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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
[] C.F.

        



Date : 20010221


Dossier : ITA-8856-99

Référence neutre : 2001 CFPI 104

         Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

     - et -

         Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE:

     JEAN-GUY MATHERS

     Débiteur judiciaire

     ET

     CINÉPARC ST-EUSTACHE INC.

     Opposante

     ET

     SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

     Intervenant



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


Introduction

[1]      La Cour est saisie en l'espèce d'une requête de l'opposante requérant ma récusation du présent dossier au motif que les faits soulevés par ladite requête établissent une crainte raisonnable de partialité de ma part.

[2]      L'attaque est donc portée à l'égard d'une partialité "individuelle" et non "institutionnelle" et elle n'implique point, de plus, la notion d'"indépendance".

Contexte procédural

[3]      Bien que la requête à l'étude provienne du Québec et quoique les Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) ne contiennent en soi aucune règle de procédure spécifique quant à la récusation d'un membre de cette Cour, il n'y a pas lieu de recourir en l'espèce, via la règle 4, à la procédure prévue aux articles 237 et suivants du Code de procédure civile du Québec (C.p.c.).

[4]      De fait, la règle 4 prévoit que la Cour "peut" et non pas "doit" se référer aux règles de procédure provinciales. La Cour a au cours des ans développé sa propre pratique lorsque confrontée à une requête en récusation (voir, entre autres, les arrêts suivants: Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, [1998] 3 F.C. 3, confirmé en appel [1998] F.C.J. no 688 (ci-après l'arrêt Samson); Fogal c. Canada, [1999] F.C.J. no 129, confirmé en appel [2000] F.C.J. no 916 (ci-après l'arrêt Fogal )). Ceci ne signifie pas pour autant que les dispositions substantives de l'article 234 C.p.c. ne peuvent être regardées pour fins d'étude.

[5]      Des arrêts Fogal et Samson on peut retenir que c'est la personne visée par la requête qui entend en premier celle-ci (voir également sur ce point l'article de Me Roger Philip Kerans, qui fut juge pendant 27 ans, et intitulé "It's good to refuse to recuse" paru dans le Globe and Mail, édition du mercredi, 24 novembre 1999, en page A15).

[6]      Voilà pourquoi dans les semaines précédant la présentation de la requête j'ai avisé le procureur de l'opposante que j'entendrais moi-même cette requête.

[7]      Par ailleurs, l'affidavit à l'appui de cette dernière provient du procureur de l'opposante. Cette pratique est en principe interdite par la règle 82. Cette règle se lit comme suit:

     82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

     82. Sauf avec l'autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l'auteur d'un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

[8]      Toutefois, vu que les faits relatés par cet affidavit ne sont pas contestés (nous aurons par ailleurs l'occasion de revenir sur la suffisance de ces faits); vu qu'il s'agit du seul affidavit au dossier (Sa Majesté la Reine, la créancière saisissante, ayant choisi de ne pas déposer d'affidavit); vu qu'il y a lieu d'écarter autant que possible les embûches procédurales pouvant freiner l'audition de la requête; j'ai autorisé le procureur de l'opposante, conformément à la règle 82 in limine, à plaider néanmoins cette dernière.
Contexte factuel pertinent
[9]      Le contexte factuel général dans le cadre duquel la requête en récusation s'inscrit est le suivant.
[10]      La créancière saisissante a saisi une certaine somme d'argent en tenant que cette somme appartenait au débiteur-saisi en l'instance. L'opposante s'oppose à cette saisie en alléguant être la propriétaire de ladite somme. Le mérite de cette opposition n'est pas encore tranché; le dossier ayant, dans l'intervalle, fait face à diverses requêtes dont la présente à laquelle nous pouvons maintenant retourner.
[11]      L'affidavit du procureur de l'opposante (ci-après l'affidavit de l'opposante) indique ce qui suit:
1.      Je suis le procureur de l'opposante en cette cause;
2.      J'ai reçu le mandat de l'opposante de déposer le présent dossier de requête en récusation;
3.      Me Chantal Comtois, la représentante de Sa Majesté la Reine dans le présent dossier, fait partie de la direction des affaires fiscales du Ministère de la Justice du Canada, bureau de Montréal;
4.      Me Pascale O'Bomsawin travaille également à la direction des affaires fiscales du Ministère de la Justice du Canada, bureau de Montréal;
5.      Me Chantal Comtois et Me Pascale O'Bomsawin travaillent donc dans le même secteur au Ministère de la Justice du Canada;
6.      Me Chantal Comtois et Me Pascale O'Bomsawin sont appelées à travailler toutes deux sur les dossiers de l'Agence des douanes et du revenu du Canada;
7.      J'ai été informé par des avocats travaillant au ministère de la Justice du Canada que Me Pascale O'Bomsawin serait la conjointe du protonotaire Me Richard Morneau;
8.      Me Richard Morneau est le protonotaire saisi du présent dossier;
9.      Le protonotaire Me Richard Morneau a déjà rendu plusieurs décisions, ordonnances et/ou directives dans le présent dossier;
10.      Le protonotaire Me Richard Morneau devra rendre plusieurs autres décisions, ordonnances et/ou directives dans le présent dossier;
11.      La requête de l'opposante est faite de bonne foi et dans l'intérêt de la justice et de l'ensemble des contribuables;
12.      Tous les faits allégués dans le présent avis de requête et dans cet affidavit sont vrais.

