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Date : 20191118


Dossier : T‑2042‑18

Référence : 2019 CF 1437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DAVID SULLIVAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1]  Le demandeur, David Sullivan, s’est vu refuser des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada [le RPC] relativement à son problème de santé, la paralysie de Bell. Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Division d’appel [la DA] du Tribunal de la sécurité sociale du Canada, qui a rejeté son appel de la décision de la Division générale [la DG].

[2]  M. Sullivan a agi pour son propre compte dans la présente instance.

Le contexte pertinent

[3]  En décembre 2014, M. Sullivan a reçu un diagnostic de paralysie de Bell. Cette affection lui a causé une paralysie du côté gauche du visage, ce qui affecte son élocution, le fonctionnement de son œil gauche et sa capacité de manger et de boire. M. Sullivan a aussi des maux de tête et des bourdonnements d’oreilles. Il explique qu’il fait maintenant de l’hypertension artérielle et qu’il souffre d’anxiété. Il décrit son niveau d’énergie comme étant très faible. Selon lui, sa vie a radicalement changé depuis qu’il est atteint de la paralysie de Bell.

[4]  M. Sullivan avait 49 ans lorsque cela s’est produit. À l’époque, il travaillait comme agent de vente dans un centre d’appels. Il a pris un congé de maladie et a reçu des prestations d’invalidité de la Croix Bleue Medavie jusqu’en avril 2017.

[5]  M. Sullivan n’est pas retourné sur le marché du travail depuis décembre 2014.

[6]  Le 3 mars 2016, M. Sullivan a présenté une demande de pension d’invalidité du RPC, mais sa demande a été rejetée puisqu’il n’avait pas établi qu’il souffrait d’une invalidité grave et prolongée. La DG a souligné que le critère à deux volets du RPC exigeait que, selon la prépondérance des probabilités, l’invalidité soit à la fois grave et prolongée. Une incapacité est considérée comme grave si une personne est régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, et elle est prolongée si elle dure pendant une période continue et indéfinie.

[7]  La DG a fait remarquer ceci : [TRADUCTION] « Il ne s’agit pas de savoir si une personne est incapable d’accomplir son travail habituel, mais plutôt si elle est incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice ». La DG a examiné la preuve, y compris les évaluations médicales, les rapports de thérapeute et des facteurs personnels comme l’âge, le niveau de scolarité, la maîtrise de la langue et l’expérience de travail et de vie antérieure, et elle a conclu qu’il n’y avait rien dans la situation personnelle de M. Sullivan l’empêchant de trouver un emploi, compte tenu de ses limites.

[8]  La DG a souligné que M. Sullivan [TRADUCTION] « cro[yait] qu’il ne travaillera[it] plus jamais », et ce, quoique les évaluations aient démontré qu’il pouvait travailler dans une certaine mesure. Elle a également fait remarquer que M. Sullivan n’avait fait aucun effort pour explorer ses possibilités d’emploi.

La décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale

[9]  En septembre 2018, M. Sullivan a interjeté appel auprès de la DA, soutenant que la DG avait commis des erreurs en ne définissant pas la notion d’« occupation véritablement rémunératrice » au sens du RPC.

[10]  La DA a conclu que M. Sullivan n’avait une cause défendable, expliquant que son rôle ne consistait pas à soupeser à nouveau la preuve, mais à s’assurer que la DG avait bien apprécié celle‑ci. Après avoir examiné la preuve et écouté l’enregistrement de l’audience de la DG, la DA a conclu que la DG avait correctement apprécié la preuve et correctement tenu compte de la signification de l’expression « véritablement rémunératrice » telle qu’elle est définie dans le RPC. En outre, la DA a jugé que la conclusion de la DG au sujet de la capacité de travail résiduelle de M. Sullivan était raisonnablement fondée sur une appréciation de tous les éléments de preuve.

