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Date : 20041104

Dossier : T-115-02

Référence : 2004 CF 1558

Ottawa, Ontario, le 4 novembre, 2004

Présente :        L'honorable Johanne Gauthier

ENTRE :

                                                               LENCY TURNER

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                      L'AGENCE DES DOUANES

                                                   ET DU REVENU DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                            Madame Lency Turner demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission des relations de travail de la fonction publique rejetant ses deux griefs, l'un contestant sa suspension et l'autre son licenciement par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (Revenu Canada).

Faits pertinents


[2]                La demanderesse travaillait au Centre fiscal de Jonquière depuis 1983. En 1998 et au début de 1999, Revenu Canada découvre des anomalies dans certains dossiers. En effet, une fonctionnaire identifie des divergences importantes entre les données de Revenu Canada et celles de Revenu Québec. Au fédéral, certains dossiers incluent des déductions pour pension alimentaire ou des réclamations pour handicap qui ne sont pas demandées aux autorités provinciales. Selon l'enquête interne, ces dossiers ont été modifiés pour obtenir des remboursements d'impôt frauduleux.

[3]                            L'analyse des données informatisées indique l'intervention de trois fonctionnaires spécifiques dont madame Turner et son conjoint, Mario Boucher. Ils furent tous trois convoqués le 14 septembre 1999 par madame Gagnon, la directrice du Centre fiscal. À ce moment là, Monsieur Boucher est absent (congé de maladie) et madame Turner rencontre madame Gagnon la première. Après qu'on lui ait expliqué les soupçons qui pèsent contre elle, la demanderesse nie toute implication et indique qu'on a dû lui voler son mot de passe. Elle dit aussi « Je n'ai rien fait, si quelqu'un avoue s'être servi de mon mot de passe, tu devrais me réintégrer[1] » . Madame Turner est suspendue sans solde pendant la durée de l'enquête interne.

[4]                            Ce même jour, dans l'après-midi, monsieur Boucher appelle madame Gagnon et lui avoue que c'est lui seul qui a falsifié ces dossiers et que sa conjointe n'a rien fait.

[5]                            L'enquête interne est complétée et Revenu Canada décide de congédier madame Turner de même que les deux autres fonctionnaires impliqués. La demanderesse conteste cette décision.

[6]                            Lors de l'arbitrage devant la Commission en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail de la Fonction publique L.R.C. 1985 ch. P-35 (la Loi), Revenu Canada présente cinq témoins. Outre madame Gagnon, la défenderesse fait entendre l'enquêteur spécial, monsieur Pelletier, qui examina 393 dossiers dont celui du père (Gratien Turner) et du frère (Dave Turner) de la demanderesse et d'Alain Beaudry, un de ses amis de longue date.[2] Puis, Luc Gauthier, un contribuable, vient admettre avoir été un ami de madame Turner et avoir connu son conjoint lors de rencontres sociales et surtout avoir payé une commission pour son remboursement d'impôt à monsieur Boucher en lui remettant deux chèques, l'un à l'ordre de madame Turner et l'autre à l'ordre de monsieur Boucher.[3] Ensuite, Monsieur St-Laurent, l'enquêteur principal qui interrogea les trois fonctionnaires soupçonnés en septembre 1999, explique le résultat de l'enquête et dépose une copie de son rapport d'enquête (E-9). Finalement, David Burnside, analyste à la sécurité informatique, commente diverses pièces comme la liste des dossiers consultés avec le mot de passe de madame Turner, celle des dossiers consultés à partir de son poste de travail, le type de consultation et la durée de la consultation.

[7]                            De son côté, en plus de témoigner, la demanderesse fait entendre monsieur Boucher et elle dépose diverses pièces afin d'établir la source légitime de certaines entrées de fond de même que le dossier de sa demande de prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23.


[8]                            Dans sa décision, la Commission résume cette preuve et conclut qu'en cours de route et notamment à partir de juin 1996, madame Turner a eu connaissance de certaines activités de Mario Boucher. Elle a gardé le silence et compte tenu de l'ensemble de la preuve et de l'absence de circonstances atténuantes, le licenciement était une sanction justifiée.