[12]      Il est sans conteste que les faits mentionnés aux paragraphes 3, 4 et 7 de cet affidavit sont véridiques.

[13]      Quant aux faits mentionnés aux paragraphes 5 et 6 du même affidavit, nous pourrions les accepter pour ce qu'ils révèlent et l'analyse qui suit (paragraphes 26 et suivants) ainsi que le sort de la présente requête ne seraient point différents. Toutefois, leur véracité mérite d'être précisée et, partant, qualifiée de manière à refléter ce que devrait savoir une personne bien informée. À cet égard, il n'apparaît pas que l'opposante ait véritablement cherché à savoir de la créancière saisissante les faits additionnels suivants que je me permets de mentionner puisque dans le type de requête telle la présente, l'ajout de faits par le décideur de la requête appert être approprié (voir l'arrêt Samson, supra, page 18, paragraphe 15).

[14]      Les faits dont je fais état aux paragraphes 15 à 24 sont des faits qui m'ont été rappelés par ma conjointe et je les tiens pour véridiques. Pour les mêmes motifs, je considère que ces faits reflètent en pratique le fonctionnement public de la Direction des affaires fiscales du ministère de la Justice du Canada et de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence).

[15]      Quant au paragraphe 5 de l'affidavit de l'opposante, son caractère général fait en sorte que l'on ne peut nier l'affirmation qu'il contient. Toutefois, une personne qui aurait cherché à être bien renseignée aurait su que le bureau de Montréal du ministère de la Justice est composé de trois Directions de litige: la Direction des affaires civiles, le Service fédéral des poursuites (contentieux criminel) ainsi que la Direction des affaires fiscales (la Direction).

[16]      En pratique, la Direction est composée de deux groupes: le groupe du recouvrement (qui compte environ neuf avocat(e)s) ainsi que le groupe de l'impôt (qui compte environ 41 avocat(e)s). Pour plus de précisions, le groupe de l'impôt est composé du sous-groupe de la procédure générale et du sous-groupe de la procédure informelle (ci-après le sous-groupe informel).

[17]      Me Comtois fait partie du groupe du recouvrement tandis que ma conjointe fait partie du groupe de l'impôt, plus précisément du sous-groupe informel.

[18]      Le groupe de l'impôt agit essentiellement devant la Cour canadienne de l'impôt et la Cour d'appel fédérale à l'égard, d'une part, des appels portant sur les cotisations émises aux contribuables sous la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R. (1985), (5e suppl.), ch. 1, telle que modifiée, et, d'autre part, à l'égard des appels portant sur les déterminations établies sous la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, telle que modifiée.

[19]      Quant à lui, le groupe de recouvrement vise à recouvrer par des mesures d'exécution devant la Cour fédérale de première instance et la Cour supérieure les sommes dues à l'Agence.

[20]      Les dossiers des deux groupes sont administrés et conduits devant les tribunaux par des avocats qui n'agissent pas à la fois dans les dossiers d'un groupe et de l'autre.

[21]      À la connaissance de ma conjointe, il n'y a pas à l'égard de la conduite des dossiers d'interaction professionnelle entre les avocats des deux groupes.

[22]      Le groupe de l'impôt et le groupe du recouvrement sont dirigés par des chefs d'équipe différents qui se rapportent, en temps régulier, à une troisième personne soit le directeur de la Direction.

