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Date : 20050718

Dossier : T-717-04

Référence : 2005 CF 993

Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                               LORETTA PETE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION CARRY THE KETTLE

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA DEMANDE

[1]                La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d'une décision du conseil de bande de la Première nation Carry the Kettle (le conseil de bande), confirmée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord (le MAIN), datée du 26 mars 2004 (la décision), qui la démettait de ses fonctions de directrice générale des élections organisées en 2004 au sein de la bande de la Première nation Carry the Kettle.

[2]                Invoquant les articles 18, 18.1(3) et 44 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, la demanderesse prie la Cour de dire qu'elle n'a pas été licitement retirée de sa charge de directrice générale des élections et qu'elle a continué d'occuper ce poste ou, subsidiairement, elle prie la Cour de la réintégrer dans ce poste.

CONTEXTE

[3]                Les élections de la bande de la Première nation Carry the Kettle (la Première nation) sont tenues en conformité avec la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, et modifications.

[4]                Le mandat du chef du conseil de bande et du conseil de bande a expiré le 31 mars 2004, et la Première nation devait organiser des élections au plus tard à cette date. Le MAIN a demandé au chef du conseil de bande ainsi qu'au conseil de bande de nommer un président d'élection à partir d'une liste de présidents d'élection agréés et admissibles.

[5]                Le conseil de bande a fixé la date des élections, nommé la demanderesse directrice générale des élections et demandé au MAIN d'approuver la nomination. Le MAIN a approuvé la nomination de la demanderesse le 7 janvier 2004.

[6]                L'une des tâches d'un président d'élection consiste à envoyer, au moins 35 jours avant la date des élections, des bulletins de vote postaux aux électeurs qui habitent en dehors de la réserve.

[7]                Une assemblée de mises en candidature a eu lieu, et, quelque part entre le 18 et le 25 février 2004, la demanderesse a envoyé des bulletins de vote postaux à 199 des 300 électeurs hors réserve (le premier bulletin de vote).

[8]                Les noms de deux candidats figurant sur le premier bulletin de vote étaient inexacts. Cela signifiait que deux personnes qui n'étaient pas candidats au conseil de bande, mais qui étaient membres du conseil de bande en exercice, étaient inscrites sur le premier bulletin de vote, tandis que deux personnes qui étaient candidats au conseil de bande n'étaient pas inscrites sur le premier bulletin de vote.

[9]                Quelque part entre le 25 février et le 11 mars 2004, la demanderesse s'est aperçue que le premier bulletin de vote contenait deux erreurs. Le 11 mars 2004, elle a envoyé un autre bulletin de vote renfermant des corrections manuscrites (le deuxième bulletin de vote) à un nombre non précisé d'électeurs hors réserve.

[10]            Le MAIN a appris les erreurs du premier bulletin de vote le 12 mars 2004, lorsque le chef du conseil de bande a rencontré le directeur général régional.


[11]            Le 17 mars 2004, le MAIN était informé, après enquête, que la demanderesse n'envisageait pas de reporter les élections prévues le 31 mars 2004.

[12]            Le 18 mars 2004 ou vers cette date, la demanderesse a conféré avec Lynn Ashkewe, du MAIN, à Ottawa, sur des sujets sans rapport avec la présente affaire. À la fin de leur conversation, la demanderesse a mentionné qu'elle s'était trompée dans le premier bulletin de vote, sans préciser de quelle bande il s'agissait.

[13]            Le 23 mars 2004, le chef du conseil de bande rencontrait le MAIN pour s'informer si les élections pouvaient être reportées. Le MAIN dit avoir été informé que le conseil de bande, peu convaincu de la capacité de la demanderesse d'organiser efficacement des élections, souhaitait que le MAIN envisage le remplacement de la demanderesse comme directrice générale des élections.

[14]            Le MAIN a communiqué avec la demanderesse le 24 mars 2004, puis a rencontré celle-ci ainsi que son avocat. Les points soulevés par le chef du conseil de bande, ainsi que les points résultant des erreurs du premier bulletin de vote et ceux résultant de la méthode choisie par la demanderesse pour corriger lesdites erreurs avec un deuxième bulletin de vote, ont tous été débattus avec la demanderesse et son avocat.

[15]            Le MAIN a rencontré le chef du conseil de bande ainsi que le conseil de bande l'après-midi du 24 mars 2004 pour examiner les solutions qui s'offraient au conseil de bande. Le MAIN a ensuite communiqué avec la demanderesse pour lui dire que le conseil de bande songeait à la relever de ses fonctions de directrice générale des élections. Il l'a informée qu'on la contacterait après que le conseil de bande aurait pris sa décision.

[16]            Le 26 mars 2004, le conseil de bande faisait savoir qu'il souhaitait reprendre depuis le début le processus électoral et demandait au MAIN de lui fournir un modèle de résolution du conseil de bande (RCB). Le MAIN a soumis un projet de RCB à l'examen du conseil de bande.

[17]            Le 26 mars 2004, le conseil de bande présentait au MAIN une RCB signée qui annulait et révoquait la nomination de la demanderesse comme directrice générale des élections et qui désignait président d'élection un surintendant tenant lieu d'attributaire du conseil de bande.

[18]            Le 26 mars 2004, le MAIN informait la demanderesse qu'elle était relevée de ses fonctions de directrice générale des élections, mais que son nom demeurerait sur la liste des présidents d'élection agréés.


