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Date : 20190726

Dossier : T-733-19

Référence : 2019 CF 1009

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

KIRBY OFFSHORE MARINE PACIFIC LLC, KIRBY OFFSHORE MARINE OPERATING LLC

demanderesses

et

LES HEILTSUK HIMAS et LE CONSEIL TRIBAL DES HEILTSUK, chacun en son nom et au nom de tous les membres de la Nation des Heiltsuk

défendeurs

et

L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES

partie par application de la Loi

ORDONNANCE ET MOTIFS

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction  2

II. Le contexte  4

III. L’historique des procédures  6

IV. Les questions en litige  11

V. La législation  11

VI. Les thèses des parties  38

A. Les observations de Kirby  39

B. Les observations des Heiltsuk  44

C. La Caisse d’indemnisation  48

VII. Questions préliminaires  50

A. La compétence de la Cour  50

B. La portée de l’interdiction demandée  52

C. L’application de la CRC  52

D. Les critères applicables à l’interdiction de poursuite et à la suspension d’une instance  56

(i) Le critère applicable à l’interdiction de poursuite  56

(ii) Le critère applicable à la suspension de l’instance  70

E. La reconnaissance de la compétence de la Cour  82

(i) La LG‑CTH  84

(ii) La correspondance entre les avocats  86

(iii) Le non‑respect des règles de la CSCB en matière civile  88

F. L’affidavit de Mme Kreutz  91

VIII. Question no 1 : devrait‑on interdire aux Heiltsuk de continuer l’action devant la CSCB contre les défendeurs Kirby?  92

IX. Question no 2 : la Cour devrait‑elle suspendre l’action en limitation de responsabilité dont Kirby l’a saisie?  119

X. Directives et ordonnances sollicitées  123

A. La constitution d’un fonds de limitation  123

B. La réduction des sommes visées par les lettres de garantie  126

C. L’interdiction de poursuite  126

D. La suspension  127

E. Ébauche d’ordonnance  127

F. Gestion de l’instance  128

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie de deux requêtes connexes, qui concernent toutes deux le droit d’un propriétaire de navire de limiter sa responsabilité relativement aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures en invoquant la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 [LRM].

[2]  Plus précisément, Kirby Offshore Marine Pacific LLC [Kirby Pacific] et Kirby Offshore Marine Operating LLC [Kirby Operating] ont engagé une action devant la Cour afin que soit limitée leur responsabilité [dans les présents motifs, « Kirby » désigne collectivement Kirby Operating et Kirby Pacific] relativement à un événement de pollution par les hydrocarbures impliquant un navire. Elles sollicitent maintenant, par voie de requête, une ordonnance donnant des directives quant à la constitution d’un fonds de limitation, interdisant le dépôt d’autres demandes en recouvrement de créance et octroyant les autres mesures de réparation énoncées dans leur avis de requête [la requête en interdiction].

[3]  Les Heiltsuk Himas et le Conseil tribal des Heiltsuk ont déposé, en leur propre nom et au nom des membres de la Première Nation des Heiltsuk [collectivement, les Heiltsuk], une demande contre Kirby et d’autres parties devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique [CSCB] relativement aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causés par un navire lors de l’évènement de pollution décrit ci‑dessous. Les Heiltsuk présentent maintenant une requête par laquelle ils demandent la suspension de l’action en limitation de responsabilité intentée par Kirby devant notre Cour, au motif que la Cour n’est pas le forum approprié [la requête en suspension d’instance].

[4]  Comme les faits de la requête en interdiction et ceux de la requête en suspension d’instance ainsi que les règles de droit applicables se recoupent, les deux requêtes ont été instruites ensemble à Vancouver le 8 juillet 2019.

II.  Le contexte

[5]  Les faits relatifs aux présentes requêtes sont pour la plupart non contestés.

[6]  Rappelons brièvement que Kirby Operating et Kirby Pacific sont respectivement les propriétaires au nom desquels le remorqueur « Nathan E. Stewart » [le remorqueur] et le chaland « DBL‑55 » [le chaland] sont immatriculés. Lorsqu’ils travaillaient de pair, le remorqueur et le chaland étaient accouplés en un système remorqueur‑chaland articulé [le RCA] au moyen d’un dispositif JAK®.

[7]  Après avoir déchargé du chaland la cargaison de carburéacteur et d’essence, le remorqueur et le chaland accouplés avaient mis le cap sur Vancouver lorsque le second officier du remorqueur, Henry Hendrix, un employé de Kirby Pacific, est tombé endormi à la barre. Vers 1 h 08, le matin du 13 octobre 2016, l’ensemble remorqueur‑chaland a heurté le récif Edge, au large de l’île Athlone, à l’entrée du passage Seaforth et à environ dix miles nautiques à l’ouest de Bella Bella, en Colombie‑Britannique [l’événement]. L’événement a provoqué la rupture des réservoirs de carburant du remorqueur et le rejet en mer de quelque 107 552 litres de carburant diesel et 2 240 litres d’huile de graissage.

[8]  Le même jour, on a formé, pour diriger les opérations d’intervention, un commandement unifié réunissant des représentants de Kirby, de la Garde côtière canadienne, du ministère de l’environnement et de la stratégie en matière de changement climatique de la Colombie‑Britannique, d’Environnement et Changement climatique Canada, de Transports Canada, de Pêches et Océans Canada, des Heiltsuk et d’autres personnes encore, dont des entrepreneurs en interventions après déversement et des consultants en environnement engagés par Kirby ou en son nom.

[9]  Le 29 octobre 2016, Kirby Offshore Marine LLC [Kirby Offshore], présentée dans les observations de Kirby comme la société mère de Kirby Operating, a conclu avec le Conseil tribal des Heiltsuk, au nom de Kirby Operating et Kirby Pacific, un accord de financement portant sur le coût de l’intervention après déversement, les demandes d’indemnisation pour perte de revenus et d’autres réclamations et frais découlant de l’événement. Kirby affirme que, jusqu’à présent, plus de 3 500 000 $ CA ont été versés au Conseil tribal des Heiltsuk dans le cadre de l’accord de financement.

[10]  Le 13 octobre 2016, le chaland a été séparé du remorqueur, puis toué jusqu’à un autre emplacement. Le 21 novembre 2016, les opérations de renflouage du remorqueur ont pris fin et le commandement unifié a présenté un rapport de situation final. Kirby dit avoir continué à participer, avec les gouvernements de la Colombie‑Britannique et du Canada, aux activités d’évaluation des répercussions de l’événement sur l’environnement.

[11]  Le 16 décembre 2016, Starr Indemnity & Liability Company a remis à la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires [la Caisse d’indemnisation], au nom de Kirby, une lettre de garantie d’un montant de 20 000 000 $ CA [la LG‑CI]. Le 3 février 2017, une lettre de garantie d’un montant de 12 000 000 $ CA a été remise au Conseil tribal des Heiltsuk [la LG‑CTH].

III.  L’historique des procédures

[12]  Le 9 octobre 2018, les Heiltsuk ont déposé un avis de poursuite civile en matière d’amirauté (action réelle et personnelle) devant la CSCB [l’action intentée en CSCB] contre les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un intérêt à l’égard du remorqueur et du chaland, Kirby Pacific, Kirby Offshore, Kirby Operating, la société Unetelle, le capitaine et le second officier du remorqueur [tous collectivement désignés, relativement à l’action intentée en CSCB, comme étant les « défendeurs Kirby »], le procureur général du Canada et le procureur général de la Colombie‑Britannique.

[13]  Dans l’action intentée en CSCB, la Nation des Heiltsuk est décrite comme un groupe de cinq tribus formant une nation autochtone qui jouit de l’autonomie gouvernementale et qui est un « peuple autochtone » au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 [Loi constitutionnelle de 1982] et une bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5. Les Heiltsuk Himas sont les chefs héréditaires de la Nation des Heiltsuk, et le Conseil tribal des Heiltsuk en est l’organe dirigeant élu. Il est également présenté comme le cessionnaire de la totalité des choses non possessoires liées à l’événement, en ce qui concerne les entreprises commerciales des Heiltsuk qui y sont énumérées.

[14]  La déclaration produite dans le cadre de l’action intentée en CSCB est un long document, mais par celle-ci les Heiltsuk font, pour l’essentiel, valoir leurs intérêts ancestraux sur le « territoire des Heiltsuk », territoire qui y est décrit comme comprenant les terres, dont celles qui sont recouvertes d’eau, se trouvant dans une zone appelée [traduction] « zone de pertes revendiquée ». Les Heiltsuk affirment que cela comprend toutes les terres recouvertes d’eau salée, y compris les fonds marins et les estrans, ainsi que les terres de réserve indiennes mentionnées dans la déclaration. Toutefois, leur revendication de titre ancestral et de droits ancestraux ne vise pas – sauf pour les terres de réserve mentionnées – les terres qui se trouvent au‑dessus de la laisse de haute mer, sous réserve de toute revendication future de titre ancestral à l’égard des zones exclues. En somme, les Heiltsuk semblent uniquement invoquer leurs droits ancestraux à l’égard de territoires, sur lesquels, selon eux, l’événement a eu des répercussions. Autrement dit, ils remettent à plus tard la question du titre ancestral et des droits ancestraux qu’ils disent détenir sur le reste du territoire traditionnel qu’ils revendiquent. Les Heiltsuk affirment qu’ils ont allégué, dans le cadre de l’action intentée en CSCB, les faits nécessaires pour établir l’existence de droits et d’autres intérêts ancestraux d’ordre collectif à l’égard de la zone de pertes revendiquée, notamment le titre ancestral, des droits ancestraux de gestion, des droits ancestraux de récolte et des droits de pêche et de récolte de ressources marines accordés en vertu de permis de pêche communautaires et commerciaux.

[15]  Dans l’action intentée en CSCB, il est allégué que les défendeurs Kirby sont responsables de l’événement. Les Heiltsuk invoquent différents éléments dans leurs allégations contre ceux‑ci : la témérité, la négligence, la nuisance, la rupture de contrat et la violation d’obligations légales. De plus, ils demandent les mesures de réparation suivantes : un jugement déclaratoire relatif au titre ancestral et aux droits ancestraux revendiqués; un jugement déclarant que les défendeurs Kirby étaient tenus par l’Environmental Management Act, SBC, 2003, c 53 [EMA] d’exécuter ou de financer des évaluations environnementales; un jugement déclarant que le Canada et la Colombie‑Britannique sont légalement tenus de consulter les Heiltsuk au sujet des décisions prises en vertu du paragraphe 180(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26 [LMMC] ou du paragraphe 91.2(3) de l’EMA; des dommages‑intérêts pour des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures suivant la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute, conclue à Londres le 23 mars 2001 [Convention sur les hydrocarbures de soute] ou, à titre subsidiaire, la Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclue à Londres le 27 novembre 1992, dont l’article V a été modifié par la résolution adoptée par le Comité juridique de l’Organisation maritime internationale le 18 octobre 2000 [Convention sur la responsabilité civile ou CRC]; d’autres dommages‑intérêts; et une injonction mandatoire obligeant Kirby à se conformer à toutes les lois fédérales et de la Colombie‑Britannique applicables en matière de normes minimales sur le personnel de quart.

[16]  Dans le cadre de l’action intentée en CSCB, les Heiltsuk font aussi valoir que les restrictions applicables aux « dommages par pollution », tel que ce terme est défini dans la Convention sur les hydrocarbures de soute ou, subsidiairement, la CRC, portent atteinte de manière injustifiée aux droits qui leur sont reconnus à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, parce qu’elles limitent l’indemnisation des préjudices découlant des altérations de l’environnement qui ne sont pas liés à un manque à gagner. Est ainsi exclue la possibilité d’être indemnisé pour les atteintes à l’exercice et à la jouissance des droits de récolte ancestraux et de l’être intégralement pour les atteintes aux droits ancestraux. Les Heiltsuk soutiennent que les atteintes ne sont pas justifiées parce qu’ils n’ont pas été consultés par le Canada au sujet de l’incidence de la Convention sur les hydrocarbures de soute, ou de la CRC, pour leurs droits ancestraux. Ils soutiennent aussi que le Canada n’a pas prévu de mesures pour remédier à ces atteintes à l’article 107 de la LRM, qui permet les demandes d’indemnisation liées aux pertes de revenus ou aux pertes de sources d’approvisionnement en nourriture ou en pelleteries, mais pas les demandes d’indemnisation fondées sur des droits de récolte collectifs ou sur la pêche destinée à un usage ou une alimentation communautaire. De plus, les Heiltsuk soutiennent que la Convention sur les hydrocarbures de soute ou la CRC porte atteinte de manière injustifiée aux droits qui leur sont reconnus à l’article 35 en les empêchant de demander, en s’appuyant sur des causes d’action reconnues en common law, d’être indemnisés pour les dommages exclus des définitions de « dommage par pollution » figurant dans ces conventions. D’ailleurs, les Heiltsuk affirment que sont invalides les clauses de ces conventions visant à établir quels préjudices sont susceptibles d’indemnisation dans la mesure où elles s’appliquent aux demandes d’indemnisation, pour des pertes ou des dommages relatifs à des droits ancestraux.

[17]  Le 1er avril 2019, en réponse à l’action intentée en CSCB, les défendeurs Kirby ont déposé, suivant l’article 21‑8 des British Columbia Supreme Court Civil Rules, BC Reg 168/2009 [les règles de la CSCB en matière civile], une [traduction] « réponse relative à la question de compétence » établie selon la formule 108 par laquelle ils contestent la compétence de la CSCB.

[18]  Le 1er mai 2019, toujours dans le cadre de l’action intentée en CSCB, les défendeurs Kirby ont déposé un avis de requête en vue d’obtenir la suspension ou le rejet de la procédure les visant. Le même jour, Kirby a déposé une déclaration devant notre Cour (no T‑733‑19), engageant ainsi une action en limitation de responsabilité [l’action en limitation de responsabilité]. Cette action vise, entre autres, l’obtention d’une ordonnance limitant la responsabilité de Kirby à l’égard de toutes les demandes d’indemnisation découlant de l’événement, conformément à la Convention sur les hydrocarbures de soute et à la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, conclue à Londres le 19 novembre 1976, telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, conclu à Londres le 2 mai 1996 [CLRCM]. À titre subsidiaire, Kirby demande que sa responsabilité soit limitée conformément à la CRC. En outre, elle sollicite une ordonnance constituant un fonds de limitation et interdisant aux Heiltsuk et à toute autre personne ou partie d’intenter ou de continuer une procédure contre Kirby devant un autre tribunal relativement à l’événement. Enfin, Kirby sollicite des ordonnances sur des questions variées se rapportant au fonds de limitation demandé.

[19]  Le 31 mai 2019, les Heiltsuk ont déposé, dans le cadre de l’action intentée en CSCB, un avis de requête demandant à cette cour de confirmer sa compétence pour statuer sur les demandes formulées contre les défendeurs Kirby dans cette instance. Le même jour, ils ont déposé un avis de requête devant notre Cour en vue d’obtenir la suspension de l’action en limitation de responsabilité pour des motifs liés à la compétence et ils ont inscrit la requête au rôle afin qu’elle soit entendue le 6 août 2019. Kirby affirme que cela a été fait unilatéralement.

[20]  Dans une directive datée du 14 juin 2019, le juge en chef Crampton a demandé aux Heiltsuk de présenter leur requête en suspension de l’action en limitation de responsabilité et en a fixé l’audition au 8 juillet 2019.

[21]  Le 3 juillet 2019, l’administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires [l’administrateur], partie à l’instance par application de l’article 109 de la LRM, a déposé un avis de comparution, puis il a soumis des dossiers de requête relativement à la requête en interdiction et à la requête en suspension d’instance.

IV.  Les questions en litige

[22]  À mon sens, bien que les observations des parties soulèvent de nombreuses questions accessoires, la Cour doit trancher les deux questions suivantes pour disposer des deux requêtes :

  1. Devrait‑il être interdit aux Heiltsuk de continuer l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby?
  2. La Cour devrait‑elle suspendre l’action en limitation de responsabilité dont Kirby l’a saisie?

V.  La législation

[23]  Avant d’aborder ces questions, il est nécessaire selon moi de bien comprendre le contexte et le régime législatifs plutôt complexes entourant le droit d’un propriétaire de navire de limiter sa responsabilité. Il s’agit d’une étape cruciale pour situer les questions dans leur contexte et pour l’analyse qui suivra.

[24]  La LRM précise comment sont traitées au Canada les créances maritimes, au sens de la définition prévue dans cette loi et reprise ci‑dessous. Principalement, les règles en la matière découlent de l’incorporation en droit canadien des clauses des conventions internationales dont le Canada est un signataire. Ces conventions permettent aux propriétaires de navire de limiter leur responsabilité relativement aux créances maritimes.

[25]  Les dispositions les plus pertinentes de la LRM sont reproduites ci‑dessous.

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 The definitions in this section apply in this Act.

Cour d’amirauté La Cour fédérale. (Admiralty Court)

Admiralty Court means the Federal Court. (Cour d’amirauté)

[...]

...

PARTIE 3

PART 3

Limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

Limitation of Liability for Maritime Claims

Définitions et dispositions interprétatives

Interpretation

Définitions

Definitions

24 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

24 The definitions in this section apply in this Part.

Convention La Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes conclue à Londres le 19 novembre 1976 – dans sa version modifiée par le Protocole – dont les articles 1 à 15 figurent à la partie 1 de l’annexe 1 et l’article 18 figure à la partie 2 de cette annexe. (Convention)

Convention means the Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims, 1976, concluded at London on November 19, 1976, as amended by the Protocol, Articles 1 to 15 of which Convention are set out in Part 1 of Schedule 1 and Article 18 of which is set out in Part 2 of that Schedule. (Convention)

créance maritime Créance maritime visée à l’article 2 de la Convention contre toute personne visée à l’article 1 de la Convention. (maritime claim)

maritime claim means a claim described in Article 2 of the Convention for which a person referred to in Article 1 of the Convention is entitled to limitation of liability. (créance maritime)

[...]

...

Protocole Le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes conclu à Londres le 2 mai 1996, dont les articles 8 et 9 figurent à la partie 2 de l’annexe 1. (Protocol)

Protocol means the Protocol of 1996 to amend the Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims, 1976, concluded at London on May 2, 1996, Articles 8 and 9 of which are set out in Part 2 of Schedule 1. (Protocole)

unités de compte S’entend des droits de tirage spéciaux émis par le Fonds monétaire international. (unit of account)

unit of account means a special drawing right issued by the International Monetary Fund. (unités de compte)

Extension de sens

Extended meaning of expressions

25 (1) Pour l’application de la présente partie et des articles 1 à 15 de la Convention :

25 (1) For the purposes of this Part and Articles 1 to 15 of the Convention,

a) navire s’entend d’un bâtiment ou d’une embarcation conçus, utilisés ou utilisables, exclusivement ou non, pour la navigation, indépendamment de leur mode de propulsion ou de l’absence de propulsion [...]; y sont assimilés [...] les navires échoués ou coulés ainsi que les épaves et toute partie d’un navire qui s’est brisé;

(a) ship means any vessel or craft designed, used or capable of being used solely or partly for navigation, without regard to method or lack of propulsion, and includes

...

(ii) a ship that has been stranded, wrecked or sunk and any part of a ship that has broken up,

...

[...]

...

Incompatibilité

Inconsistency

(2) Les articles 28 à 34 de la présente loi l’emportent sur les dispositions incompatibles des articles 1 à 15 de la Convention.

(2) In the event of any inconsistency between sections 28 to 34 of this Act and Articles 1 to 15 of the Convention, those sections prevail to the extent of the inconsistency.

Champ d’application

Application

Force de loi

Force of law

26 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les articles 1 à 15 et 18 de la Convention et les articles 8 et 9 du Protocole ont force de loi au Canada.

26 (1) Subject to the other provisions of this Part, Articles 1 to 15 and 18 of the Convention and Articles 8 and 9 of the Protocol have the force of law in Canada.

[...]

...

État partie à la Convention

State Party to the Convention

27 Pour l’application de la Convention, le Canada est un État partie à la Convention.

27 For purposes of the application of the Convention, Canada is a State Party to the Convention.

[...]

...

Procédure

Procedure

Compétence exclusive de la Cour d’amirauté

Jurisdiction of Admiralty Court

32 (1) La Cour d’amirauté a compétence exclusive pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation aux termes des articles 11 à 13 de la Convention.

32 (1) The Admiralty Court has exclusive jurisdiction with respect to any matter relating to the constitution and distribution of a limitation fund under Articles 11 to 13 of the Convention.

Droit d’invoquer la limite de responsabilité

Right to assert limitation defence

(2) Lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes des articles 28, 29 ou 30 de la présente loi ou du paragraphe 1 des articles 6 ou 7 de la Convention, relativement à une créance – réelle ou appréhendée – , cette personne peut se prévaloir de ces dispositions en défense, ou dans le cadre d’une action ou demande reconventionnelle pour obtenir un jugement déclaratoire, devant tout tribunal compétent au Canada.

(2) Where a claim is made or apprehended against a person in respect of liability that is limited by section 28, 29 or 30 of this Act or paragraph 1 of Article 6 or 7 of the Convention, that person may assert the right to limitation of liability in a defence filed, or by way of action or counterclaim for declaratory relief, in any court of competent jurisdiction in Canada.

Pouvoirs de la Cour d’amirauté

Powers of Admiralty Court

33 (1) Lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes des articles 28 ou 29 de la présente loi ou du paragraphe 1 des articles 6 ou 7 de la Convention, relativement à une créance – réelle ou appréhendée – , la Cour d’amirauté peut, à la demande de cette personne ou de tout autre intéressé – y compris une partie à une procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité – , prendre toute mesure qu’elle juge indiquée, notamment :

33 (1) Where a claim is made or apprehended against a person in respect of liability that is limited by section 28 or 29 of this Act or paragraph 1 of Article 6 or 7 of the Convention, the Admiralty Court, on application by that person or any other interested person, including a person who is a party to proceedings in relation to the same subject‑matter before another court, tribunal or authority, may take any steps it considers appropriate, including

a) déterminer le montant de la responsabilité et faire le nécessaire pour la constitution et la répartition du fonds de limitation correspondant, conformément aux articles 11 et 12 de la Convention;

(a) determining the amount of the liability and providing for the constitution and distribution of a fund under Articles 11 and 12 of the Convention;

b) joindre tout intéressé comme partie à la procédure, exclure tout créancier forclos, exiger une garantie des parties invoquant la limitation de responsabilité ou de tout autre intéressé et exiger le paiement des frais;

(b) joining interested persons as parties to the proceedings, excluding any claimants who do not make a claim within a certain time, requiring security from the person claiming limitation of liability or from any other interested person and requiring the payment of any costs; and

c) empêcher toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité.

(c) enjoining any person from commencing or continuing proceedings in any court, tribunal or authority other than the Admiralty Court in relation to the same subject‑matter.

[...]

...

Procédure

Procedural matters

(4) La Cour d’amirauté peut :

(4) The Admiralty Court may

a) établir les règles de procédure qu’elle juge utiles relativement à toute affaire dont elle est saisie au titre du présent article;

(a) make any rule of procedure it considers appropriate with respect to proceedings before it under this section; and

b) déterminer quelle garantie elle estime acceptable pour l’application du paragraphe 2 de l’article 11 de la Convention.

(b) determine what form of guarantee it considers to be adequate for the purposes of paragraph 2 of Article 11 of the Convention.

Intérêt

Interest

(5) Pour l’application de l’article 11 de la Convention, l’intérêt est calculé au taux fixé en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu sur les sommes à verser par le ministre du Revenu national à titre de remboursement de paiements d’impôt en trop au titre de cette loi.

(5) For the purposes of Article 11 of the Convention, interest is payable at the rate prescribed under the Income Tax Act for amounts payable by the Minister of National Revenue as refunds of overpayments of tax under that Act.

[26]  La partie 1 de l’annexe 1de la LRM reprend le texte des articles 1 à 15 de la CLRCM. Les articles les plus pertinents sont reproduits ci‑dessous par souci de commodité.

Article 1

Article 1

Personnes en droit de limiter leur responsabilité

Persons entitled to limit liability

1 Les propriétaires de navires et les assistants, tels que définis ci‑après, peuvent limiter leur responsabilité conformément aux règles de la présente Convention à l’égard des créances visées à l’article 2.

1 Shipowners and salvors, as hereinafter defined, may limit their liability in accordance with the rules of this Convention for claims set out in Article 2.

2 L’expression propriétaire de navire, désigne le propriétaire, l’affréteur, l’armateur et l’armateur‑gérant d’un navire de mer.

2 The term shipowner shall mean the owner, charterer, manager and operator of a seagoing ship.

3 Par assistant, on entend toute personne fournissant des services en relation directe avec les opérations d’assistance ou de sauvetage. Ces opérations comprennent également celles que vise l’article 2, paragraphe 1, alinéas d), e) et f).

3 Salvor shall mean any person rendering services in direct connexion with salvage operations. Salvage operations shall also include operations referred to in Article 2, paragraph 1(d), (e) and (f).

4 Si l’une quelconque des créances prévues à l’article 2 est formée contre toute personne dont les faits, négligences et fautes entraînent la responsabilité du propriétaire ou de l’assistant, cette personne est en droit de se prévaloir de la limitation de la responsabilité prévue dans la présente Convention.

4 If any claims set out in Article 2 are made against any person for whose act, neglect or default the shipowner or salvor is responsible, such person shall be entitled to avail himself of the limitation of liability provided for in this Convention.

5 Dans la présente Convention, l’expression responsabilité du propriétaire de navire comprend la responsabilité résultant d’une action formée contre le navire lui‑même.

5 In this Convention the liability of a shipowner shall include liability in an action brought against the vessel herself.

6 L’assureur qui couvre la responsabilité à l’égard des créances soumises à limitation conformément aux règles de la présente Convention est en droit de se prévaloir de celle‑ci dans la même mesure que l’assuré lui‑même.

6 An insurer of liability for claims subject to limitation in accordance with the rules of this Convention shall be entitled to the benefits of this Convention to the same extent as the assured himself.

7 Le fait d’invoquer la limitation de la responsabilité n’emporte pas la reconnaissance de cette responsabilité.

7 The act of invoking limitation of liability shall not constitute an admission of liability.

[27]  Sont des « créances maritimes », selon la définition de l’article 24 de la LRM, les créances visées à l’article 2 de la CLRCM. Les articles 3 et 4 prévoient certaines exceptions.

Article 2

Article 2

Créances soumises à la limitation

Claims subject to limitation

1 Sous réserves des articles 3 et 4, les créances suivantes, quel que soit le fondement de la responsabilité, sont soumises à la limitation de la responsabilité :

1 Subject to Articles 3 and 4 the following claims, whatever the basis of liability may be, shall be subject to limitation of liability:

a) créances pour mort, pour lésions corporelles, pour pertes et pour dommages à tous biens (y compris les dommages causés aux ouvrages d’art des ports, bassins, voies navigables et aides à la navigation) survenus à bord du navire ou en relation directe avec l’exploitation de celui‑ci ou avec des opérations d’assistance ou de sauvetage, ainsi que pour tout autre préjudice en résultant;

(a) claims in respect of loss of life or personal injury or loss of or damage to property (including damage to harbour works, basins and waterways and aids to navigation), occurring on board or in direct connexion with the operation of the ship or with salvage operations, and consequential loss resulting therefrom;

b) créances pour tout préjudice résultant d’un retard dans le transport par mer de la cargaison, des passagers ou de leurs bagages;

(b) claims in respect of loss resulting from delay in the carriage by sea of cargo, passengers or their luggage;

c) créances pour d’autres préjudices résultant de l’atteinte à tous droits de source extracontractuelle, et survenus en relation directe avec l’exploitation du navire ou avec des opérations d’assistance ou de sauvetage;

(c) claims in respect of other loss resulting from infringement of rights other than contractual rights, occurring in direct connexion with the operation of the ship or salvage operations;

d) créances pour avoir renfloué, enlevé, détruit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s’est trouvé à bord;

(d) claims in respect of the raising, removal, destruction or the rendering harmless of a ship which is sunk, wrecked, stranded or abandoned, including anything that is or has been on board such ship;

e) créances pour avoir enlevé, détruit ou rendu inoffensive la cargaison du navire;

(e) claims in respect of the removal, destruction or the rendering harmless of the cargo of the ship;

f) créances produites par une personne autre que la personne responsable, pour les mesures prises afin de prévenir ou de réduire un dommage pour lequel la personne responsable peut limiter sa responsabilité conformément à la présente Convention, et pour les dommages ultérieurement causés par ces mesures.

(f) claims of a person other than the person liable in respect of measures taken in order to avert or minimize loss for which the person liable may limit his liability in accordance with this Convention, and further loss caused by such measures.

 [...]

...

Article 4

Article 4

Conduite supprimant la limitation

Conduct barring limitation

Une personne responsable n’est pas en droit de limiter sa responsabilité s’il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

A person liable shall not be entitled to limit his liability if it is proved that the loss resulted from his personal act or omission, committed with the intent to cause such loss, or recklessly and with knowledge that such loss would probably result.

[28]  Ainsi, l’article 2 définit les créances qui sont soumises à la limitation de la responsabilité. Plus précisément, il prévoit que sous réserve des articles 3 et 4, les créances y énumérées, quel que soit le fondement de la responsabilité, y sont soumises. Pour les besoins des requêtes dont la Cour est saisie, les dispositions les plus pertinentes concernent les créances pour dommages aux biens en relation directe avec l’exploitation du navire et tout autre préjudice en résultant (alinéa 2(1)a)). Une autre disposition possiblement pertinente concerne les créances pour d’autres préjudices résultant de l’atteinte à tous droits en relation directe avec l’exploitation du navire (alinéa 2(1)c)). Certaines créances sont exclues du régime de limitation : elles sont énumérées à l’article 3. En l'espèce, il est utile de noter que la CLRCM ne s’applique pas aux créances pour dommages dus à la pollution par les hydrocarbures au sens de la CRC (alinéa 3b)). Par ailleurs, il est interdit au propriétaire de navire de limiter sa responsabilité dans les circonstances énoncées à l’article 4. Les limites de la responsabilité à l’égard des créances nées d’un même événement sont déterminées en fonction de la jauge du navire, selon le calcul prévu à l’article 6.

