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Date : 20020115

Dossier : IMM-875-01

Référence neutre : 2002 CFPI 40

ENTRE :

MICHELLE MIN AH KIM

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-878-01

ET ENTRE :

JENNY HAE HWA KIM

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur


Dossier : IMM-879-01

ET ENTRE :

                                                SAM RACK KIM, JUNG YUL KIM et

STEVEN MYUNG JOON KIM

demandeurs

et

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                                                                                                       

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Sam Rack Kim et Jung Yul Kim sont les parents de Steven Myung Joon Kim, Michelle Min Ah Kim et Jenny Hae Hwa Kim, qui sont maintenant respectivement âgés de 19, 22 et 24 ans. Ces cinq demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision en date du 7 février 2001 par laquelle un agent d'immigration a refusé de recommander qu'ils soient dispensés des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). Cette disposition oblige tout immigrant à demander et à obtenir un visa d'immigrant avant de se présenter à un point d'entrée.


LES FAITS

[2]                 Les demandeurs sont des citoyens de la Corée du Sud qui sont arrivés au Canada en août 1995 munis de visas de visiteurs. En avril 1996, ils ont demandé la résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes. Des permis de travail ont été délivrés aux demandeurs adultes et des permis de séjour pour étudiants ont été remis à leurs trois enfants.

[3]                 La demande de résidence permanente a été refusée en mai 1998 par suite du défaut des demandeurs de produire les documents réclamés par l'agent des visas, et une demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée en mai 2000. En octobre 1999, des avis d'interdiction de séjour ont été signifiés aux demandeurs, et cette mesure a été suspendue en attendant que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire de la décision de les renvoyer du Canada. Cette demande de contrôle judiciaire a été rejetée en juillet 2000.

[4]                 Les demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui sont à l'origine des présentes demandes ont été déposées en septembre 2000. Le renvoi des demandeurs du Canada a de nouveau été suspendu en attendant l'issue de ces demandes de contrôle judiciaire.


[5]                 Il ressort de la correspondance de l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol) que M. et Mme Kim sont recherchés en Corée du Sud, où ils sont accusés de fraude et de violation de la Loi sur le contrôle des chèques illégaux (non honorés ou sans provision). Les crimes qui leur sont reprochés auraient, selon Interpol, été commis entre le 17 août 1995 et le 23 octobre 1995, de même que vers le mois de novembre 1996. M. et Mme Kim se seraient « enfuis » au Canada le 15 août 1995, toujours selon la correspondance d'Interpol.

[6]                 Les motifs invoqués au soutien des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire sont que M. et Mme Kim craignent de subir un traitement cruel et inhumain dans les prisons coréennes en raison des probabilités qu'ils soient incarcérés en Corée s'ils étaient forcés d'y retourner. Pour ce qui est des enfants, les motifs invoqués sont qu'ils craignent que l'on fasse du mal à leurs parents et qu'ils ont peur de se retrouver seuls en Corée si leurs parents sont incarcérés. Les enfants ne se sont jamais retrouvés seuls et ils ne seraient pas en mesure de faire face à une telle situation. Les enfants ne seraient par ailleurs pas en mesure de poursuivre leurs études en Corée, du moins dans un avenir prévisible, parce qu'ils n'y ont jamais fréquenté d'école secondaire et parce que leurs parents n'ont pas les moyens de les inscrire dans des établissements d'enseignement supérieur en Corée.


[7]                 Les prétentions des demandeurs et les pièces qu'ils ont produites pour justifier leur crainte de retourner en Corée ont été transmises à un agent de révision des revendications refusées (l'agent de révision) pour qu'il donne son avis au sujet des risques que présentaient les demandeurs. Le 7 décembre 2000, l'agent de révision a formulé un avis négatif au sujet du risque, ce à quoi les demandeurs ont répondu par l'intermédiaire de leur avocate en soumettant des observations et d'autres pièces justificatives. Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si l'agent de révision a donné ou non un second avis au sujet du risque le 17 janvier 2001 ou s'il s'est contenté de formuler certains commentaires sur les nouvelles observations soumises par les demandeurs comme il lui était loisible de le faire.

