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Date : 20191211


Dossier : IMM‑6508‑18

Référence : 2019 CF 1586

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2019

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

KE ZENG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  En 2014, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] a été modifiée pour porter de deux à cinq ans la période d’interdiction de territoire pour fausses déclarations. Le législateur a également ajouté une nouvelle interdiction de présenter une demande de résidence permanente pendant cette période. La question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la nouvelle période plus longue s’applique aux personnes qui ont été jugées interdites de territoire avant l’entrée en vigueur des modifications.

[2]  Ke Zeng a fait de fausses déclarations en affirmant que son mariage à une citoyenne canadienne était authentique afin d’obtenir le statut de résident permanent. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) l’a déclaré interdit de territoire. La SAI a pris une mesure d’exclusion contre M. Zeng en 2014 avant l’entrée en vigueur des modifications, mais cette mesure a été exécutée après l’entrée en vigueur des modifications, de sorte que la période d’interdiction de territoire a commencé à courir après cette date. Quelle période s’applique en l’espèce, celle de deux ans ou celle de cinq ans?

[3]  Un agent d’immigration, se fondant sur un bulletin opérationnel relatif aux modifications, a conclu que la période d’interdiction de territoire de cinq ans et l’interdiction de présenter une demande s’appliquaient et a jugé que la nouvelle demande de résidence permanente de M. Zeng avait fait l’objet d’un retrait. M. Zeng a initialement reconnu que la période de cinq ans s’appliquait; toutefois, il conteste maintenant cette décision, affirmant que la période de deux ans s’applique et qu’il n’est plus interdit de territoire.

[4]  Il n’existe aucune disposition transitoire qui aide à déterminer quelle période d’interdiction de territoire s’applique. L’intention du législateur doit donc être évaluée en fonction des principes habituels d’interprétation des lois. En appliquant ces principes, et en particulier la présomption à l’encontre de l’application rétroactive de la loi, je conclus que la période d’interdiction de territoire de deux ans s’appliquait à M. Zeng et que le retrait réputé de sa demande était une erreur. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et la demande de statut de résident permanent de M. Zeng est renvoyée pour examen sur le fond.

II.  Fausses déclarations, exclusion et nouvelle demande de M. Zeng

[5]  M. Zeng est un citoyen de la Chine. Il a épousé une citoyenne canadienne en 2005, qui l’a parrainé afin qu’il obtienne le statut de résident permanent, statut qu’il a obtenu en 2007. Ils ont divorcé en 2009.

[6]  En 2012, la Section de l’immigration (la SI) de la CISR a conclu que le premier mariage de M. Zeng était un mariage de complaisance et a déclaré M. Zeng interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, qui est libellé ainsi :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[…]

[…]

[7]  L’alinéa 40(2)a) de la LIPR précise la période d’interdiction de territoire qui découle d’une conclusion de fausses déclarations. Au moment où M. Zeng a été déclaré interdit de territoire, cette période se poursuivait pendant deux ans à compter de la date d’exécution de la mesure de renvoi :

Application

Application

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

(2) The following provisions govern subsection (1):

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

[Je souligne.]

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced;

[Emphasis added.]

[8]  En 2014, trois choses qui revêtent de l’importance quant à la présente demande se sont produites. Premièrement, après un second mariage non pertinent pour les besoins de la présente affaire, M. Zeng a eu un enfant au Canada avec une citoyenne canadienne et ils se sont mariés en mai 2014.

[9]  Deuxièmement, en septembre 2014, la SAI a rejeté l’appel interjeté par M. Zeng contre la décision d’interdiction de territoire de la SI et a pris une mesure d’exclusion contre lui. Une mesure d’exclusion est l’un des trois types de mesures de renvoi prévues par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR] : RIPR, art. 223 et 225.

[10]  Troisièmement, le 21 novembre 2014, les dispositions de la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16 [la LARCE], qui modifiaient l’article 40 de la LIPR, sont entrées en vigueur. Ces modifications ont fait passer la période de deux ans prévue à l’alinéa 40(2)a) à cinq ans (tout en laissant l’alinéa par ailleurs inchangé) et ont ajouté un nouveau paragraphe (3) qui interdit de demander le statut de résident permanent pendant la période d’interdiction de territoire :

Interdiction de territoire

Inadmissible

(3) L’étranger interdit de territoire au titre du présent article ne peut, pendant la période visée à l’alinéa (2)a), présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent.

(3) A foreign national who is inadmissible under this section may not apply for permanent resident status during the period referred to in paragraph (2)(a).

[11]  M. Zeng a quitté le Canada le 22 mai 2015. Par application de l’alinéa 240(1)c) du RIPR, cette date est devenue la date d’exécution de la mesure d’exclusion prise contre lui. Elle a donc marqué le début de la période d’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 40(2)a).

