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Date : 19980731


Dossier    : IMM-422-98

ENTRE :

     SUADH ABUBAKAR,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]      Dans la décision de la SSR concernant la revendication du statut de réfugié par cette jeune femme, la question portait sur le point de savoir si elle, la demanderesse en l'espèce, est effectivement la personne qu'elle prétend être. Sur ce point là, la question, connexe mais essentielle, était de savoir si l'on pouvait croire toutes les déclarations qu'elle a faites au sujet de son identité. Après avoir recueilli ces témoignages, la SSR a décidé que :

             [Traduction]             
             Le tribunal estime que dans cette situation, les seuls éléments permettant de décider de la nationalité et de la citoyenneté de la demanderesse sont le témoignage qu'elle a livré et les connaissances qu'elle a du pays en question. Nous estimons, même en tenant compte de l'âge qu'elle avait lorsqu'elle a quitté la Somalie, que la demanderesse n'est pas parvenue à donner des explications crédibles ou dignes de foi, permettant de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, elle serait effectivement la personne qu'elle prétend être. Puisque sa revendication du statut de réfugié dépend de sa prétendue crainte d'être persécutée du fait de son appartenance à un certain groupe social, étant donné qu'elle n'est pas parvenue à établir qu'elle fait effectivement partie de ce groupe, nous ne sommes pas à même de conclure qu'elle est effectivement une réfugiée au sens de la Convention.             

[2]      Ayant pris connaissance des extraits de la transcription cités à l'audience par l'avocat de la demanderesse, je crois pouvoir conclure que la SSR estime que la demanderesse n'a pas dit la vérité.

[3]      Notons qu'au cours de l'audience, les membres du tribunal de la SSR n'ont laissé percer aucun signe que les déclarations de la demanderesse ne leur paraissaient pas véridiques. Cela, me semble-t-il, a créé une sérieuse complication au niveau de la façon dont l'avocat de la demanderesse a plaidé le dossier de sa cliente.

[4]      Hormis un élément de preuve indépendant, les seules preuves concernant l'identité de la demanderesse provenaient de son propre témoignage, dont on retient que :

"      La demanderesse a 17 ans, elle est citoyenne de Somalie et appartient au clan Darood, et au sous-clan Marjarteen. Du fait de son appartenance au clan Darood, elle craint d'être persécutée en cas de renvoi en Somalie.
"      Lorsqu'elle avait trois ans, la demanderesse est allée vivre chez sa tante à Mogadishu. En 1990, alors que la demanderesse avait dix ans, la guerre commence, le gros des hostilités ayant lieu à Mogadishu et dans les environs.
"      En janvier 1990, la demanderesse et sa tante s'enfuient à la frontière du Kenya, poursuivant jusqu'à Nairobi où elles vivent environ trois mois en attendant que soient prises des dispositions leur permettant d'aller jusqu'en Ouganda où habitaient de nombreux membres de leur clan.
"      En mars 1990, la demanderesse et sa tante se rendent à Kampala (Ouganda) où la demanderesse est laissée avec la famille de Hussein Yasin. Sa tante, très malade, entre au Kenya mais visite la demanderesse chaque fois qu'elle en a l'occasion.
"      La demanderesse, qui en Ouganda n'a aucun statut et d'où elle craint d'être renvoyée en Somalie, est envoyée au Canada pour vivre avec sa tante.
"      La demanderesse craint d'être tuée par le clan Hawiye, clan dominant à Mogadishu où la demanderesse vit avec sa tante.
"      La demanderesse se rend d'Ouganda à Toronto, via Paris, utilisant pour cela un faux passeport obtenu du Zimbabwe au nom de Nhlanhla Ncude. Dès son arrivée au Canada, la demanderesse revendique le statut de réfugié.

[5]      Dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'elle remplit lors du dépôt de sa demande de statut, elle déclare s'appeler Suadh Abubakar, née le 25 mai 1980, précisant que son père s'appelle Ahmed Abubakar Abdi.