[29]  L’article 9 porte sur le traitement des créances concurrentes :

Article 9

Article 9

Concours de créances

Aggregation of claims

1 Les limites de la responsabilité déterminée selon l’article 6 s’appliquent à l’ensemble de toutes les créances nées d’un même événement :

1 The limits of liability determined in accordance with Article 6 shall apply to the aggregate of all claims which arise on any distinct occasion:

a) à l’égard de la personne ou des personnes visées au paragraphe 2 de l’article premier et de toute personne dont les faits, négligences ou fautes entraînent la responsabilité de celle‑ci ou de celles‑ci; ou

(a) against the person or persons mentioned in paragraph 2 of Article 1 and any person for whose act, neglect or default he or they are responsible; or

[30]  L’article 11 traite de la constitution d’un fonds de limitation :

Article 11

Article 11

Constitution du fonds

Constitution of the fund

1 Toute personne dont la responsabilité peut être mise en cause peut constituer un fonds auprès du tribunal ou de toute autre autorité compétente de tout État Partie dans lequel une action est engagée pour des créances soumises à limitation. Le fonds est constitué à concurrence du montant tel qu’il est calculé selon les dispositions des articles 6 et 7 applicables aux créances dont cette personne peut être responsable, augmenté des intérêts courus depuis la date de l’événement donnant naissance à la responsabilité jusqu’à celle de la constitution du fonds. Tout fonds ainsi constitué n’est disponible que pour régler les créances à l’égard desquelles la limitation de la responsabilité peut être invoquée.

1 Any person alleged to be liable may constitute a fund with the Court or other competent authority in any State Party in which legal proceedings are instituted in respect of claims subject to limitation. The fund shall be constituted in the sum of such of the amounts set out in Articles 6 and 7 as are applicable to claims for which that person may be liable, together with interest thereon from the date of the occurrence giving rise to the liability until the date of the constitution of the fund. Any fund thus constituted shall be available only for the payment of claims in respect of which limitation of liability can be invoked.

2 Un fonds peut être constitué, soit en consignant la somme, soit en fournissant une garantie acceptable en vertu de la législation de l’État Partie dans lequel le fonds est constitué, et considérée comme adéquate par le tribunal ou par toute autre autorité compétente.

2 A fund may be constituted, either by depositing the sum, or by producing a guarantee acceptable under the legislation of the State Party where the fund is constituted and considered to be adequate by the Court or other competent authority.

3 Un fonds constitué par l’une des personnes mentionnées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 ou au paragraphe 2 de l’article 9, ou par son assureur, est réputé constitué par toutes les personnes visées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 ou au paragraphe 2 respectivement.

3 A fund constituted by one of the persons mentioned in paragraph 1(a), (b) or (c) or paragraph 2 of Article 9 or his insurer shall be deemed constituted by all persons mentioned in paragraph 1(a), (b) or (c) or paragraph 2, respectively.

[31]  L’article 12 porte sur la répartition du fonds et l’article 13 exclut l’exercice d’autres recours en ces termes : « Si un fonds de limitation a été constitué conformément à l’article 11, aucune personne ayant produit une créance contre le fonds ne peut être admise à exercer des droits relatifs à cette créance sur d’autres biens d’une personne par qui ou au nom de laquelle le fonds a été constitué. »

[32]  Je reviens maintenant à la partie principale de la LRM, la partie 6, où il est question de responsabilité et d’indemnisation en matière de pollution. Là encore, le texte incorpore au droit canadien diverses conventions internationales dont le Canada est un signataire, y compris la CRC et la Convention sur les hydrocarbures de soute.

PARTIE 6

PART 6

Responsabilité et indemnisation en matière de pollution

Liability and Compensation for Pollution

SECTION 1

DIVISION 1

Conventions internationales

International Conventions

Définitions et interprétation

Interpretation

Définitions

Definitions

47 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

47 (1) The following definitions apply in this Division.

Convention sur les hydrocarbures de soute La Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute, conclue à Londres le 23 mars 2001. (Bunkers Convention)

Bunkers Convention means the International Convention on Civil Liability for Bunker Oil Pollution Damage, 2001, concluded at London on March 23, 2001. (Convention sur les hydrocarbures de soute)

Convention sur la responsabilité civile La Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclue à Londres le 27 novembre 1992, dont l’article V a été modifié par la résolution adoptée par le Comité juridique de l’Organisation maritime internationale le 18 octobre 2000. (Civil Liability Convention)

Civil Liability Convention means the International Convention on Civil Liability for Oil Pollution Damage, 1992, concluded at London on November 27, 1992, Article V of which was amended by the Resolution adopted by the Legal Committee of the International Maritime Organization on October 18, 2000. (Convention sur la responsabilité civile)

rejet S’agissant d’un hydrocarbure ou d’un hydrocarbure de soute, rejet d’un hydrocarbure ou d’un hydrocarbure de soute qui, directement ou indirectement, atteint l’eau, notamment par déversement, fuite, déchargement ou chargement par pompage, rejet liquide, émanation, vidange, rejet solide et immersion. (discharge)

discharge, in relation to oil and bunker oil, means a discharge of oil or bunker oil that directly or indirectly results in the oil or bunker oil entering the water, and includes spilling, leaking, pumping, pouring, emitting, emptying, throwing and dumping. (rejet)

Convention sur le Fonds international La Convention internationale de 1992 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclue à Londres le 27 novembre 1992, dont l’article 4 a été modifié par la résolution adoptée par le Comité juridique de l’Organisation maritime internationale le 18 octobre 2000. (Fund Convention)

Fund Convention means the International Convention on the Establishment of an International Fund for Compensation for Oil Pollution Damage, 1992, concluded at London on November 27, 1992, Article 4 of which was amended by the Resolution adopted by the Legal Committee of the International Maritime Organization on October 18, 2000. (Convention sur le Fonds international)

 [...]

...

Fonds international Le Fonds international d’indemnisation de 1992 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures constitué par l’article 2 de la Convention sur le Fonds international. (International Fund)

International Fund means the International Oil Pollution Compensation Fund, 1992 established by Article 2 of the Fund Convention. (Fonds international)

 [...]

...

Fonds complémentaire Le Fonds complémentaire international d’indemnisation de 2003 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures constitué par l’article 2 du Protocole portant création d’un Fonds complémentaire. (Supplementary Fund)

Supplementary Fund means the International Oil Pollution Compensation Supplementary Fund, 2003 established by Article 2 of the Supplementary Fund Protocol. (Fonds complémentaire)

Protocole portant création d’un Fonds complémentaire Le Protocole de 2003 à la Convention internationale de 1992 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, conclu à Londres le 16 mai 2003. (Supplementary Fund Protocol)

Supplementary Fund Protocol means the Protocol of 2003 to the International Convention on the Establishment of an International Fund for Compensation for Oil Pollution Damage, 1992, concluded at London on May 16, 2003. (Protocole portant création d’un Fonds complémentaire)

[...]

...

Convention sur la responsabilité civile

Civil Liability Convention

Force de loi

Force of law

48 Les articles I à XI, XII bis et 15 de la Convention sur la responsabilité civile – lesquels figurent à l’annexe 5 – ont force de loi au Canada.

48 Articles I to XI, XII bis and 15 of the Civil Liability Convention – that are set out in Schedule 5 – have the force of law in Canada.

État contractant

Contracting State

49 (1) Pour l’application de la Convention sur la responsabilité civile, le Canada est un État contractant.

49 (1) For the purposes of the application of the Civil Liability Convention, Canada is a Contracting State.

[...]

...

Compétence exclusive de la Cour d’amirauté

Admiralty Court’s jurisdiction – limitation fund

52 (1) La Cour d’amirauté a compétence exclusive pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation aux termes de la Convention sur la responsabilité civile.

52 (1) The Admiralty Court has exclusive jurisdiction with respect to any matter relating to the constitution and distribution of a limitation fund under the Civil Liability Convention.

Droit d’invoquer la limite de responsabilité

Right to assert limitation defence

(2) Lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes de la Convention sur la responsabilité civile, relativement à une créance — réelle ou appréhendée —, cette personne peut se prévaloir de la limitation de responsabilité en constituant le fonds de limitation requis au titre de cette convention et en présentant une défense, ou dans le cadre d’une action ou demande reconventionnelle pour obtenir un jugement déclaratoire, devant la Cour d’amirauté.

(2) When a claim is made or apprehended against a person in respect of liability that is limited under the Civil Liability Convention, that person may assert their right to a limitation of liability by constituting a fund as required under that Convention and filing a defence, or by way of action or counterclaim for declaratory relief, in the Admiralty Court.

Suspension d’instance

Stay of proceedings

(3) Une fois le fonds de limitation constitué auprès de la Cour d’amirauté, tout autre tribunal où a été intentée une action où est invoquée la limitation de responsabilité prévue par la Convention sur la responsabilité civile suspend l’instance et renvoie toute créance fondée sur cette convention à la Cour d’amirauté.

(3) When a fund is constituted in the Admiralty Court, any other court, where an action asserting limitation of liability under the Civil Liability Convention has been commenced, shall stay the proceedings and refer all claims under that Convention to the Admiralty Court.

Pouvoirs de la Cour d’amirauté

Admiralty Court’s powers

53 (1) Lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes de la Convention sur la responsabilité civile, relativement à une créance – réelle ou appréhendée –, la Cour d’amirauté peut, à la demande de cette personne ou de tout autre intéressé, prendre toute mesure qu’elle juge indiquée, notamment :

53 (1) When a claim is made or apprehended against a person in respect of liability that is limited under the Civil Liability Convention, the Admiralty Court, on application by that person or any other interested person, may take any steps that it considers appropriate, including

a) déterminer le montant de la responsabilité et faire le nécessaire pour la constitution et la répartition du fonds de limitation correspondant, conformément à cette convention;

(a) determining the amount of the liability and providing for the constitution and distribution of a fund under that Convention; and

b) joindre tout intéressé comme partie à l’instance, exclure tout créancier forclos en application de l’article VIII de cette convention, exiger une garantie des parties invoquant la limitation de responsabilité ou de tout autre intéressé et exiger le paiement des frais.

(b) joining interested persons as parties to the proceedings, excluding any claimants who do not make a claim within the time limits set out in Article VIII of that Convention, requiring security from the person claiming limitation of liability or from any other interested person and requiring the payment of any costs.

[...]

...

Procédure

Procedural matters

(3) La Cour d’amirauté peut :

(3) The Admiralty Court may

a) établir les règles de procédure qu’elle juge utiles relativement à toute affaire dont elle est saisie au titre du présent article;

(a) make any rule of procedure that it considers appropriate with respect to proceedings before it under this section; and

b) déterminer quelle garantie elle estime acceptable pour l’application du paragraphe 3 de l’article V de la Convention sur la responsabilité civile.

(b) determine what form of guarantee it considers to be adequate for the purposes of paragraph 3 of Article V of the Civil Liability Convention.

[33]  Le texte des articles I à XI, XII bis et 15 de la CRC figurent à l’annexe 5 de la LRM. Là encore, par souci de commodité, les articles les plus pertinents sont reproduits ci‑dessous.

[34]  L’article premier de la CRC définit plusieurs termes, dont les suivants :

ARTICLE PREMIER

ARTICLE I

Au sens de la présente Convention :

For the purposes of this Convention:

[...]

...

5 Hydrocarbures signifie tous les hydrocarbures minéraux persistants, notamment le pétrole brut, le fuel‑oil, l’huile diesel lourde et l’huile de graissage, qu’ils soient transportés à bord d’un navire en tant que cargaison ou dans les soutes de ce navire.

5 Oil means any persistent hydrocarbon mineral oil such as crude oil, fuel oil, heavy diesel oil and lubricating oil, whether carried on board a ship as cargo or in the bunkers of such a ship.

6 Dommage par pollution signifie :

6 Pollution damage means:

a) le préjudice ou le dommage causé à l’extérieur du navire par une contamination survenue à la suite d’une fuite ou d’un rejet d’hydrocarbures du navire, où que cette fuite ou ce rejet se produise, étant entendu que les indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement autres que le manque à gagner dû à cette altération seront limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront;

(a) loss or damage caused outside the ship by contamination resulting from the escape or discharge of oil from the ship, wherever such escape or discharge may occur, provided that compensation for impairment of the environment other than loss of profit from such impairment shall be limited to costs of reasonable measures of reinstatement actually undertaken or to be undertaken;

b) le coût des mesures de sauvegarde et les autres préjudices ou dommages causés par ces mesures.

(b) the costs of preventive measures and further loss or damage caused by preventive measures.

7 Mesures de sauvegarde signifie toutes mesures raisonnables prises par toute personne après la survenance d’un événement pour prévenir ou limiter la pollution.

7 Preventive measures means any reasonable measures taken by any person after an incident has occurred to prevent or minimize pollution damage.

8 Événement signifie tout fait ou tout ensemble de faits ayant la même origine et dont résulte une pollution ou qui constitue une menace grave et imminente de pollution.

8 Incident means any occurrence, or series of occurrences having the same origin, which causes pollution damage or creates a grave and imminent threat of causing such damage.

[35]  Les articles III et IV traitent de la responsabilité du propriétaire d’un navire pour les dommages par pollution causés par le navire et, notamment, des cas où le propriétaire n’est pas en droit de limiter sa responsabilité :

ARTICLE III

ARTICLE III

1 Le propriétaire du navire au moment d’un événement ou, si l’événement consiste en une succession de faits, au moment du premier de ces faits, est responsable de tout dommage par pollution causé par le navire et résultant de l’événement, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article.

1 Except as provided in paragraphs 2 and 3 of this Article, the owner of a ship at the time of an incident, or, where the incident consists of a series of occurrences, at the time of the first such occurrence, shall be liable for any pollution damage caused by the ship as a result of the incident.

 [...]

...

4 Aucune demande de réparation de dommage par pollution ne peut être formée contre le propriétaire autrement que sur la base de la présente Convention. Sous réserve du paragraphe 5 du présent article, aucune demande de réparation de dommage par pollution, qu’elle soit ou non fondée sur la présente Convention, ne peut être introduite contre :

4 No claim for compensation for pollution damage may be made against the owner otherwise than in accordance with this Convention. Subject to paragraph 5 of this Article, no claim for compensation for pollution damage under this Convention or otherwise may be made against:

a) les préposés ou mandataires du propriétaire ou les membres de l’équipage;

(a) the servants or agents of the owner or the members of the crew;

b) le pilote ou toute autre personne qui, sans être membre de l’équipage, s’acquitte de services pour le navire;

(b) the pilot or any other person who, without being a member of the crew, performs services for the ship;

c) tout affréteur (sous quelque appellation que ce soit, y compris un affréteur coque nue), armateur ou armateur‑gérant du navire;

(c) any charterer (howsoever described, including a bareboat charterer), manager or operator of the ship;

d) toute personne accomplissant des opérations de sauvetage avec l’accord du propriétaire ou sur les instructions d’une autorité publique compétente;

(d) any person performing salvage operations with the consent of the owner or on the instructions of a competent public authority;

e) toute personne prenant des mesures de sauvegarde;

(e) any person taking preventive measures;

f) tous préposés ou mandataires des personnes mentionnées aux alinéas c), d) et e);

(f) all servants or agents of persons mentioned in subparagraphs (c), (d) and (e);

à moins que le dommage ne résulte de leur fait ou de leur omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

unless the damage resulted from their personal act or omission, committed with the intent to cause such damage, or recklessly and with knowledge that such damage would probably result.

 [...]

...

ARTICLE V

ARTICLE V

1 Le propriétaire d’un navire est en droit de limiter sa responsabilité aux termes de la présente Convention à un montant total par événement calculé comme suit :

1 The owner of a ship shall be entitled to limit his liability under this Convention in respect of any one incident to an aggregate amount calculated as follows:

a) 4 510 000 d’unités de compte pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 5 000 unités;

(a) 4,510,000 units of account for a ship not exceeding 5,000 units of tonnage;

b) pour un navire dont la jauge dépasse ce nombre d’unités, pour chaque unité de jauge supplémentaire, 631 unités de compte en sus du montant mentionné à l’alinéa a);

(b) for a ship with a tonnage in excess thereof, for each additional unit of tonnage, 631 units of account in addition to the amount mentioned in sub‑paragraph (a);

étant entendu toutefois que le montant total ne pourra en aucun cas excéder 89 770 000 d’unités de compte.

provided, however, that this aggregate amount shall not in any event exceed 89,770,000 units of account.

2 Le propriétaire n’est pas en droit de limiter sa responsabilité aux termes de la présente Convention s’il est prouvé que le dommage par pollution résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement.

2 The owner shall not be entitled to limit his liability under this Convention if it is proved that the pollution damage resulted from his personal act or omission, committed with the intent to cause such damage, or recklessly and with knowledge that such damage would probably result.

[36]  Revenons une fois de plus aux dispositions de la LRM, dont la section 1 se rapporte à la Convention sur les hydrocarbures de soute.

[37]  L’article 69 de la LRM énonce que les articles 1 à 10 de la Convention sur les hydrocarbures de soute – qui figurent à l’annexe 8 de la LRM – ont force de loi au Canada. Il est intéressant de prendre note du texte de l’article 72 de la LRM, qui énonce que la partie 3 de la LRM (Limitation de responsabilité en matière de créances maritimes) s’applique également à toute créance découlant de l’application de la Convention sur les hydrocarbures de soute. Ainsi, pour les besoins des requêtes dont la Cour est saisie, même s’il existe un consensus général voulant que la Convention sur les hydrocarbures de soute s’applique, je ferai également référence à la CLRCM dans la mesure où celle‑ci s’applique aux créances découlant de l’application de la Convention sur les hydrocarbures de soute, y compris en matière de limitation de responsabilité.

[38]  Divers termes sont définis à l’article 1 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, dont les suivants :

ARTICLE 1

ARTICLE 1

Définitions

Definitions

Aux fins de la présente Convention :

For the purposes of this Convention:

[...]

...

5 Hydrocarbures de soute signifie tous les hydrocarbures minéraux, y compris l’huile de graissage, utilisés ou destinés à être utilisés pour l’exploitation ou la propulsion du navire, et les résidus de tels hydrocarbures.

5 Bunker oil means any hydrocarbon mineral oil, including lubricating oil, used or intended to be used for the operation or propulsion of the ship, and any residues of such oil.

[...]

...

7 Mesures de sauvegarde signifie toutes mesures raisonnables prises par toute personne après la survenance d’un événement pour prévenir ou limiter le dommage par pollution.

7 Preventive measures means any reasonable measures taken by any person after an incident has occurred to prevent or minimize pollution damage.

8 Événement signifie tout fait ou tout ensemble de faits ayant la même origine et dont résulte un dommage par pollution ou qui constitue une menace grave et imminente de dommage par pollution.

8 Incident means any occurrence or series of occurrences having the same origin, which causes pollution damage or creates a grave and imminent threat of causing such damage.

9 Dommage par pollution signifie :

9 Pollution damage means:

a) le préjudice ou le dommage causé à l’extérieur du navire par contamination survenue à la suite d’une fuite ou d’un rejet d’hydrocarbures de soute du navire, où que cette fuite ou ce rejet se produise, étant entendu que les indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement autres que le manque à gagner dû à cette altération seront limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront; et

(a) loss or damage caused outside the ship by contamination resulting from the escape or discharge of bunker oil from the ship, wherever such escape or discharge may occur, provided that compensation for impairment of the environment other than loss of profit from such impairment shall be limited to costs of reasonable measures of reinstatement actually undertaken or to be undertaken; and

b) le coût des mesures de sauvegarde et les autres préjudices ou dommages causés par ces mesures.

(b) the costs of preventive measures and further loss or damage caused by preventive measures.

[39]  Aux termes du paragraphe 3(1), le propriétaire d’un navire est responsable des dommages par pollution causés par les hydrocarbures de soute se trouvant à bord ou provenant de son navire, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 3(3) et (4). L’article 4 précise que la Convention sur les hydrocarbures de soute ne s’applique pas au dommage par pollution tel qu’il est défini dans la CRC. L’article 6 porte sur le droit des propriétaires de navire de limiter leur responsabilité :

ARTICLE 6

ARTICLE 6

Limitation de la responsabilité

Limitation of Liability

Aucune disposition de la présente Convention n’affecte le droit du propriétaire du navire et de la personne ou des personnes qui fournissent l’assurance ou autre garantie financière de limiter leur responsabilité en vertu de tout régime national ou international applicable, tel que la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, telle que modifiée.

Nothing in this Convention shall affect the right of the shipowner and the person or persons providing insurance or other financial security to limit liability under any applicable national or international regime, such as the Convention on Limitation of Liability for Maritime Claims, 1976, as amended.

[40]  Je reviens une nouvelle fois au texte de la LRM. À la section 2 de la partie 6, la LRM traite de la responsabilité non visée par la section 1 :

SECTION 2

DIVISION 2

Responsabilité non visée par la section 1

Liability Not Covered by Division 1

Définitions

Interpretation

Définitions

Definitions

75 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

75 The following definitions apply in this Division.

[...]

...

hydrocarbures Les hydrocarbures de toutes sortes sous toutes leurs formes, notamment le pétrole, le fioul, les boues, les résidus d’hydrocarbures et les hydrocarbures mélangés à des déchets, à l’exclusion des déblais de dragage. (oil)

oil means oil of any kind or in any form and includes petroleum, fuel oil, sludge, oil refuse and oil mixed with wastes but does not include dredged spoil. (hydrocarbures)

dommages dus à la pollution par les hydrocarbures S’agissant d’un navire, pertes ou dommages extérieurs au navire et causés par une contamination résultant du rejet d’hydrocarbures par ce navire. (oil pollution damage)

oil pollution damage, in relation to any ship, means loss or damage outside the ship caused by contamination resulting from the discharge of oil from the ship. (dommages dus à la pollution par les hydrocarbures)

[...]

...

polluant Les hydrocarbures, les substances qualifiées par règlement, nommément ou par catégorie, de polluantes pour l’application de la présente partie et, notamment :

pollutant means oil and any substance or class of substances identified by the regulations as a pollutant for the purposes of this Part and includes

a) les substances qui, ajoutées à l’eau, produiraient, directement ou non, une dégradation ou altération de sa qualité de nature à nuire à son utilisation par les êtres humains ou par les animaux ou les plantes utiles aux êtres humains;

(a) a substance that, if added to any waters, would degrade or alter or form part of a process of degradation or alteration of the waters’ quality to an extent that their use would be detrimental to humans or animals or plants that are useful to humans; and

b) l’eau qui contient une substance en quantité ou concentration telle — ou qui a été chauffée ou traitée ou transformée depuis son état naturel de façon telle — que son addition à l’eau produirait, directement ou non, une dégradation ou altération de la qualité de cette eau de nature à nuire à son utilisation par les êtres humains ou par les animaux ou les plantes utiles aux êtres humains. (pollutant)

(b) any water that contains a substance in such a quantity or concentration, or that has been so treated, processed or changed, by heat or other means, from a natural state that it would, if added to any waters, degrade or alter or form part of a process of degradation or alteration of the waters’ quality to an extent that their use would be detrimental to humans or animals or plants that are useful to humans. (polluant)

dommages dus à la pollution S’agissant d’un navire, pertes ou dommages extérieurs au navire et causés par une contamination résultant du rejet d’un polluant par ce navire. (pollution damage)

pollution damage, in relation to any ship, means loss or damage outside the ship caused by contamination resulting from the discharge of a pollutant from the ship. (dommages dus à la pollution)

[41]  L’article 77 tient le propriétaire d’un navire responsable des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par son navire et des frais connexes raisonnables engagés pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum lesdits dommages, suivant les dispositions de cet article. Selon le paragraphe 77(2), il est également responsable des dommages causés à l’environnement :

Responsabilité : dommage à l’environnement

Liability for environmental damage

77 (2) Lorsque des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un navire ont des conséquences néfastes pour l’environnement, le propriétaire du navire est responsable des frais occasionnés par les mesures raisonnables de remise en état qui sont prises ou qui le seront.

77 (2) If oil pollution damage from a ship results in impairment to the environment, the owner of the ship is liable for the costs of reasonable measures of reinstatement undertaken or to be undertaken.

[42]  La section 3 de la partie 6 de la LRM concerne la compétence de la Cour fédérale :

SECTION 3

DIVISION 3

Dispositions générales

General Provisions

Cour d’amirauté

Admiralty Court

Compétence

Jurisdiction

79 (1) La Cour d’amirauté a compétence à l’égard de toute demande d’indemnisation présentée au Canada en vertu d’une convention visée à la section 1 et de celle présentée en vertu de la section 2.

79 (1) The Admiralty Court has jurisdiction with respect to claims for compensation brought in Canada under any convention under Division 1 and claims for compensation under Division 2.

Compétence – action réelle

Jurisdiction may be exercised in rem

(2) La compétence de la Cour d’amirauté peut s’exercer par voie d’action réelle contre le navire qui fait l’objet de la demande ou à l’égard du produit de la vente de celui‑ci déposé au tribunal.

(2) The jurisdiction conferred on the Admiralty Court may be exercised in rem against the ship that is the subject of the claim, or against any proceeds of sale of the ship that have been paid into court.

[43]  La partie 7 de la LRM concerne la Caisse d’indemnisation. Le régime est complexe, mais comme la Caisse d’indemnisation le rappelle dans ses observations, il s’agit d’un compte à fins déterminées établi dans les comptes du Canada pour faciliter le règlement des demandes d’indemnisation en cas de pollution causée par les navires dans les eaux canadiennes, tout en protégeant les contribuables. La Caisse d’indemnisation est représentée par son administrateur (LRM, art. 92, par. 94(1)). Selon le paragraphe 101(1) de la LRM, et sous réserve des autres dispositions de la partie 7, la Caisse d’indemnisation assume les frais, pertes ou dommages liés à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, visés aux articles 51, 71 et 77 de la LRM, à l’article III de la CRC et à l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute en ce qui concerne les dommages par pollution, lorsque certains critères sont remplis. Ces critères comprennent ceux précisés à l’alinéa 101(1)c), qui prévoit que la créance doit excéder la limite de la responsabilité du propriétaire du navire fixée en vertu de la CRC (dans la mesure où l’excédent ne peut être recouvré auprès du Fonds international ni auprès du Fonds complémentaire) ou la limite de la responsabilité du propriétaire du navire fixée en vertu de la partie 3 de la LRM. Autrement dit, lorsque le paragraphe 101(1) de la LRM s’applique, l’administrateur peut être tenu responsable du paiement de la somme que le propriétaire du navire aurait autrement été tenu de payer en application de la partie 6 de la LRM.

[44]  En plus des droits qu’elle peut exercer contre la Caisse d’indemnisation en vertu de l’article 101 de la LRM, une personne peut présenter une demande en recouvrement de créance directement à l’administrateur en application de l’article 103 ou de l’article 107 de la LRM.

[45]  Lorsqu’un demandeur intente une action contre un propriétaire de navire ou contre le navire lui‑même – une action réelle –, l’article 109 de la LRM oblige l’administrateur à comparaître et à prendre les mesures qu’il juge à propos pour la bonne gestion de la Caisse d’indemnisation :

Action contre le propriétaire d’un navire

Proceedings against owner of ship

109 (1) À l’exception des actions fondées sur l’alinéa 77(1)c) intentées par le ministre des Pêches et des Océans à l’égard d’un polluant autre que les hydrocarbures, les règles ci‑après s’appliquent aux actions en responsabilité fondées sur les articles 51, 71 ou 77, l’article III de la Convention sur la responsabilité civile ou l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute intentées contre le propriétaire d’un navire ou son garant :

109 (1) If a claimant commences proceedings against the owner of a ship or the owner’s guarantor in respect of a matter referred to in section 51, 71 or 77, Article III of the Civil Liability Convention or Article 3 of the Bunkers Convention, except in the case of proceedings based on paragraph 77(1)(c) commenced by the Minister of Fisheries and Oceans in respect of a pollutant other than oil,

a) l’acte introductif d’instance doit être signifié à l’administrateur – soit par la remise à celui‑ci d’une copie en main propre, soit par le dépôt d’une copie au lieu de sa dernière résidence connue – qui devient de ce fait partie à l’instance;

(a) the document commencing the proceedings shall be served on the Administrator by delivering a copy of it personally to him or her, or by leaving a copy at his or her last known address, and the Administrator is then a party to the proceedings; and

b) l’administrateur doit comparaître et prendre les mesures qu’il juge à propos pour la bonne gestion de la Caisse d’indemnisation, notamment conclure une transaction avant ou après jugement.

(b) the Administrator shall appear and take any action, including being a party to a settlement either before or after judgment, that he or she considers appropriate for the proper administration of the Ship‑source Oil Pollution Fund.

Règlement d’une affaire

If Administrator party to settlement

(2) Dans le cas où il conclut une transaction en application de l’alinéa (1)b), l’administrateur ordonne le versement au demandeur, par prélèvement sur la Caisse d’indemnisation, du montant convenu.

(2) If the Administrator is a party to a settlement under paragraph (1)(b), he or she shall direct payment to be made to the claimant of the amount that the Administrator has agreed to pay under the settlement.

[46]  Puisque l’action en limitation de responsabilité est essentiellement une action intentée contre un fonds constitué pour se substituer aux navires pollueurs, en l’espèce le remorqueur et le chaland, l’administrateur est partie à cette action et, il juge opportun de présenter ses observations dans le cadre des requêtes dont la Cour est saisie. L’administrateur est aussi partie, par application de la Loi, à l’action intentée en CSCB.