[12]  En novembre 2017, M. Zeng a de nouveau demandé la résidence permanente au Canada, parrainé par sa troisième épouse. Dans la lettre de présentation déposée avec la demande de résidence permanente, le représentant de M. Zeng a déclaré que M. Zeng était assujetti à la période d’interdiction de territoire de cinq ans prévue au nouvel alinéa 40(2)a) et ne pouvait demander le statut de résident permanent pendant cette période en vertu du nouveau paragraphe 40(3). Toutefois, M. Zeng a demandé la délivrance discrétionnaire d’une autorisation de revenir au Canada (ARC), invoquant son mariage actuel et l’intérêt supérieur de son jeune fils.

[13]  Après enquête, un agent d’immigration a été convaincu que le mariage était authentique. Il semble que l’agent a d’abord cru qu’il était possible d’obtenir une ARC. Toutefois, après un examen plus approfondi du Bulletin opérationnel 595 [BO 595] et un renvoi à ce document, l’agent a conclu que M. Zeng ne pouvait pas demander le statut de résident permanent et qu’il ne pouvait pas obtenir une ARC en raison de la période d’interdiction de territoire de cinq ans et de l’interdiction connexe de présenter une demande pendant cette période. La demande a donc été considérée comme retirée. Pour en arriver à cette conclusion, l’agent n’a pas tenu compte des circonstances d’ordre humanitaire et n’a pas traité la demande de M. Zeng comme une demande présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR pour obtenir une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[14]  Bien que son représentant ait initialement reconnu que la période d’interdiction de territoire de cinq ans s’appliquait, M. Zeng soutient dans cette demande que seule la période d’interdiction de territoire de deux ans devrait s’appliquer et qu’il n’est plus interdit de territoire. Le ministre considère ce changement de position comme une indication du bien­fondé et de la « teneur générale » de la demande, mais il ne soutient pas que M. Zeng est interdit de faire valoir cette question par application du principe de préclusion. Le ministre convient plutôt que, si la période d’interdiction de territoire de deux ans s’applique en droit, il incombait à l’agent de l’appliquer à M. Zeng, quelle que soit la position prise dans sa lettre de présentation.

III.  L’applicabilité de la période d’interdiction de territoire de cinq ans

A.  La norme de contrôle

[15]  M. Zeng soutient que la norme de contrôle de la décision correcte devrait s’appliquer à la question de savoir quelle période d’interdiction de territoire s’applique. M. Zeng cite la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 181, qui portait sur la question de savoir quelle version d’un article modifié du RIPR, l’ancienne ou la nouvelle, s’appliquait. Bien que la Cour d’appel ait finalement conclu qu’il importe peu que l’on applique la version originale ou la version modifiée, elle a conclu que la norme de la décision correcte s’appliquait à la question, puisqu’il s’agissait d’une pure question de droit qui ne relevait pas des compétences spécialisées de la SAI et qui revêt « une importance générale pour l’ensemble du système juridique », auquel cas il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue relativement à la décision : Begum, par. 35 et 39.

[16]  La Cour suprême du Canada a indiqué que la catégorie des « questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui se situent hors du domaine d’expertise du décideur » qui attirent la norme de la décision correcte « restent rares et se limitent le plus souvent à des situations qui mettent en cause la “cohérence de l’ordre juridique fondamental du pays” » : Commission scolaire de Laval c Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, par. 32 et 34. Néanmoins, la Cour d’appel dans l’arrêt Begum a conclu que la question de l’application rétroactive ou rétrospective d’une disposition modifiée du RIPR entre dans cette catégorie.

[17]  Le ministre admet que, s’il s’agit d’évaluer l’effet rétrospectif ou rétroactif des modifications apportées à la LIPR, alors l’arrêt Begum indique que la norme de la décision correcte s’applique. Toutefois, le ministre soutient que cette question ne se pose pas, puisque l’agent a simplement appliqué le droit aux faits, ce qui emporte l’application de la norme de la décision raisonnable.

[18]  Je juge que, pour établir si M. Zeng est actuellement interdit de territoire, c’est­à­dire s’il a fait l’objet d’une interdiction de territoire pour une période de deux ans ou de cinq ans, je dois nécessairement décider quelle version de l’article 40 de la LIPR s’applique à sa situation. Comme cette question est effectivement identique à celle soulevée dans l’arrêt Begum, je conclus que celui‑ci s’applique et que je suis donc tenu d’examiner la question selon la norme de la décision correcte.