[23]      Ces chefs d'équipe à l'égard des aspects administratifs de toute nature dirigent leur groupe séparément.

[24]      Quant au paragraphe 6 de l'affidavit de l'opposante, et à l'instar du paragraphe 5 du même affidavit, son caractère général fait en sorte que l'on ne peut nier l'affirmation qu'il contient. Toutefois, les faits exposés ci-avant nous conduisent à la conclusion que les dossiers du groupe de recouvrement et du groupe de l'impôt proviennent de divisions différentes de l'Agence.

[25]      Ma conjointe m'indique, et je la crois, que les faits mentionnés aux paragraphes 15 à 24 auraient pu être obtenus aisément par l'opposante auprès de la Direction. Il m'appert que l'opposante n'aurait pas eu, tel que soutenu en plaidoirie, à s'adonner à une enquête difficile pour obtenir cette information.



Analyse

[26]      Il est opportun de débuter notre analyse par les propos suivants de la Cour suprême tirés de l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, page 528, relativement aux notions d'impartialité et de partialité:

     Dans l'arrêt Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, à la p. 685, le juge Le Dain a conclu que la notion d'impartialité désigne "un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une instance donnée". Il a ajouté: "[l]e terme "impartial" [. . .] connote une absence de préjugé, réel ou apparent". Voir également R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la p. 283. Dans un sens plus positif, l'impartialité peut être décrite - peut-être de façon quelque peu inexacte - comme l'état d'esprit de l'arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d'être persuadé par la preuve et les arguments soumis.
     Par contraste, la partialité dénote un état d'esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions.

[27]      Quant au "test" ou critère applicable à l'évaluation de la crainte raisonnable de partialité, le juge Bastarache de la Cour suprême nous rappelait récemment ce qui suit:

     Le critère applicable à la crainte de partialité tient compte de la présomption d'impartialité. Une réelle probabilité de partialité doit être établie (R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, aux par. 112 et 113).
(Mes soulignés)

[28]      Dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), en page 532, la Cour suprême souligne comme suit la rigueur dont il faut faire preuve avant de conclure à la présence de partialité:

     Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C'est une conclusion qu'il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l'intégrité judiciaire. De fait, l'allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l'intégrité personnelle du juge, mais celle de l'administration de la justice toute entière.

[29]      Du même souffle, la Cour indique que l'examen soigneux dont il est question sera entièrement fonction dans chaque cas de la preuve apportée par la partie soulevant la crainte raisonnable de partialité:

     La charge d'établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l'existence: Bertram, précité, à la p. 28; Lin, précité, au par. 30. De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l'espèce.

[30]      Dans l'arrêt Droit de la Famille -1559 (C.A.), [1993] R.J.Q. 625, en page 633, le juge Delisle, au nom de la majorité de la Cour d'appel du Québec, après avoir rappelé les propos maintenant célèbres du juge De Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, (1978) 1 R.C.S. 369, pages 394-95, analyse la crainte raisonnable de partialité suivant l'approche pragmatique suivante:

     Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc:
     a) être raisonnable, en ce sens qu'il doit s'agir d'une crainte, à la fois, logique, c'est-à-dire qui s'infère de motifs sérieux, et objective, c'est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d'une crainte légère, frivole ou isolée;
     b) provenir d'une personne:
     1o sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;
     2o bien informée, parce que ayant étudié la question, à la fois, à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et
     c) reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu'il y aura ou non enregistrement des débats et existence d'un droit d'appel.
(Mes soulignés)

[31]      Fort de ces enseignements, si l'on cherche maintenant à se concentrer sur des circonstances qui se rapprochent quelque peu des nôtres, on notera au départ qu'en termes de législation, seul le Québec par le biais de l'article 234 paragraphe 9 C.p.c. aborde la possibilité de récusation pour une question de parenté ou d'alliance.

[32]      Ce paragraphe indique qu'un juge peut être récusé:

     9) s'il est parent ou allié de l'avocat ou de l'avocat-conseil ou de l'associé de l'un ou de l'autre, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale jusqu'au deuxième degré.

     9) if he is related or allied to the attorney or counsel or to the partner of any of them, either in the direct line, or in the collateral line in the second degree.