VI.  Les thèses des parties

[47]  Bien que la Cour soit saisie de deux requêtes distinctes, la question de savoir s’il est interdit aux Heiltsuk de continuer l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby et celle de savoir si la Cour doit suspendre l’action en limitation de responsabilité intentée devant elle par Kirby. Les parties sont conscientes de ces chevauchements qui se traduisent dans leurs observations écrites, de sorte que dans mon résumé des thèses qu’elles font valoir je ne me suis pas employée à traiter séparément de leurs observations selon qu’elles portent sur l’interdiction ou sur la suspension.

A.  Les observations de Kirby

[48]  Selon Kirby, il convient que la Cour exerce sa compétence exclusive pour constituer le fonds d’indemnisation prévu par la CLRCM et décider de sa répartition, et elle se doit de le faire et de statuer sur l’action en limitation de responsabilité. Kirby ajoute que, ce faisant, il devrait être interdit aux Heiltsuk de continuer l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby.

[49]  Kirby soutient que les demandes formulées contre les défendeurs Kirby dans le cadre de l’action intentée en CSCB sont régies par la Convention sur les hydrocarbures de soute et qu’elles sont assujetties aux dispositions sur la limitation de la responsabilité prévues dans la CLRCM. Selon le paragraphe 32(2) de la LRM, le propriétaire de navire qui invoque le droit de limiter sa responsabilité en vertu de la CLRCM peut le faire « devant tout tribunal compétent au Canada ». Kirby se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Siemens Canada Limited c JD Irving Limited, 2012 CAF 225 [JD Irving CAF], pour affirmer qu’en tant que propriétaire de navire, elle a le droit de choisir le tribunal devant lequel elle souhaite se prévaloir de son droit de limiter sa responsabilité. Une fois cela fait, son choix ne peut être ignoré par la Cour ou par la CSCB (JD Irving CAF, aux par. 50 et 115). En outre, le paragraphe 32(1) de la LRM prévoit que la Cour « a compétence exclusive pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation » sous le régime de la CLRCM. Certes, la Cour ne dispose pas d’une compétence exclusive à l’égard de toutes les actions dans lesquelles le propriétaire d’un navire invoque les droits que lui confère la CLRCM, mais la Cour d’appel fédérale a déclaré, dans l’arrêt JD Irving CAF, que dans les faits, la Cour fédérale possède une compétence exclusive pour entendre les actions en limitation de responsabilité (JD Irving CAF, aux par. 91‑92 et 116).

[50]  Selon Kirby, il ne fait aucun doute que le droit maritime s’applique à l’événement et, indépendamment de la façon dont les Heiltsuk ont formulé leurs demandes dans l’action intentée en CSCB, toutes ces demandes se rapportent aux dommages par pollution qui découlent de l’événement. Par conséquent, conformément à la LRM, Kirby peut exercer le droit qui lui est conféré par la Loi de limiter sa responsabilité devant la Cour fédérale.

[51]  Kirby soutient qu’il y a eu lieu de constituer un fonds de limitation sous le régime de la CLRCM à ce stade‑ci de l’affaire. La requête qu’elle a présentée en vertu de l’article 33 de la LRM est de nature interlocutoire et vise simplement à obtenir la constitution d’un fonds et des directives connexes. Si la constitution du fonds est remise à plus tard, la protection que la LRM est censée accorder au propriétaire du navire s’érodera. La question de savoir si le propriétaire du navire est effectivement en droit de limiter sa responsabilité ne sera tranchée qu’après présentation de la preuve dans le cadre d’une instance en limitation de responsabilité présidée par la Cour (JD Irving, Limited c Siemens Canada Limited, 2011 CF 791 [JD Irving CF], aux par. 81‑84; JD Irving CAF, au par. 20).

[52]  Si la Cour devait faire droit à la demande de constitution d’un fonds de limitation sous le régime de la CLRCM, le montant du fonds serait alors déterminé en application de l’article 6 de la CLRCM, en fonction de la jauge du navire en question. Kirby affirme que même s’ils étaient reliés au moment de l’événement, le remorqueur et le chaland ne constituent pas un seul bâtiment (Rhône (Le) c Peter AB Widener (Le), [1993] 1 RCS 497, à la p. 541, 101 DLR (4th) 188 [Le Rhône]; Bayside Towing Ltd c Canadien Pacifique Ltée, [2001] 2 CF 258, au par. 36 [Bayside]). Il s’ensuit, de l’avis de Kirby, que le montant à verser au fonds prévu par la CLRCM devrait être calculé uniquement en fonction de la jauge du remorqueur, ce qui correspond à 1,51 million de droits de tirage spéciaux [DTS], soit environ 2 730 000 $ CA.

[53]  Sur la question de l’ordonnance interdisant aux Heiltsuk de poursuivre l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby, Kirby note que lorsque la responsabilité d’une personne est limitée sous le régime de la CLRCM relativement à une réclamation présentée contre elle, l’article 33 de la LRM autorise la Cour à prendre « toute mesure qu’elle juge indiquée », et notamment à « empêcher toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité ». Kirby avance que la Cour doit appliquer le critère de la « mesure indiquée », et non un de ceux qui sont énoncés dans les arrêts Amchem Products Incorporated c Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 RCS 897, 102 DLR (4th) 96 [Amchem], ou RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 111 DLR (4th) 385 [RJR‑MacDonald]. Elle soutient qu’il est indiqué de rendre une telle ordonnance, étant donné que la Cour a compétence sur l’ensemble des créances découlant de l’événement (Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, art. 22 [Loi sur les Cours fédérales]) et que les deux actions – l’action intentée en CSCB (contre les défendeurs Kirby) et l’action en limitation de responsabilité dont est saisie la Cour – portent sur le même objet, à savoir l’événement. De plus, le régime de limitation de la responsabilité vise précisément à éviter la multiplication des instances et il serait donc déraisonnable de permettre aux Heiltsuk de poursuivre l’action intentée en CSCB avant qu’il soit statué sur le droit de Kirby de limiter sa responsabilité. Interdire la poursuite de l’action intentée en CSCB ferait économiser des frais aux parties et permettrait d’éviter la tenue de plusieurs instances, sans que les Heiltsuk soient lésés; cela épargnerait aussi à Kirby l’important préjudice qui lui serait causé si elle devait être entraînée malgré elle dans un différend faisant intervenir des revendications complexes de titre et droits ancestraux, susceptible de s’étirer sur plusieurs décennies. Les Heiltsuk font valoir ces revendications contre les gouvernements fédéral et provincial dans l’action intentée en CSCB, mais celles‑ci sont sans rapport aucun avec l’événement à l’égard duquel la limitation de responsabilité est invoquée, ce qui va à l’encontre de l’objet même de l’action en limitation de responsabilité visée par la LRM.

[54]  Enfin, Kirby déclare qu’elle ne reconnaît pas la compétence de la CSCB, contrairement à ce que prétendent les Heiltsuk. Dans l’action intentée en CSCB, les défendeurs Kirby n’ont entrepris aucune démarche pour défendre leur position sur le fond; les seules mesures qu’ils ont prises jusqu’ici, soit le dépôt de la réponse relative à la question de compétence et le dépôt de l’avis de requête, avaient précisément pour but de contester la compétence de la CSCB. Kirby n’a pas non plus acquiescé à la compétence de la CSCB parce qu’elle a remis la LG‑CTH ou qu’elle aurait apparemment manqué aux règles de la CSCB en matière civile. Du reste, souligne‑t‑elle, le fait de reconnaître ou non la compétence de la CSCB est sans importance, car l’action en limitation de responsabilité intentée devant la Cour est une procédure sommaire portant sur une question bien précise, soit son droit de limiter sa responsabilité au titre de la LRM.

[55]  En ce qui concerne la requête en suspension d’instance des Heiltsuk, il est utile de rappeler que la Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt JD Irving CAF, que pour déterminer s’il est justifié de suspendre une action en limitation de responsabilité intentée devant la Cour fédérale sous le régime de la LRM en raison de l’introduction d’une action en responsabilité devant un autre tribunal, il faut s’en remettre à l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales et au critère énoncé dans la décision Mon‑Oil Ltd c Canada, [1989] 26 CRP (3d) 379, 27 FTR 50 (CF 1re inst.) [Mon‑Oil]. Contrairement à ce qu’affirment les Heiltsuk dans leurs arguments, l’alinéa 50(1)a) ne s’applique pas (JD Irving CAF, aux par. 125‑127). Kirby ajoute que le principe du forum non conveniens –qui, d’après les Heiltsuk, devrait être pris en considération pour décider s’il y a lieu de suspendre une procédure en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales – est inapplicable selon l’arrêt JD Irving CAF. Kirby soutient aussi que la jurisprudence invoquée par les Heiltsuk pour justifier l’application du principe du forum non conveniens concerne le paragraphe 46(1) de la LRM, qui est sans rapport avec l’objet de la présente instance.

[56]  Par ailleurs, de l’avis de Kirby, la Cour, si elle n’a pas compétence pour reconnaître aux Heiltsuk le titre ancestral et les droits ancestraux qu’ils revendiquent, a néanmoins le pouvoir de statuer sur la question de droit qui consiste à savoir si le régime de limitation de la responsabilité prévu dans la LRM porte atteinte de manière injustifiée aux droits revendiqués. En effet, la Cour peut se prononcer sur la constitutionnalité du régime de limitation de la responsabilité en partant de l’hypothèse que le titre et les droits revendiqués existent bel et bien. Une telle approche épargnerait aux Heiltsuk la nécessité d’établir l’existence de leur titre ancestral et de leurs droits ancestraux dans l’action en limitation de responsabilité. De plus, les Heiltsuk n’ont pas indiqué quelles étaient exactement les demandes fondées sur des dommages par pollution qu’il leur serait impossible de faire valoir sous le régime de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou de la CRC sans avoir d’abord établi leur titre ancestral et leurs droits ancestraux. Ils n’ont pas non plus donné suite à la poursuite qu’ils ont intentée en CSCB en 2003 concernant leurs titre et droits ancestraux. Ils n’ont donc pas établi qu’il était nécessaire de suspendre l’instance. Kirby précise par ailleurs qu’elle ne cherche pas à obtenir une suspension permanente de l’action intentée en CSCB contre l’ensemble des défendeurs visés dans cette instance. Elle demande plutôt qu’il soit temporairement interdit aux Heiltsuk de poursuivre cette action, et ce, uniquement contre les défendeurs Kirby, jusqu’à ce que la Cour rende sa décision dans l’action en limitation de responsabilité. À cet égard, si un procès devait se révéler nécessaire pour établir la responsabilité et le quantum des dommages‑intérêts parce que, à l’issue de l’action en limitation de responsabilité, la Cour déclarerait que Kirby n’est pas en droit de limiter sa responsabilité ou que les dispositions de la LRM sont inconstitutionnelles, Kirby convient qu'il pourrait être instruit par la CSCB.

B.  Les observations des Heiltsuk

[57]  Les Heiltsuk s’opposent à ce que Kirby constitue un fonds de limitation en Cour fédérale et à ce qu’il leur soit interdit d’aller de l’avant dans l’action intentée en CSCB. Ils demandent la suspension de l’instance et ajoutent que les motifs justifiant cette suspension justifient aussi que la Cour refuse de constituer un fonds de limitation et d’interdire la poursuite de l’action intentée en CSCB.

[58]  En réponse à la requête en interdiction de poursuite de Kirby, les Heiltsuk soutiennent qu’en dépit de l’importance à attacher au choix du tribunal par le propriétaire d’un navire, ce choix n’a pas automatiquement pour effet de priver la Cour du pouvoir de refuser d’exercer sa compétence, un argument qu’ils font reposer sur l’arrêt Magic Sportswear Corp c Mathilde Maersk (Le), 2006 CAF 284 [Magic Sportswear]). Les Heiltsuk affirment que dans l’arrêt JD Irving CAF, la Cour d’appel fédérale a omis de tenir compte d’une de ses propres décisions, rendue dans l’affaire Magic Sportswear, et qu’elle n’a pas rejeté le principe qui est énoncé dans cette décision antérieure, selon lequel la Cour est présumée conserver le pouvoir de refuser d’exercer sa compétence en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Les Heiltsuk soutiennent par conséquent que l’arrêt JD Irving CAF n’offre qu’une réponse incomplète à la question dont la Cour est saisie et que celle‑ci a toujours le pouvoir discrétionnaire de refuser d’instruire l’action en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[59]  Selon les Heiltsuk, la Cour a de bonnes raisons de refuser d’office de se saisir de l’affaire au motif qu’il existe un forum plus approprié. Parmi ces raisons, ils mentionnent le fait que Kirby a consenti à se soumettre de plein gré à la compétence de la CSCB dans le cadre d’un accord par lequel elle est liée, la LG‑CTH. Bien que la Cour fédérale ait compétence exclusive sur la constitution et la répartition du fonds de limitation, la LRM est muette sur la question de savoir ce que les parties peuvent convenir par contrat. Or, puisque l’article 11 de la CLRCM autorise le propriétaire de navire à constituer un fonds auprès de la Cour ou de toute autre autorité compétente de tout État Partie dans lequel une action est engagée, rien n’empêche les Heiltsuk et Kirby de consentir à ce que la CSCB soit la dépositaire d’un fonds de limitation en tant qu’autorité compétente. Par ailleurs, Kirby s’est soumise à la compétence de la CSCB par le biais de la LG‑CTH et elle a aussi acquiescé à l’exercice de la compétence de la CSCB en ne prenant aucune mesure pour la contester dans le délai fixé par les règles de la CSCB en matière civile après le dépôt de sa réponse relative à la question de compétence.

[60]  Par ailleurs, les Heiltsuk font valoir qu’ils subiront un préjudice important s’ils sont forcés de procéder devant la Cour fédérale. Dans le cadre de l’action intentée en CSCB, ils revendiquent un titre ancestral et d’autres droits auxquels il a été porté atteinte par l’événement, ce qu’ils ne peuvent pas faire en Cour fédérale, puisque ces revendications ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Les Heiltsuk déclarent que le titre ancestral revendiqué constitue un élément essentiel de leurs réclamations contre Kirby. En ce sens, bien qu’ils présentent une demande sous le régime de la LRM et de la Convention sur les hydrocarbures de soute, les Heiltsuk contestent également la constitutionnalité de certains aspects de la LRM qui, selon eux, portent atteinte à leurs droits ancestraux et leur titre ancestral. Ils contestent plus précisément les dispositions de la LRM qui leur interdisent d’être indemnisés par les propriétaires de navires pour certains types de dommages résultant de l’atteinte à leurs droits et leur titre ancestraux. De plus, la contestation constitutionnelle des Heiltsuk vise la définition de « dommage par pollution », dans la mesure où celle‑ci exclut les dommages à l’environnement et aux droits de récolte collectifs exercés à des fins non lucratives. La contestation vise aussi les dispositions de la LRM qui écartent la possibilité d’exercer des recours en common law contre les propriétaires de navires et limitent la responsabilité de ces derniers. Les Heiltsuk affirment que leur contestation fondée sur la Constitution serait foncièrement compromise s’ils étaient forcés de procéder devant la Cour et de renoncer à invoquer leur titre ancestral dans le cadre de la contestation. Selon eux, cette question de compétence est ce qui distingue la présente affaire de l’affaire JD Irving CAF : dans cette dernière, la Cour fédérale avait compétence sur tous les aspects de la procédure intentée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

[61]  Concernant la constitution d’un fonds de limitation, Heiltsuk soutient que le moment n’est pas opportun pour créer un fonds, étant donné qu’une question litigieuse demande à être tranchée, soit celle de savoir si le remorqueur et le chaland doivent être considérés comme un navire ou comme deux navires distincts aux fins du calcul du montant du fonds de limitation prévu par la CLRCM.

[62]  Les Heiltsuk soutiennent qu’il convient en l’espèce de faire droit à leur requête en suspension d’instance en vertu de l’alinéa 50(1)a) ou de l’alinéa 50(1)b) des Règles de la Cour fédérale. Selon eux, l’action intentée en CSCB est une « instance parallèle », de sorte que l’alinéa 50(1)a) s’applique. Ils ajoutent que les critères développés par la Cour d’appel fédérale pour l’application de l’alinéa 50(1)a) sont essentiellement les mêmes, en ce sens qu’ils consistent à déterminer si la Cour fédérale est ou non un forum approprié. Cela suppose notamment de procéder à un examen des divers facteurs énoncés aux paragraphes 91 et 92 de l’arrêt Magic Sportswear ainsi qu’au paragraphe 11 de l’arrêt Mazda Canada Inc. c Cougar Ace (Le), 2008 CAF 219 [Mazda Canada]. De plus, selon les Heiltsuk, la Cour d’appel fédérale aurait laissé entendre qu’une démarche simplifiée pouvait éventuellement s’appliquer lorsque la demande est en instance devant un autre tribunal canadien (Apotex Inc. c AstraZeneca Canada Inc., 2003 CAF 235 [Apotex]). Quant à l’alinéa 50(1)b), les Heiltsuk soutiennent que cette disposition appelle l’application du critère à deux volets de « l’intérêt de la justice » (JD Irving CAF, aux par. 19 et 126‑127). Ils maintiennent que si la suspension est refusée, ils subiront un préjudice considérable principalement attribuable à l’impossibilité de faire valoir devant la Cour fédérale la revendication de leur titre ancestral sur des biens immeubles appartenant à la Colombie‑Britannique, nommément les fonds marins et les estrans intérieurs situés dans la zone de pertes revendiquée, qui selon eux ne met pas en cause les obligations de la Couronne fédérale. De l’avis des Heiltsuk, s’il devait être privé de leur droit d’invoquer leur titre ancestral, il serait privé d’un avantage juridique étant donné qu’il s’agit d’un élément sur lequel ils s’appuient pour contester la validité de certaines parties de la LRM. Les Heiltsuk soutiennent par ailleurs que Kirby ne subira aucun préjudice si la suspension est accordée, et ce, pour un certain nombre de raisons, dont le fait que les Heiltsuk sont prêts à consentir à la constitution d’un fonds de limitation auprès de la CSCB et que Kirby ne serait pas privée de la possibilité de bénéficier d’une procédure sommaire, puisque la CSCB peut être saisie de ce genre de procédure.

C.  La Caisse d’indemnisation

[63]  La Caisse d’indemnisation soutient que la Cour devrait exercer sa compétence exclusive relativement à la CLRCM et à l’action en limitation de responsabilité qui s’y rapporte, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, l’événement, les créances en découlant et visées à la partie 6 de la LRM ainsi que l’action intentée en CSCB concernent « la navigation et les bâtiments ou navires », au sens du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, et le « droit maritime canadien » et relèvent donc de la compétence matérielle de la Cour fédérale en raison des articles 2, 22, 42 et 43 de la Loi sur les Cours fédérales, et de la mesure demandée par Kirby au titre de la LRM. Deuxièmement, la Convention sur les hydrocarbures de soute et la CLRCM s’appliquent. Troisièmement, la LRM prévoit que Kirby peut engager une action en limitation de responsabilité devant la Cour fédérale, même si cette action est postérieure au dépôt de l’action intentée en CSCB par les Heiltsuk. Quatrièmement, l’attribution d’une compétence exclusive à la Cour fédérale prime. Cinquièmement, la Cour fédérale possède une expérience et une expertise particulières dans le règlement des demandes en matière de dommages par pollution relevant de la partie 6 de la LRM, y compris celles présentées sous le régime de la Convention sur les hydrocarbures de soute et la CRC. Et enfin, sixièmement, il est de l’intérêt de l’administrateur et, vraisemblablement, des parties, de faire en sorte que les demandes des Heiltsuk et des autres créanciers potentiels soient présentées et tranchées selon un processus accéléré et rationalisé, ce que permettrait l’action en limitation de responsabilité si elle n’était pas alourdie par les revendications complexes et de grande portée faites par les Heiltsuk dans l’action intentée en CSCB contre la Colombie‑Britannique et le Canada, principalement en ce qui concerne le titre ancestral et les droits ancestraux.

[64]  La Caisse d’indemnisation fait remarquer que les Heiltsuk ont invoqué la CRC à titre subsidiaire dans l’action intentée en CSCB. Or, ni eux ni Kirby n’ont allégué les faits nécessaires pour pouvoir invoquer la CRC (p. ex. le transport d’hydrocarbures persistants). Puisque les Heiltsuk ne disposent d’aucune base factuelle ou juridique sur laquelle asseoir la responsabilité de Kirby au regard de la CRC, l’administrateur affirme qu’il n’y a pas lieu, à ce stade‑ci, de constituer un fonds sous le régime de la CRC.

[65]  L’administrateur soutient qu’il serait indiqué que la Cour fédérale interdise partiellement et temporairement aux Heiltsuk et aux autres créanciers potentiels d’aller de l’avant dans l’action intentée en CSCB. À cet égard, ses arguments se fondent essentiellement sur ceux que Kirby a exposés au sujet des questions suivantes : la compétence de la Cour fédérale; le fait que l’objet des actions est le même ou est semblable; le souci d’éviter la multiplicité des instances; les économies qui en résulteraient; le fait que l’application du critère ne demande pas de tenir compte des avantages de nature procédurale; et la possibilité d’épargner un préjudice aux parties. L’administrateur est favorable à l’idée d’interdire d’autres procédures en CSCB contre Kirby, mais uniquement dans la mesure où elles se rapportent directement aux demandes d’indemnisation présentées sous le régime de la partie 6 de la LRM, de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou de la CRC et pour lesquelles Kirby invoque le droit de limiter sa responsabilité. De plus, il est d’avis que l’interdiction devrait cesser une fois que la Cour fédérale aura rendu sa décision dans l’action en limitation de responsabilité. Les demandes formulées par les Heiltsuk dans l’action intentée en CSCB contre les Couronnes provinciale et fédérale visant à établir qu’il y a eu atteinte à des droits ancestraux ne devraient pas être entravées.

[66]  La Caisse d’indemnisation a aussi formulé des observations au sujet de la constitution d’un fonds de limitation et d’autres questions.

[67]  Concernant la requête en suspension d’instance, l’administrateur se fonde sur les observations qu’il a présentées dans sa réponse à la requête en limitation de responsabilité et, partant, il s’oppose à la suspension de l’action en limitation de responsabilité.

VII.  Questions préliminaires

[68]  Avant d’entreprendre l’analyse des questions dégagées précédemment, il y a lieu de faire un certain nombre de remarques préliminaires et de régler certaines questions. Celles‑ci concernent la compétence de la Cour, la portée de l’interdiction demandée par Kirby, l’applicabilité de la CRC, les critères à appliquer en l’espèce à l’analyse des questions liées à l’interdiction et à la suspension sollicitées, l’affirmation des Heiltsuk selon laquelle Kirby a acquiescé à la compétence de la CSCB et la recevabilité de l’affidavit de Mme Andrea Kreutz, adjointe juridique de l’avocate des Heiltsuk, souscrit le 24 juin 2019 et produit avec le dossier de la requête en suspension d’instance des Heiltsuk [l’affidavit Mme Kreutz].

A.  La compétence de la Cour

[69]  Il n’existe pas de véritable litige quant à la compétence de la Cour. Selon le paragraphe 22(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a compétence concurrente, en première instance, dans les cas — opposant notamment des administrés — où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande (au sens du par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867), sauf attribution expresse contraire de cette compétence; sans préjudice de la portée générale du paragraphe 22(1), la Cour a compétence dans les domaines énumérés au paragraphe 22(2), et notamment à l’égard des demandes d’indemnisation pour dommages causés par un navire (Loi sur les Cours fédérales, al. 22(2)d); voir aussi LRM, art. 2, 42 et 43). En l’espèce, les demandes d’indemnisation concernent des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures qui découlent de l’événement. Le droit qu’a le propriétaire de navire de limiter sa responsabilité – sur lequel repose la réparation demandée par Kirby – lui est accordé par les dispositions d’une loi fédérale, la LRM. Il ne fait aucun doute que l’action en limitation de responsabilité relève du droit maritime canadien. La Cour entend régulièrement des affaires de droit maritime, y compris des actions en limitation de responsabilité et des demandes d’indemnisation présentées par la Caisse d’indemnisation.

[70]  Par ailleurs, les Heiltsuk ne contestent pas sérieusement le fait que, suivant le paragraphe 32(1) de la LRM, la Cour d’amirauté – qui, selon la définition de l’article 2 de la LRM, est la Cour fédérale – a compétence pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation suivant les articles 11 à 13 de la CLRCM. Par contre, ils estiment que la Cour devrait de son plein gré refuser d’exercer sa compétence, ajoutant que la CSBC peut se voir confier cette compétence exclusive et l’exercer, et ce, même si la LRM confère ce pouvoir à la Cour fédérale à titre exclusif.

B.  La portée de l’interdiction demandée

[71]  Il importe de souligner, aux fins de la présente analyse, que Kirby ne cherche pas à faire interdire l’action intentée en CSCB dans son intégralité ni à obtenir une suspension permanente de l’instance. Kirby sollicite plutôt une ordonnance interdisant aux Heiltsuk de poursuivre l’action intentée en CSCB, mais à titre temporaire et contre les défendeurs Kirby uniquement, jusqu’à ce que l’action en limitation de responsabilité qu’elle a intentée devant notre Cour soit tranchée.

C.  L’application de la CRC

[72]  Dans le cadre de l’action intentée en CSCB, les Heiltsuk demandent, entre autres réparations, l’indemnisation des dommages par pollution sur la base de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou, à titre subsidiaire, de la CRC. Or, dans leur requête en suspension d’instance et dans leur réponse à la requête en interdiction, les Heiltsuk affirment qu’ils n’ont pas été informés de la nature des hydrocarbures ou résidus d’hydrocarbures que transportait l’ensemble remorqueur et le chaland et qu’ils n’avaient donc fait aucune allégation à ce sujet. Les Heiltsuk précisent qu’à ce stade‑ci de l’instance ni Kirby ni eux‑mêmes n’allèguent que la cargaison contenait des hydrocarbures persistants; or, à moins que Kirby allègue que ce type d’hydrocarbures faisait partie de la cargaison ou communique les éléments factuels concernant cette cargaison, c’est la Convention sur les hydrocarbures de soute qui doit s’appliquer à la demande des Heiltsuk. Les Heiltsuk ajoutent qu’ils s’opposent formellement à la constitution de tout fonds de limitation sous le régime de la CRC pour les mêmes raisons.

[73]  Le fait que les Heiltsuk invoquent la CRC dans l’action intentée en CSCB est important, et ce, pour deux raisons.

[74]  Premièrement, les limites de la responsabilité et, par conséquent, le montant du fonds de limitation, sont plus élevés sous le régime de la CRC que sous celui de la Convention sur les hydrocarbures de soute et de la CLRCM. Selon la CRC, pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 5 000 unités, le montant du fonds de limitation serait de 4 510 000 DTS (article V, alinéas 1a) et 9a)). Selon la Convention sur les hydrocarbures de soute et la CLRCM, incorporées à la LRM à son article 72, pour un navire dont la jauge ne dépasse pas 2 000 tonneaux, le fonds de limitation serait de 1 510 000 DTS. Pour les navires dont la jauge est supérieure à 2 000 tonneaux, 604 DTS viendraient s’ajouter au fonds pour chaque tonneau additionnel, jusqu’à concurrence de 30 000 tonneaux. Grossièrement, considérant que la jauge du remorqueur est censée être de 302 tonneaux, la limite de responsabilité serait fixée à 8 146 000 $ CA selon la CRC, par rapport à 2 727 000 $ CA si on applique la Convention sur les hydrocarbures de soute/CLRCM. De la même façon, la responsabilité relative au chaland – dont la jauge, semble‑t‑il, est de 4 276 tonneaux – serait limitée à 8 146 000 $ CA selon la CRC et à 5 211 000 $ CA selon la Convention sur les hydrocarbures de soute/CLRCM.

[75]  Deuxièmement, suivant le paragraphe 52(1) de la LRM, la Cour d’amirauté, c’est‑à‑dire la Cour fédérale, a compétence exclusive pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fond de limitation aux termes de la CRC. Selon le paragraphe 52(2), lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes de la CRC, relativement à une créance – réelle ou appréhendée –, cette personne peut se prévaloir de la limitation de responsabilité en constituant le fonds de limitation requis au titre de cette convention et en présentant une défense, ou encore dans le cadre d’une action ou demande reconventionnelle pour obtenir un jugement déclaratoire, devant la Cour d’amirauté. Le paragraphe 52(3) précise qu’une fois le fonds de limitation constitué auprès de la Cour d’amirauté, tout autre tribunal devant lequel a été intentée une action où est invoquée la limitation de responsabilité prévue par la CRC doit suspendre l’instance et renvoyer toute créance fondée sur cette convention à la Cour d’amirauté. Ainsi, si les Heiltsuk fondent une demande sur la CRC dans l’action intentée en CSCB, il est évident que la Cour a compétence exclusive sur cette demande et que l’action intentée en CSCB doit, à cet égard, être interdite jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’action en limitation de responsabilité.