[19]  Je constate que l’agent n’a pas fourni les motifs de sa décision d’appliquer la période d’interdiction de territoire de cinq ans, autre que l’application du BO 595. Il n’y a donc pas grand‑chose à quoi s’en remettre sur le plan de l’analyse, même si la norme de la décision raisonnable devait être appliquée. Bien que le contenu du BO 595 puisse être considéré comme les « motifs » de la décision de l’agent, il ne fournit pas de motifs quant à l’approche adoptée à l’égard des cas transitoires. Il énonce simplement une règle et une série de scénarios transitoires à l’intention des agents.

B.  Le bulletin opérationnel 595

[20]  Le BO 595 est intitulé « Entrée en vigueur du projet de loi C‑43 : période d’interdiction de territoire pour fausses déclarations passant de deux à cinq ans pour les résidents temporaires et les résidents permanents ». Il s’agit d’un document interne préparé par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à l’intention des agents d’immigration pour expliquer les modifications apportées à l’article 40 de la LIPR par la LARCE. M. Zeng a déposé une preuve indiquant que le BO 595 n’est généralement pas accessible au public, bien que le ministre ait déposé une copie du bulletin dans le cadre de la présente instance.

[21]  Le BO 595 énonce les dispositions législatives et donne des instructions procédurales pour signaler les cas de fausse déclaration et traiter les demandes. Il est particulièrement pertinent en l’espèce de souligner que le BO 595 précise que la durée applicable de la période d’interdiction de territoire pour les personnes se trouvant au Canada est déterminée par la date à laquelle la mesure de renvoi est exécutée :

Période d’interdiction de territoire

Pour les personnes interdites de territoire pour fausses déclarations au Canada, la période d’interdiction de territoire commence à la date de l’exécution de la mesure de renvoi. Si cette dernière est exécutée le 21 novembre 2014 ou à une date postérieure, la période d’interdiction de territoire est de cinq ans, tout comme la période d’interdiction de présenter une demande de résidence permanente. Si la mesure de renvoi est exécutée le 20 novembre 2014 ou à une date antérieure, la période d’interdiction de territoire est de deux ans, et il n’y a pas d’interdiction de présenter une demande de résidence permanente.

[Soulignement ajouté; en gras dans l’original.]

[22]  Le BO 595 présente un scénario de cas transitoires, dont l’un décrit la situation de M. Zeng :

  La Section de l’immigration a établi qu’un étranger au Canada était interdit de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa L40(1)a) le 15 novembre 2014. La mesure de renvoi est exécutée le 23 novembre 2014.

  Le 20 novembre 2014 ou avant : Même si la Section de l’immigration a rendu sa décision avant le 20 novembre 2014, la mesure de renvoi a été exécutée après le 21 novembre 2014. La période d’interdiction de territoire est donc de cinq ans.

[23]  L’agent qui a examiné la demande de M. Zeng a conclu qu’il était interdit de territoire et qu’il ne pouvait demander la résidence permanente en vertu de l’alinéa 40(2)a) et du paragraphe 40(3) de la LIPR et de l’application du BO 595.

C.  Interprétation des lois, rétroactivité et rétrospectivité

[24]  Trancher la question de savoir si la période d’interdiction de territoire de cinq ans et l’interdiction de présenter une demande qui en découle s’appliquent à M. Zeng est un exercice d’interprétation de la LIPR et de la LARCE. Il faut procéder à cet exercice en appliquant le principe moderne d’interprétation législative, lequel veut qu’il « faille lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » : Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, par. 23, citant EA Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. Toronto, Butterworths, 1983, p. 87. Cette lecture peut être guidée par des présomptions concernant l’intention du législateur dans la rédaction de la loi, comme les présomptions à l’encontre de l’application rétroactive et rétrospective des lois pertinentes en l’espèce : Driedger (1983), p. 183 et 185; R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., LexisNexis Canada, 2014) (QL), §§ 15.1 et suivantes, 25.25.

[25]  Bien que les expressions soient parfois confondues, la différence entre une loi « rétroactive » et une loi « rétrospective » peut s’expliquer par référence à l’article du professeur Driedger : « Statuts Retroactive Retroactive Retrospective Reflections » (1978), 56 R. du B. can. 264, p. 268‑269 :

[traduction]
Une loi rétroactive est une loi qui s’applique à une époque antérieure à son adoption. Une loi rétrospective ne dispose qu’à l’égard de l’avenir. Elle vise l’avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l’égard d’événements passés. Une loi rétroactive agit à l’égard du passé. Une loi rétrospective agit pour l’avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu’elle attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un événement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi. Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu’elle était; une loi rétroactive rend la loi différente de ce qu’elle serait autrement à l’égard d’un événement antérieur.

[Soulignements ajoutés; italique dans l’original.]

La Cour d’appel fédérale a adopté cette distinction dans Bell Canada c Amtelecom Limited Partnership, 2015 CAF 126, par. 18; voir aussi Sullivan, §§25.16‑25.18, 25.25 et 25.76.

