment :

·         M. Johnson n'a jamais dit au Tribunal qu'il avait été diagnostiqué par une infirmière. Le Tribunal a donc mal interprété son témoignage et a commis une erreur lorsqu'il a déclaré dans ses motifs que M. Johnson avait témoigné en ce sens pour ensuite conclure que ce témoignage contredisait la note du médecin que M. Johnson avait fournie.

·         Le Tribunal a commis une erreur en faisant état, lors de l'audience, de ses connaissances relativement à la géographie de Brampton et à l'emplacement de son hôpital, sans d'abord examiner correctement, ni même du tout, les explications de M. Johnson selon lesquelles pour lui, les mots « clinique » et « hôpital » sont interchangeables.

·         Le Tribunal a rapporté les faits d'une manière inexacte lorsqu'il a dit à M. Johnson que, à l'audience du 10 août 2004, son avocat [traduction] « s'était assis dans cette salle et n'avait aucune idée de ce qui [lui] était arrivé » , alors que, en fait, l'avocat de M. Johnson était au courant de la situation de celui-ci et avait informé le Tribunal le 10 août que M. Johnson ne pourrait pas se présenter en raison d'une blessure au dos.

·         Le Tribunal a, de façon inopportune, omis de permettre à M. Johnson de répondre autre chose que [traduction] « oui » ou « non » lorsqu'on lui a demandé s'il était prêt à procéder à l'audition de sa demande et il a refusé de laisser M. Johnson expliquer pourquoi il n'était pas à l'aise de procéder sans son avocat.

·         Le Tribunal a commis une erreur en avisant M. Johnson que le 10 août 2004, le fait qu'il ait expliqué sa situation à son avocat ne suffisait pas, parce qu'il aurait dû s'adresser directement à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

[16]            J'ajouterais à cela que le Tribunal a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait que l'avocat de M. Johnson n'avait pas mentionné au Tribunal les difficultés qu'il pourrait avoir à se présenter à l'audience relative au désistement prévue pour le 10 septembre 2004. Étant donné que la raison pour laquelle son avocat n'a pas été en mesure de se présenter était une visite urgente à l'hôpital la nuit précédente, il était inique de la part du Tribunal de mentionner que l'avocat aurait dû le mettre au courant de son absence avant le 10 septembre.

[17]            L'avocat du ministre concède que le commissaire a été [traduction] « brusque » mais il affirme que la conduite de celui-ci n'était pas de nature à constituer de la malice, de la mauvaise foi ou de la partialité. Je conviens que la conduite du commissaire n'atteint pas ce niveau, mais, de la même façon, la conduite du Tribunal était bien inférieure à la norme exigée de la part d'un organisme qui s'est vu confier la responsabilité de rendre des décisions quasi judiciaires pouvant profondément affecter la vie des particuliers.

[18]            Pour ces motifs, je suis convaincue qu'il est juste que le ministre consente à l'annulation de la décision.

2.          À quelles conditions la demande devrait-elle être accueillie?

[19]            On a soutenu, au nom de M. Johnson, que la Cour devrait ordonner à la SPR de rouvrir ou de rétablir sa demande parce que le dossier dont dispose la Cour contient suffisamment de faits clairs, lesquels amènent inévitablement à conclure que, n'eut été des actes abusifs et arbitraires du Tribunal, celui-ci n'aurait pas déclaré qu'il y avait désistement de la demande de M. Johnson.

[20]            La jurisprudence de la Cour indique que celle-ci a renvoyé des demandes aux tribunaux avec des directives précises qui, de fait, dictent une décision précise à prendre. Toutefois, la jurisprudence établit également de façon claire que ce redressement ne devrait être employé que dans des circonstances exceptionnelles. Dans la décision Ali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (1re inst.), aux paragraphes 17 et 18, la juge Reed a conclu que les considérations suivantes étaient pertinentes pour trancher la question de savoir si des directives précises devraient être données à l'égard d'une décision :

·         Les preuves versées aux débats sont-elles si nettement concluantes qu'une seule conclusion puisse en être tirée?

·         La seule question à trancher est-elle une pure question de droit, concluante aux fins de la cause?