[76]  Les Heiltsuk n’ont pas modifié leurs actes de procédure en ce qui concerne la CRC dans l’action intentée en CSCB et, lorsqu’ils ont comparu devant moi, leurs avocats se sont contentés de déclarer qu’il était possible qu’ils le fassent. Je remarque que l’événement s’est produit il y a près de trois ans et qu’un commandement unifié au sein duquel les Heiltsuk étaient représentés a été chargé de diriger les opérations d’intervention, de sorte qu’ils devraient avoir une idée du type d’hydrocarbures qui a été déversé. De plus, à l’appui de sa requête en interdiction, Kirby a déposé un affidavit souscrit le 17 juin 2019 par James Guirdry, qui se présente comme un dirigeant de Kirby Pacific, Kirby Operating et Kirby Offshore. Dans cet affidavit, M. Guirdry déclare que le chaland n’a jamais transporté de cargaison d’hydrocarbures persistants, de quelque type que ce soit (on peut présumer que le chaland, étant dépourvu de propulsion autonome, ne transportait pas d’hydrocarbures de soute), que le remorqueur a rejeté, par ses réservoirs de carburant fissurés, du carburant diesel et des huiles de graissage utilisés uniquement pour l’exploitation ou la propulsion du remorqueur (ce qui correspond à la définition d’« hydrocarbures de soute » au paragraphe 1(5) de la Convention sur les hydrocarbures de soute) et qu’aucun type de carburant ou d’hydrocarbure n’a été rejeté par le chaland (à savoir, aucun hydrocarbure persistant au sens du paragraphe 1(5) de la CRC). Les Heiltsuk ne contestent pas cette preuve. La Caisse d’indemnisation soutient que ni les Heiltsuk ni Kirby n’ont allégué les faits nécessaires pour pouvoir invoquer la CRC et que, pour le moment, les Heiltsuk ne disposent d’aucune base factuelle ou juridique sur laquelle asseoir la responsabilité de Kirby au regard de la CRC. Pour cette raison, l’administrateur affirme qu’il ne convient pas, à ce stade‑ci, de constituer un fonds sous le régime de la CRC.

[77]  Bien que je ne souscrive pas à l’argument des Heiltsuk, qui affirment que leur demande relève automatiquement de la Convention sur les hydrocarbures de soute étant donné que Kirby n’a pas déclaré que des hydrocarbures persistants étaient présents dans la cargaison ni produit de preuve à ce sujet (a fortiori puisque ce sont les Heiltsuk qui demandent une indemnisation fondée, à titre subsidiaire, sur la CRC), je partage l’avis de l’administrateur, à savoir que les faits, pour le moment, ne permettent pas la constitution d’un fonds sous le régime de la CRC. Par conséquent, les présents motifs traiteront uniquement de la Convention sur les hydrocarbures de soute/CLRCM.

[78]  Toutefois, je note que le fait que les Heiltsuk maintiennent leur demande subsidiaire dans l’action intentée en CSCB constitue un facteur justifiant que la Cour conserve sa compétence sur l’action en limitation de responsabilité. La raison en est que si, à un moment donné, les Heiltsuk devaient faire valoir que la CRC s’applique, l’action en limitation de responsabilité devrait forcément être poursuivie devant la Cour, étant donné que l’article 52 de la LRM lui confère la compétence exclusive à cet égard – sous réserve toutefois des délais de prescription et autres considérations pouvant faire entrave au transfert de l’action. Dans la mesure où certains aspects de l’action en limitation de responsabilité intentée en vertu de la Convention sur les hydrocarbures de soute relèvent d’une compétence partagée avec la CSCB, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice que la CSBC instruise cette action, sachant qu’elle pourrait devoir être transférée à la Cour pour qu’elle en dispose en tant que demande fondée sur la CRC.

D.  Les critères applicables à l’interdiction de poursuite et à la suspension d’une instance

(i)  Le critère applicable à l’interdiction de poursuite

[79]  À mon sens, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt JD Irving CAF et celle rendue en première instance dans la même affaire par la juge Heneghan de notre Cour (JD Irving CF, précitée) portent directement sur les questions soulevées en l’espèce. Comme bon nombre des questions soulevées dans les requêtes dont je suis saisie ont été examinées dans l’arrêt JD Irving CAF, il paraît indiqué de l’examiner dans le détail.

[80]  Dans cette affaire, Siemens avait introduit devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario une action contre J.D. Irving [Irving] et Maritime Marine Consultants (2003) Inc. [MMC] pour la perte de deux turbines à vapeur qui, pendant leur chargement à bord d’un chaland, étaient tombées en mer. Irving et MMC se sont quant à elles adressées à la Cour fédérale pour lui demander de rendre un jugement déclaratoire portant qu’elles avaient le droit de limiter à 500 000 $, plus les intérêts, leur responsabilité à l’égard de la perte et d’ordonner la constitution d’un fonds de limitation. Siemens a alors demandé, par voie de requêtes interlocutoires, la suspension des actions en Cour fédérale dans la mesure où elles se rapportaient à la constitution et à la répartition d’un fonds de limitation au titre de l’article 33 de la LRM, et la suspension permanente des actions dans la mesure où Irving et MMC revendiquaient le droit de limiter leur responsabilité au titre des articles 28 et 29 de la LRM. En réponse, Irving et MMC ont déposé des requêtes pour obtenir de la Cour des directives sur la manière d’instruire et de trancher les actions en limitation de responsabilité ainsi qu’une ordonnance interdisant à Siemens et à d’autres personnes d’intenter ou de continuer une instance devant tout tribunal autre que la Cour fédérale relativement à l’incident en cause.

[81]  La juge Heneghan a rejeté les requêtes de Siemens en suspension interlocutoire et permanente des actions en Cour fédérale et elle a interdit à Siemens et aux autres personnes d’intenter ou de continuer une instance contre Irving et MMC devant tout tribunal judiciaire ou administratif autre que la Cour fédérale. Elle a également ordonné la constitution d’un fonds de limitation conformément aux articles 9 et 11 de la CLRCM. Sa décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale.

[82]  En appel, Siemens a soutenu qu’une partie ou la totalité des questions soulevées dans l’action intentée en Ontario ne relevaient pas du droit maritime et qu’elles échappaient donc à la compétence de la Cour fédérale. Elle a également soulevé d’autres questions de compétence. Le juge Nadon, qui rédigeait les motifs au nom de la Cour d’appel, a rejeté ces arguments sur le fondement de l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales.

[83]  Puis, le juge Nadon s’est penché sur la question de l’interdiction, en soulignant dans un premier temps que pour pouvoir répondre à cette question et statuer sur les requêtes en suspension des instances introduites devant la Cour fédérale il était nécessaire d’examiner la LRM et la CLRCM. À ce sujet, le juge déclare : « Il est d’une importance cruciale de se rappeler que les dispositions de la [LRM] qui sont en cause dans le présent appel, en particulier celles concernant le droit de limiter sa responsabilité et celles portant sur la constitution et la répartition du fonds de limitation, sont censées donner effet à la Convention de 1976 et au Protocole de 1996. » (JD Irving CAF, au par. 46)

[84]  Au sujet des articles 32 et 33 de la LRM, le juge Nadon avait ceci à dire :

[50]  D’une part, suivant la définition que l’on trouve à l’article 2 de la [LRM], la « Cour d’amirauté » est la Cour fédérale. La [LRM] confère à cette Cour une compétence exclusive en ce qui concerne toute question se rapportant à la constitution et à la répartition du fonds de limitation prévu aux articles 11 à 13 de la Convention (paragraphe 32(1) de la [LRM]). D’autre part, le paragraphe 32(2) de la [LRM] prévoit que lorsqu’une personne peut limiter sa responsabilité en vertu des articles 28, 29 et 30 de la [LRM] ou du paragraphe 1 des articles 6 ou 7 de la Convention, cette personne peut se prévaloir de ces dispositions en défense, ou dans le cadre d’une action ou demande reconventionnelle en jugement déclaratoire, devant tout tribunal compétent au Canada. En d’autres termes, la [LRM] confère au propriétaire de navire le droit de choisir le tribunal devant lequel il souhaite faire valoir son droit de limiter sa responsabilité, et ce, indépendamment du tribunal devant lequel le créancier a intenté ou peut intenter son action en dommages‑intérêts. En l’espèce, Irving et MMC cherchent à faire valoir leur droit de limiter leur responsabilité par le truchement d’une action en jugement déclaratoire introduite devant la Cour fédérale.

[51]  Enfin, l’article 33 de la [LRM] permet au propriétaire de navire, qui peut être en droit de limiter sa responsabilité en vertu des articles 28 ou 29 de la [LRM] ou du paragraphe 1 des articles 6 ou 7 de la Convention, de saisir la Cour fédérale d’une demande visant notamment : a) à faire déterminer le montant de sa responsabilité; b) à faire constituer et répartir un fonds de limitation conformément aux articles 11 et 12 de la Convention; c) à obtenir une ordonnance empêchant toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité.

[Italiques ajoutés.]

[85]  Le juge Nadon a constaté que les instances introduites par Irving et MMC devant la Cour fédérale découlaient du paragraphe 32(2) de la LRM, aux termes duquel le législateur a accordé aux propriétaires de navires, c’est‑à‑dire aux personnes susceptibles d’être en droit de limiter leur responsabilité en vertu de l’article 28 ou 29 de la LRM ou du premier paragraphe de l’article 6 ou 7 de la CLRCM, le choix du for devant lequel ils entendent faire valoir leur droit de limiter leur responsabilité : « Ainsi, malgré le fait que Siemens avait le droit d’introduire son action devant la Cour supérieure de l’Ontario, Irving et MMC ont régulièrement introduit leur action en limitation de responsabilité devant la Cour fédérale. » Il s’ensuit que la Cour fédérale avait été régulièrement saisie de ces actions et qu’elle pouvait donc exercer les pouvoirs que le législateur lui a conférés au paragraphe 33(1) de la LRM :

[92]  Vu l’ensemble des faits dont je dispose, j’estime donc que le seul tribunal qui peut se prononcer sur le droit d’Irving et de MMC de limiter leur responsabilité en ce qui concerne l’incident survenu en l’espèce est la Cour fédérale. Par conséquent, la question de savoir si la conduite d’Irving et de MMC les empêche de limiter leur responsabilité ne peut être tranchée que par la Cour fédérale. En conséquence, la question de savoir si la perte subie par Siemens [traduction] « résulte [du fait ou de l’omission personnels d’Irving et/ou de MMC] commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement » est celle sur laquelle la Cour fédérale devra statuer dans le cadre de l’action en limitation de responsabilité dont elle est saisie. En d’autres termes, cette question ne fait pas partie de celle qui serait soumise à un jury ontarien dans le cadre de l’instance introduite par Siemens en Ontario. Ce jury entendrait évidemment des éléments de preuve concernant la responsabilité et les dommages‑intérêts, mais, à mon humble avis, la question relative au droit de limiter sa responsabilité ne fait pas partie de celles sur laquelle un juge ontarien serait appelé à se prononcer parce que la Cour fédérale est régulièrement saisie de cette question conformément au paragraphe 33(1) de la [LRM].

[Italiques ajoutés.]

[86]  Afin d’aider à situer l’action en limitation de responsabilité dans son contexte, il importe de souligner que le juge Nadon s’est également intéressé à l’objet et aux effets de la décision rendue dans le cadre d’une telle action. En effet, pour trancher l’affaire, la Cour fédérale n’était pas appelée à rechercher, en droit, si Irving et MMC étaient responsables des dommages. Au contraire, la véritable question qui se posait, devant le tribunal de l’Ontario comme en Cour fédérale, était de savoir si Irving et MMC pouvaient limiter leur responsabilité. Si elles le pouvaient toutes deux, les actions contre elles prendraient dès lors vraisemblablement fin dès le versement du montant correspondant à la limite de leur responsabilité, compte tenu des faits de l’affaire. Sinon, les actions en responsabilité et en dommages‑intérêts intentées en Ontario se poursuivraient contre chacune de celles d’entre elles qui n’aurait pas été admise à se prévaloir de ce droit. Même dans un tel cas, les parties seraient fort probablement arrivées à un règlement, parce que le juge de la Cour saisi de l’action en limitation de responsabilité aurait alors conclu que le dommage résultait d’une intention ou de la témérité au sens de l’article 4 de la CLRCM ou, dans le cas de MMC, que celle‑ci ne pouvait se prévaloir de la protection prévue au paragraphe 1(4) de la CLRCM. Comme l’a expliqué le juge Nadon, au paragraphe 94 : « En d’autres termes, la controverse fondamentale entre les parties n’est pas la responsabilité ou les dommages, mais bien le droit de limiter sa responsabilité. Dès lors que la question de la responsabilité a été tranchée, le débat entre les parties sera fort probablement clos. » (JD Irving CAF)

[87]  En fait, l’action en limitation de responsabilité s’est poursuivie devant la Cour, et j’étais en l’occurrence la juge du procès. Il s’agissait uniquement de savoir si, d’une part, il était interdit à Irving, du fait de sa conduite, de limiter sa responsabilité selon l’article 4 de la CLRCM et, d’autre part, si MMC et son directeur étaient en droit de limiter leur responsabilité selon le paragraphe 1(4), en tant que personnes dont les faits, négligences et fautes engageaient la responsabilité d’Irving et, le cas échéant, si leur conduite les privait de ce droit en raison de l’article 4. Je suis arrivée à la conclusion que Siemens n’avait pas démontré qu’Irving avait agi témérairement et avec conscience que la perte de la cargaison en résulterait probablement, au sens de l’article 4 de la CLRCM; partant de là, Irving était donc en droit de limiter sa responsabilité. Par ailleurs, dans des motifs supplémentaires, j’ai conclu que MMC et son directeur n’étaient pas des personnes autorisées à se prévaloir du droit à la limitation de responsabilité prévu au paragraphe 1(4) de la CLRCM (JD Irving Limited c Siemens, 2016 CF 69, avec motifs complémentaires : 2016 CF 287 [JD Irving 2016]). Ainsi que le juge Nadon l’avait prédit, ces décisions n’ont été suivies d’aucun autre procès sur des questions de responsabilité ou de dommages‑intérêts.

[88]  Après avoir traité de l’objet et de la portée de l’action en limitation de responsabilité, le juge Nadon a conclu que le critère qu’il convenait d’appliquer dans le cas du paragraphe 33(1) de la LRM était celui de la « mesure indiquée », et non ceux énoncés dans les arrêts Amchem et RJR‑MacDonald (JD Irving CAF, au par. 82).

[89]  Sur ce point, à l’issue d’un examen de la décision Canadien Pacifique Ltée c Sheena M (Le), [2000] 4 CF 159, [2000] ACF no 467 (QL) (CFPI) [Le Sheena M], le juge Nadon a conclu à l’impossibilité d’arriver à une conclusion différente, compte tenu des mots employés par le législateur au paragraphe 33(1) de la LRM, à savoir que la Cour fédérale « peut prendre toute mesure qu’elle juge indiquée, notamment : [...] c) empêcher toute personne d’intenter ou de continuer quelque procédure relative à la même affaire devant tout autre tribunal ou autorité » (JD Irving CAF, au par. 106). Le juge Nadon ajoute :

[107]  Ce critère est, incontestablement, un critère large et discrétionnaire. Le législateur n’aurait pas pu employer des mots plus clairs que ceux qu’il a utilisés dans cette disposition en permettant à la Cour fédérale de rendre une ordonnance d’interdiction lorsqu’elle juge cette mesure indiquée. Je suis donc d’avis que la Cour peut rendre une ordonnance d’interdiction si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, elle estime qu’il s’agit là de l’ordonnance indiquée. Après s’être acquittée de cette tâche, la juge a conclu en l’espèce qu’il convenait de rendre une ordonnance interdisant à Siemens et à d’autres personnes d’introduire une instance. Non seulement les motifs qu’elle a énoncés ne sont à mon avis entachés d’aucune erreur, mais j’estime que l’ordonnance qu’elle a prononcée était la bonne, lorsqu’on tient compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

[90]  Sur la question de l’application du critère de la mesure indiquée, le juge Nadon a fait observer que puisqu’Irving et MMC avaient choisi, en vertu du paragraphe 32(2) de la LRM, de saisir la Cour fédérale de leurs actions en limitation de responsabilité et, dans la foulée de sa décision, de confier à la Cour fédérale le soin de fixer le montant maximal de leur responsabilité et de constituer un fonds de limitation en vertu des articles 11 et 12 de la CLRCM, la Cour fédérale était le seul tribunal compétent pour statuer sur le droit d’Irving et de MMC de limiter leur responsabilité relativement à l’incident. Le juge Nadon a aussi fait observer que l’action en dommages‑intérêts introduite en Ontario et l’instance en limitation de responsabilité découlaient du même incident, ajoutant qu’Irving et MMC étaient présumées être en droit de limiter leur responsabilité et soulignant au passage l’importance de conserver à l’esprit l’objectif de la CLRCM. Par ailleurs, le juge a estimé qu’il était probable, une fois que la Cour aurait réglé la question du droit à la limitation de responsabilité, que les parties règlent l’affaire. Dans ces conditions, il s’est dit d’avis qu’il ne serait pas raisonnable, avant qu’une décision soit rendue au sujet du droit d’Irving et de MMC de limiter leur responsabilité, de permettre à Siemens de poursuivre son action devant la Cour supérieure de l’Ontario, jugeant qu’aucun préjudice ne serait causé à cette dernière si elle était empêchée de poursuivre son action dans cette province et forcée de s’adresser à la Cour fédérale pour résoudre la question de la limitation de responsabilité. À cet égard, il a énoncé ce qui suit :

[115]  À mon humble avis, les tentatives faites par Siemens pour poursuivre l’affaire devant la Cour supérieure de l’Ontario s’expliquent par le fait qu’elle croit avoir de meilleures chances d’obtenir gain de cause sur l’intention et la témérité devant un jury plutôt que devant un juge. Que cette opinion soit fondée ou non est, à mon avis, sans importance. De plus, ainsi que je l’ai expliqué à de nombreuses reprises, la question relative au droit de limiter sa responsabilité est désormais une question dont seule la Cour fédérale est saisie en raison du choix qu’Irving et MMC ont fait de déférer cette question à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 32(2) de la [LRM]. À mon humble avis, les tribunaux, en l’occurrence la Cour fédérale et la Cour supérieure de l’Ontario, ne peuvent faire fi de ce choix.

[116]  Je conclus mes observations sur ce point en disant que, bien que la Cour fédérale ne dispose pas d’une compétence exclusive en ce qui concerne la question de la limitation de responsabilité, elle exerce dans les faits cette compétence exclusive. Je suis de cet avis parce que, tout d’abord, le paragraphe 32(2) permet au propriétaire de navire de choisir le for devant lequel il fera valoir son droit de limiter sa responsabilité. En second lieu, la Cour fédérale est le seul tribunal qui a compétence sur la constitution et la répartition du fonds de limitation. Ainsi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, les propriétaires d’un navire choisiront presque invariablement de faire valoir leur droit de limiter leur responsabilité devant le tribunal qui possède une compétence exclusive en ce qui concerne la constitution du fonds de limitation. À ceci, j’ajouterais que la Cour fédérale est le tribunal qui possède des connaissances spécialisées en matière maritime et que ce fait est bien connu dans le monde des transports maritimes tant au Canada que sur la scène internationale.

[117]  Je suis d’avis que le législateur était conscient de ces considérations et qu’il les avait à l’esprit lorsqu’il a conféré à la Cour fédérale les vastes pouvoirs, y compris celui d’interdire, que l’on trouve au paragraphe 33(1) de la [LRM]. Le libellé du paragraphe 33(1) constitue une reconnaissance non ambiguë, par le législateur, du fait que la Cour fédérale est le tribunal auquel il convenait de conférer de vastes pouvoirs de manière à lui permettre d’examiner effectivement toutes les questions se rapportant au fonds de limitation et aux demandes sous‑jacentes en matière de limitation de responsabilité.

[118]  En dernière analyse, la décision qui doit être rendue en ce qui concerne une requête en interdiction présentée en vertu du paragraphe 33(1) de la [LRM] est une décision discrétionnaire qu’il faut prendre en tenant compte de tous les facteurs pertinents. À mon humble avis, c’est bien ce que la juge a fait en déterminant, vu l’ensemble des faits dont elle était saisie, s’il convenait d’interdire à Siemens et à d’autres personnes d’introduire ou de poursuivre une instance devant un autre tribunal que la Cour fédérale. Je ne vois aucune raison de modifier sa décision.

[Italiques ajoutés.]

[91]  En ce qui concerne les critères des arrêts Amchem et RJR‑MacDonald, le juge Nadon a déclaré qu’ils étaient incompatibles avec les dispositions pertinentes de la LRM, le pouvoir d’interdiction conféré par la LRM à la Cour fédérale ne provenant ni de la common law ni de l’equity. Il s’agit, au contraire, d’une attribution spécifique du législateur à la Cour fédérale :

[120]  En ce qui concerne les critères proposés par Siemens, je suis d’avis qu’ils sont incompatibles avec les dispositions pertinentes de la [LRM]. Il est évident que le pouvoir d’interdire conféré à la Cour fédérale par la [LRM] ne provient ni de la common law ni de l’equity. Il résulte d’une attribution spécifique de pouvoirs à la Cour fédérale par le législateur. À mon avis, ainsi que je l’ai déjà précisé, le fondement sur lequel la Cour fédérale doit exercer son pouvoir d’interdire n’aurait pas pu être formulé de façon plus claire que ce que le législateur a fait en édictant le paragraphe 33(1) de la [LRM]. De plus, non seulement la thèse défendue par Siemens contredit‑elle le libellé clair de l’article 33, mais elle est également incompatible avec la nature et l’objet de l’article 33 et avec le régime international de limitation de responsabilité auquel le Canada a adhéré lorsqu’il a adopté la Convention et le Protocole, en ce sens que le pouvoir que l’alinéa 33(1)c) de la [LRM] confère à la Cour fédérale consiste, incontestablement, à donner effet à une politique internationale en matière maritime et que ce pouvoir ne peut être assimilé à la faculté reconnue à un tribunal de prononcer une injonction interdisant toute poursuite dans le contexte de la question de savoir si le tribunal d’un pays ou d’un autre devrait se déclarer compétent sur une matière déterminée. On ne peut faire abstraction du fait que le paragraphe 33(1) ne peut être interprété correctement qu’en fonction du régime actuel de limitation de responsabilité prévu par la Convention, dont les articles 1 à 15 et 18 se voient reconnaître force de loi par le paragraphe 26(1) de la [LRM].

[121]  Vu de la Convention, les propriétaires de navire sont en droit de constituer un fonds et de déférer toutes les créances visant ce fonds dans le cadre d’une seule instance et devant un seul tribunal chargé de se prononcer sur la répartition de ce fonds. Par conséquent, je conclus sans hésiter que le paragraphe 33(1), et le critère de la « mesure indiquée » qu’on y trouve, ne ressemble en rien à une situation de conflit des lois dans laquelle un État convient mieux qu’un autre. Des considérations comme la courtoisie judiciaire ne jouent pas lorsqu’il s’agit de tirer une conclusion en vertu du paragraphe 33(1). Ainsi que l’avocat de MMC le soutient dans son mémoire, au paragraphe 26, [traduction] « la considération primordiale est la commodité et la volonté de donner effet à l’objet de loi, c’est‑à‑dire de faire juger toutes les demandes dans l’État d’ouverture de la procédure ».

[122]  Eu égard aux circonstances de la présente affaire et de celle de la plupart des actions en limitation de responsabilité, le paragraphe 33(1) de la [LRM] habilite de toute évidence la Cour fédérale et ses juges à fixer la manière la plus expéditive de juger les questions découlant de la prétention d’un propriétaire de navire quant à son droit de limiter sa responsabilité. En conséquence, la question du forum non conveniens ne se pose pas en matière de demande de limitation de responsabilité surtout lorsque, comme en l’espèce, la compétence de la Cour fédérale sur la question ne saurait être remise en question. J’ajoute qu’il est par ailleurs incontestable que le tribunal ontarien est régulièrement saisi de l’action en dommages‑intérêts introduite par Siemens, ce qui contraste vivement avec la situation qui se présente dans les demandes d’injonction interdisant toute poursuite dans lesquelles la principale question est celle de savoir si le tribunal étranger a conclu à tort qu’il avait compétence sur une question qui est en instance devant un tribunal canadien. Ainsi, à mon humble avis, le critère énoncé dans l’arrêt Amchem n’est pas le critère pertinent lorsqu’il s’agit de juger une requête présentée en vertu du paragraphe 33(1) de la [LRM].

[123]  En ce qui concerne le critère consacré par la Cour suprême du Canada par la jurisprudence RJR‑MacDonald, je ne vois aucune raison d’appliquer ce critère.

[Italiques ajoutés.]

[92]  Les Heiltsuk avancent un certain nombre d’arguments pour tenter d’établir une distinction entre la présente affaire et l’affaire JD Irving CAF.

[93]  D’abord, les Heiltsuk soutiennent que le type de suspension demandée en l’espèce diffère de celle qui était recherchée dans JD Irving CAF. Ils font valoir que, dans cette affaire, Siemens soutenait que la Cour fédérale n’avait compétence sur aucun aspect de l’incident en cause. Les Heiltsuk, eux, demandent seulement à la Cour de renoncer volontairement à sa compétence.

[94]  À mon sens, cet argument ne saurait être retenu. La nature des suspensions recherchées dans les deux affaires n’est pas différente. Irving et MMC souhaitaient obtenir la suspension de l’action introduite devant un autre tribunal jusqu’au règlement de l’action en limitation de responsabilité dont était saisie la Cour, et c’est aussi le cas de Kirby en l’espèce.

[95]  Le deuxième argument des Heiltsuk se veut une réponse à l’observation de Kirby quant au fait que dans l’arrêt JD Irving CAF, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le choix du propriétaire de navire de faire fixer la limite de sa responsabilité au titre du paragraphe 32(2) de la LRM est déterminant et que les tribunaux ne peuvent l’ignorer. Les Heiltsuk rétorquent que la Cour d’appel fédérale a omis de tenir compte de la décision qu’elle avait rendue antérieurement dans l’affaire Magic Sportswear. Dans cette affaire qui portait sur une disposition de la LRM permettant à une partie d’intenter une procédure devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale avait jugé qu’à elle seule, la disposition n’écartait pas le pouvoir de la Cour fédérale de refuser d’exercer sa compétence dans les cas indiqués.

[96]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, je ne pense pas que la Cour d’appel fédérale ait négligé de tenir compte de l’arrêt Magic Sportswear. Il concernait l’article 46 de la LRM et des contrats de transport de marchandises par eau. Or, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans ses motifs, ces contrats de transport par mer précisent souvent non seulement quel tribunal a compétence exclusive pour trancher les différends entre l’expéditeur et le transporteur, mais aussi le droit applicable. La Haute Cour ou un arbitre de Londres est souvent désigné comme for exclusif lorsque les différends découlant du contrat doivent être résolus selon le droit anglais. L’obligation d’intenter une poursuite devant un tribunal étranger pour faire valoir une créance découlant de la perte de marchandises occasionnait aux expéditeurs canadiens des coûts élevés et des complications, et risquait de les priver d’un recours efficace en cas de rupture de contrat de la part des transporteurs et de les inciter à accepter un règlement favorable à ces derniers. C’est pourquoi, en 2001, le législateur a édicté le paragraphe 46(1) de la LRM :

Procédure intentée au Canada

Institution of Proceedings in Canada

Créances non assujetties aux règles de Hambourg

Claims not subject to Hamburg Rules

46 (1) Lorsqu’un contrat de transport de marchandises par eau, non assujetti aux règles de Hambourg, prévoit le renvoi de toute créance découlant du contrat à une cour de justice ou à l’arbitrage en un lieu situé à l’étranger, le réclamant peut, à son choix, intenter une procédure judiciaire ou arbitrale au Canada devant un tribunal qui serait compétent dans le cas où le contrat aurait prévu le renvoi de la créance au Canada, si l’une ou l’autre des conditions suivantes existe :

46 (1) If a contract for the carriage of goods by water to which the Hamburg Rules do not apply provides for the adjudication or arbitration of claims arising under the contract in a place other than Canada, a claimant may institute judicial or arbitral proceedings in a court or arbitral tribunal in Canada that would be competent to determine the claim if the contract had referred the claim to Canada, where

a) le port de chargement ou de déchargement – prévu au contrat ou effectif – est situé au Canada;

(a) the actual port of loading or discharge, or the intended port of loading or discharge under the contract, is in Canada;

b) l’autre partie a au Canada sa résidence, un établissement, une succursale ou une agence;

(b) the person against whom the claim is made resides or has a place of business, branch or agency in Canada; or

c) le contrat a été conclu au Canada.

(c) the contract was made in Canada.

[97]  L’appel, dans l’affaire Magic Sportswear, visait à déterminer si le différend concernant la perte de marchandises alléguée devait être tranché par la Haute Cour de Londres, comme le prévoyait le contrat, ou par la Cour fédérale, en vertu de la compétence conférée par le paragraphe 46(1). Dans les circonstances de cette affaire, le paragraphe 46(1) attribuait à la Cour fédérale la compétence sur la créance des expéditeurs contre les transporteurs parce que le contrat avait été conclu au Canada et que les transporteurs y avaient un établissement. L’appel soulevait deux questions concernant l’exercice de cette compétence.

[98]  D’abord se posait la question de savoir si le paragraphe 46(1) de la LRM avait pour effet de supprimer le pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale d’accorder une suspension d’instance en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, même en présence d’un autre tribunal, plus approprié, que le tribunal canadien (principe du forum non conveniens). Ensuite, s’il était jugé que le paragraphe 46(1) n’avait pas pour effet de supprimer ce pouvoir discrétionnaire de la Cour lorsqu’elle est un tribunal moins approprié, il fallait se demander quel poids, s’il en était, la Cour devait accorder dans son analyse du principe du forum non conveniens à la clause d’élection de for des parties et aux jugements reconnaissant la compétence de la Haute Cour d’Angleterre sur un litige en vertu d’une clause lui attribuant la compétence exclusive.

[99]  Comme le fait observer la Cour d’appel fédérale, le paragraphe 46(1) de la LRM n’énonce pas qu’une fois établi l’un des critères attributifs de compétence de ce paragraphe, le tribunal devant lequel le réclamant a choisi d’intenter une action est tenu d’exercer sa compétence. Ce paragraphe prévoit simplement que, lorsqu’il s’applique, le réclamant peut introduire une poursuite devant le tribunal canadien qui aurait été compétent si le contrat avait prévu le renvoi de la créance au Canada. Il ne fournit aucune directive au tribunal canadien que le réclamant a saisi de sa demande quant à la façon dont il doit exercer sa compétence. De plus, le paragraphe 46(1) ne supprime pas expressément le large pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale par le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales de suspendre les procédures dans toute affaire qui relève de leur compétence, lorsque celle‑ci « est en instance devant un autre tribunal » ou que « l’intérêt de la justice l’exige ». Il faudrait un libellé plus précis que celui du paragraphe 46(1) de la LRM pour retirer à ces tribunaux un pouvoir essentiel à leur faculté de contrôler leur propre procédure. Par ailleurs, interpréter le paragraphe 46(1) comme s’il avait implicitement pour effet de supprimer le pouvoir discrétionnaire des Cours fédérales de prononcer la suspension d’une instance au motif qu’il existe un autre tribunal plus approprié entraînerait des résultats étranges.