[19]            Le 26 mars 2004, Brenda Forseth, conseillère, Administration des bandes, Traités, Successions et Fonds indiens, au MAIN, était nommée présidente d'élection. Les élections du 31 mars 2004 ont été annulées et de nouvelles élections ont eu lieu le 12 mai 2004, avec Brenda Forseth comme présidente d'élection.

[20]            Par lettre datée du 30 mars 2004, le directeur du conseil de bande informait la demanderesse que la Première nation se passerait désormais de ses services, en raison de plusieurs erreurs de procédure entachant les bulletins de vote et le processus électoral, et aussi parce que le conseil de bande ne croyait plus dans la capacité de la demanderesse d'organiser convenablement des élections.

[21]            Le conseil de bande a versé à la demanderesse une somme de 4 170 $ le 19 janvier 2004 et une somme de 4 170 $ le 18 février 2004 pour ses services à titre de directrice générale des élections.

[22]            La demanderesse a ensuite été nommée par trois autres bandes des Premières nations pour qu'elle organise leurs élections, et chaque nomination a reçu l'approbation du MAIN.

LA POSITION DE LA DEMANDERESSE

[23]            La demanderesse affirme que son prétendu congédiement comporte d'importantes conséquence personnelles et sociales.

[24]            Au niveau personnel, elle a subi un préjudice financier et sa réputation professionnelle a été ternie.

[25]            Au niveau social, elle affirme qu'un conseil de bande ne devrait pas pouvoir destituer un président d'élection comme il l'a fait dans son cas. Les conseils de bande ont énormément de pouvoir et d'influence sur tous les aspects de la vie des membres de la bande. Des élections justes sont essentielles pour l'administration des Premières nations. Permettre à un conseil de bande en exercice de remplacer un président d'élection validement nommé porte atteinte à l'indépendance des présidents d'élection et fait obstacle à des élections régulières. Elle affirme que la Cour devrait intervenir ici et envoyer un message sans équivoque aux conseils de bande et au gouvernement fédéral.

ANALYSE

Nature de la plainte de la demanderesse

[26]            La Cour n'a aucune raison ici de croire que les élections de 2004 ont été irrégulières ou que la demanderesse a été renvoyée pour une raison autre que les erreurs qu'elle a commises après avoir été nommée directrice générale des élections. La demanderesse a confirmé, au cours du contre-interrogatoire sur son affidavit, qu'elle n'entendait pas contester les résultats des élections du 12 mai 2004.


[27]            La demanderesse reconnaît aussi sa responsabilité pour les erreurs qui ont été commises, mais, selon elle, lesdites erreurs n'ont pas mis en péril le processus électoral, et elle ne croit pas qu'elles constituaient un motif de renvoi.

[28]            L'essentiel de son argumentation, c'est que le conseil de bande et le MAIN n'auraient pas dû la destituer, et le MAIN aurait dû s'employer avec elle à corriger les erreurs pour s'assurer de la tenue d'élections valides. Elle s'en est expliquée durant son contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.             Et selon vous la véritable erreur ici a été de vous congédier et d'engager un autre président d'élection plutôt que de vous conseiller et de vous orienter dans la manière de régler le problème?

R.             L'erreur, je crois, c'est qu'on ne m'a pas maintenue dans mon poste. J'avais un contrat avec la bande. Il n'y avait aucun moyen pour moi d'obtenir une autre rémunération de la bande. J'avais fait - je devais corriger mes erreurs, aller de l'avant, et je crois que le - le fait d'être un agent d'Affaires indiennes, le fait d'être présidente d'élection, c'était, je crois - il aurait été sage que l'on continue de recourir à mes services plutôt que de ruiner ma réputation auprès de la bande Carry the Kettle. J'aurais rectifié la situation.

Contre-interrogatoire, page 40, question 169

Q.             Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que le MAIN ne veut pas - ne souhaite pas en principe être vu comme un organe qui contrôle ou administre les élections?

R.             Non, je ne partage pas votre avis sur ce point, c'est ce que veut le MAIN.

Q.             N'est-ce pas la raison pour laquelle le MAIN nomme un président d'élection, pour se dispenser ainsi de diriger les élections ou d'exercer une quelconque influence sur le processus?

R.             Le MAIN exerce une influence. Il a la responsabilité fiduciaire de toutes les affaires des populations indiennes.

Q.             Vous affirmez donc que le MAIN a l'obligation fiduciaire de s'assurer de la régularité des élections organisées au sein des bandes?


R.             Je pense que, par la conclusion du contrat, un entrepreneur indépendant l'investit de cette responsabilité, de toute évidence.

Q.             Vous estimez donc que le MAIN a manqué à cette obligation dans le cas présent?

R.             Je ne sais pas si c'est là la question. La question ici, c'est le fait que le MAIN m'a nommée présidente d'élection, et je crois que, comme tout employeur ou entrepreneur, il avait le droit de - il devrait aider les présidents d'élection et intervenir dans tout incident susceptible de ternir la réputation des présidents d'élection, parce qu'ils sont des entrepreneurs indépendants et qu'ils doivent préserver leur réputation. Et je crois que dans le cas présent j'aurais - j'ai reçu une aide d'Affaires indiennes. Cela veut dire cependant que l'on ne peut pas tout simplement vous retirer votre charge. Je pensais véritablement qu'il m'aurait été possible de rectifier ce processus électoral.