LA DÉCISION RELATIVE AUX RAISONS D'ORDRE HUMANITAIRE

[8]                 Après avoir brossé un tableau chronologique des événements, l'agent d'immigration a signalé certains points qui ressortaient de cet exposé chronologique et a déclaré qu'il avait examiné les trois dossiers [TRADUCTION] « à fond et avec bienveillance » , en prêtant en particulier attention à certains des documents énumérés (qui semblaient constituer l'ensemble du dossier de la demande). On trouve ensuite sous la rubrique intitulée [TRADUCTION] « Analyse et décision » le dispositif de la décision de l'agent :

[TRADUCTION]

1.              Il est clair que M. Kim est recherché en Corée pour fraude, détournement de fonds et émission de chèques sans provision. C'est aux tribunaux coréens qu'il appartient de décider s'il est innocent ou coupable de ces infractions et il ne convient pas que les autorités canadiennes de l'immigration influencent le cours de la justice coréenne ou aident volontairement M. Kim à y parvenir.

2.              Dans l'exposé qu'il a fait de son cas, M. Kim a laissé entendre à plusieurs reprises qu'il serait maltraité dans les prisons coréennes. Si M. Kim est innocent des crimes qu'on lui reproche, il n'a aucune raison de s'inquiéter. S'il est coupable, il est normal que les tribunaux coréens utilisent les moyens de contrainte dont ils disposent. L'insistance avec laquelle il évoque les risques de sanction donne fortement à penser qu'il est coupable.

3.              L'évaluation du risque ne concorde pas avec les assertions de M. Kim au sujet du sort qu'il subirait entre les mains de la justice coréenne. L'agent chargé d'évaluer ce risque a toutefois déclaré : [TRADUCTION] « [...] j'estime que les intéressés ne seraient pas condamnés à la réclusion criminelle. »


4.              Les Kim ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour éviter de retourner en Corée et l'invocation de raisons d'ordre humanitaire est le dernier moyen auquel ils ont recouru pour parvenir à ce résultat final.

5.              Il semble que la demande d'établissement qu'ils ont déjà présentée se soit soldée par une décision défavorable parce que des renseignements concernant les crimes n'avaient pas été communiqués par M. Kim. La prétention de leur avocate suivant laquelle la décision était « manifestement déraisonnable et arbitraire » ne me semble pas fondée.

6.              Les Kim sont au Canada depuis quatre ans; ils ont lancé une entreprise et ont fait de leur mieux pour s'intégrer à la société canadienne. Dans leur exposé, ils ont insisté sur la vie de leurs enfants et notamment sur leurs succès scolaires et leur potentiel pour l'avenir. Je ne les considère cependant pas comme des résidents permanents de fait, compte tenu des circonstances et des efforts qu'ils ont déployés pendant toute cette période.

Pour en arriver à cette décision, j'ai tenu particulièrement compte des questions soulevées au sujet de leurs enfants, de leur entreprise et de leur établissement général au Canada.

Toutefois, la question de la criminalité et de la fuite de la Corée pour échapper à la justice est tellement déterminante, et essentielle en fait à tout débat sur la sélection des nouveaux immigrants au Canada, qu'elle doit en fin de compte l'emporter.

Je suis par conséquent d'avis qu'il n'y a pas lieu en l'espèce de dispenser les demandeurs des exigences du paragraphe 9(1) de la Loi et l'établissement au Canada leur est par conséquent refusé.