[26]  En l’espèce, rien n’indique que les modifications apportées à la LIPR s’appliqueraient de façon à modifier l’effet juridique antérieur d’une situation survenant entièrement dans le passé, par exemple en imposant une nouvelle période d’interdiction de territoire à une personne dont la période de deux ans était déjà écoulée. La question porte plutôt sur l’application de la loi à l’avenir et l’imposition éventuelle de nouveaux résultats à l’égard d’un événement passé. Il s’agit donc d’une question de rétrospectivité potentielle plutôt que de rétroactivité.

[27]  En ce qui concerne l’interprétation des lois, il existe une présomption selon laquelle une loi qui entraîne des conséquences préjudiciables, comme une nouvelle peine, une nouvelle incapacité ou une nouvelle obligation, n’est pas censée avoir un effet rétrospectif, bien que cette présomption ne soit pas aussi forte que la présomption de non‑rétroactivité : Driedger (1978), p. 266‑268, 276; Tran, par. 43; Gustavson Drilling (1964) Ltd c Ministre du Revenu national, [1977] 1 RCS 271, p. 279; Canada (Procureur général) c Almalki, 2016 CAF 195, aux par. 28‑34.

D.  La présomption du caractère non rétrospectif est‑elle pertinente?

[28]  M. Zeng soutient que l’application de la version modifiée de l’article 40 de la LIPR à son cas donnerait à tort un effet rétrospectif aux modifications. M. Zeng renvoie à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Tran à l’appui du principe selon lequel les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétrospective à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément : Tran, par. 43. Le ministre soutient que la présomption ne s’applique pas, puisque M. Zeng n’a pas le droit acquis de faire examiner sa nouvelle demande sous le régime des anciennes dispositions de la LIPR.

[29]  Dans l’arrêt Tran, la Cour a examiné l’incidence d’une modification apportée à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, qui a fait passer de 7 ans à 14 ans d’emprisonnement la peine maximale pour une infraction de production d’une substance désignée. Cette augmentation a fait en sorte que la peine d’emprisonnement maximale pour l’infraction devenait supérieure au seuil de 10 ans prévu à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR pour « grande criminalité ». La question était de savoir si cette peine accrue avait fait en sorte que M. Tran était interdit de territoire pour grande criminalité, même si la peine maximale inférieure s’appliquait lorsqu’il avait commis l’infraction.

[30]  La juge Côté, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour suprême, a conclu que la peine d’emprisonnement maximale prévue à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR doit être déterminée au moment de la commission de l’infraction. La juge Côté a fait référence à l’obligation prévue dans la LIPR qu’a le résident permanent de se conformer à la loi, et à l’importance d’informer à l’avance le résident permanent de ces obligations : Tran, par. 40‑42. Au moment où M. Tran a commis son infraction, il ne s’agissait pas d’un acte de « grande criminalité » au sens de la LIPR. Pour que tout changement à cette définition s’applique à M. Tran, il faudrait un libellé clair, comme la juge Côté l’a dit au paragraphe 42 :

Bien que le législateur puisse changer de position au sujet de la gravité d’un crime, il ne peut changer les obligations mutuelles entre les résidents permanents et la société canadienne sans le faire clairement et sans équivoque. Il ne l’a pas fait. Il faut plutôt interpréter l’al. 36(1)a) d’une manière qui respecte ces obligations mutuelles. Le droit de demeurer au Canada est conditionnel, mais il dépend du respect des obligations qui peuvent être connues. Par conséquent, la date pertinente pour évaluer la grande criminalité dont il est question à l’al. 36(1)a) est la date de la commission de l’infraction, et non la date de la décision quant à l’interdiction de territoire.

[En italiques dans l’original.]

[31]  Aux paragraphes 43 à 45 de Tran, la juge Côté a également conclu que la présomption du caractère non rétrospectif s’appliquait pour appuyer sa conclusion :

La présomption du caractère non rétrospectif confirme la justesse de cette conclusion. Bien que je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle l’al. 11i) de la Charte ne s’applique pas à la décision du délégué du ministre, parce que la procédure n’est ni criminelle ni pénale, la présomption du caractère non rétrospectif est une règle d’interprétation législative applicable dans la présente affaire. Cette présomption vise à protéger les droits acquis et à éviter une modification de la loi qui découle d’un regard [traduction] « orient[é] vers le passé et [qui] joi[gne] de nouvelles conséquences préjudiciables à une transaction complétée » [...] Selon cette présomption, « les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation » [...]

La présomption du caractère non rétrospectif fait intervenir la primauté du droit. Comme le lord Diplock l’a expliqué, la primauté du droit [traduction] « exige qu’un citoyen, avant d’adopter une ligne de conduite, puisse connaître à l’avance les conséquences qui en découleront sur le plan juridique » [...] Comme la Cour l’a expliqué dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70, la primauté du droit « assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités ».