[33]      Bien évidemment telle n'est pas la situation ici. Je ne suis pas parent ou allié de Me Comtois et ma conjointe n'est pas l'associée de cette dernière. De fait, oeuvrant dans le secteur public, ma conjointe n'est pas l'associée d'aucun autre avocat de la Direction, voire du reste du ministère de la Justice.

[34]      Il est donc clair qu'en termes de législation, la situation qui nous occupe n'est pas fautive.

[35]      En termes de jurisprudence, le seul arrêt que cette Cour a pu répertorier (qui fut cité également par la créancière saisissante) et qui se rapproche du cas en l'espèce est l'arrêt Essex (County) Roman Catholic Children's Aid Society v. P. (T.), (1989) O.J. no 606 (ci-après l'arrêt Essex).

[36]      Dans cet arrêt, la requête en récusation était fondée sur le fait que l'épouse du juge pratiquait comme avocate dans l'étude légale agissant pour l'une des parties, soit la Children's Aid Society. Suivant la compréhension du tribunal, l'on soutenait que l'avancement de l'épouse du juge au statut d'associée pourrait être facilité par une décision favorable que rendrait le juge à l'égard de la Society.

[37]      Voici comment en page 5 le juge analyse cette prétention et conclut en l'absence de réelle probabilité de partialité (real likelihood of bias):

     It appears to me upon my reading of this law that counsel in this case must establish not just that their clients have an apprehension of bias, but that there is a foundation for that apprehension in that the circumstances are such that there is a real likelihood of bias. To put it another way, they must establish that my interest in this case, arising from the employment of my wife with the firm representing the Society is such a substantial interest that judged by a reasonable man there exists, not a possibility but a probability or real likelihood of the existence of bias.
     As I understand it, counsel for the parents in explaining the foundation for the apprehension on the part of their clients have suggested that my wife, being an employee of the legal firm which represents the Society, is under the control of the partnership. Counsel implies that a decision which I might make in this case might be viewed favourable or unfavourably by the Law firm and that that may have a consequence upon my wife's employment or perhaps upon her aspirations, if in fact they exist, to be given partnership status in the firm. Consequently, as I understand it, the suggestion is that I might favour the Society.
     Having considered the facts presented and the law to which I have referred including those circumstances as disclosed by the decided cases in which a real likelihood of bias has been found, I have reached the conclusion that a real likelihood of bias does not exist in the circumstances of this case.

[38]      Dans le cas qui nous occupe, le dossier de requête de l'opposante n'articule en rien sa crainte de partialité. L'affidavit de l'opposante n'emploie même pas cette expression. Les représentations écrites de l'opposante à l'appui de sa requête n'élaborent point sur cette crainte de partialité (voir, entre autres, les paragraphes 10, 38, 47, 52). À sa requête, l'opposante conclut sur la base des seuls faits qu'elle soulève dans son affidavit. Elle n'établit en rien la dynamique qui ferait qu'il y ait une crainte raisonnable de conflit entre un intérêt personnel chez moi (soit le désir de favoriser ma conjointe) et mes fonctions, soit de rendre la justice avec impartialité (quant à l'à-propos d'une telle dynamique voir Principes de déontologie judiciaire, Conseil canadien de la magistrature, novembre 1998, pages 42 à 44).

[39]      Dans cet ordre d'idées, la seule hypothèse qui pourrait sous-tendre la conclusion de l'opposante se doit d'être la suivante: il serait raisonnable de croire que je sache déjà qu'en favorisant l'Agence dans le présent dossier - comme dans tout dossier du groupe de recouvrement impliquant l'Agence - cela aura comme effet de favoriser l'avancement de ma conjointe dans le groupe d'impôt. Cela implique forcément, entre autres, compte tenu des faits mentionnés aux paragraphes 15 à 24, supra, que le chef d'équipe de ma conjointe et le directeur de la Direction indiquent à ma conjointe que tout avancement qu'elle pourrait obtenir serait dû en tout ou en partie au fait que je favorise l'Agence. Il faudrait de plus que ma conjointe m'indique la tenue de tels propos pour que l'on puisse s'assurer que la boucle recommence.