Questions en litige

[9]                            Madame Turner soumet que la décision de la Commission doit être cassée pour les motifs suivants :                                          

i)          la Commission a erré en droit quant à la norme de preuve applicable et au fardeau de preuve de l'employeur ;

ii)         la Commission a erré en droit en mettant de côté sans justification valable la décision du Conseil arbitral qui a accueilli sa demande de prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi parce qu'il existait un doute raisonnable quant à sa participation dans cette fraude et qu'il ne pouvait donc conclure qu'il y avait eu inconduite ;


iii)         la conclusion de la Commission à l'effet qu'elle connaissait les agissements de son conjoint, monsieur Boucher, est manifestement déraisonnable ou tout au moins déraisonnable. En effet, elle est fondée sur une mauvaise interprétation de la preuve, particulièrement, la Commission a fait fi ou a mal compris son témoignage sur les points suivants :

a)         l'accès et le visionnement du dossier de son père, Gratien Turner, le 12 juin 1996,

b)         la référence à "Robin des Bois" pour qualifier le comportement de monsieur Boucher,

c)         la relation entre Mario Boucher et le contribuable, Alain Beaudry,

d)          la rencontre avec Alain Beaudry en août 1996 et la conversation au printemps 1999 ;

iv)         la Commission a erré en concluant que le congédiement était justifié car sa décision est fondée entièrement sur des « hypothèses, des conjonctures, des supputations » .

[10]                        Avant l'audience, la Cour avait demandé aux parties de faire des représentations quant à l'absence de transcription des témoignages à l'audience. La demanderesse a alors soumis que la Commission avait effectivement manqué aux principes de justice naturelle parce que l'absence de transcription en l'espèce ne permet pas à la Cour de réviser adéquatement la décision quant aux questions qu'elle soulève.


[11]            À l'audience, la demanderesse a présenté un nouvel argument à l'effet que la Commission a erré en n'examinant pas en détail si la sanction adoptée par l'employeur était justifiée par rapport à l'inconduite de madame Turner. Cet argument n'était pas soulevé dans son mémoire et la défenderesse n'a pas eu l'opportunité d'y répondre. Néanmoins, la Cour est satisfaite que la Commission n'a fait aucune erreur sur ce point. L'analyse ci-dessous inclura donc quelques commentaires à ce sujet.

Analyse

[12]                        La demanderesse argue que la méthode pragmatique et fonctionnelle préconisée par la Cour suprême du Canada dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003]1 R.C.S. 247, commande l'application de la norme de la décision correcte aux deux erreurs de droit et celle de la décision raisonnable simpliciter aux questions iii) et iv) ci-dessus.

[13]                  Selon elle, il est particulièrement significatif que depuis 1993, il n'y a plus de clause privative protégeant les décisions de la Commission. Elle soumet aussi qu'il est clair de la décision elle-même que la Commission n'a aucune expertise particulière quant au fonctionnement des systèmes informatiques de Revenu Canada. Elle indique finalement que les décisions citées par la défenderesse ne doivent pas être suivies car la Cour suprême au Canada a modifié la méthode à suivre dans sa décision dans Ryan, précité.


[14]                        La défenderesse est d'accord sur l'application de la norme de la décision correcte aux questions de droit, mais elle soumet que c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui doit s'appliquer aux autres conclusions de la Commission. À cet égard, elle indique que la Cour est liée par les décisions de la Cour d'appel fédérale dans les affaires Desrochers c. Canada (Conseil du Trésor) (1ière inst.), [2000] A.C.F. no 505 confirmée par [2002] F.C.J. 1280 (C.A.) (QL), Barry c. Canada (Conseil du Trésor), [1997] A.C.F. no 1404 (C.A.)(QL) et Green c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 379 (C.A.) (QL) .