Je vais informer l'agent chargé des renvois de la présente décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES


[9]                 L'avocate des demandeurs affirme que l'agent d'immigration a commis une erreur en manquant à son obligation d'agir avec équité en tirant des conclusions négatives au sujet de la crédibilité sans avoir reçu M. et Mme Kim en entrevue, en prenant une décision déraisonnable et en manquant à son obligation d'agir avec équité en tirant en obtenant une seconde évaluation négative du risque et en se fondant sur cette évaluation sans aviser les demandeurs de son contenu et sans leur fournir l'occasion d'y répondre. Les demandeurs soutiennent également que l'agent de révision, sur l'avis duquel l'agent d'immigration s'est fondé, a commis une erreur en se méprenant sur la nature des craintes de M. et de Mme Kim, en interprétant mal la preuve, en ne tenant pas compte de la preuve soumise et en se méprenant dans son analyse au sujet des équivalences entre le droit criminel canadien et le droit pénal coréen. En ce qui concerne les enfants, les demandeurs soutiennent que la décision de l'agent d'immigration était déraisonnable parce qu'il n'a pas pris en considération la situation particulière des demandeurs et qu'il a commis une erreur en n'appréciant pas le préjudice auquel ils s'exposeraient s'ils devaient retourner en Corée.

[10]            En réponse, l'avocate du ministre affirme que la décision de l'agent d'immigration était raisonnable et que les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer qu'il a commis une erreur de droit, qu'il a appliqué un principe erroné ou inopportun, a mal interprété la preuve, a ignoré des éléments de preuve ou a autrement agi de mauvaise foi.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[11]            Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux décisions portant sur des raisons d'ordre humanitaire prises en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[12]            Cette norme de contrôle intermédiaire a été explicitée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux paragraphes 56 et 57 dans les termes suivants :

[...] Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

La différence entre « déraisonnable » et « manifestement déraisonnable » réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[13]            Je suis convaincue qu'en dépit des arguments solides et persuasifs qu'a fait valoir l'avocate du ministre, les présentes demandes de contrôle judiciaire doivent être accueillies parce que les motifs invoqués par l'agent d'immigration pour justifier sa décision ne peuvent résister à un examen assez poussé.


[14]            La décision de l'agent reposait sur sa conclusion que [TRADUCTION] « la question de la criminalité et de la fuite de la Corée pour échapper à la justice est tellement déterminante [...] qu'elle doit en fin de compte l'emporter » . Bien que cette conclusion pourrait être raisonnable si elle reposait sur des éléments de preuve appropriés, j'estime qu'en l'espèce, les éléments de preuve sur lesquels cette conclusion était fondée n'étaient pas suffisants.

[15]            Suivant le Shorter Oxford English Dictionary, la « criminalité » est le caractère de ce qui est criminel ou encore un ensemble d'actes criminels. Bien qu'il soit vrai que M. et Mme Kim font l'objet d'accusations au criminel en Corée, comme l'agent d'immigration l'a effectivement signalé, aucun verdict de culpabilité ou d'innocence n'a encore été rendu. La criminalité ne peut donc être présumée ou invoquée.

[16]            Après avoir rappelé que c'était aux tribunaux coréens qu'il appartenait de se prononcer sur la culpabilité ou l'innocence de M. et Mme Kim, l'agent d'immigration a signalé que si M. Kim était innocent des crimes qu'on lui reprochait, il n'avait aucune raison de s'inquiéter et que [TRADUCTION] « [l]'insistance avec laquelle il évoque les risques de sanction donne fortement à penser qu'il est coupable » . En ce qui concerne le caractère raisonnable de cette conclusion, l'agent de révision avait fait remarquer, à la lecture de l'avis sur les risques qui avait été transmis à l'agent d'immigration, que M. et Mme Kim croyaient que, s'ils retournaient en Corée, ils seraient incarcérés sur-le-champ avant même de subir leur procès et qu'ils courraient alors un risque réel d'être torturés ou de faire l'objet d'autres traitements cruels et inhumains et qu'ils n'auraient pas droit à l'application régulière de la loi. Dans son avis sur le risque, l'agent a signalé ce qui suit :


  • ·                        Des sources dignes de foi avaient signalé des cas dans lesquels des policiers avaient soumis des détenus à des violences verbales et physiques, précisant toutefois que le nombre d'incidents de la sorte était à la baisse.
  • ·                        Le ministère public cherchait beaucoup à obtenir des condamnations au moyen d'aveux et, suivant des sources dignes de foi, dans certains cas, les policiers soumettaient parfois des suspects à des violences verbales et physiques, notamment en les battant, en les menaçant ou en les soumettant à de l'intimidation sexuelle au cours de leur arrestation et de leur détention policière, ajoutant toutefois que la fréquence de ce type d'incidents continuait à diminuer.