Contre-interrogatoire, pages 42 et 43, questions 179 à 182

Q.             Mme Pete, puis-je vous demander ce que vous espérez obtenir de la présence instance?

R.             Je crois que ce à quoi je voudrais en venir, c'est que toute cette histoire reçoive une publicité, parce que, à mon avis, les erreurs que j'ai commises ne justifiaient pas mon renvoi. J'ai fait du mieux que j'ai pu pour minimiser le dommage ici. Je continue d'affirmer que parce que c'est - le dommage était déjà fait, et je m'efforçais d'en atténuer les conséquences pour les électeurs. Mais en même temps je crois qu'il faut reconnaître que je ne veux en aucune façon revivre une situation où je serais de nouveau renvoyée. Si je suis de nouveau renvoyée, ce sera - ce devrait être parce que j'aurai commis une erreur monumentale. Si je refais cette erreur, vous pourrez alors me tirer dessus, vous débarrasser de moi, Edith Owen, mais pas maintenant. Je n'ai commis qu'une seule erreur.

Q.             D'accord. Vous espérez donc établir un précédent, afin que vous ne soyez pas de nouveau renvoyée?

R.             Oui, ou tout président d'élection qui commet une erreur comme celle que j'ai commise. Et je suis sûre que les présidents d'élection commettent régulièrement des erreurs comme celle-ci, mais, vous savez - je suis sûre qu'ils en commettent, et ils ont sans doute de meilleurs moyens que moi pour les corriger. Je ne veux tout simplement pas revivre une telle situation où je serai renvoyée à cause de quelque chose que j'essaierai de corriger.

Q.             D'accord. Vous ne contestez aucunement le résultat des élections du 12 mai?

R.             Non, absolument pas.

Q.             Et vous ne souhaitez pas la tenue d'autres élections?


R.             Pour la bande Carry The Kettle?

Q.             Oui.

R.             Non, non, pas du tout.

Q.             Et dans la présente instance, vous ne demandez pas de dommages-intérêts?

R.             Pas dans cette instance, non.

Q.             Vous voulez donc tout simplement établir le principe selon lequel on aurait dû vous aider plutôt que de vous retirer votre charge de présidente d'élection?

R.             C'est ce que je pense, oui. Je pense qu'il aurait été sage pour le chef et pour le conseil de m'accorder une entrevue ou quelque chose du genre. Je sais que c'était une époque assez délicate, mais en réalité le processus électoral avait été déclenché, et, ce qu'il aurait fallu faire, c'est rencontrer Affaires indiennes et établir un plan ensemble définissant la manière d'aller de l'avant avec ces élections.

[29]            Ce que dit en somme la demanderesse, c'est que le MAIN est investi d'une obligation fiduciaire pour toutes les affaires des populations indiennes et qu'un président d'élection peut être destitué s'il commet « une erreur monumentale » , mais que, dans le cas présent, l'erreur aurait pu être corrigée et le MAIN aurait dû s'employer avec elle à rectifier les erreurs qu'elle avait commises.

[30]            D'après les faits qui me sont soumis ici, la demanderesse soulève trois points importants qui requièrent un examen :

a)          Les formalités juridiques adéquates ont-elles été observées lorsque la demanderesse a été démise de ses fonctions de directrice générale des élections?


b)          Existe-t-il une procédure de renvoi d'un président d'élection dans la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 et dans le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, C.R.C. 1978, ch. 952?

c)          Si un président d'élection peut être destitué, y avait-il ici des motifs suffisants justifiant le renvoi de la demanderesse?

[31]            La norme de contrôle à appliquer pour les trois points ci-dessus doit également être examinée.

Formalités

[32]            La demanderesse ne croit pas que le conseil de bande et le MAIN ont observé les formalités requises avant de décider son renvoi.

[33]            Elle affirme dans son affidavit que, le 25 mars 2004, elle a reçu un appel du chef Barry Kennedy, qui lui a dit qu'elle était encore la directrice générale des élections et qu'il lui appartenait à elle de décider de la manière de s'y prendre pour les élections : [traduction] « Il m'a dit que je pouvais continuer le processus électoral sans rien y changer ou établir un nouveau programme » .

[34]            Elle affirme aussi qu'elle a reçu un appel de la part d'Edith Owen, qui est la directrice de l'inscription, des revenus et de l'administration des bandes, Région de la Saskatchewan du MAIN. Mme Owen lui a dit qu'elle avait été démise de ses fonctions de présidente d'élection par le chef Kennedy et par le conseil de bande.

[35]            La demanderesse affirme qu'elle s'est de nouveau entretenue le même jour avec le chef Kennedy et que celui-ci lui a indiqué que le MAIN avait fortement recommandé au conseil de bande de la révoquer et que le MAIN avait rédigé la résolution portant révocation. Selon la demanderesse, le chef Kennedy lui a dit qu'il avait refusé de signer la résolution « parce qu'il n'y avait pas eu de réunion validement convoquée » . Le chef Kennedy avait ajouté qu'un représentant du MAIN avait [traduction] « présenté la résolution à chacun des conseillers pour qu'il la signe. Il n'y a pas eu de débat, et lui et les autres n'avaient pas eu le loisir d'étudier l'affaire au cours d'une réunion » .