[100]  L’affaire qui nous occupe porte sur des créances n’ayant aucun lien avec le transport de marchandises par mer, de sorte que le paragraphe 46(1) ne s’applique pas. À mon sens, c’est pour cette raison que la Cour d’appel fédérale n’a pas mentionné l’arrêt Magic Sportswear dans l’arrêt JD Irving CAF. De plus, selon le juge Nadon, le législateur n’aurait pas pu employer un langage plus clair que celui de l’article 33 de la LRM – article qui s’applique en l’espèce – en permettant à la Cour fédérale de rendre une ordonnance d’interdiction lorsqu’elle juge cette mesure indiquée. Le juge Nadon ajoute qu’en vertu de la CLRCM, les propriétaires de navire sont en droit de constituer un fonds unique et d’obtenir que toutes les demandes établies contre ce fonds fassent l’objet d’une seule instance devant un même tribunal chargé de se prononcer sur la répartition du fonds. Il n’hésite donc pas à conclure que le paragraphe 33(1) et le critère de la « mesure indiquée » qui y figure ne ressemblent en rien à une situation de conflit de lois dans laquelle un État conviendrait mieux qu’un autre. Des considérations comme la courtoisie judiciaire ne jouent pas lorsqu’il s’agit de prendre une mesure en vertu du paragraphe 33(1).

[101]  Selon moi, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire JD Irving CAF est on ne peut plus claire et la Cour fédérale est liée par cette décision. Comme l’énonce l’article 33 de la LRM, le critère qu’il convient d’appliquer pour statuer sur une requête en interdiction est celui de la mesure indiquée, et cette décision est une décision discrétionnaire qui doit être rendue en tenant compte de tous les facteurs pertinents.

(ii)  Le critère applicable à la suspension de l’instance

[102]  La suspension de procédures intentées devant la Cour fédérale est régie par le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales :

Suspension d’instance

Stay of proceedings authorized

50 (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

50 (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

[103]  Dans l’arrêt JD Irving CAF, le juge Nadon a signalé que le fait d’accueillir les requêtes en interdiction devait entraîner le rejet des requêtes en suspension, et inversement. Ainsi, puisque, dans cette affaire, les requêtes en interdiction avaient été accueillies à juste titre, il se devait de conclure que les requêtes en suspension des actions en limitation de responsabilité devaient être rejetées. En d’autres termes, s’il convenait, dans les circonstances, d’interdire à Siemens et à d’autres d’introduire ou de poursuivre une instance devant un autre tribunal que la Cour fédérale, cela signifiait nécessairement qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance introduite devant la Cour fédérale.

[104]  Quoi qu’il en soit, poursuivant son analyse avec l’examen du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, le juge Nadon a déclaré que, tout comme dans les décisions sur les requêtes en interdiction, la décision de suspendre l’instance introduite devant la Cour fédérale était discrétionnaire. Après avoir déclaré qu’il partageait l’avis de la juge Heneghan, selon lequel le critère à deux volets consacré par la décision Mon‑Oil était celui qu’il fallait appliquer dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 32 de la LRM, il a ajouté ceci :

[126]  Il est incontestable que, dans la décision Le Sheena M, le protonotaire a rejeté la requête en suspension dont il était saisi en se fondant sur l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales (Le Sheena M, paragraphe 21). Dans le cas qui nous occupe, les requêtes en radiation de l’instance introduite devant la Cour fédérale doivent être jugées en fonction de cette disposition et non de l’alinéa 50(1)a). Contrairement à ce que prétend Siemens, l’action en instance en Ontario n’est pas une [traduction] « instance parallèle » qui est jugée en même temps que les actions en limitation de responsabilité introduites devant la Cour fédérale, étant donné que les actions en limitation de responsabilité sont de nature sommaire et qu’elles sont censées porter non pas sur la responsabilité ou les dommages, mais sur une question bien précise, en l’occurrence le droit d’Irving et de MMC de limiter leur responsabilité relativement aux dommages découlant de l’incident. De toute évidence, la réparation réclamée dans l’instance introduite en Ontario et celle sollicitée devant la Cour fédérale sont différentes.

[127]  En conséquence, la seule question qui était soumise à la juge était celle de savoir s’il était dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance introduite devant la Cour fédérale. Suivant le critère énoncé dans le jugement Mon‑Oil qui, à mon avis, est le bon critère, la juge devait répondre à deux questions, à savoir, celle de savoir si la poursuite de l’instance introduite devant la Cour fédérale causerait un préjudice à Siemens et, en second lieu, celle de savoir si la suspension de l’instance introduite devant la Cour fédérale causerait une injustice à Irving et à MMC. La juge s’est posé ces questions et elle a conclu que Siemens ne satisfaisait pas au critère.

[105]  Les Heiltsuk font valoir que bien que l’article 32 de la LRM confère à la Cour fédérale la compétence exclusive à l’égard de la constitution et de la répartition du fonds de limitation conformément aux articles 11 à 13 de la CLRCM, cela n’a pas pour effet d’écarter le pouvoir de la Cour d’ordonner la suspension de l’instance. Leur point de vue repose sur l’article 46 de la LRM et sur l’arrêt Magic Sportswear. Les Heiltsuk soutiennent que le même raisonnement s’applique aux articles 32 et 33 de la LRM, qui autorisent la Cour à suspendre une instance pour céder le pas à un tribunal plus approprié. Selon moi, pour les raisons mentionnées précédemment, Magic Sportswear n’est guère utile à l’interprétation des articles 32 et 33 de la LRM. Cela dit, je crois que les Heiltsuk ont raison de dire que la Cour conserve son pouvoir d’ordonner la suspension d’une instance, malgré le choix de Kirby de chercher à limiter sa responsabilité en s’adressant à elle. Je reviendrai sur cette question un peu plus loin.

[106]  Les Heiltsuk soutiennent également que l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique et que, sur ce fondement, il est possible d’appliquer une forme de critère du forum conveniens, ou encore les facteurs entrant dans l’application de ce critère. Ils invoquent à cet égard diverses décisions, dont Amchem; Magic Sportswear, aux par. 91‑92; Apotex; Ford Aquitaine Industries SAS c Canmar Pride (Le), 2005 CF 431, aux par. 67‑70 [Ford Aquitaine]; Mazda Canada; Holt Cargo Systems Inc. c ABC Containerline NV (Syndics de), [2001] 3 RCS 907, aux par. 89 et 91; Spar Aerospace Ltée c American Mobile Satellite Corp, [2002] 4 RCS 205, au par. 71; et Westec Aerospace Inc. c Raytheon Aircraft Co, 1999 BCCA 243 [Westec]. Toutefois, aucune de ces décisions ne concerne les articles 32 et 33 de la LRM, et toutes sont antérieures à l’arrêt JD Irving CAF.

[107]  Les Heiltsuk ne reconnaissent pas que, dans l’arrêt JD Irving CAF, la Cour d’appel fédérale a expressément conclu que l’alinéa 50(1)a) ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce, ni qu’elle a conclu que le critère énoncé dans la décision Mon‑Oil entrait en jeu dans l’application de l’alinéa 50(1)b). Et, bien qu’ils reconnaissent le critère à deux volets applicable à cette dernière disposition, ils soutiennent que la Cour devrait intégrer les facteurs du critère du forum non conveniens lorsqu’elle applique l’alinéa 50(1)b). D’après ce que je comprends, les Heiltsuk cherchent par cet argument à écarter la conclusion de l’arrêt JD Irving CAF portant sur le critère applicable en introduisant le critère du forum conveniens dans le critère à deux volets de la décision Mon‑Oil. Je ne crois pas que cette thèse puisse prévaloir.

[108]  Dans l’arrêt JD Irving CAF, le juge Nadon a conclu que, contrairement à ce que soutenait Siemens, l’action en instance en Ontario n’était pas une « instance parallèle » à l’action en limitation de responsabilité introduite devant la Cour fédérale. Cela s’explique par le fait que les actions en limitation de responsabilité sont de nature sommaire et qu’elles sont censées porter non pas sur la responsabilité ou les dommages, mais sur une question bien précise, soit celle du droit du propriétaire de navire de limiter sa responsabilité relativement aux dommages découlant d’un incident. Le juge Nadon a conclu que la mesure sollicitée dans l’instance introduite en Ontario et celle sollicitée de la Cour fédérale étaient différentes. En conséquence, l’unique question qui se posait était de savoir s’il était dans l’intérêt de la justice de suspendre l’instance en Cour fédérale (par. 126‑127).

[109]  Par conséquent, à moins que les Heiltsuk ne soient en mesure de démontrer que l’action intentée en CSCB est une « instance parallèle », seuls l’alinéa 50(1)b) et le critère de la décision Mon‑Oil doivent être pris en compte.

[110]  Les Heiltsuk soutiennent qu’on ne peut différencier les actions introduites devant la CSCB et devant la Cour fédérale en ce sens qu’elles [traduction] « concernent le même événement, et le même déversement ». Ils affirment que le fait générateur de l’action intentée en CSCB est identique à celui de l’action à laquelle Kirby cherche à opposer un moyen de défense fondé sur la limitation de responsabilité devant la Cour et que, en vertu du paragraphe 32(2) de la LRM, Kirby aurait pu invoquer le droit de limiter sa responsabilité en défense dans l’action intentée en CSCB. Sur ce point, les Heiltsuk s’appuient sur l’interprétation que donne la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique au terme « instance parallèle » dans l’arrêt Westec.

[111]  À mon sens, cet argument ne saurait être retenu, et ce, pour deux raisons.

[112]  La première raison est que cette interprétation du terme « instance parallèle » a été explicitement rejetée dans l’arrêt JD Irving CAF. L’action en limitation de responsabilité dont est saisie la Cour fédérale est par définition sommaire. Elle ne concerne que la question de savoir si Kirby est en droit de se prévaloir de la limitation de responsabilité au titre de la CLRCM. Autrement dit, l’action vise à déterminer si Kirby est privée de ce droit, en application de l’article 4, parce que les dommages sont le résultat de son fait ou de son omission, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement. L’action en limitation de responsabilité ne traite pas des questions de la responsabilité ou des dommages.

[113]  L’avis de poursuite civile déposé en CSCB comporte 26 pages. Cette poursuite ne vise pas seulement Kirby, les propriétaires des navires. Elle est intentée contre tous les défendeurs Kirby et contre les procureurs généraux du Canada et de la Colombie‑Britannique. Les parties aux deux actions ne sont donc pas les mêmes. De plus, les demandeurs y allèguent non seulement la témérité, et donc que Kirby n’est pas en droit de limiter sa responsabilité en vertu de la LRM, mais notamment que certains frais prévus à l’accord de financement n’ont pas été payés; que le Canada et la Colombie‑Britannique ont refusé ou omis d’ordonner à Kirby d’exécuter ou de financer des évaluations environnementales et que Kirby a manqué à son obligation légale de le faire; et que les Heiltsuk possèdent un titre ancestral et des droits ancestraux. Les Heiltsuk sollicitent un jugement déclarant l’existence de leurs titre et droits ancestraux et ils affirment qu’il y a eu atteinte à ces droits du fait du déversement, mais qu’il est actuellement impossible de recouvrer des dommages‑intérêts à cet égard sous le régime de la LRM. C’est pourquoi ils soutiennent que, dans la mesure où elles portent atteinte à ces droits, les dispositions de la LRM qui sont en cause sont inconstitutionnelles.

[114]  Par ailleurs, les réparations demandées dans l’une et l’autre actions sont nettement différentes. Au paragraphe 2.1 de l’avis de poursuite civile déposé en CSCB, les Heiltsuk décrivent les réparations demandées :

[traduction]

2.1  Les demandeurs sollicitent les réparations suivantes :

a.  un jugement déclarant l’existence d’un titre ancestral sur la zone de pertes revendiquée, ou une partie de cette zone;

b.  de plus, ou subsidiairement, un jugement déclarant l’existence de droits ancestraux de gestion sur la zone de pertes revendiquée;

c.  de plus, ou subsidiairement, un jugement déclarant l’existence de droits ancestraux de pêche et de récolte à l’égard des ressources marines perdues;

d.  un jugement déclarant que le par. 91.2(2) de l’EMA impose à Kirby l’obligation d’exécuter ou de financer les évaluations des répercussions sur l’environnement requises;

e.  de plus, ou subsidiairement, un jugement déclarant que le Canada et la Colombie‑Britannique ont l’obligation légale de consulter le CTH ou les Heiltsuk relativement à l’exercice par la Couronne du pouvoir décisionnel prévu, respectivement, au par. 180(1) de la [LMMC] et au par. 91.2(3) de l’EMA, ainsi que l’obligation de s’informer et d’informer le CTH ou les Heiltsuk au sujet de l’ampleur des répercussions du déversement sur les droits ancestraux;

f.  l’indemnisation du dommage par pollution en vertu de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou, subsidiairement, de la CRC, sans tenir compte de l’« exception relative à l’altération », telle que l’expression est définie ci‑dessous ou, subsidiairement, en tenant compte de l’exception relative à l’altération;

g.  de plus, ou subsidiairement, des dommages‑intérêts, y compris des dommages‑intérêts généraux et spéciaux;

h.  une injonction enjoignant à Kirby d’exiger et de faire en sorte que les équipages des navires qu’elle possède ou exploite et qui naviguent dans les eaux intérieures de la Colombie‑Britannique se conforment à toutes les lois fédérales et de la Colombie‑Britannique applicables en matière de normes minimales sur le personnel de quart;

i.  la confiscation du navire de la défenderesse ou le dépôt d’un cautionnement;

j.  les dépens;

k.  les intérêts, aux taux applicables en matière d’amirauté;

l.  de plus, ou subsidiairement, les intérêts prévus par la Court Order Interest Act, R.S.B.C., c. 79;

m.  toute autre réparation que la Cour estimera juste.

[115]  À l’inverse, les réparations que demande Kirby dans l’action en limitation de responsabilité introduite devant la Cour se rapportent uniquement à la limitation de la responsabilité. Plus précisément, elle demande : un jugement déclaratoire portant que les créances peuvent être limitées en vertu de la CLRCM ou, subsidiairement, de la CRC; une ordonnance constituant un fonds de limitation en vertu de la CLRCM ou, subsidiairement, de la CRC; une ordonnance indiquant la forme que prendra la garantie relative à ces fonds; une ordonnance interdisant aux Heiltsuk et à tout autre créancier d’introduire contre Kirby, en ce qui concerne l’événement, une autre action que l’action en limitation de responsabilité devant la Cour fédérale ou de continuer une telle autre action, et interdisant les réclamations contre Kirby, le fonds prévu par la CLRCM (fonds de la CLRCM) ou le fonds prévu par la CRC (fonds de la CRC) à l’expiration d’une période que fixera la Cour; une ordonnance portant que Kirby a le droit de présenter une demande d’indemnisation contre le fonds de la CLRCM ou de la CRC pour les sommes dépensées avant l’introduction de l’action en limitation de responsabilité relativement à l’événement; des directives quant à la façon de déterminer quelles personnes pourront être indemnisées par le fonds de la CLRCM ou de la CRC et un processus pour le paiement des créances; les dépens; toute autre réparation que la Cour estimera juste.

[116]  À mon avis, il ressort à l’évidence que l’action intentée en CSCB et l’action en limitation de responsabilité ne sont pas des instances parallèles (JD Irving CAF, au par. 126).

[117]  Par ailleurs, la Cour n’est pas liée par l’arrêt Westec rendu en 1999 par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et invoqué par les Heiltsuk, qui est antérieur à l’arrêt JD Irving CAF et qui, quoi qu’il en soit, n’étaye pas, selon moi, la thèse des Heiltsuk.

[118]  Dans l’arrêt Westec, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, qui était appelée à examiner des actions intentées au Kansas et en Colombie‑Britannique, écrit ceci :

[traduction]

[26]  Cette question découle de l’affirmation de Westec selon laquelle l’instance intentée au Kansas n’est pas véritablement « parallèle » au sens donné à ce terme dans l’arrêt 472900 B.C. Ltd. c. Thrifty Canada. Westec soutient que sa poursuite en Colombie‑Britannique est fondée sur un contrat dont Raytheon ne reconnaît même pas l’existence dans son action intentée au Kansas. Partant du principe que les contrats constituent un domaine distinct du droit, Westec prétend qu’il n’y a pas en l’espèce d’instances parallèles qui donneraient lieu à l’analyse exposée dans 472900 B.C. Ltd. c. Thrifty Canada.

[27]  Sans vouloir offenser Westec, l’interprétation étroite qu’elle fait des mots « instances parallèles » va à l’encontre de la façon dont le terme est employé en droit et des considérations de principe qui sous‑tendent cet usage. Lord Diplock, pour reprendre ses propos dans The Abidin Daver, précité, décrit les instances parallèles comme étant « une poursuite quant à un objet donné entre un demandeur et un défendeur », et un peu plus haut, à la page 476 de ses motifs, comme un « procès entre les mêmes parties portant sur le même objet, [mais] où les rôles du demandeur et du défendeur sont inversés ». La présente affaire correspond de toute évidence à cette description.

[28]  L’adoption d’une démarche formaliste et restrictive pour déterminer si des instances sont parallèles est également inconciliable avec les raisons de principe pour lesquelles on cherche précisément à éviter les instances parallèles. Ces instances font intervenir deux considérations de principe. Premièrement le fait de tenir deux procès au sujet d’un même litige, dans le cadre de deux procédures intentées dans des ressorts différents, entraîne à l’évidence de l’inefficacité et du gaspillage. Deuxièmement, l’existence d’instances parallèles ouvre la porte à la possibilité que des jugements incompatibles soient rendus. Dans l’arrêt The Abidin Daver, précité, lord Diplock, à la p. 477 (All E.R.), déclare que le risque que deux actions jugées de manière concomitante dans des ressorts différents débouchent sur des décisions contradictoires est important. Il ajoute :

La courtoisie exige qu’une telle situation ne soit pas admise entre tribunaux de deux États civilisés et amis. Cela ne peut que mener à la confusion et des injustices.

[29]  Pour éviter des frais et des inconvénients supplémentaires ainsi que d’éventuelles décisions incompatibles, l’examen de la question de savoir si des instances parallèles existent doit porter sur l’objet du différend et non sur la façon dont il est présenté dans le cadre d’une action donnée.

[Italiques ajoutés.]

[119]  Dans l’action en limitation de responsabilité et l’action intentée en CSCB, les parties ne sont pas identiques. De plus, bien que les deux actions concernent les répercussions de l’événement, à savoir le dommage par pollution, l’action intentée en CSCB va bien au‑delà de la question de savoir si Kirby est en droit de limiter sa responsabilité en vertu de la CLRCM ou de la CRC. Plus particulièrement, cette action vise à faire reconnaître un titre ancestral et des droits ancestraux et à obtenir un jugement déclaratoire à cet égard visant à étayer la contestation de la constitutionnalité des dispositions de la LRM portant sur la limitation de responsabilité. La question de l’existence du titre ancestral et des droits ancestraux ne concerne que les Heiltsuk, le Canada et la Colombie‑Britannique, et Kirby n’a aucun rôle à jouer dans son règlement, même si l’issue de ce règlement risque d’avoir des conséquences pour les propriétaires de navires.

[120]  La deuxième raison pour laquelle l’argument des Heiltsuk ne peut être accepté est que les raisons de principe qu’ils invoquent à l’appui de leur thèse favorisent plutôt la suspension de l’instance. Dans l’arrêt Westec, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a déclaré que la question des instances parallèles faisait intervenir deux considérations de principe. D’une part, la tenue de deux procès au sujet d’un même litige, dans le cadre de deux procédures intentées dans des territoires différents entraîne à l’évidence de l’inefficacité et du gaspillage. D’autre part, l’existence d’instances parallèles ouvre la porte à la possibilité que des jugements incompatibles soient rendus. Comme l’a conclu le juge Nadon dans l’arrêt JD Irving CAF, c’est précisément ce genre de considérations de principe qui justifient de procéder par voie d’action en limitation de responsabilité devant la Cour fédérale avant de poursuivre l’action en responsabilité civile, que ce soit à la Cour fédérale ou à la CSCB.

[121]  Il en est ainsi parce que, à l’instar des propriétaires de navire dans l’arrêt JD Irving CAF, Kirby ne dispose vraisemblablement pas d’un « véritable moyen de défense à l’action en dommages‑intérêts » et préfère par conséquent se reposer sur son droit de limiter sa responsabilité pour les dommages. Si la Cour conclut que Kirby peut limiter sa responsabilité, la question de la témérité et toutes les autres allégations des Heiltsuk se rapportant à la responsabilité, dont celle concernant la négligence et la nuisance, seront réglées et n’auront pas à être abordées dans le cadre de l’action en responsabilité civile intentée en CSCB. Le droit à la limitation de responsabilité ne sera pas jugé deux fois. Et si on met de côté un instant la possible contestation fondée sur la Constitution, s’il est établi que Kirby peut limiter sa responsabilité, les parties auraient une raison très concrète de régler la réclamation selon la valeur du fonds de limitation, ce qui permettrait d’éviter des frais et d’économiser les ressources judiciaires (JD Irving CAF, au par. 111).

[122]  En somme, l’arrêt JD Irving CAF pose le principe selon lequel une action en limitation de responsabilité ne constitue pas une « instance parallèle » à une action en responsabilité civile. De plus, les considérations de principe qui sous‑tendent la règle s’opposant à ce qu’un différend soit jugé à deux reprises étayent l’idée qu’il est préférable d’instruire l’action en limitation de responsabilité avant l’action en responsabilité civile.

[123]  À mon avis, à l’image de la situation qui prévalait dans l’affaire JD Irving CAF, il n’y a pas d’« instance parallèle » en cours devant un autre tribunal comme cela doit être le cas pour invoquer l’alinéa 50(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales. Il s’ensuit que, contrairement à ce que font valoir les Heiltsuk, l’alinéa 50(1)a) ne s’applique pas, et il en est par conséquent de même de la question du forum conveniens et des facteurs à prendre en considération selon la jurisprudence citée par les Heiltsuk dont les décisions Mazda Canada, Magic Sportswear et Ford Aquitaine dans le cadre de l’analyse s’y rapportant.

[124]  Cela dit, je ne pense pas que l’arrêt JD Irving CAF permette d’affirmer que le choix d’un tribunal par le propriétaire d’un navire en vertu du paragraphe 32(2) de la LRM a pour effet de retirer à la Cour son pouvoir discrétionnaire de suspendre une instance en application du paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Ce n’est pas ce que dit la LRM. D’ailleurs, le juge Nadon a reconnu que, comme dans le cas des requêtes en interdiction, la décision de suspendre une instance en Cour fédérale est de nature discrétionnaire. En fait, le paragraphe 32(2) accorde au propriétaire d’un navire le droit de choisir le tribunal devant lequel intenter son action en limitation de responsabilité. Une fois ce choix fait, la Cour et les autres tribunaux doivent le respecter. Par ailleurs, à mon sens, le paragraphe 32(2) sur l’élection du for ne vise pas non plus à empêcher la Cour, si elle en a le pouvoir discrétionnaire, de refuser d’exercer une compétence qu’elle partage avec un autre tribunal. L’arrêt JD Irving CAF est simplement une illustration du fait que la Cour fédérale sera moins susceptible de le faire si un tribunal a été choisi en vertu du paragraphe 32(2).

[125]  Pour conclure, le critère à appliquer pour décider s’il faut suspendre une instance est celui consacré dans la décision Mon‑Oil, étant donné que toute suspension d’instance découlant de l’article 32 de la LRM serait accordée au titre de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales.

E.  La reconnaissance de la compétence de la Cour

[126]  Les Heiltsuk affirment que Kirby a reconnu la compétence de la CSCB. Ils soulignent que la CSCB exerce une compétence concurrente avec la Cour relativement au droit d’un propriétaire de navire de limiter sa responsabilité au titre du paragraphe 32(2) de la LRM. Selon les Heiltsuk, tous les aspects de leur demande relèvent de la compétence matérielle de la CSCB, [traduction] « à l’exception peut‑être » de la constitution et de la répartition du fonds de limitation (LRM, par. 32(1)), exception qu’il est possible d’écarter avec l’accord des Heiltsuk et de Kirby. Autrement dit, de l’avis des Heiltsuk, la compétence exclusive accordée à la Cour par le paragraphe 32(1) de la LRM en ce qui concerne toute question liée à la constitution et à la répartition du fonds de limitation peut être écartée, en l’occurrence en faveur de la CSCB, si les parties en conviennent ou qu’elles reconnaissent cette compétence.

[127]  Les Heiltsuk font valoir cet argument dans la requête qu’ils ont présentée à la CSCB pour demander à cette dernière de « confirmer sa compétence ». La requête en question a été déposée en réponse à l’action en limitation de responsabilité et à la requête en interdiction dont Kirby a saisi la Cour. Dans la requête en suspension d’instance qu’ils ont présentée à notre Cour, les Heiltsuk déclarent avoir demandé à la CSCB de rendre une décision portant que Kirby, à la fois, s’est soumise à la compétence de cette cour et a accepté que celle‑ci l’exerce et que, de ce fait, Kirby a reconnu que la CSCB a compétence sur les demandes présentées dans l’action intentée devant elle. Par conséquent, les Heiltsuk soutiennent que Kirby n’est pas autorisée à demander à la CSCB de refuser d’exercer sa compétence.

[128]  Dans leur requête en suspension d’instance, les Heiltsuk soutiennent aussi que la compétence de la CSCB – et, partant, la question de sa reconnaissance par Kirby – est un facteur que la Cour doit prendre en considération pour décider s’il convient qu’elle refuse d’exercer sa compétence (Magic Sportswear, aux par. 70, 81 et 89). De plus, à cet égard, le fait que Kirby se soit expressément soumise à la compétence de la CSCB devrait recevoir un poids considérable (S&W Berisford plc c New Hampshire Insurance Co, [1990] 2 QB 631, à la p. 646). Enfin, étant donné l’importance de la notion de courtoisie, la décision d’un tribunal homologue canadien de [traduction] « se déclarer » compétent pourrait fort bien être qualifiée de déterminante (47200 BC Ltd c Thrifty Canada Ltd, [1998] 168 DLR (4th) 602 (CACB)).

[129]  Comme nous le verrons plus loin, lorsqu’une question relève exclusivement de la compétence de la Cour, je ne suis pas convaincue qu’un autre tribunal puisse se voir accorder cette compétence et l’exercer par suite d’une entente entre les parties ou de la reconnaissance de la compétence d’un tribunal. De plus, il faut souligner que Kirby ne nie pas la compétence de la CSCB sur l’affaire. Elle demande plutôt que l’action intentée en CSCB soit suspendue jusqu’au règlement de l’action en limitation de responsabilité dont la Cour est saisie.

[130]  Quoi qu’il en soit, je note que les Heiltsuk fondent leur argument relatif à la reconnaissance de la compétence d’un tribunal sur trois éléments : la LG‑CTH, la correspondance entre les avocats et le défaut de Kirby de contester la compétence dans le délai imparti. J’examine tour à tour ces points dans les paragraphes qui suivent.

(i)  La LG‑CTH

[131]  Les Heiltsuk soutiennent que Kirby a accepté de se soumettre à la compétence de la CSCB en fournissant la LG‑CTH, dont les extraits les plus pertinents sont les suivants :

[traduction]

La partie défenderesse convient par les présentes :

1. De se soumettre à la compétence de la Cour fédérale du Canada ou de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, de donner instruction à ses avocats au Canada, chez Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l., d’accepter de recevoir signification, au nom de la partie défenderesse, des actes de procédure déposés au Canada en lien avec l’événement susmentionné et de comparaître dans le cadre de ces procédures au nom du RCA et de ses propriétaires.

[...]

11. Que la présente lettre de garantie n’est pas et ne saurait être considérée comme un aveu de responsabilité de la partie défenderesse et qu’elle est remise sous réserve de tous les droits, privilèges et moyens de défense dont disposent le RCA ou la partie défenderesse, y compris (de façon non limitative) leur droit de déposer des procédures visant à établir en faveur de la partie défenderesse une limite de responsabilité ou un fonds de limitation à cet égard, ou à présenter une demande reconventionnelle.

12. Que le montant de la garantie sera réduit à la suite du prononcé par la Cour fédérale du Canada ou la Cour suprême de la Colombie‑Britannique d’un jugement déclaratoire établissant une limite de responsabilité réduite en faveur du RCA ou de la partie défenderesse, ou un fonds de limitation en ce qui concerne le RCA ou la partie défenderesse auprès de la Cour fédérale du Canada ou de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, et à l’expiration de tous les délais d’appel ou, s’il y a lieu, à l’issue du règlement de tous les appels.

[132]  Les Heiltsuk avancent que la conclusion de la LG‑CTH se voulait [traduction] « une forme de garantie communément acceptée pour éviter la saisie d’un navire et assurer au créancier, avec l’accord des propriétaires de navires, le bénéfice de la compétence du tribunal canadien de son choix ». Pour appuyer cette thèse, ils ne citent ni jurisprudence ni doctrine.