[15]                        Dans Barry, précité, au paragraphe 3, la Cour d'appel fédérale traite expressément de l'impact de l'abrogation de la clause privative dans la Loi. Elle indique que ceci ne justifie pas d'alléger la norme de contrôle applicable aux décisions rendues en vertu de l'article 92 de la Loi.

[16]                        Dans Ryan, précité, la Cour suprême du Canada n'a pas changé son approche ni le poids à donner à ce critère. Au paragraphe 29, elle reprend expressément les propos du juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998]1 R.C.S. 982, para. 30 :

[...] l'absence de clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante.

La spécialisation des fonctions voulue par le législateur peut appeler à la déférence malgré l'absence de clause privative.

[17]                        C'est certainement le cas ici. En effet, il a été dit à maintes reprises que la Commission a une vaste expertise en matière de relations de travail et de congédiement.


[18]                        J'appliquerai donc la norme de la décision manifestement déraisonnable aux questions iii) et iv) et celle de la décision correcte quant à la question i). Quant à la question ii), je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question de droit mais cette qualification importe peu en l'espèce puisque je conclus que la décision à cet égard est correcte. En effet, la Commission n'a commis aucune erreur en décidant de ne pas suivre le raisonnement adopté par le Conseil arbitral dans sa décision en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi. Elle a clairement considéré cet élément de preuve soumis par la demanderesse, a correctement indiqué qu'elle n'était pas liée par cette décision et a ensuite donné ses raisons pour ne pas adopter le même raisonnement soit entre autres, que le standard de preuve adopté par le Conseil arbitral était celui de la preuve hors de tout doute et que l'employeur n'avait pas présenté de preuve devant le Conseil. Ce raisonnement est non seulement raisonnable, il est parfaitement juste.

[19]                        Finalement, quant à savoir s'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la norme de contrôle puisque s'il y a effectivement eu manquement, la décision devra être cassée. Je traiterai d'abord de cette question.

Absence de transcription


[20]                        Les parties s'entendent que l'absence d'un enregistrement ne constitue pas en soi un manquement aux principes de justice naturelle puisqu'il n'y a aucun droit à l'enregistrement expressément reconnu dans la Loi (Scheuneman c. Canada (Procureur Général) (1ière inst.), [2000] 2 C.F. 365, aux paras. 35 et 36, confirmée par (2000) 266 N.R. 154 (C.A.). Elles acceptent aussi que la Cour siégeant en révision doit déterminer si elle a suffisamment d'information pour disposer des questions soulevées dans la demande de révision ou si au contraire l'absence de transcription ne lui permet pas de réviser adéquatement la décision (Canada A.G. c. Valladolid, [2004] A.C.F. no 601, au para. 3, (C.A.)).

[21]                        J'ai devant moi les motifs écrits de l'arbitre, tout le dossier qui lui a été présenté, et l'affidavit de madame Turner qui après avoir eu l'opportunité de lire la décision, indique ce qu'elle a dit à l'audience quant aux questions en litige. Après avoir examiné en détail le dossier et les arguments soulevés par les parties, la Cour est satisfaite qu'elle peut trancher les questions soulevées par la demanderesse sur la base des documents au dossier et que l'absence de transcription ne constitue pas en l'espèce une violation des principes de justice naturelle. À cet égard, la Cour rappelle que c'est à sa demande expresse que les parties ont soumis des représentations sur cette question puisque la demanderesse n'avait pas elle-même soulevé ce moyen dans son avis de demande et son mémoire.

La norme de preuve et fardeau de preuve

[22]                        La demanderesse soumet que l'employeur avait le fardeau de démontrer par une preuve prépondérante qu'elle avait participé aux falsifications reprochées et cette démonstration devait être particulièrement convaincante compte tenu des conséquences graves pour elle d'une perte d'emploi (voir Boulangerie Gadoue-St-Augustin inc. c. Laroque et al. J.E., [2000] R.J.D.T. 153 (C.S.) AZ-0021304, J.E. 2000-650).