[6]      La seule confirmation indépendante des déclarations de la demanderesse au sujet de l'identité de son père se trouve dans le FRP de sa tante, avec qui elle vivait au Canada et qui s'est vu reconnaître, en 1993, le statut de réfugié. En 1993, dans le FRP qu'elle remplit, cette tante déclare que son frère s'appelle Ahmed Abubakar Abdi. Il est clair que, compte tenu de cet élément là, la tante doit être considérée comme un témoin important en ce qui a trait aux liens familiaux et à tout autre fait dont elle pourrait avoir connaissance et susceptible d'étayer la revendication de la demanderesse. Disons, à l'honneur de la SSR, qu'elle a vu dès le début de l'audience toute l'importance du témoignage de la tante, laissant toutefois à l'avocat de la demanderesse le soin de produire ce témoignage.

[7]      Voici certains des propos échangés à l'audience :

             [Traduction]             
             LE PRÉSIDENT :      Bon, maintenant nous allons aller déjeuner. L'audience est suspendue pendant une heure, nous reprendrons à 13 h. J'aimerais donc que nous précisions comment nous allons procéder après les questions du tribunal.             
                  Je vous ai déjà posé la question après la suspension de ce matin, maître, et vous nous avez dit que vous n'aviez pas encore décidé si vous alliez appeler --             
             L'AVOCAT :      Eh bien, savez-vous, elle ne connaissait pas la demanderesse en Somalie. Ainsi, je ne vais pas l'appeler.             
             LE PRÉSIDENT :      Vous n'entendez pas l'appeler à témoigner?             
             L'AVOCAT :      Non. Pour moi, la question de la crédibilité ne se pose pas jusqu'ici. Je plaiderai en ce sens. Ce ne serait que pour cela que je pourrais l'appeler à témoigner et comme son témoignage ne portera pas sur l'identité. Je ne vais donc pas l'appeler.             
             LE PRÉSIDENT :      Hum! Et vous, Mme Winn?             
             L'AGENT D'AUDIENCE :      Je m'alignerai sur ce que décide le tribunal. Je pourrais, nous pourrions, bien sûr appeler Leila à témoigner au sujet de ses liens avec la famille.             
             LE PRÉSIDENT :      Hum!             
             L'AGENT D'AUDIENCE :          Si vous pensez que cela pourrait vous apporter de nouveaux éléments, et que vous en avez besoin. Ou bien alors, il faudra faire preuve de créativité pour obtenir des témoignages complémentaires. Nous pourrions également demander à l'autre jeune femme avec qui elle habite de venir témoigner. Ou bien, alors, nous pourrions essayer l'homme chez qui elle a vécu en Ouganda.             
                  Mais, hormis ces suggestions, je ne vois vraiment pas comment nous pourrions obtenir de meilleurs éléments d'information concernant son identité. Donc --             
             LE PRÉSIDENT :      Pourquoi ne pas décider lors de la reprise de l'audience (inaudible) après le déjeuner. L'audience est suspendue jusqu'à 13 h.             

[8]      Peu après la reprise de l'audience les propos suivants sont échangés :