[40]      Une telle hypothèse n'est point avancée expressément par l'opposante et, si elle l'avait été, il serait difficile de croire qu'elle proviendrait d'une personne:

     1. sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;
     2. bien informée, parce que ayant étudié la question, à la fois, à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats; et
     c) reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu'il y aura ou non enregistrement des débats et existence d'un droit d'appel.
(Mes soulignés)

[41]      Au paragraphe 53 de ses représentations écrites, l'opposante nous réfère à la situation suivante:

53.      Le juge Louis Crête de la Cour supérieure, dans le cadre de l'affaire Lizotte c. RBC Dominion Valeurs Mobilières Inc. (...) s'est dessaisi du dossier pour les motifs suivants:
          Attendu que le matin de l'audience, maître Christine Carron, avocate associée au cabinet Ogilvy Renault, s'est présentée et indiqué qu'elle représentait certains témoins qui avaient été assignés par monsieur Lizotte dans le procès;
          Attendu que le juge soussigné est marié avec maître Sylvie Graton, associée également chez Ogilvy Renault;

[42]      Au départ, l'on note que cette situation implique des avocates de pratique privée qui étaient associées dans une même firme. De plus, on ne peut écarter que la Cour a alors choisi de prendre l'option qui s'avérait la plus facile. On ne peut toutefois conclure qu'une telle avenue est forcément la bonne dans tous les cas, le tout tel que le laissent clairement voir les propos suivants tirés de Propos sur la conduite des juges, Conseil canadien de la magistrature, mars 1991, en page 62:

     Pour le juge, la réponse la plus facile et la plus tentante à toutes les questions de cette nature est bien entendu de s'abstenir de siéger dans cette cause. Mais la réponse facile n'est pas nécessairement la bonne.

(Pour une même conclusion, voir l'article de Kerans, supra, paragraphe 5.)

[43]      Par ailleurs, en plaidoirie lors de l'audition, le procureur de l'opposante a surtout insisté sur le fait que ma conjointe ayant l'Agence comme cliente, cette situation pouvait l'amener à me faire part d'informations provenant de sa cliente et touchant les dossiers de contribuables.

[44]      Il faut déduire de ces prétentions qu'il serait raisonnable de croire que je puisse me servir en retour de ces informations pour, forcément, favoriser l'Agence dans les causes de recouvrement qui sont mues devant moi.

[45]      Premièrement, tel que mentionné auparavant, les fonctionnaires de l'Agence oeuvrant avec ma conjointe ne sont pas du même secteur de l'Agence que ceux oeuvrant avec le groupe du recouvrement.

[46]      Deuxièmement, toute allégation de favoritisme en faveur de l'Agence doit nous amener en bout de course à la dynamique explorée au paragraphe 39, supra, et à la conclusion exprimée au paragraphe 40, supra. En d'autres termes, puisque l'on se situe dans le cadre d'une requête soulevant une crainte raisonnable de partialité chez un membre de la magistrature "au sens large" (et non, à titre d'exemple, dans le cadre d'une requête soulevant un conflit d'intérêts rendant un cabinet inhabile à occuper tel que discuté dans l'arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235), ce n'est pas tant ce que je pourrais savoir sur les dossiers de l'Agence qui importe mais les motifs qui devraient m'amener à la favoriser comme partie.

[47]      Voilà pourquoi je considère que ces dernières prétentions de l'opposante ne font point avancer le débat pertinent.

[48]      En conséquence, je suis d'avis - et d'autant plus si elle est informée des faits qui ressortent des paragraphes 15 à 24, supra - qu'une personne raisonnable et bien renseignée ne pourrait conclure qu'il y a en l'espèce une crainte raisonnable de partialité, c'est-à-dire une crainte logique basée sur des motifs sérieux. Somme toute, l'opposante n'a pas établi en l'espèce une réelle probabilité de partialité.

[49]      Pour ces motifs, il y a lieu de rejeter cette requête, le tout avec dépens.

[50]      La créancière saisissante verra à porter de nouveau au rôle sa requête présentement pendante dès que la présente décision aura acquis un statut final.


Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 21 février 2001

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

ITA-8856-99

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

- et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

CONTRE:

JEAN-GUY MATHERS

     Débiteur judiciaire

ET

CINÉPARC ST-EUSTACHE INC.

     Opposante

ET

SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC

     Intervenant


LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 12 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 21 février 2001


ONT COMPARU:


Me Maria Grazia Bittichesu

pour la créancière saisissante

Me Yves Ouellette

pour l'opposante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour la créancière saisissante

Gowling Lafleur Henderson

Montréal (Québec)

pour l'opposante


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