[23]                        Elle indique que la Commission a référé à maintes reprises au concept de la preuve plausible, particulièrement aux paragraphes 91 et 110. Pour la demanderesse, plausibilité et probabilité ne sont pas synonymes et l'employeur ne pouvait remplir son obligation de « convaincre » la Commission en élaborant simplement un scénario plausible.

[24]                   La défenderesse soumet qu'il apparaît clairement de la décision que la Commission a appliqué la bonne norme de preuve et qu'elle comprenait bien le fardeau qui incombait à l'employeur. Elle ajoute que dans son sens ordinaire, le mot « plausible » réfère à ce qui est « vraisemblable » ou « probable » et que même les autorités citées par la demanderesse utilise cette expression. Par exemple, dans la décision Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 503 c. Provigo Inc., division Maxi Fleur-de-Lys, AZ-02141180,     TA 1020-4354 aux pages 8, 9 et 10, les passages cités par la demanderesse comme exprimant correctement la règle à suivre réfèrent abondamment au concept de la preuve la plus plausible[4].

[25]                        Aux paragraphes 89 à 91, la Commission explique comme suit son raisonnement :

89 Relativement au fardeau de preuve exigée dans un dossier de licenciement comme celui-ci, je suis d'avis qu'il ne s'agit pas, contrairement au processus criminel, d'une preuve hors de tout doute raisonnable mais plutôt d'une prépondérance de preuve et des probabilités.

90 Je retiens aussi l'argument de la fonctionnaire lésée voulant qu'on ne puisse licencier sur des doutes, des suppositions découlant du fait que la fonctionnaire lésée est la conjointe de Mario Boucher qui a admis avoir falsifié des dossiers.

91 En somme, ma décision doit être basée sur les faits et l'explication la plus plausible justifiant ceux-ci.

[26]                  Je suis satisfaite que la Commission a appliqué la bonne norme de preuve, soit celle de la prépondérance de preuve. Cette norme implique que l'employeur devait prouver qu'il était probable à plus de cinquante pour cent que Madame Turner avait falsifié des dossiers ou avait eu connaissance des manoeuvres de son conjoint.

[27]                  Il est clair que la Commission utilisait l'expression "la plus plausible" dans le sens de "probable". Cette expression semble être fréquemment utilisée dans ce sens par les arbitres de griefs.

[28]                   La preuve soumise par l'employeur était une preuve circonstancielle. La Commission devait donc évaluer si cette preuve lui permettait de déduire ou d'inférer que madame Turner avait falsifié des dossiers ou avait eu connaissance de ces activités de son conjoint. C'est exactement l'approche adoptée par la Commission.

Conclusions quant à l'inconduite

[29]                  Compte tenu de la norme de contrôle applicable, la demanderesse devait convaincre la Cour que les conclusions de la Commission étaient irrationnelles ou illogiques. C'est un fardeau difficile à rencontrer.


[30]                   De plus, il est clair que la Cour ne peut substituer sa propre évaluation de la preuve à celle de la Commission. Comme l'indiquait la Cour fédérale d'appel dans Green, supra, au paragraphe 8, une décision n'est pas manifestement déraisonnable du seul fait qu'elle est fondée sur des preuves qui sont interprétées d'une certaine façon alors qu'elle aurait pu l'être d'une autre ou si les motifs de la décision ne s'attaquent pas à chaque point qui pourrait être débattu.

A) Accès et visionnement du 12 juin 1996

[31]                        Dans son affidavit, la demanderesse dit que lors de son témoignage, elle avait indiqué qu'elle ne se rappelait pas de manière précise l'information que son père lui avait demandé mais qu'elle avait dit clairement qu'elle n'avait pas visionné de transactions de remboursement frauduleux de quelque façon que ce soit. Elle aurait par ailleurs expliqué que lorsqu'on utilise l'option (N) pour accéder à un dossier « on a accès à une partie de l'information seulement et que pour avoir l'ensemble des informations qui sont couvertes par cette option, il faut visualiser toutes et chacune des pages, ce qui dans certains cas peuvent être très nombreuses » .