[133]  Je conviens que la lettre de garantie est une forme de garantie souvent offerte pour éviter la saisie du navire en cause, ou d’autres navires ou biens appartenant au même propriétaire ou un propriétaire apparenté, par suite d’un événement lors duquel un navire est présumé avoir causé des dommages ou un préjudice au destinataire de la lettre de garantie. En fait, en l’espèce, il est évident, d’après le préambule de la LG‑CTH, que celle‑ci a été remise et les garanties énumérées données en contrepartie de l’engagement du Conseil tribal des Heiltsuk de s’abstenir de faire saisir le remorqueur et le chaland ou d’autres éléments d’actif ou biens appartenant aux propriétaires ou à leurs associés afin d’asseoir la compétence des tribunaux canadiens et d’obtenir une sûreté ou d’autres garanties.

[134]  Toutefois, aucun passage de la LG‑CTH ne prévoit explicitement ou tacitement que Kirby s’engage à laisser aux Heiltsuk le choix du tribunal (entre la Cour fédérale et la CSCB) auquel sera confiée l’instruction de son action en limitation de responsabilité. Certes, il est énoncé à l’engagement no 1 que Kirby accepte de se soumettre à la compétence de la Cour fédérale ou de la CSCB, de demander à ses avocats de recevoir signification des actes de procédure déposés au Canada en lien avec l’événement et de comparaître dans le cadre de ces procédures. En revanche, l’engagement no 11 énonce en termes non équivoques que la LG‑CTH est conclue sous réserve de tous les droits, privilèges et moyens de défense dont dispose Kirby et, en particulier, des procédures visant à établir un fonds de limitation ou une limite de responsabilité en sa faveur.

[135]  Selon moi, compte tenu du libellé de la LG‑CTH, les Heiltsuk étaient parfaitement libres d’intenter un recours devant la CSCB comme ils l’ont fait. Par contre, Kirby était tout aussi libre d’introduire son action en limitation devant la Cour. C’était un droit qu’elle se réservait en vertu de l’engagement no 11 et du paragraphe 32(2) de la LRM, qui prévoit que lorsque la responsabilité d’une personne est limitée aux termes des articles 6 ou 7 de la CLRCM relativement à une créance – réelle ou appréhendée –, cette personne peut se prévaloir de ces dispositions en défense, ou dans le cadre d’une action, devant tout tribunal compétent au Canada.

[136]  En somme, il n’y a rien dans la LG‑CTH qui puisse étayer l’argument des Heiltsuk selon lequel Kirby se serait soumise à la compétence de la CSCB aux fins de l’action en limitation de responsabilité. Au contraire, la LG‑CTH stipule que Kirby est en droit d’introduire une action pour limiter sa responsabilité, ce qu’elle s’emploie actuellement à faire, sans restriction quant au choix du tribunal.

(ii)  La correspondance entre les avocats

[137]  Les Heiltsuk soutiennent que dans la correspondance émanant de ses avocats, Kirby a acquiescé à la compétence de la CSCB en indiquant qu’elle entendait déposer une réponse à l’avis de poursuite civile des Heiltsuk. Il ressort de mon examen de cette correspondance – et je suis consciente qu’une « réponse » peut désigner une réponse à une poursuite civile (autrement dit, une défense) ou une réponse relative à la question de compétence – que les avocats de Kirby n’ont jamais précisé ou promis explicitement qu’une réponse à la poursuite civile (une défense) serait déposée. Qui plus est, le 1er avril 2019, Kirby a déposé une réponse relative à la question de la compétence (formule 108, article 21‑8 des règles de la CSCB en matière civile) dans laquelle elle conteste que la CSCB avait compétence sur les défendeurs Kirby et fait valoir que la CSCB doit s’abstenir d’exercer sa compétence sur ces défendeurs. Puis, le 1er mai 2019, Kirby a déposé un avis de requête en vue d’obtenir, suivant l’alinéa 21‑8(4)a) des règles de la CSCB en matière civile, la suspension de l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby et, suivant le paragraphe 21‑9(1) ou 21‑8(2) des règles de la CSCB en matière civile, le rejet ou la suspension de l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby au motif que la CSCB n’a pas compétence sur les demandes formulées contre eux par les Heiltsuk ou, à titre subsidiaire, que la CSCB devrait refuser d’exercer sa compétence sur les demandes en question. Kirby n’a pas déposé de défense ni pris aucune mesure pour faire progresser l’action intentée en CSCB, même après avoir reçu des avocats des Heiltsuk une lettre datée du 1er mai 2019 l’avisant qu’un jugement par défaut serait demandé sans autre préavis si la réponse à la poursuite civile n’était pas présentée au plus tard le 14 juin 2019. En réponse à cette lettre, les avocats de Kirby ont fait savoir que leur cliente ne déposerait pas de réponse à la poursuite civile et qu’elle ne reconnaissait pas la compétence de la CSCB.

[138]  Je ne suis donc pas convaincue que Kirby a acquiescé à la compétence de la CSCB par le biais des lettres de ses avocats.

(iii) Le non‑respect des règles de la CSCB en matière civile

[139]  Les Heiltsuk avancent aussi que Kirby a reconnu la compétence de la CSCB en omettant de se conformer au paragraphe 21‑8(5) des règles de la CSCB en matière civile et suivant certains jugements de la CSCB, dont Fastlicht c Carmichael, 2018 BCSC 37 [Fastlicht] et Blazec c Blazec, 2009 BCSC 1693 [Blazec].

[140]  Plus précisément, les Heiltsuk affirment qu’après le dépôt de sa réponse relative à la question de compétence, le 1er avril 2019, Kirby a omis de signifier l’avis de requête dans un délai de 30 jours, comme l’exige le paragraphe 21‑8(5) des règles de la CSCB en matière civile :

[traduction]

Règle 21‑8 — Conflits de compétence

[...]

Non‑inférence de reconnaissance de la compétence de la cour

(5) Si, dans un délai de 30 jours après avoir déposé une réponse relative à la question de la compétence à l’égard d’une instance, la partie qui a déposé cette réponse signifie un avis de requête aux parties au dossier visé à l’alinéa (1)a) ou b) ou au paragraphe (3) ou dépose un acte de procédure ou une réponse à une requête visée à l’alinéa (1)c) :

a) elle ne reconnaît pas la compétence de la cour à l’égard de l’instance du seul fait du dépôt ou de la signification de l’un ou de l’ensemble des actes de procédure suivants :

(i) la réponse à la question de la compétence;

(ii) un acte de procédure ou une réponse à une requête, visé à l’alinéa (1)c);

(iii) un avis de requête visé à l’alinéa(1)a) ou b) et les affidavits à l’appui;

b) elle peut, jusqu’à ce que la cour statue sur la demande ou la question soulevée par l’acte de procédure, la requête ou la réponse à la requête, sans se soumettre à la compétence de la cour :

(i) demander, respecter ou faire respecter une ordonnance de la cour,

(ii) se défendre contre l’action sur le fond.

[141]  Selon les Heiltsuk, le fait de ne pas se conformer à l’exigence de signification, ne serait‑ce qu’en raison d’un retard d’une journée, signifie que la réponse relative à la question de la compétence et tout avis de requête subséquent emportent reconnaissance par Kirby de la compétence de la CSCB.

[142]  Kirby affirme qu’une réponse relative à la question de la compétence a été déposée le 1er avril 2019. L’avis de requête contestant la compétence a été déposé dans le délai de 30 jours, soit le 1er mai 2019. Les documents afférents à la requête ont été signifiés le 3 mai 2019. Kirby soutient que les Heiltsuk font une interprétation erronée du paragraphe 21‑8(5) des règles de la CSCB en matière civile en affirmant qu’elle s’est soumise à la compétence de la CSCB parce qu’elle a signifié son avis de requête après l’expiration du délai de 30 jours. Les dispositions de cette règle précisent par quels moyens une partie peut repousser la présomption de reconnaissance de compétence et l’autorisent à prendre des mesures pour se défendre contre l’action sur le fond sans qu’il y ait pour autant acquiescement à la compétence de la CSCB. Or, relève Kirby, la question de savoir si elle peut ou non se prévaloir de cette immunité est sans importance, parce que les défendeurs Kirby n’ont pris aucune des mesures susmentionnées dans le cadre de l’action intentée en CSCB. De plus, il est de jurisprudence constante que le dépôt d’une réponse à la question de la compétence et d’un avis de requête ne peut à lui seul valoir acquiescement (Mid‑Ohio Imported, Car Co c Tri‑K Investments Ltd, (1996), 13 BCLR (3d) 41 (CA), au par. 15; Stewart c Stewart, 2017 BCSC 1532, au par. 26 [Stewart]). Kirby soutient que dans toutes les affaires invoquées par les Heiltsuk, les défendeurs avaient omis de respecter le délai prévu au paragraphe 21‑8(5) des règles de la CSCB en matière civile et avaient pris des mesures supplémentaires que la cour avait considérées comme étant une reconnaissance de compétence.

[143]  J’ai examiné les décisions que les parties ont citées et qui traitent de l’interprétation et de l’application des règles de la CSCB en matière civile pertinentes en l’espèce, mais elles n’apportent aucune solution claire, d’autant plus que les Heiltsuk ne prétendent pas que Kirby s’est soumise à la compétence de la CSCB du fait d’une omission d’invoquer la compétence territoriale de cette cour, que dans la décision Blazek l’exposé de la défense avait été déposé et plusieurs étapes de la procédure avaient été franchies et que, dans d’autres décisions, des démarches avaient aussi été entreprises quant au fond alors que, en l’espèce, Kirby a seulement déposé la réponse relative à la question de compétence et l’avis de requête en suspension de l’action intentée en CSCB en raison d’une question de compétence.

[144]  De toute manière, pour les besoins des requêtes dont je suis saisie, je n’ai pas à tirer de conclusion sur la question de la reconnaissance de la compétence suivant les règles de la CSCB en matière civile. Je ne suis pas convaincue que la LG‑CTH, la correspondance entre les avocats ou l’argument relatif à la reconnaissance de la compétence attribuable à l’inobservation des règles de la CSCB en matière civile devraient inciter la Cour à refuser d’exercer la compétence concurrente qui lui revient en vertu du paragraphe 32(2) de la LRM, comme le soutiennent les Heiltsuk. En effet, Kirby s’en est remis à la juridiction de la Cour, ainsi qu’elle y était autorisée par cette disposition, et par ailleurs, la Cour a compétence exclusive à l’égard des questions visées au paragraphe 32(1) et à l’article 33 de la LRM, une compétence qui, comme nous le verrons plus loin, ne peut être écartée par accord ou acquiescement. En outre, Kirby a convenu que si, à l’issue de l’action en limitation de responsabilité introduite devant la Cour, il était jugé qu’elle n’était pas en droit de limiter sa responsabilité, le procès portant sur la responsabilité civile et les dommages‑intérêts pourrait se poursuivre devant la CSCB.

F.  L’affidavit de Mme Kreutz

[145]  L’affidavit de Mme Kreutz fait partie du dossier de la requête en suspension d’instance des Heiltsuk. Mme Kreutz ne précise pas pourquoi elle a souscrit cet affidavit, qui décrit divers documents qui y sont joints comme pièces A à Q. La source de certains documents n’est pas précisée non plus que la façon dont Mme Kreutz ou les Heiltsuk les ont obtenus. Dans d’autres paragraphes, Mme Kreutz déclare être au courant des faits allégués et convaincue de leur véracité, mais elle n’indique pas de qui elle tient ces faits ni pourquoi elle les croit vrais.

[146]  Kirby souligne que l’une des pièces en question est un rapport d’enquête maritime rédigé par le Bureau de la sécurité des transports du Canada concernant l’échouage et le naufrage subséquent du remorqueur et du chaland. Toutefois, selon l’article 33 de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, LC 1989, c 3, l’opinion d’un membre du Bureau ou d’un enquêteur n’est pas admissible en preuve dans toute procédure judiciaire, disciplinaire ou autre.

[147]  Après examen de l’affidavit de Mme Kreutz, je suis d’avis qu’il ajoute peu d’information pertinente ou importante dans le contexte des requêtes que je suis appelée à trancher. Ces pièces sont d’ailleurs censées étayer les points de vue des Heiltsuk quant à la question de la propriété commune du remorqueur et du chaland (pour ce qui est de la question de la fixation de la limite de la responsabilité en fonction de deux navires ou d’un seul), ou du fait fautif ou téméraire de Kirby, des questions qui seront traitées, dans le cadre de l’action en limitation de responsabilité, à l’étape du procès.

[148]  Par conséquent, les paragraphes 1 à 11 et les pièces A à J, inclusivement, seront radiés, le tout sans porter atteinte au droit des Heiltsuk de demander l’admission de ces documents lors de l’instruction de l’action en limitation de responsabilité, dans le cadre de laquelle la question de leur admissibilité pourra être examinée.

VIII.  Question no 1 : devrait‑on interdire aux Heiltsuk de continuer l’action devant la CSCB contre les défendeurs Kirby?

[149]  Comme je l’ai mentionné précédemment, en l’espèce, le critère applicable à l’interdiction est celui de la mesure indiquée énoncé à l’article 33 de la LRM. La décision relative à l’interdiction est une décision discrétionnaire qui doit être rendue en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes.

[150]  Dans l’application du critère de la mesure indiquée, il importe de ne pas perdre de vue que Kirby ne demande pas l’interdiction de l’action intentée en CSCB dans son intégralité. Kirby souhaite plutôt qu’il soit temporairement interdit aux Heiltsuk de poursuivre leur action en responsabilité civile en CSCB, et ce, uniquement contre les défendeurs Kirby et jusqu’à ce que la Cour fédérale statue sur l’action en responsabilité civile dont elle est saisie.

[151]  À mon avis, il est indiqué d’empêcher l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby pour les motifs exposés ci‑dessous.

[152]  Premièrement, comme nous l’avons déjà vu, le paragraphe 32(1) de la LRM confère à la Cour la compétence exclusive pour trancher toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation établi en vertu des articles 11 et 13 de la CLRCM. Les Heiltsuk soutiennent que cette attribution explicite de compétence par le législateur ne prive pas la CSCB de la compétence inhérente dont elle dispose relativement à la constitution et à la répartition d’un fonds de limitation, mais j’estime que cette proposition est sans fondement. Dans l’arrêt Douez c Facebook, Inc, 2017 CSC 33, la Cour suprême du Canada a examiné un texte de loi de la Colombie‑Britannique, l’article 4 de la Privacy Act, RSBC 1996, c 373, lequel prévoit que malgré les dispositions de toute autre loi, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique est celle qui connaît de toute action fondée sur la Privacy Act. Ayant rejeté l’argument de Facebook voulant que l’article 4 confère à la CSCB une compétence exclusive uniquement par rapport aux autres tribunaux de cette province, la Cour suprême du Canada écrit ceci :

[107]  L’article 4 de la Privacy Act précise que [traduction] « la Cour suprême connaît de toute action » relative à ces délits civils malgré les dispositions de toute autre loi. Le législateur y reconnaît que les droits à la vie privée conférés par la Privacy Act bénéficient dans la province de la protection des juges de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Soit dit en tout respect, je ne retiens pas l’argument de Facebook selon lequel l’art. 4 ne confère à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une compétence exclusive que par rapport aux autres tribunaux siégeant dans la province. L’article confère à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique une compétence exclusive qui écarte non seulement la compétence des autres tribunaux de la province, mais aussi celle de tout autre tribunal non britanno‑colombien. C’est ce qu’il faut entendre par compétence exclusive.

[108]  L’octroi par le législateur d’une compétence exclusive aux tribunaux de sa propre province l’emporte sur toute clause d’élection de for qui désigne un autre tribunal (voir GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401, par. 25). Donner effet à la clause d’élection de for d’un contrat de consommation qui empêche une partie de saisir le tribunal désigné par la loi irait, à mon humble avis, à l’encontre de l’ordre public. Conclure le contraire voudrait dire que l’on peut, au moyen d’une clause d’élection de for, se soustraire à l’intention claire du législateur. Cela contredirait la reconnaissance par la Cour dans l’arrêt Pompey du fait que les dispositions de la loi l’emportent sur la clause d’élection de for (Pompey, par. 39).

[Italiques ajoutés.]

[153]  La Cour suprême a aussi déclaré qu’en tant que cours de compétence générale, les cours supérieures ont compétence en toutes matières, sauf lorsque la loi la leur enlève (Windsor (City) c Canadian Transit Co, 2016 CSC 54, au par. 32).

[154]  Étant donné que le paragraphe 32(1) de la LRM confère à la Cour fédérale la compétence exclusive en ce qui concerne la constitution et la répartition du fonds de limitation, cette compétence ne relève pas de la CSCB. Il est nécessaire, et donc approprié, que la Cour exerce cette compétence. Ainsi, puisque le fonds doit être constitué et réparti par la Cour, il est également approprié que cette dernière connaisse de l’action en limitation de responsabilité, puisque c’est le choix qu’a fait Kirby lorsqu’elle a exercé le droit d’élection de for que lui accorde le paragraphe 32(2) de la LRM, et que la poursuite par les Heiltsuk de l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby soit interdite jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans l’action en limitation de responsabilité.

[155]  Étant donné que la Cour s’est vu conférer la compétence exclusive à cet égard, la présente analyse ne peut pas non plus prendre en considération le fait que les Heiltsuk soient disposés à accepter que la CSCB constitue et répartisse le fonds de limitation, ce que, disent‑ils, la CSCB est en mesure de faire puisqu’elle s’occupe régulièrement de recevoir et de verser des sommes dans le cadre de diverses affaires. Il est pareillement impossible de tenir compte du fait que les Heiltsuk seraient enclins à accepter que la CSCB tranche toutes les questions liées à la constitution et à la répartition du fonds de limitation [traduction] « comme si elle était la Cour d’amirauté ». Certes, les Heiltsuk affirment que Kirby a reconnu la compétence de la BCSC ou s’y est soumise, mais il n’est pas loisible à une partie de reconnaître à un tribunal une compétence qu’il n’a pas (voir Board of Naturopathic Physicians of British Columbia c Heuper, 1976 CarswellBC 152, au par. 21, 66 DLR (3d) 727; Third Eye Capital Corporation c Ressources Dianor Inc./Dianor Resources Inc., 2019 ONCA 508, au par. 30).

[156]  De la même façon, les parties ne peuvent pas « se soustraire par contrat » à la compétence exclusive de la Cour, ce que les Heiltsuk affirment être une option du fait que le paragraphe 32(2) de la LRM n’exclut pas expressément cette possibilité. Sur ce point, les Heiltsuk relèvent que l’article 1 de la CLRCM permet au propriétaire de navire de « constituer un fonds auprès du tribunal ou de toute autre autorité compétente de tout État Partie dans lequel une action est engagée pour des créances soumises à limitation ». Selon eux, aucune disposition de la LRM ne prétend empêcher Kirby et les Heiltsuk d’accepter que la CSCB puisse être la gardienne d’un fonds de limitation [traduction] « nécessairement en tant qu’autre autorité compétente, selon l’article 11 ». Indépendamment du fait que l’attribution de compétence exclusive du paragraphe 32(1) de la LRM constitue en soi un obstacle à la possibilité de se soustraire à la compétence de la Cour par contrat, l’argument des Heiltsuk néglige le paragraphe 26(1) de la LRM, qui énonce que « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente partie, les articles 1 à 15 et 18 de la Convention [...] ont force de loi au Canada ». Suivant le paragraphe 31(1) de la LRM, la Cour d’amirauté, à savoir la Cour fédérale, a compétence exclusive sur toute question relative à la constitution et à la répartition du fonds de limitation aux termes des articles 11 à 13 de la CLRCM. Autrement dit, l’article 11 s’applique sous réserve du paragraphe 32(1), qui a préséance. Aucune possibilité n’est laissée aux parties de s’adresser à l’« autorité compétente » de leur choix et, de toute façon, la preuve dont je dispose ne me permet pas de penser que Kirby accepte cette interprétation ou ce choix.

[157]  Deuxièmement, suivant le paragraphe 33(2) de la LRM, il était loisible à Kirby de déférer son action en limitation de responsabilité à la Cour fédérale. Les tribunaux se doivent de respecter ce droit conféré par la Loi. Par conséquent, la Cour est saisie de l’action en limitation de responsabilité et peut exercer les pouvoirs qui lui sont attribués au paragraphe 33(1) de la LRM (JD Irving CAF, aux par. 91, 92 et 109).

[158]  Troisièmement, Kirby est présumée être en droit de limiter sa responsabilité. L’objet et la politique générale qui animent la CLRCM et la Convention sur les hydrocarbures de soute sont d’éviter les procédures contentieuses inutiles. De nombreuses décisions se sont déjà intéressées à l’histoire et à l’objet de la CLRCM, et notamment aux raisons pour lesquelles l’article 4 assujettit la possibilité d’« écarter » l’application du régime de limitation de responsabilité à un seuil extrêmement exigeant. Ainsi, dans la décision Le Sheena M, la Cour a déclaré ce qui suit :

[8]  Une partie du raisonnement qui sous‑tend la Convention de 1976 est clairement exposée dans Griggs and Williams, Limitation of Liability for Maritime Claims, Lloyd’s of London Press, 1998, à la page 3, où les auteurs commencent en mentionnant la Convention de 1957 :

[traduction] On a reconnu que le régime antérieur de limitation avait donné lieu à de trop nombreux litiges, ce que l’on voulait éviter à l’avenir. On s’entendait pour dire qu’il fallait établir un équilibre entre, d’une part, le désir de veiller à ce qu’un créancier qui a gain de cause soit indemnisé convenablement pour les pertes et préjudices qu’il a subis et, d’autre part, la nécessité de permettre aux propriétaires de navires, pour des motifs d’ordre public, de limiter leur responsabilité à un montant qui puisse être couvert sans problème par une assurance, moyennant une prime raisonnable.

La solution retenue, en bout de ligne, pour concilier les exigences du créancier et du défendeur consiste à a) établir un fonds de limitation correspondant au montant maximal de l’assurance que le propriétaire d’un navire peut obtenir à un coût raisonnable et à b) créer un droit à la limitation de la responsabilité pratiquement impossible à écarter.

Le texte de la Convention de 1976 arrêté par la Conférence constitue donc un compromis. En échange de l’établissement d’un fonds de limitation beaucoup plus élevé, les créanciers devraient accepter que la possibilité d’écarter le droit à la limitation de la responsabilité soit extrêmement limitée. Sous le régime de la Convention de 1976, la perte du droit à la limitation de la responsabilité ne survient que si le créancier peut prouver la faute intentionnelle ou la témérité de la personne qui veut limiter sa responsabilité (Article 4).

(Voir aussi : JD Irving 2016, aux par. 24‑34; Daina Shipping Company c Te Runanga O Ngati Awa, [2013] 2 NZLR 799, aux par. 26‑30; et Margolle and another c Delta Maritime Company Limited and others (The Saint Jacques II), [2002] EWHC 2452 (Admlty), au par. 16).

[159]  La Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’objet de la CLRCM et sur l’interprétation et l’application de l’article 4 dans l’arrêt Peracomo Inc. c Telus Communications Co, 2014 CSC 29. Cette affaire portait, en ce qui a trait à l’article 4 de la CLRCM, non pas sur la question de la témérité, mais sur l’intention de provoquer un dommage. Ayant procédé à un examen de l’objet de la CLRCM, la Cour suprême a conclu que l’article 4 exige la commission d’une faute d’une très grande gravité, vu l’objet de la CLRCM, qui est d’établir « un droit presque absolu à la limitation de la responsabilité » :

[24]  Examinons d’abord l’objet de la Convention. Les États contractants ont voulu l’exigence d’une faute stricte et une limitation de la responsabilité difficile à supprimer (Margolle c. Delta Maritime Co. (The « Saint Jacques II » and « Gudermes »), [2002] EWHC 2452, [2003] 1 Lloyd’s Rep. 203, par. 16; Schiffahrtsgesellschaft MS « Merkur Sky » m.b.H. & Co. K.G. c. MS Leerort Nth Schiffahrts G.m.b.H. & Co. K.G. (The « Leerort »), [2001] EWCA Civ 1055, [2001] 2 Lloyd’s Rep. 291, par. 18). La Convention est considérée comme étant le « fruit d’un compromis »; [traduction] « en contrepartie à l’établissement d’un fonds de limitation d’un montant accru, la disposition permettant la suppression de la limitation de la responsabilité a été resserrée au point qu’il est presque impossible à un demandeur de l’obtenir » (A. Mandaraka‑Sheppard, Modern Maritime Law and Risk Management (2e éd. 2007), p. 865). L’acte fautif doit revêtir un caractère très répréhensible sur le plan subjectif pour satisfaire à l’exigence (Nugent, p. 229, où le tribunal interprète les dispositions au libellé analogue de la Convention de Varsovie, 137 R.T.S.N. 11, modifiée par le Protocole de La Haye, 478 R.T.N.U. 371). On dit de la norme de faute établie à l’art. 4 qu’elle emporte [traduction] « un droit presque absolu à la limitation de la responsabilité » (P. Griggs, R. Williams et J. Farr, Limitation of Liability for Maritime Claims (4e éd. 2005), p. 3) et [traduction] « un droit presque incontestable à la limitation de la responsabilité » (The « Bowbelle », [1990] 1 Lloyd’s Rep. 532 (Q.B.D.), p. 535; voir également D. Damar, Wilful Misconduct in International Transport Law (2011), p. 168; R. P. Grime, « Implementation of the 1976 limitation convention » (1988), 12 Marine Pol’y 306, p. 313; P. Heerey, « Limitation of Maritime Claims » (1994), 10 MLAANZ Journal 1, p. 3; T. Ogg, « IMO’s International Safety Management Code (The ISM Code) » (1996), 1 I.J.O.S.L. 143, p. 149; J. F. Wilson, Carriage of Goods by Sea (7e éd. 2010), p. 288; E. Gold, A. Chircop et H. Kindred, Maritime Law (2003), p. 728). Signalons que les États contractants ont envisagé – pour finalement l’écarter expressément – la possibilité de retenir la commission d’une « faute lourde » comme condition suffisante pour supprimer la limitation de la responsabilité (Comité Maritime International, The Travaux Préparatoires of the LLMC Convention, 1976 and of the Protocol of 1996 (2000), Article 4. Conduite supprimant la limitation, p. 123‑132).

[25]  Soit dit en tout respect, l’interprétation de la Cour d’appel fédérale des conditions qui permettent de supprimer la limitation de la responsabilité assouplit la norme de faute applicable et compromet ainsi l’objet de la Convention, à savoir la limitation quasi absolue de la responsabilité.

[160]  Je signale au passage que la dimension de la témérité dont il est question à l’article 4 de la CLRCM a été examinée lors de l’instruction de l’action en limitation de responsabilité dans JD Irving 2016, en plus de la politique générale et des objets qui sous‑tendent cette convention (JD Irving 2016, aux par. 24‑34).

[161]  La limitation de responsabilité autorisée par la CLRCM et, par le fait même, par la Convention sur les hydrocarbures de soute, découle donc de décisions de politique générale des États signataires desdites conventions et d’autres conventions internationales qui ont été incorporées dans leur droit interne. En l’espèce, la LRM est l’instrument législatif ayant servi à incorporer en droit canadien les clauses sur la limitation de responsabilité issues de diverses conventions, dont la Convention sur les hydrocarbures de soute, la CLRCM et la CRC.

[162]  Comme dans l’affaire JD Irving CAF, les faits entourant l’événement ne sont pas vraiment contestés. Dans la présente affaire, le second officier s’est endormi à la barre. Le remorqueur et le chaland ont heurté un récif, ce qui a causé des avaries de coque et provoqué le rejet de polluants dans la mer. Il s’agit d’une situation qui se prête tout à fait à une décision sommaire sur la question de savoir si les dispositions de l’article 4 de la CLRCM empêchent Kirby de limiter sa responsabilité. Qu’on envisage la situation sous l’angle de la témérité, de la négligence, de la nuisance, de la rupture de contrat ou autrement, ce qu’affirment les Heiltsuk, c’est que les défendeurs Kirby sont responsables des dommages par pollution découlant de l’événement. Or, l’action en limitation de responsabilité ne sert à déterminer qu’une seule chose, soit celle de savoir si Kirby est en droit de limiter sa responsabilité en vertu de la Convention sur les hydrocarbures de soute et de la CLRCM. Si l’action en limitation de responsabilité est instruite avant le procès en responsabilité civile et qu’il est jugé que Kirby peut limiter sa responsabilité, cela aura pour effet de fixer le montant maximal que Kirby sera tenue de payer et éliminera toutes les questions de responsabilité et de dommages‑intérêts à cet égard dans l’action intentée en CSCB. De cette façon, aucun dédoublement de procédures n’aura lieu et des économies pourront être réalisées.

[163]  Si à l’issue de l’action en limitation de responsabilité la possibilité de limiter la responsabilité est « écartée », en ce sens que Kirby n’est pas en droit de limiter sa responsabilité, ou si les dispositions sur la limitation de responsabilité sont jugées invalides et inapplicables parce qu’elles portent atteinte au titre ancestral et aux droits ancestraux des Heiltsuk, les questions de responsabilité et de quantum des dommages‑intérêts pourront alors être tranchées lors de l’instruction de l’action intentée en CSCB.

[164]  À mon sens, si l’instruction de l’action en limitation de responsabilité est autorisée à précéder celle de l’action intentée en CSCB, cela permettra de mieux circonscrire les questions en litige devant la CSCB. Il s’ensuit qu’il est souhaitable de procéder à l’instruction de l’action en limitation de responsabilité avant celle de l’action intentée en CSCB et, partant, que la poursuite de l’action intentée en CSCB, en ce qui touche les défendeurs Kirby, soit interdite jusqu’au règlement de l’action en limitation de responsabilité.