La présomption du caractère non rétrospectif est également un signe d’équité [...] Par exemple, les juges qui déterminent une peine doivent tenir compte des conséquences en matière d’immigration [...] Adopter une nouvelle conséquence indirecte après le prononcé de la peine, conséquence qui aurait été pertinente avant le prononcé, soulèverait des questions d’équité. Comme M. Tran le fait remarquer, un résident permanent déclaré coupable de production de marihuana il y a 25 ans se retrouverait soudainement interdit de territoire des années après avoir purgé sa peine. Un tel résultat irait non seulement à l’encontre de l’équité et de la primauté du droit, mais minerait également la décision du juge chargé de la détermination de la peine qui a façonné, il y a plusieurs décennies, une peine appropriée sans savoir qu’il y aurait des conséquences additionnelles quant à la déportation.

[Soulignements ajoutés; en italiques dans l’original; quelques citations omises.]

[32]  Le ministre cite le renvoi de la juge Côté à l’objet de la présomption comme étant de « protéger les droits acquis », et soutient que la présomption n’a aucune application en l’espèce. Le ministre invoque la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Austria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191, au par. 76 (sub nom. Tabingo c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCF 346) pour affirmer que M. Zeng avait le droit de demander la résidence permanente et de voir sa demande examinée conformément à la LIPR, mais qu’il n’avait toutefois pas acquis un droit à ce que sa nouvelle demande soit traitée sous le régime des dispositions de la LIPR en vigueur à la date d’exécution de la mesure d’exclusion. Le ministre cite également le principe général selon lequel personne n’a le droit acquis de se prévaloir de la loi telle qu’elle existait par le passé : Gustavson Drilling, p. 282.

[33]  Je ne peux pas accepter l’affirmation du ministre selon laquelle la présomption du caractère non rétrospectif ne s’applique pas du tout.

[34]  Premièrement, la présomption du caractère non rétrospectif est une présomption interprétative différente de la présomption contre l’atteinte aux droits acquis. Bien qu’il y ait des chevauchements conceptuels – comme les motifs de la juge Côté dans Tran l’indiquent – les deux sont des présomptions distinctes. Comme l’a fait remarquer la juge Gauthier de la Cour d’appel fédérale, « la présomption contre l’atteinte aux droits acquis est distincte de celles de non‑rétroactivité ou de non‑rétrospectivité et n’a pas le même poids » : Almalki, aux par. 31 et 34; voir aussi Driedger (1983), p. 185‑187, une discussion citée dans l’arrêt Tran. Comme l’a écrit la juge Côté, la présomption du caractère non rétrospectif soulève des questions de primauté du droit et d’équité en plus de la simple protection des droits acquis : Tran, par. 44‑45.

[35]  Même dans l’affaire Gustavson Drilling sur laquelle le ministre s’appuie, la présomption contre l’atteinte aux droits acquis a été abordée séparément de la présomption du caractère non rétrospectif : Gustavson Drilling, p. 279‑282; Tran, par. 43. Notamment, la proposition selon laquelle on doit s’attendre à ce que la loi change à l’occasion a été soulevée dans Tran, mais elle n’a pas empêché la Cour d’appliquer la présomption du caractère non rétrospectif : Tran, aux par. 42‑43. De même, dans Austria, la Cour d’appel a fait remarquer que les arguments des appelants concernant les droits acquis reposaient principalement sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Dikranian, une décision qui a aussi souligné la distinction entre droits acquis et rétroactivité : Dikranian c Québec (Procureur général), 2005 CSC 73, aux par. 29‑31; Austria, au par. 75.

[36]  Deuxièmement, une loi rétrospective attribue de nouvelles conséquences à un événement antérieur à son adoption : Driedger (1978), p. 276. Que l’« événement » soit une fausse déclaration ou la prise d’une mesure d’exclusion découlant d’une fausse déclaration, il a eu lieu avant l’entrée en vigueur des modifications apportées à la LIPR. L’application de ces modifications imposerait une nouvelle conséquence défavorable sous la forme d’une période d’interdiction de territoire plus longue.

[37]  Il ne s’agit donc pas simplement d’appliquer la loi actuelle à une nouvelle demande de résidence permanente. La raison pour laquelle la nouvelle loi pourrait empêcher une nouvelle demande est qu’elle impose des conséquences (une période d’interdiction de territoire et d’interdiction de présenter une demande) à l’égard d’un événement (la fausse déclaration et l’exclusion qui en découle). Si l’événement en question s’est produit avant l’entrée en vigueur du texte, l’application des nouvelles conséquences donnerait au texte un effet rétrospectif.