[32]                        La demanderesse ne conteste pas la conclusion de la Commission à l'effet qu'elle a effectivement accédé au dossier de son père le 12 juin 1996 et qu'elle a, à cette occasion, utilisé l'option (N).[5] Elle ne dit pas non plus dans son affidavit que la Commission a mal interprété ou mal compris le témoignage de madame Gagnon ou des autres témoins à cet égard. Elle dit plutôt que la Commission n'aurait pas du accepter le témoignage de madame Gagnon (para. 27 du mémoire).


[33]                        Au paragraphe 39 de la décision, la Commission indique que madame Gagnon a témoigné que le visionnement du 12 juin 1996 était un visionnement complet qui permettait selon elle de voir que le père de la demanderesse avait reçu un remboursement frauduleux. Puis, la Commission indique au paragraphe 74 que selon madame Turner même si elle avait effectué l'option (N), cela ne veut pas dire qu'elle avait pu voir tout le dossier.

[34]                  Il est clair que la Commission n'a pas ignoré le témoignage de madame Turner mais qu'elle n'a pas trouvé ce témoignage plus probant que le reste de la preuve devant elle[6]. Il y avait une preuve contradictoire devant la Commission, celle-ci avait donc le droit sinon le devoir de l'évaluer. Puisqu'il existait une preuve supportant sa conclusion, la Commission n'a pas commis d'erreur revisable.


[35]                  L'autre argument de la demanderesse est à l'effet que la Commission n'a pas vraiment conclu qu'elle avait de fait constaté une falsification dans ce dossier mais seulement qu'elle avait eu la possibilité de le faire.[7] Selon la demanderesse la Commission ne pouvait donc conclure de cette possibilité que l'employeur avait établi par prépondérance sa connaissance des activités de son conjoint et son inconduite.

[36]                   Il faut évidemment considérer la décision dans son ensemble. Au paragraphe 109, la Commission dit "Les autres faits et gestes ne visent qu'à confirmer que Mme Turner a eu connaissance en cours de route des activités de son conjoint, Mario Boucher, notamment à partir de juin 1996". Ce passage semble plutôt indiquer que la Commission a conclu que dans les faits madame Turner a eu connaissance de la falsification dans le dossier Gratien Turner consulté en juin 1996.

B) Robin des Bois

[37]                   La demanderesse indique dans son affidavit que la Commission a mal compris son témoignage et a interprété cette expression hors contexte. En effet, elle aurait indiqué à la Commission que c'est Mario Boucher qui, après avoir avoué ses activités frauduleuses s'était qualifié de "Robin des Bois". Toutefois, elle ne dit pas que la Commission a mal compris le témoignage de madame Gagnon quant à ce qu'elle lui a dit durant l'enquête interne.

[38]                   À l'audience, la demanderesse confirme que c'est au paragraphe 108 que la Commission a erré dans son appréciation de la preuve. Pourtant il est clair qu'à cet endroit, la Commission réfère expressément aux remarques de la demanderesse adressées à madame Gagnon peu de temps après sa suspension et au sujet desquelles madame Gagnon a témoigné (paragraphe 36 de la décision).


[39]                  Compte tenu de la preuve devant-elle, il n'était pas illogique d'accepter le témoignage de madame Gagnon et de conclure que même si monsieur Boucher était à l'origine de cette expression, la demanderesse l'a aussi utilisé elle même lors de sa rencontre avec madame Gagnon.

[40]                    La Cour n'est pas satisfaite que la Commission a erré en acceptant le témoignage de madame Gagnon.

C) La relation entre Mario Boucher et Alain Beaudry

[41]                        Au paragraphe 20 de son affidavit, madame Turner indique que Mario Boucher était un ami de monsieur Beaudry et le connaissait depuis plusieurs années. C'est ce qu'elle aurait dit à la Commission dans son témoignage.

[42]                        Dans sa décision au paragraphe 106, la Commission indique que Mario Boucher n'est pas un ami intime de monsieur Beaudry.