[36]            Le chef Kennedy n'a pas produit d'affidavit dans la présente demande. Sa signature n'apparaît pas sur la résolution. La demanderesse prie la Cour de tirer une conclusion défavorable à l'encontre des défendeurs parce qu'il n'y a pas d'affidavit du chef Kennedy dans la présente affaire.


[37]            Mais le conseil de bande a déposé un affidavit établi sous serment par M. Wayne Ironstar, qui est l'administrateur de la bande. M. Ironstar jure qu'il a [traduction] « une connaissance directe des faits et incidents attestés, sauf lorsqu'ils sont déclarés tenus pour véridiques sur la foi de renseignements » .

[38]            M. Ironstar s'exprime ainsi sur la question :

[traduction]

6.              Des représentants du MAIN avaient rédigé une résolution du conseil de bande qui annulait les élections en cours et qui nommait un nouveau directeur général des élections, pour les élections qui auraient lieu à une date ultérieure. La résolution a été présentée à la réunion. Après mûre délibération, le conseil de bande a décidé d'annuler les élections et de nommer un nouveau président d'élection. La résolution du conseil de bande a été adoptée, et elle a été exécutée en conséquence.

[...]

9.              Autant que je sache, l'idée de remplacer la directrice générale des élections ne vient pas du chef ou d'un conseiller de la bande. Elle vient plutôt du MAIN, qui avait obtenu un avis juridique à propos des problèmes que posaient les élections devant avoir lieu le 31 mars 2004.

[39]            M. Ironstar fait observer qu'il établit son affidavit [traduction] « en réponse à l'affidavit de Loretta Pete [la demanderesse] établi sous serment le 13 avril 2004 » .

[40]            Au cours de l'instruction de cette affaire, la demanderesse a contesté sur divers points l'affidavit de M. Ironstar. Elle affirme que l'affidavit de M. Ironstar contrevient au paragraphe 81(2) des Règles et que la Cour devrait en conséquence tirer une conclusion défavorable. Elle affirme aussi qu'il atteste divers incidents dont il n'a pas une connaissance directe et qu'il ne dit jamais dans son affidavit qu'il était présent à l'une ou l'autre des réunions : [traduction] « S'il n'est pas établi que Wayne Ironstar était présent aux réunions, son affidavit contrevient au paragraphe 81(2) des Règles » .


[41]            Mais M. Ironstar jure bel et bien dans son affidavit qu'il a une connaissance directe des faits et incidents attestés, et, lorsqu'il fonde son témoignage sur la foi de renseignements obtenus, il le dit clairement. La demanderesse aurait pu le contre-interroger si des aspects la préoccupaient, mais elle a décidé de ne pas le faire. Je n'ai aucune raison de ne pas croire ce que dit M. Ironstar à propos de la réunion ou de la résolution.

[42]            Cela ne veut pas dire non plus que j'ai des raisons de ne pas croire la demanderesse. Le chef Kennedy a fort bien pu souhaiter la garder comme présidente d'élection. La difficulté vient du fait qu'elle affirme avoir été informée par le chef Kennedy qu'il n'y avait pas eu de réunion validement convoquée, que la résolution avait été présentée à chacun des conseillers et qu'aucune réunion n'avait été envisagée. Malheureusement, nous n'avons pas d'affidavit du chef Kennedy pour éclaircir ces zones d'ombre.

[43]            Mais nous avons un affidavit d'Edith Owen qui porte sur ces aspects. Elle donne les précisions suivantes :

[traduction]

13.            Le 24 mars 2004, j'ai téléphoné à la demanderesse pour lui dire que le MAIN envisageait de lui retirer sa charge de directrice générale des élections pour les élections de la bande Carry the Kettle (la bande CTK) et même de l'enlever de la liste des présidents d'élection agréés. Je lui ai aussi demandé de remettre au MAIN les documents se rapportant aux élections. J'ai devant moi, et j'annexe au présent affidavit, comme pièce « J » , une copie certifiée conforme de ma note versée au dossier et relatant ma conversation du 24 mars 2004 avec la demanderesse.


14.            Le matin du 24 mars 2004, Evelyn Shalapata et Brenda Forseth ont rencontré la demanderesse et son avocat. J'ai été informée par Evelyn Shalapata, et je crois sincèrement, que, lors de cette rencontre, la demanderesse a été invitée à expliquer les problèmes qui avaient surgi dans l'organisation des élections de la bande CTK. La demanderesse a reconnu avoir commis des erreurs sur les bulletins de vote parce qu'elle ne les avait pas vérifiés quand les imprimeurs les avaient retournés. La demanderesse a également affirmé qu'elle n'avait pas modifié la date des élections afin de prévoir 35 jours entre la date de mise à la poste des deuxièmes bulletins de vote et la date des élections. La demanderesse a été informée que la bande CTK demanderait au MAIN comment le MAIN entendait s'y prendre, et que le chef et le conseil envisageaient de lui retirer sa charge de présidente d'élection parce que la communauté « avait perdu confiance » dans sa capacité d'organiser des élections valides pour la bande CTK. Evelyn Shalapata a prié la demanderesse de lui remettre les documents électoraux de la CTK et l'a informée que la date des élections allait devoir être modifiée. J'ai devant moi, et je joins au présent affidavit, comme pièce « K » , une copie certifiée conforme des notes de Mme Shalapata concernant la rencontre du 24 mars 2004 avec la demanderesse.