[17]            Je ne suis pas certaine que la crainte du châtiment implique nécessairement la culpabilité. Toutefois, compte tenu du fait que M. Kim a affirmé craindre d'être détenu avant son procès et vu les éléments de preuve précités tirés de l'avis formulé au sujet du risque qui démontrent que les craintes exprimées par M. Kim sont vraisemblables, je suis convaincue qu'il était déraisonnable de la part de l'agent d'immigration de conclure que la crainte d'être puni laissait fortement penser que M. Kim était coupable.


[18]            Il importe par ailleurs de signaler qu'en février 1999, un rapport avait été établi conformément à l'alinéa 27(2)a) de la Loi sur le fondement du sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) de la Loi, qui déclare non admissibles les personnes « dont il y a des motifs raisonnables de croire » qu'elles ont commis une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans. Le rapport établi en vertu de l'article 27 avait été retiré en 1999 au motif que la documentation existante ne justifiait pas que l'ordre soit donné de se prononcer sur l'existence de motifs raisonnables de croire que les intéressés n'étaient pas admissibles. Bien que l'agent d'immigration ait pris acte du retrait de l'ordre et des motifs justifiant ce retrait, compte tenu des propos qu'il a par ailleurs tenus au sujet des crimes reprochés aux demandeurs et de leur présumée fuite de la Corée pour échapper à la justice, de même que du fait qu'il ne conviendrait pas que les autorités canadiennes de l'immigration influencent le cours de la justice coréenne, j'estime qu'il ne semble pas que l'agent d'immigration ait bien compris les raisons justifiant le retrait du rapport établi en vertu de l'article 27, de même que les conséquences de ce retrait. Le rapport établi en vertu de l'article 27 a été retiré en raison de l'absence de documents justifiant l'ouverture d'une enquête pour déterminer s'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Kim avait commis une des infractions visées par la Loi.

[19]            Sur la question de la fuite de la Corée pour échapper à la justice, l'avocate du ministre a fait valoir que l'agent d'immigration pouvait légitimement conclure que les Kim se soustrayaient à la justice compte tenu du fait que M. et Mme Kim n'étaient pas demeurés en Corée pour régler leurs affaires, et compte tenu du moment de leur arrivée au Canada. L'avocate du ministre a fait observer, en ce qui concerne le choix du moment de leur arrivée au Canada, que dans un délai de moins de deux mois après leur arrivée au Canada, M. et Mme Kim étaient recherchés par les autorités coréennes.


[20]            L'avocate des Kim a appelé l'attention de la Cour sur les affidavits que les Kim ont soumis à l'agent d'immigration avant de déclarer sous serment qu'ils n'avaient appris l'existence des accusations criminelles dont ils faisaient l'objet en Corée qu'après que leur demande de résidence permanente eut été refusée et que, lorsqu'ils ont quitté la Corée, ils croyaient que la vente de leurs actifs leur permettrait de désintéresser tous leurs créanciers légitimes en Corée. L'avocate des Kim soutient que, vu ces éléments de preuve, l'agent d'immigration a manqué à son obligation d'agir avec équité en rejetant ces éléments de preuve sans tenir d'entrevue.

[21]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a fait observer, au paragraphe 33, qu'une audience n'est pas toujours nécessaire pour garantir l'audition et l'examen équitables des questions en jeu. Ce qui est nécessaire, c'est une participation valable au processus décisionnel.

[22]            Les observations écrites de l'avocate des Kim m'ont convaincue que M. et Mme Kim ont eu l'occasion de participer valablement au processus de prise de décision. Il est difficile de voir quels nouveaux éléments d'information auraient pu être présentés au sujet des accusations au criminel si une entrevue leur avait été accordée. Par conséquent, l'absence d'entrevue ne constituait pas en l'espèce un manquement à l'obligation d'agir avec équité.

[23]            Il n'en demeure pas moins que l'agent d'immigration doit tirer ses conclusions en se fondant sur les éléments de preuve portés à sa connaissance.