[165]  Les autres réparations demandées par les Heiltsuk dans l’action intentée en CSCB comprennent le prononcé d’un jugement déclaratoire portant que le Canada et la Colombie‑Britannique étaient tenus de consulter les Heiltsuk au sujet des décisions prises sous le régime du paragraphe 180(1) de la LMMC et du paragraphe 91.2(3) de l’EMA. Cette demande de jugement déclaratoire n’est pas visée par l’action en limitation de responsabilité et n’empêche pas cette action d’être instruite avant l’action intentée en CSCB. À l’audience que j’ai présidée, les avocats de Kirby ont déclaré que depuis le dépôt des requêtes présentées en l’espèce, le procureur général du Canada avait déposé, le 27 juin 2019, sa réponse à l’action civile [la réponse du Canada], dont ils ont remis copie à la Cour. Dans la réponse du Canada, le procureur général affirme que dans la mesure où les Heiltsuk cherchent à attaquer la décision du ministre d’intervenir ou de ne pas intervenir au titre du paragraphe 180(1) de la LMMC, la procédure relève de la compétence exclusive de la Cour en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Autrement dit, la Cour conserve sa compétence exclusive en matière de contrôle judiciaire des décisions des ministres fédéraux, que la mesure de réparation demandée soit un bref de certiorari ou de mandamus, ou encore un jugement déclaratoire.

[166]  Je n’ai pas à me prononcer sur cet argument. Mais là encore, s’il est nécessaire de présenter une demande de contrôle judiciaire distincte relativement à l’article 180 de la LMMC, cela n’aura aucune conséquence pratique sur la poursuite de l’action en limitation de responsabilité. Et si les Heiltsuk devaient obtenir gain de cause, les frais d’assainissement supplémentaires éventuels feraient partie des créances produites contre le fonds de limitation ou, en cas d’inapplication du régime de limitation de responsabilité, ils pourraient être réclamés dans le cadre de l’action intentée en CSCB. Cela dit, j’ajouterais que dans la réponse du Canada, il est précisé que pendant toutes les opérations d’intervention le ministre n’a jamais jugé nécessaire d’invoquer l’article 180 de la LMMC, car à aucun moment Kirby n’a manifesté de réticence à prendre toutes les mesures d’intervention raisonnables. De plus, le Canada affirme que le gouvernement et Kirby ont uni leurs efforts pour intervenir à la suite de l’événement, surveiller les répercussions du déversement et assainir l’habitat marin touché. Le Canada ajoute que les quatre parties – les Heiltsuk, le Canada, la Colombie‑Britannique et Kirby – sont toujours à discuter du cadre de référence de l’évaluation des répercussions environnementales. Par ailleurs, l’affidavit de Marilyn Slett, conseillère en chef du Conseil tribal des Heiltsuk, daté du 20 juin 2019 et déposé à l’appui de la requête en suspension d’instance des Heiltsuk [l’affidavit de Mme Slett], confirme que le Canada et la Colombie‑Britannique ont entamé des discussions avec Kirby afin d’élaborer [traduction] « un solide cadre de référence pour une évaluation des répercussions environnementales ». Un cadre provisoire a été produit en mai 2019, et Mme Slett indique qu’il devra faire l’objet d’autres discussions. Cela laisse entrevoir la possibilité que la demande de réparation soit prématurée.

[167]  Par ailleurs, l’injonction sollicitée, par laquelle les Heiltsuk cherchent à obliger Kirby à se conformer à toutes les lois applicables en matière de personnel de quart – peu importe qu’une telle demande soit ou non fondée en droit –, est sans lien aucun avec l’action en limitation de responsabilité dont est saisie la Cour et n’empêche pas cette action de suivre son cours.

[168]  Il faut aussi noter que l’action intentée en CSCB vient à peine de commencer et que la poursuite de l’action en limitation de responsabilité n’entraînera pas un dédoublement des efforts. À l’époque où la requête en interdiction a été déposée, le procureur général de la Colombie‑Britannique avait déposé sa réponse à l’action civile [la réponse de la Colombie‑Britannique], mais le procureur général du Canada ne l’avait pas encore fait. Comme nous l’avons signalé précédemment, ce dernier a déposé sa réponse le 27 juin 2019. À l’heure actuelle, les actes de procédure ne sont pas clos, car les Heiltsuk ont toujours la possibilité de déposer une réponse.

[169]  Il reste à traiter du jugement déclaratoire demandé par les Heiltsuk relativement au titre ancestral et aux droits ancestraux qu’ils revendiquent par la voie de l’action intentée en CSCB. Selon moi, c’est l’unique aspect des requêtes dont la résolution pose problème et cela, surtout d’un point de vue pratique. Les parties proposent des approches différentes.

[170]  Les Heiltsuk affirment que l’action en limitation de responsabilité ne peut aller de l’avant tant qu’il ne sera pas statué sur l’existence de leurs titre et droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB. Ils ajoutent que tant que cela n’aura pas été fait, il sera impossible de répondre à la question constitutionnelle consistant à savoir si les dispositions sur la limitation de responsabilité prévues par la LRM, la CLRCM, la Convention sur les hydrocarbures de soute ou la CRC portent indûment atteinte à ces droits. Les Heiltsuk font valoir que le fonds de limitation ne devrait pas être établi avant que ces questions soient réglées. Dans les faits, les défendeurs Kirby ne pourraient faire trancher la question de savoir s’ils sont en droit de limiter leur responsabilité et, le cas échéant, de payer les créances valables, tant que les questions liées au titre ancestral et aux droits ancestraux n’auront pas d’abord été réglées.

[171]  Cette proposition soulève à mes yeux de nombreuses difficultés pour plusieurs raisons.

[172]  Premièrement, la réponse de la Colombie‑Britannique révèle que le 10 janvier 2003, des membres de la Nation des Heiltsuk et la bande indienne des Heiltsuk ont déposé l’action no S036668 au greffe de Vancouver de la CSCB [le bref de 2003]. Cette action vise apparemment l’obtention d’un jugement déclaratoire de titre et droits ancestraux à l’égard du territoire traditionnel des Heiltsuk qui comprend la zone de pertes revendiquée, mais cette demande antérieure n’a pas été jugée et n’a pas non plus fait l’objet d’un désistement. Dans la réponse de la Colombie‑Britannique, l’action intentée en CSCB est présentée comme faisant double emploi parce qu’elle vise l’obtention d’une mesure de réparation déjà demandée en 2003. Par conséquent, la Colombie‑Britannique soutient qu’il s’agit d’un abus de procédure et que l’action devrait être radiée. Je note que, dans son affidavit, Mme Slett déclare que le bref de 2003 était un bref de protection, ce qui signifie, selon sa compréhension, qu’il [traduction] « visait à préserver toute revendication de titre et toute demande en dommages‑intérêts ayant trait à une atteinte aux droits ancestraux et au titre ancestral contre le risque de prescription qui, selon ce qu’on croyait à l’époque, pouvait s’appliquer aux revendications de titre ». Toutefois, ajoute‑t‑elle, les Heiltsuk n’ont entrepris aucune démarche procédurale pour faire progresser la demande introduite par le bref de 2003 depuis son dépôt qui remonte à plus de 15 ans, et les Heiltsuk n’entendent pas pour le moment déposer un avis d’intention de procéder dans l’affaire. Ils [traduction] « revendiquent [maintenant] un titre ancestral dans leur poursuite contre Kirby », mais uniquement par rapport aux parties du territoire qui ont été touchées par le déversement. Le bref de 2003 n’a pas été joint comme pièce à l’affidavit de Mme Slett.

[173]  La Cour n’a pas à traiter de l’allégation d’abus de procédure : celle‑ci sera, à l’évidence, examinée par la CSCB. L’allégation revêt tout de même son importance. En effet, si la CSCB devait conclure que l’action intentée devant elle constitue un abus de procédure du fait de l’existence du recours précédent, la question du titre ancestral et des droits ancestraux serait dissociée de l’action intentée en CSCB. Dans les faits, cela voudrait vraisemblablement dire que la contestation d’ordre constitutionnel des Heiltsuk, qui soutiennent‑ils est étroitement liée à son titre ancestral et à ses droits ancestraux, ne pourrait pas être examinée dans l’action intentée en CSCB.

[174]  Quoi qu’il en soit, il ressort de ce qui précède que la question du titre ancestral et des droits ancestraux des Heiltsuk fait l’objet d’une procédure devant la CSCB depuis plus de 15 ans et qu’elle n’a aucunement progressé. Je ne dispose par ailleurs d’aucune preuve indiquant que des négociations ont eu lieu avec la Colombie‑Britannique ou le Canada concernant les titre et droits ancestraux revendiqués par les Heiltsuk. Il s’agit d’un constat important, parce que le règlement de telles revendications, que ce soit par voie judiciaire ou par la négociation, est un processus long et complexe qui demande des années, voire des décennies. De nombreux éléments de preuve sont nécessaires pour établir l’étendue de ces droits sur le plan géographique et de l’utilisation du territoire. En l’espèce, les Heiltsuk font valoir, entre autres choses, une revendication visant des terres recouvertes par des eaux navigables, que le Canada dit être, dans sa réponse, une revendication inédite, telle revendication n’ayant jamais été expressément examinée par les tribunaux.

[175]  Les Heiltsuk soutiennent que parce qu’ils ont désormais lié une partie de leur revendication de titre et droits ancestraux au recours exercé contre Kirby dans l’action intentée en CSCB, Kirby ne peut pas demander que soit tranchée la question de son droit de limiter sa responsabilité sous le régime de la CLRCM, de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou de la CRC jusqu’à ce qu’il soit décidé par jugement du sort de cette revendication de titre et droits ancestraux et de toute disposition de la LRM dont la validité constitutionnelle est attaquée. Cet argument va à l’encontre des objets de ces conventions, qui sont d’éviter les procédures contentieuses inutiles, de régler et de payer rapidement les demandes d’indemnisation à partir du fonds de limitation et d’offrir un élément de certitude aux créanciers ainsi qu’à la communauté maritime internationale et aux États signataires des diverses conventions internationales portant sur la limitation de responsabilité quant à la responsabilité en matière de créances et quant à leur mode de règlement.

[176]  Les Heiltsuk font valoir qu’en l’espèce le jugement déclaratoire demandé ne vise que la zone de pertes revendiquée, mais il est difficile de voir comment il serait possible de dissocier cette partie du territoire, sur lequel les Heiltsuk revendiquent un titre ancestral et des droits, de l’ensemble du territoire revendiqué, puis d’en régler le sort, simplement en se basant sur sa situation de zone touchée par les répercussions d’un déversement d’hydrocarbures. Je doute fort que le Canada et la Colombie‑Britannique soient disposés à se lancer dans des négociations ou à participer à un procès au sujet d’un titre ancestral et de droits ancestraux en procédant « à la pièce » comme le proposent les Heiltsuk.

[177]  La thèse adoptée par les Heiltsuk ferait aussi craindre qu’à l’avenir, d’autres réclamations liées à la pollution par les hydrocarbures puissent pareillement être paralysées parce que des revendications de titre et droits ancestraux n’ont pas été réglées ou que les parties au litige ont par ailleurs lié à d’autres questions leurs créances en matière de pollution. L’application de cette thèse empêcherait la constitution d’un fonds de limitation et sa répartition jusqu’au règlement de telles revendications. Or, bien souvent, les cas de pollution touchent de nombreux créanciers. Il peut s’agir de pêcheurs, d’ouvriers de la transformation de produits marins, d’exploitants en aquaculture, de voyagistes et de bien d’autres personnes encore. En pareil cas, pendant le règlement des revendications de droits ancestraux, ces créanciers pourraient se voir refuser la constitution d’un fonds, être privé d’une décision sur la question du droit du propriétaire de navire de limiter sa responsabilité et, pire encore, se voir refuser l’accès aux sommes provenant du fonds.

[178]  Kirby, pour sa part, affirme que si la Cour fédérale n’a pas, comme le prétendent les Heiltsuk, la compétence voulue pour reconnaître aux Heiltsuk le titre ancestral et les droits ancestraux qu’ils revendiquent, elle a en revanche le pouvoir de statuer sur la question juridique de savoir si le régime de limitation de responsabilité établi par la LRM porte atteinte de manière injustifiée aux droits revendiqués, en violation de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. De plus, suivant l’article 220 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [Règles des Cours fédérales], la Cour a la possibilité de rendre une décision préliminaire sur un point de droit qui peut être pertinent dans l’action, et la Cour d’appel fédérale a statué qu’une telle décision pouvait se fonder sur une présomption de véracité des allégations énoncées dans les actes de procédure, à condition que les faits invoqués soient suffisants pour permettre à la Cour de répondre à la question (Perera c Canada, [1989] 3 CF 381 (CAF)). Par conséquent, la Cour peut se prononcer sur la constitutionnalité du régime de limitation de responsabilité mis en place par la LRM avant même ou sans que les Heiltsuk établissent l’existence de leur titre ancestral et de leurs droits ancestraux. Ceux‑ci seraient présumés exister pour les besoins de la décision à rendre sur la question de droit en cause. Si la constitutionnalité du régime de limitation de responsabilité est confirmée, alors la question de l’existence et de l’étendue du titre ancestral et des droits ancestraux des Heiltsuk sera sans importance dans le contexte de l’action en limitation de responsabilité.

[179]  Si séduisante que puisse paraître cette proposition dans la mesure où elle élimine la nécessité de suspendre l’action en limitation de responsabilité pendant que les Heiltsuk s’emploient, des années durant, à établir leur titre ancestral et leurs droits ancestraux, je conviens avec eux qu’on peut difficilement concevoir qu’une contestation constitutionnelle fondée sur une atteinte à un droit ancestral puisse être examinée dans l’abstrait (voir Delgamuukw c Colombie‑Britannique, [1997] 3 RCS 1010, au par. 165). Une fois l’existence d’un droit établi – ce qui exige une preuve considérable – la question se pose de savoir si la Couronne porte atteinte à ce droit et, le cas échéant, si l’atteinte est justifiée. Or, si on ignore précisément en quoi consiste ce droit, on voit mal comment il serait possible de déterminer s’il y a atteinte en s’en tenant à répondre à une pure question de droit. Comment la Cour saurait‑elle dire si une restriction est déraisonnable et indûment rigoureuse et si elle prive les Heiltsuk de leur moyen préféré d’exercer un droit si elle ignore quel est ce droit et ne dispose d’aucune preuve d’une atteinte à ce droit? De tels renseignements ne figurent pas dans la demande déposée dans l’action intentée en CSCB et, d’ailleurs, les questions de droit présentées à la Cour en vertu de l’article 220 des Règles des Cours fédérales doivent être de pures questions de droit auxquelles il est possible de répondre sans avoir à tirer des conclusions de fait. Comme le déclare la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans la décision R c Wilson‑Jules‑Derrickson, 2000 BCSC 484, au par. 50 : [traduction] « Il n’est peut‑être pas impossible de contester une loi au motif qu’elle porte atteinte à des droits ancestraux garantis par le paragraphe 35(1) en l’absence de preuve de l’existence d’un droit ancestral particulier, de la nature de l’atteinte ou de son caractère justifié ou non, mais je pense que cette possibilité n’existe que dans de rares cas. »

[180]  Ensuite, avant même de pouvoir envisager de procéder à l’examen d’une pure question de droit, il faut que la requête visée à l’article 220 des Règles des Cours fédérales ait été déposée, après quoi la Cour détermine s’il y a lieu de statuer sur la question proposée avant l’instruction. En l’espèce, si une telle requête est présentée, il est permis de penser que le procureur général du Canada aura un intérêt dans la requête et aurait un point de vue à faire valoir quant à la question de savoir si une atteinte peut être présumée pour trancher la question de la justification. Le procureur général de la Colombie‑Britannique pourrait lui aussi souhaiter intervenir lors de l’audition de cette requête.

[181]  En somme, l’information dont je dispose est tout simplement insuffisante, et les observations des parties ne me permettent pas de me prononcer sur cette proposition à ce stade‑ci.

[182]  La Caisse d’indemnisation propose une troisième approche. Selon elle, il convient, à cette étape de l’instance, de constituer un fonds de limitation soit mis sur pied en vertu de la Convention sur les hydrocarbures de soute et que la Cour tranche l’action en limitation de responsabilité. Elle soutient que la contestation constitutionnelle pourra être examinée dans le cadre de l’action intentée en CSCB une fois que la Cour aura rendu sa décision dans l’action en limitation de responsabilité et que la CSCB se sera prononcée sur les droits ancestraux des Heiltsuk dans l’action intentée en CSCB.

[183]  Je signale au passage que la Caisse d’indemnisation est parfois qualifiée de fonds « de premier et de dernier recours ».

[184]  Dans ses observations, la Caisse d’indemnisation souligne que, suivant le paragraphe 101(1) de la LRM, et sous réserve des autres dispositions de la partie 7 de la LRM, la Caisse d’indemnisation assume la responsabilité du préjudice, des pertes ou des frais liés aux dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, conformément à ce qui est prévu à l’article 51 (mesures de sauvegarde pour l’application de la CRC), à l’article 71 (mesures de sauvegarde pour l’application de la Convention sur les hydrocarbures de soute) et à l’article 77 (dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un navire qui ne sont pas visés à la section 1 de la LRM, c’est‑à‑dire par les conventions internationales mentionnées dans cette section), l’article II de la CRC (dommage par pollution causé par un navire) et l’article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute (dommage par pollution causé par des hydrocarbures de soute se trouvant à bord ou provenant d’un navire), si certains critères sont remplis, dont le fait que la créance excède la limite de la responsabilité du propriétaire du navire fixée en vertu de la CRC (dans la mesure où l’excédent ne peut être recouvré auprès des deux autres mécanismes de financement, le Fonds international et le Fonds complémentaire) ou la limite de la responsabilité du propriétaire du navire fixée en vertu de la partie 3 de la LRM (qui incorpore la CLRCM/Convention sur les hydrocarbures de soute). Ainsi que l’explique la Caisse d’indemnisation dans ses observations, dans le cas où le propriétaire d’un navire serait tenu responsable en vertu de la partie 6 de la LRM, l’administrateur de la Caisse d’indemnisation peut être tenu responsable du paiement du montant en jeu lorsque le paragraphe 101(1) de la LRM s’applique. Soulignons que lorsqu’une créance excède la limite de la responsabilité du propriétaire du navire et qu’elle est présentée à la Caisse d’indemnisation, on parle d’une demande d’indemnisation de dernier recours.

[185]  Aux termes de l’article 103 de la LRM, un créancier peut aussi présenter directement à la Caisse d’indemnisation une demande de recouvrement à l’égard des pertes ou dommages visés au paragraphe 101(1). En vertu de l’article 107 de la LRM, il peut également présenter une demande d’indemnisation pour des pertes liées à la pêche. Sont notamment admissibles les demandes présentées par des particuliers qui tirent des revenus de la pêche, ou de la production, la reproduction, la conservation ou l’élevage de poissons, ou de la culture ou de la récolte de plantes aquatiques, et celles des particuliers qui pêchent ou chassent pour subvenir à leurs propres besoins en nourriture ou en pelleteries. Dans ce cas, la Caisse d’indemnisation joue le rôle de fonds d’indemnisation de premier recours. Dans ses observations écrites, cette dernière précise que, jusqu’à maintenant, elle n’a reçu aucune demande d’indemnisation de premier recours découlant de l’événement. Je remarque que selon ce que confirme l’affidavit de Mme Slett, Kirby a versé 200 000 $ CA aux Heiltsuk relativement aux pertes subies quant à leurs activités de pêche commerciale de palourdes pour la saison 2016‑2017 et que, selon l’affidavit de M. Guirdry, Kirby a versé 3 500 000 $ CA aux Heiltsuk suivant l’accord de financement, lequel se rapporte aux mesures d’intervention prises à la suite du déversement.

[186]  Le régime chapeauté par la Caisse d’indemnisation a son importance, car, dans la mesure où la perte alléguée est visée par la LRM, les Heiltsuk peuvent en recouvrer le montant, même si celui‑ci excède la limite à la responsabilité dont Kirby a le droit de se prévaloir. De plus, le préjudice économique lié aux ressources halieutiques et aux ressources marines récoltées peut lui aussi être indemnisé, au même titre que la perte d’une source d’approvisionnement en nourriture ou en pelleteries. Ces demandes d’indemnisation pourraient être présentées et, si elles sont jugées valides, la Caisse d’indemnisation pourrait verser les indemnités directement aux Heiltsuk (collectivement ou à titre individuel) sans que ceux‑ci aient à poursuivre d’abord Kirby à cet égard.

[187]  De la même façon, le dommage par pollution, au sens de l’article 1 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, peut être réclamé :

9 Dommage par pollution signifie :

9 Pollution damage means:

a) le préjudice ou le dommage causé à l’extérieur du navire par contamination survenue à la suite d’une fuite ou d’un rejet d’hydrocarbures de soute du navire, où que cette fuite ou ce rejet se produise, étant entendu que les indemnités versées au titre de l’altération de l’environnement autres que le manque à gagner dû à cette altération seront limitées au coût des mesures raisonnables de remise en état qui ont été effectivement prises ou qui le seront; et

(a) loss or damage caused outside the ship by contamination resulting from the escape or discharge of bunker oil from the ship, wherever such escape or discharge may occur, provided that compensation for impairment of the environment other than loss of profit from such impairment shall be limited to costs of reasonable measures of reinstatement actually undertaken or to be undertaken; and

b) le coût des mesures de sauvegarde et les autres préjudices ou dommages causés par ces mesures.

(b) the costs of preventive measures and further loss or damage caused by preventive measures.

[188]  Ainsi, est recouvrable le manque à gagner découlant de l’altération de l’environnement, comme la perte d’un revenu tiré de la pêche, et des demandes d’indemnisation peuvent être présentées pour des altérations de l’environnement lui‑même lorsque des mesures raisonnables de remise en état ont été prises.

[189]  La Caisse d’indemnisation fait observer que l’action en limitation de responsabilité ne portera forcément que sur les demandes visant les dommages dus à la pollution présentées en vertu de la partie 6 de la LRM qui se fondent à juste titre sur la Convention sur les hydrocarbures de soute ou de la CRC, indépendamment des allégations formulées à leur égard à leur appui dans l’action intentée en CSCB (négligence, nuisance, etc.). De plus, les demandes visant les dommages dus à la pollution formées contre le propriétaire d’un navire « autrement que sur la base » de ces conventions sont interdites (Convention sur les hydrocarbures de soute, paragraphe 3(5); CRC, paragraphe III(4)). Il demeure que la Cour pourrait examiner et ultimement trancher ces demandes, au moins, dans le cadre de l’action en limitation de responsabilité. Par ailleurs, si la Cour interdisait aux Heiltsuk de poursuivre l’action intentée en CSCB contre les défendeurs Kirby jusqu’à ce qu’elle ait statué sur le droit de Kirby, s’il en est, de limiter sa responsabilité, l’action en limitation de responsabilité n’aurait pas d’incidence directe ou alors temporairement seulement sur les demandes des Heiltsuk qui, à l’heure actuelle, ne relèvent pas de la partie 6 de la LRM et, plus particulièrement, de la Convention sur les hydrocarbures de soute et la CRC (les demandes d’injonction, d’indemnisation du préjudice collectif et culturel et d’indemnisation pour l’atteinte aux droits ancestraux). La Caisse d’indemnisation soutient que la Cour pourrait au moyen de la gestion de l’instance veiller à ce que l’instance progresse efficacement et, pendant ce temps, les Heiltsuk pourraient poursuivre leur revendication de titre ancestral et de droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB.

[190]  Et si, au bout du compte, dans l’action intentée en CSCB, les Heiltsuk parviennent à être indemnisés pour cause d’atteinte à leurs droits ancestraux, au‑delà de ce qui est considéré comme un dommage par pollution ou une mesure de sauvegarde au sens de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou de la CRC, ou bien s’ils arrivent à faire invalider le droit d’un propriétaire de navire de limiter sa responsabilité pour une perte ou un dommage se rapportant à des droits ancestraux, l’adoption de l’approche proposée n’aurait pas pour effet de réduire le montant des dommages‑intérêts auxquels ils auraient droit. Les Heiltsuk pourraient alors recevoir des dommages‑intérêts additionnels de la part des défendeurs Kirby, soit parce les dommages‑intérêts en question n’étaient pas couverts par le fonds de limitation lors de sa constitution, soit parce qu’ils sont supérieurs au montant de tout fonds de limitation déclaré rétroactivement invalide. Ou encore, les Heiltsuk pourraient réclamer les dommages‑intérêts additionnels à la Caisse d’indemnisation, laquelle demeurerait vraisemblablement responsable des créances valables et établies, au‑delà de la limite de la responsabilité du propriétaire du navire, fixée conformément à l’article 101 de la LRM, si une ordonnance judiciaire devait élargir la portée de cette disposition.

[191]  Autrement dit, la Caisse d’indemnisation soutient que les dommages‑intérêts que réclament actuellement les Heiltsuk (à l’égard desquels la preuve reste à faire) et qui trouvent ancrage dans les définitions de « dommage par pollution » et de « mesures de sauvegarde » continueront d’être susceptibles d’indemnisation par Kirby ou la Caisse d’indemnisation. Et si les Heiltsuk parvenaient à faire invalider la LRM à l’égard des atteintes alléguées aux droits ancestraux, le recouvrement des dommages‑intérêts additionnels serait en sus du recouvrement des dommages‑intérêts qu’il est déjà possible de recouvrer.

[192]  De plus, de l’avis de la Caisse d’indemnisation, le régime de limitation de responsabilité, compte tenu des considérations générales d’ordre commercial qui le sous‑tendent, pourrait très bien être maintenu, même à l’égard de créanciers autochtones. Toutefois, même si un tribunal devait créer une exception au droit du propriétaire de navire de limiter sa responsabilité en ce qui concerne les demandes fondées sur une atteinte à des droits ancestraux, l’administrateur pourrait quand même être tenu, en vertu de l’article 101 de la LRM, d’indemniser un créancier jusqu’à concurrence d’environ 174 millions de dollars relativement à l’événement, si le créancier est en mesure de faire la preuve qu’il a réellement subi un préjudice ou supporté des frais ouvrant droit à indemnisation. Cela dit, la Cour ne devrait pas s’arrêter à la possibilité que la loi actuelle soit modifiée. Elle devrait, au contraire, axer sa réflexion sur les considérations de principe à la base du régime de la LRM, à savoir que les propriétaires de navires ont le droit de limiter leur responsabilité et de poursuivre leurs activités, et que les créances peuvent être payées rapidement à partir d’un fonds de limitation constitué à cette fin ou par d’autres moyens disponibles.

[193]  La Caisse d’indemnisation soutient qu’il serait indiqué que la Cour assujettisse, temporairement et partiellement, les Heiltsuk et les autres créanciers potentiels dans l’action intentée en CSCB à une interdiction de poursuites, principalement pour les motifs exposés par Kirby – la compétence de notre Cour, l’objet semblable ou identique, la volonté d’éviter la multiplicité des instances, le souci de favoriser des économies, la non‑pertinence du critère des avantages procéduraux et enfin, le préjudice – dans la mesure où les poursuites se rapportent directement aux demandes d’indemnisation présentées par les Heiltsuk en vertu de la partie 6 de la LRM et de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou de la CRC, et à l’égard desquelles Kirby invoque le droit de limiter sa responsabilité. La Caisse d’indemnisation soutient par ailleurs que les demandes que les Heiltsuk ont formées contre le Canada et la Colombie‑Britannique pour cause d’atteinte aux droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB ne devraient pas être assujetties à une interdiction.

[194]  Lorsque j’examine les approches qui me sont proposées, je remarque que rien dans les documents qui m’ont été soumis ne permet de penser que les créances des Heiltsuk auxquelles s’applique le régime actuel de limitation de responsabilité seraient supérieures à la limite de responsabilité dont Kirby pourrait faire l’objet ou aux sommes qui pourraient être obtenues auprès de la Caisse d’indemnisation au‑delà du montant de la limitation. Ce que je veux dire c’est qu’il est probable que le régime actuel de la LRM couvrira la majeure partie des dommages‑intérêts réclamés par les Heiltsuk, dont ceux qui sont réclamés pour indemniser des particuliers qui pêchent ou chassent pour subvenir à leurs propres besoins et ceux qui sont réclamés au titre des pertes de revenu tiré des activités de pêche, de la remise en état de l’environnement et des demandes se rapportant au préjudice causé par des atteintes à des droits autres que contractuels. Et compte tenu des considérations de principe à la base du régime de limitation de la responsabilité de la LRM, les Heiltsuk pourraient avoir à livrer une dure bataille pour réussir à faire prévaloir l’argument voulant que la LRM soit inconstitutionnelle par application de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu’elle restreint leur droit, reconnu en common law, d’être indemnisé pour un préjudice subi.

[195]  Dans la mesure où il est possible que les pertes liées aux droits ancestraux revendiqués par les Heiltsuk dans l’action intentée en CSCB ne fassent pas partie des créances recouvrables sous le régime de la LRM, il reste que pour l’instant elles ne sont ni individualisées ni quantifiées d’aucune façon. Il est aussi permis de se demander s’il existe une obligation de consulter, ou quelle en est l’étendue, lorsque le Canada conclut des conventions internationales et qu’il adopte ensuite des lois internes visant à les mettre en œuvre. Quant aux atteintes aux droits ancestraux et au titre ancestral dont la preuve pourrait être faite au procès, j’estime que la LRM ne porte vraisemblablement pas directement atteinte auxdits droits et titre, et il serait sans doute plus exact de dire qu’elle est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ceux‑ci en ce qu’elle limite ce qui peut être réclamé à titre d’indemnisation sous le régime actuel. Et même s’il était jugé que la LRM porte atteinte aux titre et droits ancestraux établis des Heiltsuk, ou revendiqués par eux, il faudrait encore répondre à la question de savoir si l’atteinte est justifiée, compte tenu de la raison d’être et de l’objet de la LRM. Par ailleurs, dans la réponse du Canada, il est mentionné que certaines parties de la zone de pertes revendiquée sont des eaux navigables assujetties au droit public de navigation reconnu en common law. Il s’agit d’un droit partagé par tous les Canadiens et les tribunaux ne se sont pas encore penchés sur la question des droits ancestraux relatifs à des terres recouvertes d’eaux navigables.