15.            L'après-midi du 24 mars 2004, j'étais l'un des quelques représentants du MAIN qui ont rencontré le chef et le conseil ainsi que leur avocat afin d'évaluer les options qui s'offraient à la bande CTK. Le renvoi de la demanderesse a été l'un des sujets débattus. Le chef et le conseil de la bande CTK ont été informés que, s'ils souhaitaient démettre la demanderesse de ses fonctions de présidente d'élection, il leur faudrait soumettre au MAIN une résolution demandant le renvoi de la demanderesse. Le MAIN a remis au chef et au conseil de la bande CTK un modèle de résolution. Le chef et le conseil de la bande CTK ont indiqué qu'ils rencontreraient le MAIN « vendredi » pour lui faire part de leur décision. J'ai devant moi, et je joins au présent affidavit, comme pièce « L » , une copie certifiée conforme des notes de Mme Shalapata concernant la réunion du 24 mars 2004 avec le chef et le conseil. J'ai devant moi, et je joins au présent affidavit, comme pièce « M » , une copie certifiée conforme de mes notes concernant la réunion du 24 mars 2004 avec le chef et le conseil.

16.            Je suis informée par Evelyn Shalapata -- et je crois sincèrement -- que, l'après-midi du 24 mars 2004, elle a téléphoné à la demanderesse pour l'informer que la bande CTK songeait à la démettre de ses fonctions de présidente d'élection et pour l'informer des accusations portées par le chef. Les notes de Mme Shalapata se rapportant à cette conversation figurent au bas de la pièce « L » .

17.            Le 26 mars 2004, j'ai participé avec le chef et le conseil de la bande CTK à une conférence téléphonique au cours de laquelle le chef a indiqué qu'il voulait repartir de zéro et organiser des élections entièrement nouvelles. Des membres du conseil de la bande CTK ont alors indiqué qu'ils voulaient présenter une résolution relevant la demanderesse de ses fonctions de présidente d'élection et ont demandé au MAIN de soumettre à leur examen un modèle de résolution en ce sens. J'ai devant moi, et je joins au présent affidavit, comme pièce « N » , une copie certifiée conforme des notes de Mme Shalapata concernant la conférence téléphonique du 26 mars 2004 avec le chef et le conseil.


18.            J'ai devant moi, et je joins au présent affidavit, comme pièce « O » , une copie certifiée conforme du modèle de résolution soumis le 26 mars 2004 par le MAIN à l'examen du chef et du conseil de la bande CTK.

19.            J'ai devant moi, et je joins au présent affidavit, comme pièce « P » , une copie certifiée conforme de la résolution du 26 mars 2004 que le MAIN a reçu de la bande CTK et qui annule et révoque la nomination de la demanderesse comme présidente d'élection.

[44]            Certaines de ces affirmations relèvent, j'en conviens, d'une preuve par ouï-dire, mais, pour l'essentiel, c'est le témoignage d'une personne qui a participé à des réunions par conférence téléphonique avec le chef Kennedy et le conseil de bande. Tout comme je n'ai aucune raison de mettre en doute les déclarations de la demanderesse ou de M. Ironstar, je n'ai aucune raison de ne pas croire ce que dit Mme Owen sur ces aspects.

[45]            Le tableau semble assez clair. Le MAIN a cru que la meilleure façon de s'y prendre à la suite des erreurs commises par la demanderesse était de la révoquer et de désigner un surintendant qui agirait en lieu et place d'un président d'élection nommé par le conseil de bande.

[46]            La pièce « N » de l'affidavit d'Edith Owen renferme les notes d'une conférence téléphonique à laquelle a participé Mme Owen, bien que ce ne soit pas elle qui les a écrites. Les notes confirment ce qu'elle dit. Mais elles montrent aussi que le chef Kennedy avait des réserves sur l'opportunité de suivre les recommandations du MAIN. Il était préoccupé par un éventuel examen des finances. Il voulait aussi passer en revue la résolution avec un avocat. Il a quitté la réunion avant que la résolution ne soit signée par les autres membres du conseil de bande.

[47]            Les échanges rapportés entre la demanderesse et le chef Kennedy ne sont pas expliqués, mais la preuve acceptable dont nous disposons nous apprend que le MAIN a recommandé au conseil de bande de destituer la demanderesse et que, après délibération, le conseil de bande a accepté les recommandations du MAIN. Il n'y a rien de déplacé à ce que le conseil de bande tienne compte des recommandations et des avis d'autrui, surtout si celui qui conseille agit comme fiduciaire à l'égard de la Première nation et de ses membres.

[48]            Je n'ai aucune raison de croire que, du seul fait que le MAIN a pu être à l'origine du processus et préparer la résolution, le conseil de bande n'a pas fonctionné d'une manière autonome ou qu'une délibération en bonne et due forme n'a pas eu lieu avant que la résolution ne soit signée par les membres qui sont restés à la réunion.

[49]            Partant, je ne vois aucune raison de conclure, sur les moyens soulevés par la demanderesse, que la résolution démettant la demanderesse de ses fonctions de directrice générale des élections n'a pas été adoptée d'une manière légitime ou qu'elle doit être mise en doute dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Même au regard de la norme de la décision correcte, aucune erreur sujette à révision n'est démontrée ici par la demanderesse.