[38]  Bien que le législateur puisse certainement adopter une loi à cet effet, il est présumé qu’il n’avait pas l’intention de le faire à moins que « le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation » : Tran, au par. 43. En fait, si l’on acceptait l’argument du ministre selon lequel un demandeur n’a droit qu’au traitement de sa nouvelle demande de résidence permanente conformément au nouvel article 40, un demandeur dont la période d’interdiction de territoire de deux ans a commencé avant l’adoption du texte législatif – ou a même expiré – serait toujours visé par une interdiction de territoire et une interdiction de présenter une demande de cinq ans, ce que le ministre reconnaît ne pas être le cas.

[39]  Troisièmement, la question de la rétrospectivité dans les décisions Tran, Gustavson Drilling et Austria tournait en fin de compte autour de la question de savoir si le législateur avait manifesté son intention que la nouvelle loi s’applique : Tran, aux par. 48‑51; Gustavson Drilling, p. 279‑281; Austria, aux par. 76‑78. Dans l’arrêt Austria, par exemple, la Cour d’appel n’a pas jugé la présomption non pertinente en raison de l’absence de droits acquis. La Cour a plutôt reconnu la présomption et le fait que les modifications avaient un effet rétrospectif, mais elle a conclu aux paragraphes 77 et 78 que la loi était suffisamment claire pour réfuter la présomption :

Le Parlement a le pouvoir de promulguer des lois régissant l’immigration et de les modifier. Il a aussi le pouvoir de promulguer des lois ayant un effet rétroactif, sous réserve d’une présomption de non‑rétroactivité, qui ne pourra être écartée qu’en présence d’un libellé n’autorisant aucune autre possibilité [...]

J’ai déjà conclu, pour les motifs exposés précédemment, que le paragraphe 87.4(1) de la LIPR est libellé de manière suffisamment claire pour mettre fin rétroactivement aux demandes des appelants. Cela permet de distinguer la présente espèce de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dikranian [...] 

[Je souligne; citations omises.]

[40]  Je conclus donc que la présomption relative à la non‑rétrospectivité d’une loi est pertinente, et la question devient double : la loi aurait‑elle une portée rétrospective et, dans l’affirmative, le texte de la loi décrète‑t‑il expressément ou n’exige‑t‑il implicitement une telle portée?

E.  L’application de la période de cinq ans donnerait aux modifications un effet rétrospectif

[41]  Le ministre soutient, conformément au BO 595, que la date pertinente pour évaluer la période d’interdiction de territoire est la date d’exécution. Étant donné que la période d’interdiction de territoire ne commence pas à courir avant la date d’exécution, le ministre soutient qu’il n’existe pas de droit acquis à une période de deux ans avant que cette période commence à courir. La période de cinq ans devrait donc s’appliquer à toute mesure d’interdiction de territoire prise après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce qui ne constitue pas une application rétrospective.

[42]  Je ne suis pas d’accord. Comme indiqué précédemment, la présomption du caractère non rétrospectif se distingue de la présomption contre l’atteinte aux droits acquis. Quoi qu’il en soit, le ministre n’a cité aucun précédent appuyant la proposition selon laquelle il existe un droit acquis à une conséquence particulière qui n’est créé que lorsque cette conséquence commence à être exécutée.

[43]  Une loi a un effet rétrospectif si elle impose de nouvelles conséquences à un événement survenu avant son adoption. L’« événement » auquel la LIPR rattache les conséquences de l’interdiction de territoire est la décision selon laquelle il y a eu fausses déclarations, et non l’exécution de la mesure d’exclusion qui en résulte. La mesure d’exclusion prend effet lorsqu’elle est prise, même si elle peut être exécutée ultérieurement : LIPR, art. 48 et 49; RIPR, art. 237 et 240. Un résident permanent est interdit de territoire à compter de la conclusion de fausses déclarations. Bien que la période d’interdiction de territoire se poursuive pendant une période définie qui commence à la date de l’exécution, ce n’est pas l’exécution qui impose la conséquence.

[44]  Je conclus donc que l’application de la période d’interdiction de territoire de cinq ans à un étranger déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations et visé par une mesure de renvoi avant le 21 novembre 2014 équivaudrait à l’application rétrospective des modifications apportées à l’article 40 de la LIPR. Ayant tiré cette conclusion, la question est de savoir si le législateur entendait que cette application soit rétrospective.

F.  La loi ne réfute pas la présomption

[45]  « [L]es lois ne s’appliquent rétrospectivement que lorsque le législateur a clairement indiqué qu’il a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et l’iniquité potentielle, d’autre part. Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets » : Tran, au par. 49. Je ne vois rien dans la LIPR ou dans la LARCE qui indique clairement que le législateur avait l’intention d’appliquer la période d’interdiction de territoire de cinq ans aux personnes visées par des mesures de renvoi pour fausses déclarations prises avant son entrée en vigueur, et rien qui aurait pour effet de réfuter la présomption du caractère non rétrospectif.