[196]  Ce que je veux dire, en somme, c’est que non seulement le jour est encore loin où il sera statué sur le titre ancestral et les droits ancestraux des Heiltsuk, mais il n’est pas certain que le moment venu, les Heiltsuk continueront de croire qu’il est opportun d’engager une contestation fondée sur la Constitution ou qu’ils obtiendront gain de cause, pour toutes les raisons citées précédemment. Vu le grand nombre d’incertitudes et la complexité de ces questions, il est indiqué, à mon sens, d’interdire aux Heiltsuk de procéder contre les défendeurs Kirby jusqu’au règlement de l’action en limitation de responsabilité et d’exercer la compétence exclusive de la Cour pour constituer un fonds de limitation (LRM, par. 32(1), 33(1) et 33(4)).

[197]  Les Heiltsuk soutiennent qu’en ce qui concerne le fonds de limitation la tenue d’un procès est nécessaire pour déterminer si l’article 4 de la CLRCM s’applique (conduite téméraire supprimant le droit du propriétaire de navire de limiter sa responsabilité), mais également pour trancher l’allégation portant sur l’inconstitutionnalité de la limitation de la responsabilité du fait qu’elle porte atteinte à leurs titre et droits ancestraux; or, à mon avis, il ressort clairement de la LRM et de la CLRCM/Convention sur les hydrocarbures de soute qu’une action en limitation de responsabilité ne s’intéresse qu’à la question de savoir si le propriétaire de navire est en droit de limiter sa responsabilité, laquelle sera tranchée dans le cadre d’un procès permettant d’évaluer si l’application du régime de limitation est écartée en raison de l’article 4 de la CLRCM. Selon moi, ce processus ne devrait pas être écarté en raison d’une contestation visant le régime de limitation lui‑même, fondée sur des droits revendiqués, dans les circonstances de l’espèce où le droit à la limitation de responsabilité a été lié à une demande visant à établir l’existence d’un titre ancestral et de droits ancestraux.

[198]  Cela dit, l’éventualité que Kirby obtienne gain de cause dans l’action en limitation de responsabilité, mais qu’elle ne puisse alors régler définitivement les créances dont elle est responsable pendant que sont examinées et tranchées la question de la revendication par les Heiltsuk d’un titre ancestral et de droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB et toute question constitutionnelle subséquente concernant l’atteinte à ces droits, alors que l’action en limitation de responsabilité est censée être expéditive, ne constitue pas une situation idéale. Lors de l’audition des requêtes, j’ai encouragé les parties à proposer une démarche plus pragmatique pour le règlement des questions d’ordre constitutionnel, mais je n’ai rien reçu à cet égard.

[199]  Bref, au vu de l’ensemble de ces considérations, il n’est pas raisonnable que l’action en limitation de responsabilité soit retardée jusqu’à ce moment où la revendication de titre et droits ancestraux des Heiltsuk soit réglée, que les pertes alléguées par les Heiltsuk dans l’action intentée en CSCB soient prouvées – ce qui exigera d’abondantes preuves scientifiques quant aux assertions des Heiltsuk relatives aux répercussions à court et à long terme sur l’habitat du poisson, les écosystèmes et les ressources marines – et que la question constitutionnelle de l’atteinte à ces droits et celle de son caractère justifié soient examinées. Au contraire, il convient d’interdire les demandes contre les défendeurs Kirby dans l’action intentée en CSCB jusqu’au règlement de l’action en limitation de responsabilité.

[200]  Pour terminer, je ferai cet autre commentaire. Les Heiltsuk affirment que la Cour n’a pas compétence pour juger de la constitutionnalité des dispositions de la LRM qu’ils contestent parce que [traduction] « l’objet de leur revendication est le titre ancestral sur des biens immeubles appartenant à la Reine du chef de la Colombie‑Britannique, plus particulièrement les fonds marins et les estrans intérieurs situés dans la zone de pertes revendiquée, laquelle se trouve entièrement en Colombie‑Britannique ». Ils soutiennent que la Cour n’a pas compétence sur la revendication d’un titre ancestral sur des biens immeubles dont la Couronne provinciale est en définitive propriétaire (Nation crie Kelly Lake c Canada, 2017 CF 791, conf. par 2019 CAF 23). Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si les Heiltsuk caractérisent correctement la nature de leur revendication et si, suivant celle‑ci, la Cour a compétence pour se prononcer.

IX.  Question no 2 : la Cour devrait‑elle suspendre l’action en limitation de responsabilité dont Kirby l’a saisie?

[201]  Dans l’arrêt JD Irving CAF, la Cour d’appel fédérale a conclu que si les requêtes en interdiction étaient accueillies, cela devait nécessairement entraîner le rejet des requêtes en suspension d’instance, et inversement. C’est aussi le cas ici.

[202]  Indépendamment de cela, comme nous l’avons vu précédemment, la décision de suspendre une procédure fondée sur l’article 32 de la LRM doit se fonder sur l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, ce qui revient à poser la question de savoir si la suspension de l’action en limitation de responsabilité est dans l’intérêt de la justice, d’après le critère énoncé dans la décision Mon‑Oil qui, en l’espèce, pourrait se formuler ainsi :

  • a) est‑ce que la poursuite de l’action en limitation de responsabilité causerait un préjudice aux Heiltsuk?

  • b) est‑ce que la suspension de l’action en limitation de responsabilité causerait une injustice à Kirby?

(JD Irving CAF, aux par. 126‑127.)

[203]  Les Heiltsuk affirment qu’ils subiront un préjudice si l’action en limitation de responsabilité suit son cours. Ils basent leur affirmation sur le fait qu’ils seront, selon eux, [traduction] « privés d’un élément important de leur “défense” contre la limitation de responsabilité revendiquée ».

[204]  En fait, le propriétaire de navire est présumé être en droit de limiter sa responsabilité en vertu de la CLRCM ou de la Convention sur les hydrocarbures de soute. De plus, si les Heiltsuk soutiennent que Kirby n’a pas droit à cette limitation de responsabilité, c’est à eux qu’il revient de prouver que le dommage résulte du fait ou de l’omission personnels de Kirby, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement (CLRCM, article 4) : autrement dit, il leur incombe d’écarter l’application du régime de limitation. Cet exercice n’a rien à voir avec le titre ancestral et les droits ancestraux qu’ils revendiquent. L’instruction de l’action en limitation de responsabilité ne fera pas double emploi avec l’action intentée en CSCB, car si l’application du régime de limitation de responsabilité n’est pas écartée, la limitation de responsabilité s’appliquera aux allégations de témérité, de négligence et de nuisance des Heiltsuk et il sera impossible d’engager d’autres actions, car celles‑ci se rapporteraient aux dommages par pollution qui découlent de l’événement, visés par la CLRCM ou la Convention sur les hydrocarbures de soute et faisant l’objet de restrictions (CLRCM, article 13; Convention sur les hydrocarbures de soute, paragraphe 3(5); LRM, article 72). En pareil cas, toutes les créances seront acquittées au moyen du fonds de limitation constitué par la Cour. Au contraire, si l’application du régime de limitation de la responsabilité est écartée, le procès en responsabilité civile se poursuivra devant la CSCB. Les questions de témérité et celles entourant la propriété commune du remorqueur et du chaland auront déjà été réglées, et cela permettra de circonscrire les allégations de responsabilité formulées contre les défendeurs Kirby. Les conclusions qui auront été tirées influenceront peut‑être aussi la décision des Heiltsuk de maintenir ou non leur revendication de titre et droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB.

[205]  Selon moi, aucun préjudice ne sera causé aux Heiltsuk par l’instruction de l’action en limitation de responsabilité. Dans l’action intentée en CSCB, la clôture de la procédure écrite n’a pas encore eu lieu et en fait, jusqu’ici, les Heiltsuk n’ont pris pour toute mesure que le dépôt d’une requête demandant à la BCSC de confirmer sa compétence à instruire l’affaire. L’instance n’a donc franchi que les toutes premières étapes du processus. Du reste, pendant que progresse l’action en limitation de responsabilité, les Heiltsuk peuvent faire valoir devant la CSCB les titre et droits ancestraux qu’ils revendiquent et dont ils estiment que l’existence doit être reconnue avant que puisse être évaluée l’atteinte dont ils ont fait l’objet.

[206]  Les Heiltsuk soutiennent que, malgré la nature expéditive de l’action en limitation de responsabilité, Kirby ne subirait aucun préjudice d’ordre procédural en cas de suspension de cette action, du fait que les règles de la CSCB en matière civile contiennent des dispositions sur l’obtention d’un jugement sommaire et la tenue d’un procès sommaire, mais cet argument est incompatible avec un autre de leurs arguments voulant que la question du droit à la limitation de responsabilité ne peut être tranchée avant que l’existence de leurs droits ancestraux et de leur titre ancestral ne soit établie dans le cadre de l’action intentée en CSCB. En effet, il est difficile de voir comment l’existence d’un titre ancestral et de droits ancestraux pourrait être tranchée dans le contexte d’un procès ou d’un jugement sommaires.

[207]  À l’inverse, il serait préjudiciable à Kirby d’exiger qu’elle attende que soit réglé le sort des droits et intérêts revendiqués par les Heiltsuk avant de pouvoir faire trancher la question de son droit de limiter sa responsabilité sous le régime de la LRM, de la CLRCM ou de la Convention sur les hydrocarbures de soute. Comme nous l’avons vu plus tôt, Kirby a le choix du tribunal qui entendra l’action en limitation de responsabilité. De plus, le droit à la limitation de responsabilité est présumé exister et il fait partie des règles de droit international destinées à apporter un élément de certitude aux propriétaires de navires, aux États et aux créanciers. Il est le fruit d’un exercice de pondération des intérêts commerciaux des propriétaires de navires, des possibilités restreintes qu’ils ont d’être exonérés de la responsabilité des déversements d’hydrocarbures et de l’intérêt de permettre le règlement et le paiement rapides des créances admissibles. Obliger Kirby à patienter pendant des années, peut‑être des décennies, avant d’obtenir une décision quant à son droit de limiter sa responsabilité est contraire au régime de la LRM. Cela signifie que pendant encore longtemps, Kirby ne pourrait radier de ses livres cette dette potentielle et d’un montant indéterminé. De plus, rien ne garantit que dans l’intervalle, d’autres personnes ne présenteront pas de demandes d’indemnisation auxquelles Kirby serait tenue de répondre, mais qui ne seraient pas recevables si le fonds de limitation était constitué et qu’il était fait droit à l’action en limitation de responsabilité. Dans ce cas, toutes les demandes d’indemnisation devraient être présentées avant une échéance précise et seraient payées par le fonds de limitation, et ces nouvelles actions seraient interdites.

[208]  Kirby ne devrait pas non plus être forcée de participer à un procès qui vise à statuer sur l’existence d’un titre ancestral et de droits ancestraux. Autoriser qu’une action en limitation de responsabilité soit liée à des demandes allant bien au‑delà de la question du droit du propriétaire de navire de limiter sa responsabilité en vertu de la CRC ou de la Convention sur les hydrocarbures de soute revient à faire échec à ce processus ou à tenter de le contourner.

[209]  Après avoir examiné tous ces facteurs, je suis d’avis que les Heiltsuk n’ont pas établi qu’ils subiront un préjudice si l’action en limitation de responsabilité n’est pas suspendue, ni qu’une suspension est nécessaire dans les circonstances. En revanche, une telle suspension causerait une injustice à Kirby. Par conséquent, il n’est pas dans l’intérêt de la justice que l’action en limitation de responsabilité soit suspendue, et je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de le faire.

X.  Directives et ordonnances sollicitées

A.  La constitution d’un fonds de limitation

[210]  Pour les motifs exposés précédemment, il convient que la Cour donne instruction de constituer un fonds de limitation conformément à la Convention sur les hydrocarbures de soute et à la CLRCM.

[211]  Dans leurs observations, les Heiltsuk posent la question de savoir si les bâtiments constituent [traduction] « un seul navire ou deux navires distincts », une question qui, selon eux, doit être tranchée dans le cadre d’un procès, ou à tout le moins un procès par voie sommaire. Il s’agit en fait de décider s’il faut considérer, pour les besoins du calcul de la limite de responsabilité, qu’au moment de l’événement le remorqueur et le chaland formaient deux bâtiments distincts ou qu’ils étaient réunis pour n’en former qu’un seul. Cette décision est importante, car le montant du fonds de limitation, calculé conformément à l’article 6 de la CLRCM, dépend de la jauge du bâtiment en cause. À mon avis, la question est pertinente.

[212]  Invoquant les décisions Le Rhône et Bayside, Kirby soutient qu’un ensemble remorqueur et chaland sera considéré comme un seul bâtiment aux fins du calcul du montant du fonds de limitation s’ils ont le même propriétaire et qu’il est jugé qu’ils ont l’un et l’autre contribué à l’accident par leur négligence. Selon Kirby, ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. Il s’ensuit que la limite de responsabilité devrait être fixée en fonction de la jauge du remorqueur uniquement, soit à 1,51 million de DTS. Les Heiltsuk affirment au contraire que la question de savoir si un système remorqueur‑chaland articulé fonctionne comme un bâtiment composite, réuni par un système de couplage rigide et destiné à être dirigé comme s’il s’agissait d’un navire unique, et celle de savoir si les sociétés Kirby sont un même propriétaire, sont des questions de droit et de fait qui demandent à être tranchées. Par conséquent, si un fonds de limitation doit être constitué en l’espèce, il doit l’être en fonction de la jauge totale du remorqueur et du chaland.

[213]  Je crains que l’arrêt Le Rhône soit peu utile à cet égard, car il portait sur une configuration comprenant quatre remorqueurs qui tiraient une péniche, laquelle avait heurté le Rhône alors qu’il était amarré. La Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de tous les navires d’une flottille qui appartiennent au propriétaire mis en cause pour déterminer l’étendue de la responsabilité de ce propriétaire de navire. Outre le navire responsable de la navigation générale de la flottille, seuls les navires d’un même propriétaire qui ont matériellement causé ou contribué à causer l’avarie peuvent entrer en ligne de compte pour limiter la responsabilité. En l’espèce, on peut se demander si on a affaire à une flottille vu la configuration remorqueur‑chaland articulé, si le remorqueur était responsable de la navigation du chaland et si le chaland a contribué aux dommages découlant de l’événement. À mon avis, ces questions devraient être examinées dans le cadre de l’action en limitation de responsabilité.

[214]  Par conséquent, aux fins des directives de la Cour, la jauge brute totale du remorqueur (302 t.m.) et du chaland (4276 t.m.), ce qui correspond à 4578 t.m., sera prise en compte pour établir le montant du fonds de limitation conformément aux présents motifs. Toutefois, rien n’interdit à Kirby de présenter une requête préliminaire dans l’action en limitation de responsabilité pour demander la réduction de ce montant au motif que le fonds devrait être établi uniquement en fonction de la jauge du remorqueur. Sinon, la question sera tranchée lors de l’instruction.

[215]  Le montant du fonds sera établi en fonction de la jauge totale du remorqueur et du chaland, et sera augmenté des intérêts courus depuis la date de l’événement jusqu’à celle de la constitution du fonds, conformément à l’alinéa 6(1)b) et à l’article 11 de la CLRCM ainsi qu’aux paragraphes 32(1) et 33(5) et à l’alinéa 33(4)a) de la LRM.

[216]  La Cour n’est pas convaincue que les lettres de garantie existantes constituent une garantie adéquate pour le fonds à être constitué. Ces lettres de garantie sont des accords intervenus entre Kirby et la Caisse d’indemnisation (la LG‑CI) et entre Kirby et les Heiltsuk (la LG‑CTH). Elles ne procurent aucune garantie aux autres créanciers. Jusqu’à présent, les Heiltsuk sont les seuls créanciers connus, mais la possibilité qu’il en existe d’autres ne peut être écartée. Conformément au paragraphe 33(4) de la LRM, la Cour peut déterminer quelle garantie elle estime acceptable pour l’application du paragraphe 11(2) de la CLRCM. Ainsi, dans les dix jours suivant la date de l’ordonnance, Kirby proposera à la Cour pour approbation une garantie à l’égard du fonds.

B.  La réduction des sommes visées par les lettres de garantie

[217]  Conformément à l’engagement no 12 de la LG‑CTH, le montant de la garantie LG‑CTH, qui s’élève actuellement à 12 000 000 $ CA, sera réduit du montant du fonds de limitation constitué en application des présents motifs.

[218]  Conformément à l’engagement no 9 de la LG‑CI, le montant garanti par la LG‑CI qui, selon ce qui est déclaré, s’élève actuellement à 20 000 000 $ CA, sera réduit du montant du fonds de limitation constitué en application des présents motifs. Toutefois, je tiens à signaler que pendant l’audition des requêtes la Caisse d’indemnisation a confirmé que le montant de la LG‑CI a été réduit de 3 000 000 $ CA pour tenir compte des créances acquittées. Ainsi, de fait, le montant de la garantie LG‑CI s’élevant maintenant à 17 000 000 $ CA sera réduit du montant du fonds de limitation à être constitué.

C.  L’interdiction de poursuite

[219]  La requête en interdiction de Kirby est accueillie, dans la mesure où il est interdit aux Heiltsuk de continuer ses procédures contre les défendeurs Kirby dans l’action intentée en CSCB tant qu’il n’est pas statué sur l’action en limitation de responsabilité et sur tout appel y afférent. En particulier, il est interdit aux Heiltsuk et à toute autre personne d’intenter ou de continuer une procédure devant un tribunal administratif ou judiciaire – à l’exception de la Cour fédérale, dans le cadre de la présente action en limitation de responsabilité – contre les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Nathan E. Stewart » et le navire « DBL 55 », Kirby Offshore Marine LLC, Kirby Offshore Marine Pacific LLC, Kirby Offshore Marine Operating LLC, Sean Connor et Henry Hendrix, relativement à l’événement.

[220]  L’ordonnance de la Cour n’a pas pour effet d’empêcher les Heiltsuk de poursuivre la procédure de revendication d’un titre ancestral et de droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB, ni celle visant l’obtention des autres réparations qui sont sollicitées dans cette instance et qui sont sans rapport avec l’action en limitation de responsabilité, le tout sous réserve de toute ordonnance de la CSCB quant à la conduite de l’action intentée en CSCB.

[221]  Les questions tranchées par l’ordonnance de la Cour et la procédure qui y est établie n’empêchent pas les Heiltsuk ou les autres créanciers d’alléguer que le droit des défendeurs Kirby de se prévaloir de la limitation de responsabilité est inapplicable en raison d’une conduite mentionnée à l’article 4 de la CLRCM, à la Convention sur les hydrocarbures de soute et à l’article 72 de la LRM. Elles n’empêchent pas non plus les défendeurs Kirby de nier toute responsabilité et de contester le quantum de toute demande d’indemnisation.

D.  La suspension

[222]  La requête en suspension d’instance des Heiltsuk est rejetée. Les Heiltsuk peuvent, dans les 30 jours suivant la date de l’ordonnance, déposer une défense à l’action en limitation de responsabilité et présenter toute demande reconventionnelle ou mise en cause de leur choix.

E.  Ébauche d’ordonnance

[223]  Dans les sept jours suivant la date de l’ordonnance, Kirby remettra aux Heiltsuk et à la Caisse d’indemnisation et soumettra à la Cour une ébauche d’ordonnance portant sur la constitution du fonds de limitation et les aspects pratiques de l’action en limitation de responsabilité. En particulier, l’ébauche doit indiquer le montant du fonds et sa date de constitution, ainsi que la forme et la période de prolongation proposées pour la publication de l’avis d’action en limitation de responsabilité destiné aux créanciers potentiels, en tenant compte des observations formulées par la Caisse d’indemnisation à cet égard. Des délais seront également proposés pour le dépôt par les créanciers, autres que les Heiltsuk, de leurs défenses ou la production de leurs créances contre le fonds, en tenant compte là encore des observations formulées par la Caisse d’indemnisation dans sa réponse à la requête en interdiction. De plus, l’ébauche d’ordonnance précisera que les demandes en recouvrement de créance qui ne sont pas déposées dans le délai imparti seront exclues du partage du fonds de limitation; que, advenant une décision de la Cour portant que Kirby est en droit de limiter sa responsabilité, et une fois les appels relatifs à cette décision épuisés, le fonds sera réparti au prorata entre les créanciers dont la Cour aura reconnu les créances contre le fonds; et tout autre point que pourra proposer Kirby aux fins de l’observation des exigences de la LRM, de la CLRCM et de la Convention sur les hydrocarbures de soute. Les parties sont invitées à soumettre une ébauche d’ordonnance qui leur est mutuellement acceptable.

F.  Gestion de l’instance

[224]  L’action en limitation de responsabilité se poursuivra à titre d’instance à gestion spéciale, suivant l’article 384 des Règles des Cours fédérales. Toute partie à l’instance sera libre de demander au juge responsable de la gestion de l’instance des ordonnances et des directives concernant l’exécution des étapes précédant l’instruction et toutes autres questions pertinentes, notamment celles relevant de la LRM, de la CLRCM, de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou des Règles des Cours fédérales.


ORDONNANCE dans le dossier T-733-19

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. La requête présentée par Kirby Offshore Marine Pacific LLC et Kirby Offshore Marine Operating LLC [Kirby] en vue d’obtenir une ordonnance et des directives sur la question de la limitation de leur responsabilité relativement à l’échouage, le 13 octobre 2016, du remorqueur « Nathan E. Stewart » [le remorqueur] et du chaland « DBL 55 » [le chaland] et au rejet d’hydrocarbures dans le milieu marin [l’événement] qui s’en est suivi est accueillie comme suit :

  1. Il est interdit aux Heiltsuk Himas et au Conseil tribal des Heiltsuk [les Heiltsuk] et à toute autre personne d’intenter ou de continuer une procédure devant un tribunal administratif ou judiciaire – à l’exception de la Cour fédérale, dans le cadre de l’action introduite par Kirby le 1er mai 2019, par voie de déclaration, dans l’affaire T‑733‑19 [l’action en limitation de responsabilité] – contre les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « Nathan E. Stewart » et le navire « DBL 55 », Kirby Offshore Marine LLC, Kirby Offshore Marine Pacific LLC, Kirby Offshore Marine Operating LLC, Sean Connor et Henry Hendrix [les défendeurs Kirby], relativement à l’événement jusqu’à ce que l’action en limitation de responsabilité et tous les appels en découlant soient intégralement et définitivement tranchés. En particulier, il est interdit aux Heiltsuk de continuer à l’encontre des défendeurs Kirby la procédure introduite par le dépôt d’un avis de poursuite civile en matière d’amirauté à la Cour supérieure de la Colombie‑Britannique le 9 octobre 2018 [l’action intentée en CSCB], jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’action en limitation de responsabilité et sur tout appel y afférent;

  2. La présente ordonnance d’interdiction n’a pas pour effet d’empêcher les Heiltsuk de poursuivre la procédure de revendication d’un titre ancestral et de droits ancestraux dans l’action intentée en CSCB, ni celle visant l’obtention des autres réparations qui sont sollicitées dans cette instance et qui sont sans rapport avec l’action en limitation de responsabilité, le tout sous réserve de toute ordonnance de la CSCB quant à la conduite de l’action intentée en CSCB.

  1. La requête des Heiltsuk en suspension de l’action en limitation de responsabilité est rejetée.

  2. Les Heiltsuk peuvent, dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance, déposer une défense à l’action en limitation de responsabilité et présenter toute demande reconventionnelle ou mise en cause de leur choix.

  3. Un fonds de limitation est constitué conformément à la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute, conclue à Londres le 23 mars 2001 [Convention sur les hydrocarbures de soute], la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes telle que modifiée par le Protocole de 1996 modifiant la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, conclu à Londres le 2 mai 1996 [collectivement, la CLRCM], et l’alinéa 33(1)a) et l’article 72 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime [LRM].

  4. Pour les besoins de la présente ordonnance et des directives qu’elle contient, le montant du fonds de limitation sera établi en fonction de la jauge brute totale du remorqueur (302 t.m.) et du chaland (4276 t.m.), et sera augmenté des intérêts courus depuis la date de l’événement jusqu’à celle de la constitution du fonds, le tout conformément à l’alinéa 6(1)b) et au paragraphe 11(1) de la CLRCM ainsi qu’aux paragraphes 32(1) et 33(5) et à l’alinéa 33(4)a) de la LRM. Toutefois, rien n’interdit à Kirby de présenter une requête préliminaire pour demander que le montant du fonds soit réduit et qu’il soit établi uniquement en fonction de la jauge du remorqueur. À défaut de requête en ce sens, la question de savoir si le montant du fonds de limitation doit être établi en fonction de la jauge du seul remorqueur, ou de la jauge combinée du remorqueur et du chaland, sera tranchée lors de l’instruction. S’il est jugé que le montant du fonds de limitation doit être établi uniquement en fonction de la jauge du remorqueur, il sera réduit en conséquence.

  5. La Cour n’est pas convaincue que les lettres de garantie existantes constituent une garantie adéquate pour le fonds à être constitué. Conformément au paragraphe 33(4) de la LRM, la Cour peut déterminer quelle garantie elle estime acceptable pour l’application du paragraphe 11(2) de la CLRCM. Ainsi, il est enjoint à Kirby de soumettre, dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance, la garantie qu’elle propose pour le fonds à l’approbation de la Cour.

  6. Conformément à l’engagement no 12 de la lettre de garantie remise au Conseil tribal des Heiltsuk [LG‑CTH], le montant garanti par la LG‑CTH, qui s’élève actuellement à 12 000 000 $ CA, sera réduit du montant du fonds de limitation constitué en application de la présente ordonnance et des directives qu’elle contient.

  7. Conformément à l’engagement no 9 de la lettre de garantie remise à la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires [Caisse d’indemnisation] [la LG‑CI], le montant garanti par la LG‑‑CI, censé s’élever actuellement à 17 000 000 $ CA, sera réduit du montant du fonds de limitation constitué en application de la présente ordonnance et des directives qu’elle contient.

  8. Il est enjoint à Kirby de remettre aux Heiltsuk et à la Caisse d’indemnisation et de soumettre à la Cour, dans les sept (7) jours suivant la date de la présente ordonnance, une ébauche d’ordonnance fixant la date et établissant le mode de constitution du fonds de limitation et son montant. En outre, l’ébauche d’ordonnance doit indiquer la forme et la période de prolongation proposées pour la publication de l’avis d’action en limitation de responsabilité destiné aux créanciers potentiels, en tenant compte des observations formulées par la Caisse d’indemnisation relativement à cette publication dans sa réponse à la requête en interdiction. Des délais seront également proposés pour le dépôt par les créanciers, autres que les Heiltsuk, de leurs défenses ou la production de leurs créances contre le fonds, en tenant compte là encore des observations formulées par la Caisse d’indemnisation dans sa réponse à la requête en interdiction. De plus, l’ébauche d’ordonnance précisera que les demandes en recouvrement de créance qui ne sont pas déposées dans le délai imparti seront exclues du partage du fonds de limitation; que, advenant une décision de la Cour portant que Kirby est en droit de limiter sa responsabilité, et une fois les appels relatifs à cette décision épuisés, le fonds sera réparti au prorata entre les créanciers dont la Cour aura reconnu les créances contre le fonds; et tout autre point que pourra proposer Kirby aux fins de l’observation des exigences de la LRM, de la CLRCM et de la Convention sur les hydrocarbures de soute.

  9. Les questions tranchées par la présente ordonnance et la procédure qui y est établie n’empêchent pas les Heiltsuk ou les autres créanciers d’alléguer que le droit des défendeurs Kirby de se prévaloir de la limitation de responsabilité est inapplicable en raison d’une conduite ayant pour effet de supprimer la limitation mentionnée à l’article 4 de la CLRCM, la Convention sur les hydrocarbures de soute et l’article 72 de la LRM. Elles n’empêchent pas non plus les défendeurs Kirby de nier toute responsabilité et de contester le quantum de toute demande d’indemnisation.

  10. L’action en limitation de responsabilité se poursuivra à titre d’instance à gestion spéciale, suivant l’article 384 des Règles des Cours fédérales. Toute partie à l’instance sera libre de demander au juge responsable de la gestion de l’instance des ordonnances et des directives concernant l’exécution des étapes précédant l’instruction et toutes autres questions pertinentes, notamment celles relevant de la LRM, de la CLRCM, de la Convention sur les hydrocarbures de soute ou des Règles des Cours fédérales.

  11. Kirby a droit aux dépens relatifs aux requêtes. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant de ces dépens, la question pourra être tranchée par voie d’observations écrites d’au plus trois (3) pages, qui ne pourront être accompagnées de pièces jointes ou d’affidavits et que les parties devront signifier et déposer dans les 15 jours suivant la date de la présente ordonnance.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de novembre 2019.

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑733‑19

INTITULÉ :

KIRBY OFFSHORE MARINE PACIFIC LLC, KIRBY OFFSHORE MARINE OPERATING LLC c LES HEILTSUK HIMAS ET LE CONSEIL TRIBAL DES HEILTSUK, CHACUN EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA NATION DES HEILTSUK

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUILLET 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUILLET 2019

COMPARUTIONS :

Dionysios Rossi

POUR LES DEMANDERESSES

Waldemar Braul

Mark Youden

POUR LES DEMANDERESSES

Lisa C. Fong

POUR LES DÉFENDEURS

David K. Jones

POUR LES DÉFENDEURS

Jason R. Kostyniuk

pour la partie PAR

APPLICATION DE LA LOI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

POUR LES DEMANDERESSES

Gowling WLG

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

POUR LES DEMANDERESSES

Ng Ariss Fong

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

POUR LES DÉFENDEURS

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

POUR LES DÉFENDEURS

Alexander Holburn Beaudin & Lang LLP

Avocats

Vancouver (C.‑B.)

pour la partie PAR

APPLICATION DE LA LOI

 

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