Le pouvoir de destituer un président d'élection


[50]            La demanderesse affirme qu'il n'y a, dans la Loi sur les Indiens ou le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, aucune disposition prévoyant le renvoi d'un président d'élection. Par conséquent, affirme-t-elle, la Cour devrait décider ce point en se fondant sur les principes généraux de l'équité, de l'impartialité et de la bonne gouvernance.

[51]            Le point de la demanderesse est que, si un président d'élection peut être renvoyé à cause d'une erreur, ou selon le bon plaisir du conseil de bande, alors les conseillers de la bande qui veulent être réélus auront le pouvoir d'influencer le président d'élection. Elle affirme donc que le meilleur moyen pour la Cour de régler cet aspect est de dire qu'il n'y a pour l'heure aucun pouvoir de destituer un président d'élection après qu'il a été nommé. Il appartiendra alors au législateur de concevoir le mécanisme, les motifs et les sauvegardes qui s'imposent, de la même manière que la Loi électorale du Canada prévoit la procédure et les motifs de révocation d'un directeur de scrutin. À tout le moins, de dire la demanderesse, un conseil de bande ne peut avoir le pouvoir absolu de révoquer un président d'élection parce que cela ne peut pas avoir été l'intention du législateur.

[52]            Le procureur général du Canada est d'avis que la révocation d'un président d'élection a de fait été prévue par le législateur.

[53]            Le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens régit la procédure applicable aux élections prévue par la Loi sur les Indiens, telles que celles dont il s'agit ici.

[54]            Selon l'article 2 du Règlement, l'expression « président d'élection » signifie le surintendant ou la personne désignée par le conseil de la bande avec l'assentiment du ministre.


[55]            Il n'est pas contesté entre les parties que la demanderesse n'a pas été validement nommée directrice générale des élections. Toutefois, le procureur général affirme que l'argument de la demanderesse selon lequel ce processus ne fonctionne que dans un sens ne tient pas compte des dispositions du paragraphe 31(4) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, qui donne au ministre le pouvoir de défaire ce qu'il a le pouvoir de faire :


(4) Le pouvoir de prendre des règlements comporte celui de les modifier, abroger ou remplacer, ou d'en prendre d'autres, les conditions d'exercice de ce second pouvoir restant les mêmes que celles de l'exercice du premier.

(4) Where a power is conferred to make regulations, the power shall be construed as including a power, exercisable in the same manner and subject to the same consent and conditions, if any, to repeal, amend or vary the regulations and make others.


[56]            Donc assurément, pour comprendre tout l'effet du paragraphe 31(4), nous devons savoir ce en quoi consiste le mot « règlement » :


2(1) _ règlement _ Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d'honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris :

2(1) "regulation" includes an order, regulation, rule, rule of court, form, tariff of costs or fees, letters patent, commission, warrant, proclamation, by-law, resolution or other instrument issued, made or established

a) soit dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime d'une loi fédérale;

(a) in the execution of a power conferred by or under the authority of an Act, or

b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité.

(b) by or under the authority of the Governor in Council;

"repeal" includes revoke or cancel.


[57]            Le paragraphe 76(1) de la Loi sur les Indiens autorise le gouverneur en conseil à prendre des décrets et règlements sur les élections au sein des bandes :



76. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des décrets et règlements sur les élections au sein des bandes et, notamment, des règlements concernant :

76. (1) The Governor in Council may make orders and regulations with respect to band elections and, without restricting the generality of the foregoing, may make regulations with respect toa) les assemblées pour la présentation de candidats;

(a) meetings to nominate candidates;

b) la nomination et les fonctions des préposés aux élections;

(b) the appointment and duties of electoral officers;

c) la manière dont la votation doit avoir lieu;

(c) the manner in which voting is to be carried out;

d) les appels en matière électorale;

(d) election appeals; and

e) la définition de _ résidence _ aux fins de déterminer si une personne est habile à voter.

(e) the definition of residence for the purpose of determining the eligibility of voters.


[58]            Le procureur général fait donc valoir que l'alinéa 76(1)b) prévoit expressément que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant « la nomination et les fonctions des préposés aux élections » . Le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens a été pris conformément au pouvoir conféré par l'alinéa 76(1)b) de la Loi sur les Indiens. Ce règlement, en son article 2, dit simplement qu'un « président d'élection » signifie « le surintendant ou la personne nommée par le conseil de la bande avec l'assentiment du ministre » . Il ne parle pas expressément de la révocation d'une personne ainsi nommée.

[59]            Il semble clair à la Cour que le paragraphe 76(1) de la Loi sur les Indiens, lu en même temps que le paragraphe 31(4) de la Loi d'interprétation, autorise bel et bien le gouverneur en conseil à prendre un règlement portant sur la révocation d'un préposé aux élections, mais le paragraphe 31(4) de la Loi d'interprétation semble envisager un règlement (tel que ce mot est défini) effectif portant sur ladite révocation. Ainsi que le prévoit le paragraphe 2(1), le pouvoir doit être exercé « soit dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime de la loi » en cause, « soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité » .

[60]            En l'espèce, le pouvoir n'a été exercé que pour la nomination d'un président d'élection; il ne l'a pas été pour la procédure et les motifs de révocation d'un président d'élection.