[11]  La DA a conclu que la DG n’avait pas laissé de côté ou mal interprété des éléments de preuve pertinents, ajoutant ceci : « La [DG] a […] résumé les éléments de preuve les plus importants, donné les motifs pour lesquels elle a préféré certains éléments de preuve à d’autres, et expliqué la raison pour laquelle elle n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait prouvé l’apparition d’une invalidité grave pendant la période visée. »

[12]  La DA n’a pas accordé à M. Sullivan l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la DG, car elle a conclu qu’aucun motif d’appel n’avait de chance raisonnable de succès.

La question préliminaire

[13]  Le défendeur a fait remarquer que, en l’espèce, le bon défendeur est le procureur général du Canada et demande la modification de l’intitulé. Je suis d’accord. L’intitulé sera modifié en conséquence, avec effet immédiat.

La question en litige

[14]  M. Sullivan fait valoir que la DA a commis une erreur en concluant qu’il est capable de détenir une « occupation véritablement rémunératrice ». Selon lui, la DA a laissé de côté et mal interprété des éléments de preuve pertinents qui indiquaient le contraire.

La norme de contrôle applicable

[15]  Au moment du contrôle judiciaire, la Cour doit examiner la décision de la DA en fonction de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, aux paragraphes 21 et 22; Parchment c Canada (Procureur général), 2017 CF 354, au paragraphe 14).

[16]  Le caractère raisonnable tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ce qui permet à la Cour de déterminer s’il y a « appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[17]  En l’espèce, la question consiste à savoir s’il était raisonnable pour la DA de conclure que l’appel de M. Sullivan n’avait pas de chance raisonnable de succès (Rouleau c Canada (Procureur général), 2017 CF 534, au paragraphe 29).

Analyse

[18]  M. Sullivan fait valoir qu’il n’est pas capable d’occuper un emploi rémunérateur au sens de la législation relative au RPC. Il s’appuie sur l’opinion de sa médecin de famille, la Dre Broeren, qui a déclaré ce qui suit dans son rapport daté du 22 juin 2017 :

[traduction]

Il s’agit manifestement d’un cas très difficile. Si David retourne au travail, son emploi devra être très adapté à ses besoins et à ses limites. À l’heure actuelle, il est considéré comme totalement invalide, et je ne prévois pas d’amélioration importante de son état.

[19]  M. Sullivan s’appuie également sur l’évaluation de Caroline Roy, une ergothérapeute autorisée, pour faire valoir que la DA a laissé de côté et mal interprété des éléments de preuve pertinents appuyant sa position selon laquelle il est incapable de détenir une « occupation véritablement rémunératrice ». Mme Roy a déclaré ce qui suit dans son évaluation datée du 24 août 2017 :

[traduction]

Le rendement de M. Sullivan au cours de l’évaluation a révélé sa capacité d’effectuer du travail sur ordinateur en milieu clinique pendant un maximum de 3 à 4 heures. Veuillez noter que le client a dû prendre des pauses fréquentes et utiliser ses gouttes ophtalmiques au cours de l’évaluation. Après 4 heures de travail soutenu, simulé sur ordinateur, le client a affiché une importante diminution de rendement (vitesse, posture, vision). Il a également mentionné qu’il aurait besoin d’une sieste après l’évaluation.

Selon l’évaluatrice, M. Sullivan ne serait pas en mesure d’effectuer des tâches informatiques de façon fiable pendant de longues périodes, jour après jour, cinq jours par semaine.

[20]  M. Sullivan souligne également l’évaluation des capacités fonctionnelles à laquelle il s’est soumis en mars 2017 et qui a révélé ce qui suit :

[traduction]

M. Sullivan a démontré de pleines capacités sédentaires ainsi qu’un certain niveau de capacités fonctionnelles lorsqu’il s’agissait de faire des efforts légers et moyens. Il serait probablement capable de travailler à temps plein, pourvu que les exigences physiques du poste se limitent au niveau sédentaire. Puisque M. Sullivan a mentionné ressentir de la fatigue lorsqu’il devait rester debout pendant une longue période ou marcher de façon soutenue, un travail où il serait assis toute la journée ou pourrait s’asseoir, au besoin, est recommandé au moment d’envisager des options de retour au travail.