·         La question de droit ainsi posée est-elle fondée sur des faits qui sont admis et sur des preuves incontestées?

·         L'affaire dépend-elle d'une question de fait sur laquelle la preuve est partagée?

[21]            Dans l'application de ces facteurs, le paragraphe 168(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) prévoit que la SPR peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle « estime » que l'intéresséest en défaut. Le paragraphe 58(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, prévoit que, pour décider si elle prononce le désistement, la SPR prend en considération les explications données par le demandeur et tout autre élément pertinent, notamment la question de savoir si le demandeur est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

[22]            Le libellé des dispositions pertinentes, en particulier le mot souligné ci-dessus du paragraphe 168(1) de la Loi, n'indique pas qu'il existe un critère objectif à remplir au regard duquel il faut apprécier la preuve d'un demandeur. S'il y avait un critère objectif et que la Cour était convaincue que la preuve d'un demandeur remplissait le critère, il y aurait un motif de conclure qu'un nouvel examen de la part de la SPR ne pourrait donner lieu à aucun autre résultat. Toutefois, au cours d'une audience relative au désistement, la SPR doit tenir compte de différents facteurs, dont la preuve et les explications, pour ensuite rendre une décision quant à savoir si elle estime que le demandeur est en défaut. Étant donné que cela implique une appréciation de la preuve et des renseignements, ainsi que l'exercice d'un certain pouvoir discrétionnaire, il est préférable, à mon avis, de laisser le soin à la SPR de trancher la question. Cette opinion est renforcée par l'absence d'éléments de preuve précis quant à la capacité de M. Johnson à commencer l'audience.

[23]            Je conclus qu'il ne s'agit pas ici d'une affaire où il serait approprié d'imposer un résultat particulier à la SPR et aucune directive ne sera donnée.

3.          Une adjudication de dépens est-elle appropriée?

[24]            M. Johnson réclame des dépens qu'il a fixés à un montant de 15 000 $.

[25]            Le ministre réclame les dépens de sa requête en jugement.

[26]            Les deux parties reconnaissent que, conformément à l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, il doit exister des raisons spéciales pour que la Cour adjuge des dépens sur une demande de contrôle judiciaire. On peut conclure à des raisons spéciales si une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l'instance ou lorsqu'une partie a agi d'une manière qui peut être qualifiée d'inéquitable, d'oppressive, d'inappropriée ou de mauvaise foi.

[27]            Le fait qu'un tribunal ait commis une erreur ne constitue pas, en soi, une raison spéciale pour les dépens. Bien que j'estime que la décision de la SPR a été inique, ce fait ne justifie pas à lui seul l'adjudication de dépens en faveur de M. Johnson. En l'espèce, le ministre n'a pas contesté la requête en autorisation, il a consenti à une prorogation de délai dont M. Johnson avait besoin et il a offert de consentir à l'annulation de la décision en temps opportun, après que le dossier du tribunal a été livré. Dans ces circonstances, je conclus que M. Johnson n'a pas établi l'existence de raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens.

[28]            De même, M. Johnson avait le droit de faire valoir que des directives devraient être données à la SPR et qu'on devrait lui adjuger des dépens. Il n'y a rien dans sa conduite qui constitue une raison spéciale pour l'adjudication des dépens sur la requête du ministre.

[29]            Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

4.          Conclusion

[30]            Pour ces motifs, une ordonnance sera rendue accueillant la demande de contrôle judiciaire et renvoyant l'affaire à un autre tribunal de la SPR pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

[31]            Les avocats n'ont proposé aucun question grave en vue de la certification et je conviens qu'aucune question ne découle du présent dossier.


ORDONNANCE

[32]            LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la SPR, datée du 10 septembre 2004, est par les présentes annulée.

  1. L'audience relative au désistement de M. Johnson doit être renvoyée à la SPR pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

  1. Il n'y a pas d'adjudication de dépens.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER DE LA COUR

DOSSIER :                                                                 IMM-8446-04

INTITULÉ :                                                                RICHARD OLAWALE JOHNSON

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                                    DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 17 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 14 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Kingsley I. Jesuorobo                                                    POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo                                                    POUR LE DEMANDEUR

Avocat

North York (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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