[61]            Cela n'est pas nécessaire lorsque le président d'élection est un « surintendant » travaillant pour le MAIN. Les risques d'influence indue évoqués par la demanderesse ne sont pas présents lorsque le conseil de bande en exercice n'a pas le pouvoir de révoquer un surintendant. Mais ils ne le sont pas non plus lorsque le président d'élection est nommé par un conseil de bande et agréé par le MAIN. Le régime en place ou le texte législatif applicable ne renferme rien qui donne à entendre qu'un conseil de bande pourrait agir unilatéralement et révoquer sans le consentement du MAIN un préposé nommé. Et le MAIN a l'obligation fiduciaire de s'assurer que tout ce qui est fait en rapport avec une élection est équitable et conforme à la Loi sur les Indiens et au Règlement sur les élections.

[62]            En fait, le Règlement prévoit que le président d'élection sera toujours un fonctionnaire du MAIN ou une autre personne agréée par le MAIN. La demanderesse a été choisie ici par le conseil de bande sur une liste de personnes qualifiées qui ont été approuvées par le MAIN. Elle n'a pas été choisie au hasard par le conseil de bande. Elle avait reçu la formation nécessaire et elle a été présentée au conseil de bande par le MAIN comme une personne qualifiée pour organiser des élections. Les élections organisées au sein des conseils de bande en vertu de la Loi sur les Indiens et du Règlement sont organisées et surveillées par le MAIN par l'intermédiaire d'un président d'élection qui soit travaille pour le MAIN, soit a reçu une formation et a été agréé au préalable par le MAIN.


[63]            En l'espèce, le MAIN a décidé qu'il était dans l'intérêt de la procédure électorale que son président d'élection agréé au préalable soit révoqué, et le MAIN a consulté et informé le conseil de bande à ce sujet.

[64]            J'ai l'impression que le Règlement ne traite pas expressément de la révocation des présidents d'élection, et cela parce qu'il prévoit qu'un président d'élection sera toujours une personne agréée par le MAIN dans le cadre du rôle général de surveillance exercé par ce ministère. Le rôle du conseil de bande dans le choix ou la révocation du président d'élection est limité parce qu'un président d'élection, qu'il s'agisse du surintendant ou d'un préposé agréé au préalable, agit en partie en tant que délégué du ministre tout au long de la procédure électorale. C'est pourquoi les comparaisons avec la Loi électorale du Canada ou d'autres régimes électoraux présentent dans ce contexte un intérêt limité. Le MAIN a l'obligation de surveiller l'ensemble du processus électoral et de s'assurer qu'il se déroule d'une manière équitable et transparente, et il exerce cette responsabilité notamment par l'entremise d'un surintendant ou d'une personne qui a été nommée par le conseil de bande et dont il a approuvé la nomination.


[65]            Qu'il s'agisse d'un surintendant ou d'une personne nommée par le conseil de bande, le président d'élection en vertu de la Loi sur les Indiens et le Règlement est là pour s'assurer que les fonctions et obligations du ministre sont remplies. Ces fonctions et obligations peuvent être décrites comme des pouvoirs fiduciaires ou paternalistes, ou à l'aide d'un autre euphémisme qui soit approuve, soit condamne le régime général prévu par les textes. Mais le régime prévu par les textes n'est pas le même que le régime qui s'applique aux élections provinciales ou fédérales. La demanderesse elle-même a reconnu dans son témoignage les obligations générales de fiduciaire qui incombent au MAIN.

[66]            Le Règlement ne renferme aucun critère ou processus particulier pour la nomination ou pour la révocation d'un président d'élection, parce qu'il ressort du régime électoral tout entier qu'une telle personne a en permanence pour mandat de remplir les obligations et fonctions du ministre, telles qu'elles se rapportent aux élections des conseils de bande. Le président d'élection est là pour surveiller le processus électoral au nom de la Première nation et au nom du ministre et pour s'assurer que ce processus se déroule d'une manière conforme à la Loi sur les Indiens et au Règlement.


[67]            Toute personne investie du rôle consistant à s'assurer, au nom de la Première nation et du ministre, que les élections au sein des conseils de bande se déroulent d'une manière conforme aux textes applicables doit avoir la confiance et l'approbation à la fois de la Première nation et du ministre tout au long du processus. Par exemple, si elle agissait d'une manière qui n'a pas reçu l'agrément du ministre et qu'elle ne pouvait pas être révoquée, alors le ministre n'aurait aucun moyen de s'assurer que ses obligations générales de fiduciaire sont remplies. Dès que le ministre pense que le processus électoral est menacé, il lui incombe d'intervenir par tous les moyens requis pour s'acquitter de ses obligations réglementaires et fiduciaires. S'il lui faut pour cela recommander la révocation d'un président d'élection, alors le ministre doit avoir le loisir de faire cette recommandation. S'il n'y avait aucun moyen de révoquer un président d'élection après qu'il a été nommé, le ministre serait alors empêché de remplir juridiquement dans ce contexte les obligations réglementaires et fiduciaires qui lui incombent, notamment l'obligation de s'assurer que les élections des conseils de bande se déroulent d'une manière régulière et transparente, qui s'accorde avec le régime établi dans la Loi sur les Indiens et dans le Règlement.