             LE PRÉSIDENT :      Je n'ai plus de question à lui poser. En ce qui concerne la possibilité d'appeler Leila à témoigner, je dois dire, maître, que nous, le tribunal, n'avons aucunement l'intention de l'appeler. Nous ne voyons par vraiment ce que vous gagneriez à l'appeler à témoigner étant donné que vous nous avez dit que vous n'étiez pas disposé à la faire témoigner.             
             L'AVOCAT :      Non, la question principale qui se pose en l'espèce est celle de l'identité. Et de la nationalité.             
             LE PRÉSIDENT :      Oui.             
             L'AVOCAT :      Sa tante ne la connaissait pas en Somalie.             
             LE PRÉSIDENT :      C'était effectivement notre conclusion (inaudible).             
             L'AVOCAT :      Et --             
             M. AVERY :      Et nous ne savons pas ce que le témoignage de la tante pourrait ajouter. Peut-être le sauriez-vous, vous.             
             LE PRÉSIDENT :      Cela dépend de vous.             
             L'AVOCAT :      Je crois que la plupart --             
             M. AVERY :      Maître, cela dépend de vous.             
             L'AVOCAT :      La plupart des déclarations que vous seriez susceptible de recueillir, vous les avez déjà recueillies de la demanderesse, concernant ses liens avec sa tante et ce qu'elle peut nous dire de son père et du frère de sa tante et ainsi de suite.             
                  Sa tante pourrait confirmer certains de ses dires. Mais, vraiment, je ne pense pas que cela soit nécessaire --             
             LE PRÉSIDENT :      Cela ne nous avancera guère.             
             L'AVOCAT :      Si je pensais vraiment que cela serait utile, vous pouvez être certain que je l'aurais appelée à témoigner. Étant donné qu'elle est ici, qu'elle agit en tant que représentante désignée avec ses propres papiers d'identité, et j'estime que pour l'instant cela suffit. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion, cependant.             

[9]      Le passage qui vient d'être cité démontre, de la part de l'avocat de la demanderesse, un sérieux impair et, en définitive, on ne peut qu'appeler erreur le fait de ne pas avoir demandé à la tante de livrer le témoignage corroborant qu'elle aurait pu, selon lui, livrer. Si le membre du tribunal s'était montré plus décisif et précis concernant ce qui semble être un soupçon sous-jacent que la demanderesse avait menti, je ne peux m'empêcher de penser que la tante aurait effectivement été appelée à témoigner.

[10]      Lors de l'audience devant la Cour, l'avocat de la demanderesse a reconnu que le fait de ne pas avoir appelé la tante à témoigner constitue une faute de discernement. J'estime, cependant, que cette erreur a été facilitée par le fait que le tribunal ne s'était pas montré assez direct et n'a pas fait précisément état de ses préoccupations quant à la véracité des propos de la demanderesse. La question de la véracité se situe au coeur même de la décision de la Commission et il convenait de faire en sorte qu'elle puisse être évoquée de manière satisfaisante. Le tribunal n'est certes pas tenu de défendre le dossier de la demanderesse, mais il ne serait qu'équitable de sa part de relever l'importance d'une question qui a pu échapper à l'avocat.

[11]      Cela est-il constitutif d'une erreur justiciable du contrôle judiciaire comme portant atteinte aux garanties procédurales? Il me semble devoir répondre par oui. L'impair commis par l'avocat, et le fait que le tribunal n'a rien dit pour le corriger, ont sérieusement nui aux efforts de la demanderesse en vue de plaider sa cause.

[12]      De plus, en ce qui concerne l'analyse que la SSR a faite de la déclaration de la demanderesse, j'accueille l'argument développé par l'avocat de celle-ci, selon lequel on ne trouve, dans la transcription de l'audience, aucun fondement clair pour quelque onze conclusions de la SSR. Je conclus pour ces motifs à l'existence d'une erreur justiciable du contrôle judiciaire.

[13]      Par conséquent, j'infirme la décision de la SSR et je renvoie l'affaire pour nouvelle décision devant un tribunal autrement constitué.

                         " Douglas R. Campbell "

                             juge

Toronto (Ontario)

le 31 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et avocats inscrits au dossier

No DE GREFFE :                      IMM-422-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              SUADH ABUBAKAR

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 30 JUILLET 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :          LE JUGE CAMPBELL

DATE :                          LE 31 JUILLET 1998

ONT COMPARU :                     

                             M e Robert Blanshay

                                 pour la demanderesse

                             M e Andrea Horton

                                 pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :             

                             Wiseman, Gordon D.

                             Barristers & Solicitors

                             205-1033, rue Bay

                             Toronto (Ontario)

                             M5S 3A5

                                 pour la demanderesse

                              George Thomson

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 pour le défendeur

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19980731

                        

         Dossier : IMM-422-98

                             Entre :

                             SUADH ABUBAKAR,

     demanderesse,

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIS DE L'ORDONNANCE

                            


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