[21]  M. Sullivan fait valoir que les effets persistants de la paralysie de Bell, son âge (53 ans) et son absence de cinq ans du marché du travail établissent tous que, contrairement aux conclusions de la DG et de la DA, il n’est pas capable de détenir une « occupation véritablement rémunératrice ». Il ajoute qu’il pourrait tout au plus occuper un emploi au salaire minimum et que, comme il ne peut pas travailler 40 heures par semaine, il ne gagnerait pas un montant équivalent au montant mensuel maximal des prestations d’invalidité du RPC.

[22]  Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de réexaminer ou de soupeser à nouveau la preuve. La Cour doit plutôt s’assurer que, dans le cadre de sa fonction d’appel, la DA a dûment tenu compte des questions soulevées par M. Sullivan.

[23]  Le dossier montre que la DA a reconnu la présence d’éléments de preuve contradictoires et souligné que la question centrale concernait la capacité de travail résiduelle de M. Sullivan. À ce sujet, M. Sullivan fait valoir que sa capacité de travailler serait tellement limitée qu’elle ne peut être considérée comme lui permettant de détenir une « occupation véritablement rémunératrice » au sens du RPC.

[24]  Au moment d’examiner les chances de succès de l’appel de M. Sullivan, la DA a souligné que la DG avait examiné la preuve, y compris une évaluation en ergothérapie, qui avait démontré que M. Sullivan avait pu accomplir des tâches informatiques pendant trois ou quatre heures sans effet sur son allocution. De plus, la DG a examiné l’évaluation des capacités fonctionnelles, qui a conclu que M. Sullivan était capable de travailler à temps plein de façon sédentaire. Enfin, une analyse des compétences polyvalentes a permis de cerner quatre occupations qui convenaient à M. Sullivan.

[25]  La DA était convaincue que la DG avait raisonnablement tenu compte de ces éléments de preuve au moment de conclure que M. Sullivan possédait une capacité de travail résiduelle. Cependant, M. Sullivan n’a fait aucun effort pour trouver un emploi. La DA a conclu que l’appréciation de la DG était raisonnable et que la demande d’appel de M. Sullivan n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[26]  M. Sullivan n’a pas été en mesure de souligner des éléments de preuve ou des facteurs dont la DA n’avait pas tenu compte. Je reconnais que, de toute évidence, M. Sullivan se considère comme totalement invalide et incapable de travailler, mais sa position n’est pas étayée par la preuve de nature médicale et occupationnelle qui figure au dossier. Bien que les éléments de preuve soient contradictoires, la DA en a dûment tenu compte. Le fait que M. Sullivan n’ait pas tenté de retourner au travail sous une forme ou une autre a joué en défaveur de sa demande (Inclima c Canada (Procureur général), 2003 CAF 117).

[27]  Il ne s’agit pas d’une affaire où des éléments de preuve importants ont été laissés de côté ou mal interprétés (Karadeolian c Canada (Procureur général), 2016 CF 615, au paragraphe 10). M. Sullivan est plutôt d’avis que l’opinion de sa médecin de famille — selon laquelle il est totalement invalide — devrait l’emporter sur toutes les autres évaluations de sa capacité de travail résiduelle. Toutefois, l’opinion en question tranche avec les conclusions contraires et avec le fait que M. Sullivan n’a pas vraiment tenté de retourner au travail sous quelque forme que ce soit. Par conséquent, la décision de la DA est raisonnable, et la Cour n’a aucune raison d’intervenir.

Conclusion

[28]  Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, je n’adjugerai aucuns dépens.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑2042‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de janvier 2020

Christian Laroche, LL.B. juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2042‑18

INTITULÉ :

DAVID SULLIVAN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

FREDERICTON (NOUVEAU‑BRUNSWICK)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 18 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

David Sullivan

DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Sandra L. Doucette

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S/O

DEMANDEUR

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Services juridiques d’EDSC/ACC

Gatineau (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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