[46]  Bien que la LARCE contienne un certain nombre de dispositions transitoires, aucune ne se rapporte à l’article 40 de la LIPR : art. 28 à 35 de la LARCE. Quatre de ces dispositions prévoient que les nouveaux articles de la LIPR relatifs à la sécurité nationale s’appliquent immédiatement et peuvent même s’appliquer aux ordonnances ou certificats déjà délivrés : art. 30, 31, 34, 34 et 35 de la LARCE. Trois d’entre elles indiquent que l’ancienne version de la LIPR continuera de s’appliquer aux demandes fondées sur des motifs humanitaires en cours ou aux droits d’appel : art. 29, 32 et 33 de la LARCE. L’absence d’une disposition transitoire relative à l’article 40 ne permet guère de déduire quoi que ce soit, si ce n’est que le législateur a clairement voulu appliquer rétrospectivement les dispositions relatives à la sécurité nationale en particulier, et a introduit des dispositions transitoires claires en ce sens.

[47]  Les modifications apportées à l’article 40 ne sont pas de cette nature. Elles semblent plutôt conçues pour dissuader davantage les demandes frauduleuses en imposant des conséquences plus sévères suivant une conclusion de fausses déclarations, voir, p. ex. : DORS/2014‑269, Gazette du Canada, Partie II, vol. 148, no 25, 3 décembre 2014, p. 3084 (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation). Il ne peut y avoir de nouvelle « dissuasion » d’un comportement qui est chose du passé, ce qui laisse entendre une application non rétrospective des modifications : voir Tran, par. 41‑43.

[48]  En outre, je ne vois rien dans la loi qui indiquerait une intention d’imposer la « rétrospectivité partielle » décrite par le BO 595 et défendue par le ministre, soit d’ajouter trois ans d’interdiction de territoire pour ceux dont la mesure d’exclusion est en vigueur, mais n’a pas encore été exécutée, sans toutefois le faire pour ceux dont la mesure d’exclusion a été exécutée, mais dont la période d’interdiction de territoire n’a pas encore expiré.

[49]  Cette approche aurait pour effet d’imposer une période d’interdiction de territoire plus longue aux personnes dont la mesure d’exclusion n’est pas encore exécutoire, peu importe la raison. Dans certains cas, la période d’interdiction de territoire peut ne pas avoir commencé à courir en raison, en tout ou en partie, de l’exercice d’un droit d’appel prévu par la loi. C’est le cas de M. Zeng, qui a été visé par une mesure d’exclusion pour la première fois par une ordonnance de la SI en novembre 2012, et dont l’appel n’a été tranché que peu avant l’entrée en vigueur des modifications. Il faudrait un libellé législatif clair pour imposer une conséquence défavorable supplémentaire dans un tel cas.

[50]  L’approche du BO 595 aurait pu, comme le ministre le suggère, inciter les personnes visées par une mesure d’exclusion à quitter le pays pour déclencher la période d’interdiction de territoire et éviter une période plus longue. Toutefois, cet incitatif ne s’appliquerait qu’à ceux qui étaient au courant des modifications prévues et qui comprenaient qu’elles s’appliqueraient à leur mesure d’exclusion. Rien n’indique que le législateur avait l’intention de viser cette catégorie particulière de personnes; au contraire, l’intention semble avoir été de dissuader les fausses déclarations futures.

[51]  En l’absence de toute indication dans la loi que les modifications apportées à l’article 40 par la LARCE visaient à s’appliquer rétrospectivement, je conclus que la période d’interdiction de territoire imposée par une mesure d’exclusion pour fausses déclarations avant le 21 novembre 2014 demeure de deux ans, que cette mesure ait été ou non exécutée avant ou après cette date.

[52]  Je fais remarquer qu’en appliquant strictement les principes de l’arrêt Tran, on pourrait conclure que la période d’interdiction de territoire de deux ans devrait s’appliquer chaque fois que de fausses déclarations ont été faites avant la modification de la loi, considérant que cela revient au « moment de la commission de l’infraction » : Tran, aux par. 35‑41.