[43]                        La Commission indique aussi que le contribuable Beaudry a confirmé à Roland Pelletier que la personne qu'il connaît à Revenu Canada est madame Turner (paragraphe 57 de la décision). Il semble aussi que le témoin, André St-Laurent, a affirmé que le conjoint de madame Turner lui a dit que monsieur Beaudry est un ami de madame Turner et qu'il l'a rencontré lors d'une soirée à Chibougamau (para. 51 de la décision).


[44]                  À la page 5 du rapport d'enquête d'André St-Laurent (Exhibit E-9) on rapporte que lors de son entrevue avec madame Gagnon le 14 septembre 1999, madame Turner aurait admis connaître monsieur Beaudry depuis une vingtaine d'années et que son conjoint Mario Boucher a déjà vu monsieur Beaudry deux ou trois fois, tout en précisant qu'il ne l'a vu que chez des amis.

[45]                   Le témoignage de Madame Turner n'était donc pas la seule preuve au dossier sur ce point. La Cour est satisfaite qu'il existait de la preuve supportant la conclusion de la Commission. Cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.

D) La rencontre du mois d'août avec Alain Beaudry et la discussion au printemps 1999

[46]                        Dans sa décision, la Commission indique qu'à toutes les fois où il a été question du dossier de monsieur Beaudry, les réponses de madame Turner furent évasives ou contradictoires. Elle souligne les réponses contradictoires de madame Turner et de Mario Boucher relativement à leur absence du travail les 22 et 23 août 1996 et à l'endroit de la rencontre avec monsieur Beaudry. Plus particulièrement au paragraphe 104, elle dit :

Lors de la rencontre avec Diane Gagnon, la directrice, en septembre 1999, Mme Turner répond ne pas se rappeler de ce qu'elle a fait pendant son congé les 22 et 23 août 1996. Elle affirme ne pas avoir accompagné son conjoint. De son côté, Mario Boucher reste vague lorsque interrogé par André St-Laurent sur le sujet (pièce E-9, page 11). À l'audience, il déclare que Mme Turner l'avait accompagné mais pour aller à une soirée « épluchette de blé d'Inde » où il a pu rencontrer discrètement Alain Beaudry.

[105] Ni Mme Turner ni Mario Boucher, son conjoint, ne peuvent préciser l'endroit où a eu lieu l'épluchette de 1996 et ce, même lors de l'audience en 2001


[47]                        La demanderesse argue qu'il n'y avait pas de contradictions dans les témoignages. Dans son affidavit, elle dit qu'elle n'a pas indiqué à Diane Gagnon qu'elle n'avait pas accompagné son conjoint les 22 et 23 août 1996 mais plutôt qu'elle ne se rappelait pas ce qu'elle avait fait ces jours-là. Toutefois, la demanderesse ne dit pas qu'elle a souligné ce fait lors de son témoignage devant la Commission. Elle ne dit pas non plus que la Commission a mal compris le témoignage de Madame Gagnon à ce sujet.

[48]                   Au paragraphe 19 de son affidavit, madame Turner dit que ce n'est qu'après avoir réfléchi à ces questions qu'elle s'est rappelée être allée avec Mario Boucher « visiter monsieur Beaudry pour participer à une épluchette de blé d'Inde » . Selon elle, cette affirmation indique clairement que cette épluchette a eu lieu chez Monsieur Beaudry et que la Commission a eu tort de dire qu'elle n'avait pu préciser l'endroit où cet événement a eu lieu.

[49]                   Au paragraphe 19, la demanderesse ne dit pas qu'elle a témoigné à cet effet devant la Commission. Si tel était le cas, ce témoignage serait tout à fait contraire à celui de son conjoint qui dit que cette épluchette a eu lieu chez un ami mutuel à la suggestion de monsieur Beaudry (paragraphe 68 de la décision et page 11, paragraphe 7 de l'Exhibit E-9) et confirme l'évaluation de la Commission. Si elle ne l'a pas dit lors de l'arbitrage, la Commission avait raison de dire que quant à cet élément important, la demanderesse n'avait pu établir le lieu de la rencontre.