[68]            Je crois donc que le MAIN doit avoir le pouvoir de requérir la révocation d'un président d'élection nommé en vertu du Règlement lorsque telle révocation est nécessaire pour que les obligations du ministre aux termes de la Loi sur les Indiens et aux termes du Règlement soient remplies. Lorsque le président d'élection a été nommé par un conseil de bande avec l'agrément du ministre, la procédure applicable consiste à soulever la question auprès du conseil de bande concerné et à obtenir l'assentiment et l'approbation du conseil. C'est exactement ce qui est arrivé ici. Naturellement, le pouvoir ne peut être exercé pour une quelconque autre fin qui ne s'accorde pas avec l'économie, les dispositions particulières et l'objet général de la Loi sur les Indiens et du Règlement. Mais nul ne prétend ici qu'il a été exercé de la sorte.

Motifs de renvoi


[69]            L'unique question restante est celle de savoir si le conseil de bande ou le MAIN, lorsqu'il a demandé ou obtenu ici que la demanderesse soit démise de ses fonctions de directrice générale des élections, a agi d'une manière qui ne s'accordait pas avec l'économie et l'objet de la Loi sur les Indiens et du Règlement en ce qui a trait aux élections ayant eu lieu dans cette affaire, ou d'une manière qui comportait des vices de forme. Que l'on applique la norme de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable, je crois que le renvoi de la demanderesse dans la présente affaire reposait sur de bonnes raisons, qui étaient totalement en accord avec l'économie et l'objet des textes applicables, et que la procédure de renvoi de la demanderesse a été régulière.

[70]            La demanderesse cherche à minimiser ses erreurs, qui selon elle étaient des erreurs mineures ou sans conséquence. Durant le contre-interrogatoire, elle a révélé qu'elle avait été en colère contre elle-même pour les avoir commises et qu'elle avait eu l'impression de ne pas avoir reçu la formation et le soutien dont elle avait besoin. Il semble qu'elle a été quelque peu dépassée lors de cet incident, et elle n'a donc pas su comment obtenir les conseils dont elle avait besoin pour corriger ses erreurs. Elle ne savait pas par exemple qu'il était possible de reporter les élections.

[71]            La demanderesse semble avoir été gênée de ce qui est arrivé. C'est tout à son honneur, mais je ne crois pas qu'elle doive s'en inquiéter. Il arrive des situations qui nous dépassent tous. Et les témoignages entendus donnent à entendre que toutes les parties en sont bien conscientes. Elle figure encore sur la liste des présidents d'élection qualifiés et elle a participé à plusieurs élections depuis celles dont il s'agit ici.

[72]            Les sentiments de la demanderesse sont compréhensibles, mais ils ne peuvent servir de fondement à la question de savoir si le MAIN et le conseil de bande ont agi selon les règles dans la présente affaire.


[73]            Après examen de la preuve, il m'apparaît que les erreurs initiales ainsi que les moyens pris par la demanderesse pour les corriger ont entraîné une grande confusion, ont donné lieu à d'importants délais et ont menacé la tenue des élections. Le MAIN l'a informée du problème puis l'a rencontrée, ainsi que son avocat, pour lui expliquer la situation et entendre ce qu'elle avait à dire. Elle n'a pas été traitée d'une manière tyrannique ou unilatérale, et les motifs de son renvoi lui ont été expliqués.

[74]            Dans ces conditions, je crois que le MAIN et le conseil de bande étaient pleinement fondés à faire ce qu'ils ont fait. Ils ont estimé que la demanderesse avait été quelque peu dépassée au cours de cet incident, et un surintendant a pris le contrôle de la procédure électorale et l'a menée à terme. Nul ne semble avoir tenu rigueur à la demanderesse pour les erreurs commises puisqu'elle exerce encore aujourd'hui (et semble-t-il avec succès) ses fonctions de présidente d'élection.


[75]            Il est vrai évidemment qu'il aurait pu y avoir d'autres façons pour le MAIN et le conseil de bande de gérer la situation. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ont eu tort de faire ce qu'ils ont fait. Ils ont eux aussi des obligations et des sensibilités. Ils devaient évaluer la situation et agir en accord avec leurs obligations respectives envers la Première nation et envers la demanderesse. Je ne puis voir aucune preuve convaincante d'une quelconque raison ou motivation à l'origine de la décision de démettre la demanderesse de ses fonctions de directrice générale des élections, si ce n'est la nécessité clairement exprimée de s'assurer que la confiance de la communauté dans le processus électoral soit préservée et que les élections elles-mêmes se déroulent d'une manière régulière et efficace. Il n'appartient pas à la Cour de reconsidérer la décision du conseil de bande ou du MAIN ou de substituer sa décision à la leur. Il n'y avait rien de déraisonnable, et certainement rien de manifestement déraisonnable, dans la manière dont ils ont résolu cette affaire.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Les parties auront toute liberté de s'adresser à la Cour sur la question des dépens.

                                                                                 _ James Russell _                     

                                                                                                     Juge                               

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad.as.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-717-04

INTITULÉ :                                        LORETTA PETE c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

CANADA ET LE CONSEIL DE BANDE DE LA

PREMIÈRE NATION CARRY THE KETTLE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  REGINA (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

E.F. Anthony Merchant, c.r.                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Karen Jones                                                                              POUR LE DÉFENDEUR (le PGC)

Douglas J. Kovatch, c.r.                                                            POUR LE DÉFENDEUR(LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION CARRY THE KETTLE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group                           

Regina (Saskatchewan)                                                              POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR (le PGC)

Olive Waller Zinkhan & Waller

Regina (Saskatchewan)                                                              POUR LE DÉFENDEUR (LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION CARRY THE KETTLE)


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