[53]  Je n’ai pas à trancher cette question en l’espèce, car les fausses déclarations de M. Zeng et la mesure d’exclusion qui en a découlé sont antérieures aux modifications. Toutefois, il y a deux raisons principales pour lesquelles je ne crois pas que ce soit la bonne interprétation. Premièrement, dans l’arrêt Tran, la juge Côté a reconnu que le libellé déclencheur de la LIPR était la date de la déclaration de culpabilité plutôt que la date de la commission de l’infraction. Seule l’application de l’alinéa 11i) de la Charte rendait pertinente la date de la commission de l’infraction, puisque la peine maximale imposée en cas de déclaration de culpabilité est celle en vigueur au moment de l’infraction : Tran, aux par. 36‑38. Deuxièmement, il se peut qu’une fausse déclaration ne soit pas découverte avant de nombreuses années, ce qui entraînerait à la fois une période de « transition » potentiellement longue et un débat inutile sur le moment où une fausse déclaration a été faite. La date de la mesure d’exclusion qui impose la conséquence de l’interdiction de territoire fixe une date précise pour évaluer la durée de la conséquence, même si l’exécution ne peut avoir lieu qu’un certain temps après. La préoccupation relative à la rétrospectivité est donc atténuée.

[54]  Si je devais trancher la question, je conclurais donc que la date pertinente pour évaluer la période d’interdiction de territoire applicable pour fausses déclarations est la date de la mesure d’exclusion, plutôt que la date de la fausse déclaration. Autrement dit, les mesures d’exclusion prises le 21 novembre 2014 ou après imposent une conséquence d’interdiction de territoire qui se poursuit pendant une période de cinq ans à compter de la date d’exécution; celles prises avant le 21 novembre 2014 imposent une conséquence d’interdiction de territoire qui se poursuit pendant une période de deux ans à compter de la date d’exécution.

IV.  Conclusion

[55]  La mesure d’exclusion à l’encontre de M. Zeng a été prise avant l’entrée en vigueur des modifications apportées à l’article 40 de la LIPR. La conséquence de cette mesure d’exclusion au moment où elle a été prise était que M. Zeng était interdit de territoire et le demeurerait pour une période de deux ans à compter de la date d’exécution de la mesure. Bien que les conséquences d’une mesure d’exclusion pour interdiction de territoire aient été renforcées par la suite, je conclus que rien n’indique que le législateur ait voulu que ce renforcement s’applique aux mesures d’exclusion qui avaient déjà été prises, comme celle qui avait été prise contre M. Zeng, qu’elles aient ou non été exécutées.

[56]  M. Zeng est demeuré interdit de territoire jusqu’au 22 mai 2017. Sa demande de résidence permanente déposée le 24 novembre 2017 n’aurait pas dû être considérée comme retirée en raison du maintien de l’interdiction de territoire de M. Zeng et de l’interdiction de présenter une demande pendant cette période. Bien que la décision de l’agent soit compréhensible, compte tenu du BO 595 et de la déclaration de M. Zeng selon laquelle la période d’interdiction de territoire de cinq ans s’appliquait, elle était incorrecte. Cette décision est donc annulée et la demande de résidence permanente de M. Zeng est renvoyée pour que son traitement soit repris.

[57]  Par conséquent, je n’ai pas besoin d’aborder l’argument subsidiaire de M. Zeng selon lequel sa demande d’exercice du pouvoir discrétionnaire équivalait à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne considérant pas la demande comme étant fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la LIPR.

V.  La question à certifier

[58]  Lors de l’audition de la présente demande, M. Zeng m’a demandé de certifier, au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR, une question concernant l’application rétrospective des modifications apportées à l’article 40. En plus de faire remarquer qu’il n’avait pas été avisé conformément aux Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés de la Cour datées du 5 novembre 2018, le ministre a soutenu que la question ne se prêtait pas à la certification.

[59]  Contrairement à la situation dans l’arrêt Begum, la question de savoir si les modifications apportées à l’article 40 s’appliquent à M. Zeng est décisive quant à l’issue de la présente affaire et permettrait de trancher un appel : Begum, aux par. 38‑39. La question va également au‑delà de la cause de M. Zeng, puisque les conclusions qui suivent s’appliqueraient à toute autre personne se trouvant dans la même situation.

[60]  Toutefois, compte tenu de l’approche adoptée jusqu’à présent par le ministre, telle qu’elle est énoncée dans le BO 595, pour que les conclusions de la présente affaire s’appliquent, une personne devrait faire l’objet d’une mesure d’exclusion a) prise avant le 21 novembre 2014; et b) exécutée après cette date mais il y a moins de cinq ans. Bien qu’il y ait sans aucun doute d’autres personnes dans cette catégorie, en reconnaissant le temps qui s’est écoulé depuis les modifications et en soulignant l’opposition du ministre à la certification d’une question, je ne suis pas convaincu que la question atteigne le niveau des questions « ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale », comme l’exige l’alinéa 74d) : Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, au par. 36. Je refuse par conséquent de certifier toute question.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6508‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande de résidence permanente de M. Zeng est renvoyée pour que son traitement se poursuive.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de janvier 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6508‑18

 

INTITULÉ :

KE ZENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juillet 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

Pour le demandeur

 

Neeta Logsetty

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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