[50]                        La demanderesse soumet aussi que la Commission s'est trompée en concluant au paragraphe 112 que sa conversation avec monsieur Beaudry au printemps 1999 au sujet d'une lettre reçue de Revenu Canada était reliée à la falsification des dossiers en 1996.

[51]                   Elle indique dans son affidavit (paragraphes 9 à 11 et 23) que sa discussion a porté sur l'état civil de monsieur Beaudry et qu'elle l'a référé au Département des prestations fiscales pour enfants.

[52]                    Il appert que le remboursement frauduleux dans le dossier Beaudry était de fait lié à son état civil puisque s'il n'était pas divorcé comment pouvait-il déduire une pension alimentaire (pièce 11, page 3 de 4, motif). Par ailleurs, il semble aussi que c'est après avoir reçu de monsieur Beaudry une copie d'une lettre de vérification de son état civil et de la prestation pour enfants que monsieur Boucher a accédé au dossier de ce contribuable et réalisé que le dossier était sous enquête. (Page 13 du rapport d'enquête Exhibit E-9.)

[53]                   Il n'était donc pas illogique ou irrationnel pour la Commission de conclure que le sujet de la lettre de Revenu Canada était reliée à la falsification du dossier et donc qu'en parlant de cette lettre, avec madame Turner, monsieur Beaudry lui parle d'un élément relié à la falsification de son dossier.


[54]                   La Commission indique clairement que dans le cas de la falsification d'Alain Beaudry, il y a prépondérance de preuve contre madame Turner (paragraphe 106) et qu'elle a "la conviction que monsieur Beaudry en juin 1999 parle à madame Turner de la lettre émise par Revenu Canada parce qu'il la sait au courant des agissements de Mario Boucher du moins dans son cas à lui". (Paragraphe 113.)

[55]                   Il est donc évident que la Commission n'a pas retenu comme crédible le témoignage de la demanderesse à l'effet qu'elle n'était pas impliquée dans ce dossier et n'avait jamais discuté de cette falsification avec monsieur Beaudry ou monsieur Boucher.

[56]            La Cour est satisfaite que la Commission avait suffisamment d'éléments de preuve pour mettre de côté le témoignage de la demanderesse à cet égard et que sa décision n'est pas manifestement déraisonnable. La Cour n'entend pas substituer sa propre évaluation de la preuve à celle de la Commission.

[57]                  La demanderesse soumet finalement que l'aveu de monsieur Boucher n'avait rien de curieux et que la Commission a erré en retenant ce fait comme un élément lui permettant de conclure à son inconduite.

[58]                   Considérant les propos de madame Turner lors de son entrevue du 14 septembre 1999 à l'effet que si quelqu'un avoue, on devra la réintégrer, la Cour n'est pas convaincue qu'il était illogique de considérer cet aveu comme un des nombreux éléments qui examinés ensemble, amènent à conclure que madame Turner avait connaissance de certaines activités de son conjoint avant qu'elle ne soit confrontée à ces agissements par madame Gagnon, le 14 septembre 1999.

[59]                  Après avoir revu toute la preuve au dossier et considéré l'ensemble des arguments présentés par madame Turner, la Cour est satisfaite que la Commission pouvait raisonnablement conclure que l'employeur avait rempli son fardeau d'établir qu'elle avait eu connaissance de certaines activités de son conjoint et qu'elle n'en a pas avisé son employeur.

[60]                  La conclusion générale qu'il y a eu inconduite ne contient aucune erreur revisable justifiant l'annulation de cette décision.

Nature de la sanction

[61]                  A l'audience, la demanderesse a soumis que la Commission avait erré en n'examinant pas en détail si la mesure adoptée par l'employeur était justifiée par rapport à l'inconduite de madame Turner.