[24]            Or, il est bien précisé dans la correspondance d'Interpol que les Kim se trouvaient au Canada avant d'être recherchés en Corée, et que les actes qui auraient donné lieu aux accusations criminelles se sont produits avant leur arrivée au Canada. Voilà qui contredit l'hypothèse voulant qu'ils se soient enfuis de Corée pour échapper à la justice.

[25]            Quant au fait que les Kim n'aient pas réglé toutes leurs affaires avant de partir de la Corée, il ressort de leur témoignage non contredit qu'en matière de faillite, en Corée, les actifs sont vendus sous séquestre et que les créanciers sont payés à même le produit de cette vente. Dans ces conditions, je ne vois aucune raison de conclure que M. et Mme Kim étaient chargés de vendre leurs actifs, et j'estime qu'on ne peut raisonnablement tirer une inférence défavorable de leur départ de Corée avant que la procédure de vente ne soit terminée.

[26]            J'estime également que le moment qu'ils ont choisi pour arriver au Canada n'est pas plus compatible avec une fuite de la Corée qu'avec toute autre inférence.


[27]            Pour ces motifs, je conclus que la preuve ne renfermait pas suffisamment d'éléments pour permettre à l'agent d'immigration de conclure que [TRADUCTION] « la question de la criminalité et de la fuite de la Corée pour échapper à la justice » était déterminante au point de l'emporter sur tous les autres facteurs pertinents. Il s'ensuit que la décision de l'agent devrait être annulée de manière à ce qu'une nouvelle décision soit prise en tenant dûment compte de tous les facteurs pertinents.

[28]            J'ai tenu compte du fait que les vues de l'agent d'immigration sur les crimes reprochés à M. et Mme Kim et sur leur fuite de la Corée pour échapper à la justice ne s'appliquaient pas aux demandes des enfants. Toutefois, dans la mesure où l'agent d'immigration a abordé séparément la demande des enfants (ce qu'on ne sait pas avec certitude), il semblerait que l'agent d'immigration ait établi un lien étroit entre la demande des enfants et celle de leurs parents et qu'il ait rejeté la demande des enfants en raison des agissements des parents. Conclure autrement signifierait que la demande des enfants a été rejetée pour la raison quelque peu énigmatique que l'agent d'immigration ne les considérait pas comme [TRADUCTION] « des résidents permanents de fait, compte tenu des circonstances et des efforts qu'ils ont déployés pendant toute cette période » .

[29]            Bien que l'agent d'immigration ne fût pas obligé de citer chacun des moyens invoqués au sujet des enfants, la conclusion laconique [TRADUCTION] « je ne les considère pas comme des résidents permanents de fait » n'est pas suffisante à mon avis pour justifier la retenue judiciaire et ce, parce que je ne sais pas avec certitude ce que cette conclusion veut dire et parce que l'agent n'a invoqué aucun motif qui serait susceptible de résister à un examen quelque peu poussé pour justifier une telle conclusion.


[30]            Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire que j'examine en détail les autres questions soulevées par les demandeurs.

[31]            Les avocates peuvent déposer et signifier toute observation relativement à la certification d'une question de portée générale dans les sept jours de la réception des présents motifs. Chacune des parties disposera d'un délai supplémentaire de trois jours pour déposer et signifier à la partie adverse toute réponse à de telles observations. À la suite de quoi, la Cour rendra une ordonnance accueillant les demandes de contrôle judiciaire et renvoyant l'affaire pour qu'elle soit jugée de nouveau par un autre agent d'immigration.

   

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                             Juge                          

                                                                                                                   

Ottawa (Ontario)

Le 15 janvier 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

Nos DU GREFFE :                   IMM-875-01, IMM-878-01, IMM-879-01

  

INTITULÉ :                             Michelle Min Ah Kim c. M.C.I.

Jenny Hae Hwa Kim c. M.C.I.

Sam Rack Kim et al. c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    5 décembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :           15 janvier 2002

  

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                                               POUR LE DEMANDEUR

Amina Riaz                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                                    POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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