[62]                  Au paragraphe 18(e) de la décision, la Commission indique clairement qu'après avoir examiné le comportement de la demanderesse, elle devra s'interroger sur quelle sanction disciplinaire devait lui être imposée. Elle note ensuite au paragraphes 115 et 116 "Reste à savoir quelle sanction est la plus appropriée dans les circonstances. La fonctionnaire n'a pas parlé de sanctions mitigées car l'ensemble de la preuve visait à démontrer son innocence. Il n'en demeure pas moins que la plus grande partie de la preuve de la fonctionnaire porte sur la mitigation de la sanction". Il est clair qu'ici la Commission faisait référence entre autres, au contre-interrogatoire de madame Gagnon résumé aux paragraphes 41 à 45 de la décision.


[63]                  Ces commentaires confirment que la Commission a adopté la bonne approche.

[64]                   Madame Turner dit que la Commission a erré en décrivant la nature des activités en question au paragraphe 122 de la décision. Il est vrai que la Commission n'a pas conclu qu'elle était directement responsable d'une "falsification de dossiers répétitive" et qui "met en cause plusieurs contribuables". Il est évident en lisant la décision dans son ensemble que ici la Commission fait référence au fait que madame Turner avait connaissance des activités de son conjoint et non pas à sa participation directe dans cette falsification. Il est vrai que le mot plusieurs est quelque peu exagéré lorsqu'on considère que la Commission a conclu que madame Turner a eu connaissance dans deux dossiers soit ceux de Gratien Turner et d'Alain Beaudry. Toutefois cette exagération ne constitue pas une erreur suffisante pour casser la décision puisque la conclusion de la Commission que la sanction est justifiée, est supportée par d'autres éléments de preuve au dossier, comme la nature de l'emploi et du lien de confiance et l'absence de circonstance atténuante expliquant le silence de la demanderesse.[8]


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

LA DEMANDE est rejetée avec dépens.

"Johanne Gauthier"                                                                                                                             Juge        



[1]    Paragraphe 34 de la décision.

[2]      Ces trois personnes semblent avoir obtenu des remboursements d'impôt, le premier à cause d'un handicap (aveugle), le deuxième à cause d'un crédit d'impôt pour deux enfants et le troisième suite à une déduction pour pension alimentaire. Pourtant, Gratien Turner n'est pas aveugle, Dave Turner n'a qu'un enfant et Alain Beaudry n'est pas divorcé et n'a donc pas d'ex-conjointe ou d'enfants à qui il paie une pension alimentaire.

[3]      M. Boucher témoignera que c'est lui qui a falsifié la signature de Mme Turner et encaissé le deuxième chèque.

[4]    Par exemple, à la page 9 de cette décision on dit: ..... 'Une preuve circonstancielle doit être analysée avec prudence. Ainsi si une autre explication ou conclusion que celle de l'employeur est plausible suivant une preuve prépondérante, il faut conclure que celle de ce dernier n'est pas prépondérante..."

[5]     Madame Turner dit que les accès aux dossiers des membres de la famille des employés du Centre ne sont pas permis mais qu'ils sont tolérés.                                                                                                                

[6]     Voir aussi pièce E.12 qui décrit l'option (N) comme suit:

Allows users to view the following records:

.                Full accounts - commonly referred to as CINDAC accounts.

.                Error Accounts - active or cleared error accounts.

.                Dummy Accounts - active or cleared dummy accounts.

Sub-options available are:

1.                                                                   CINDAC Accounts -current transactions.

2.                                                                   Instalment Transactions.

3.                                                                   Pending Transactions.

4.                                                                   Tax year Financial Transactions.

5.                                                                   Full CINDAC Account.

6.                                                                   Post Dated cheques.

7.                                                                   Error/Dummy Account Information.

[7]      Au paragraphe 113 la Commission dit "j'en conclus que Mme Turner a visualisé le dossier de son père en juin 1996 et a pu y constater la falsification du dossier".

[8]     Il est évident qu'à ce stage, compte tenu de sa conclusion quant à l'inconduite, la Commission devait analyser la justesse de la sanction en prenant pour acquis qu'il avait été établi à sa satisfaction que madame Turner avait eu connaissance de falsifications.

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