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Date : 20191122


Dossier : IMM‑1227‑19

Référence : 2019 CF 1489

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

TITILAYO BUKOLA TIODUNMO, OLUWAFERANMI MARY TIODUNMO, OLUWAPAMILERINAYO LYDIA TIODUNMO,

SAHEED ABIODUN TIODUNMO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. La demanderesse principale est Titilayo Bukola Tiodunmo. Les autres demandeurs sont son époux, Saheed Abiodun Tiodunmo, et leurs filles mineures. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] datée du 18 janvier 2019 qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] datée du 26 septembre 2018, selon laquelle les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte factuel

[3]  Titilayo et Saheed sont les parents de deux filles, Oluwapamilerinayo (née en 2012) et Oluwaferanmi (née en 2014). Ils ont quitté le Nigéria en 2017 et demandé l’asile au Canada, prétendant que la famille élargie de Saheed avait l’intention de mutiler leurs filles dans le cadre de rites traditionnels et avait menacé de tuer la famille si elle ne se convertissait pas à nouveau à l’islam. À l’audience de leur demande d’asile, les demandeurs ont aussi prétendu craindre une secte secrète au sein de laquelle Saheed avait été initié en 2004.

[4]  La question déterminante que la SAR devait trancher concernait l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI]. Au début de l’audience, les demandeurs ont été informés de ce que Port Harcourt, au Nigéria, représentait une PRI.

[5]  Dans l’appréciation des demandes d’asile des demandeurs aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR, la SPR a souligné que la famille élargie des demandeurs avait fait ses menaces au moment de la naissance d’Oluwapamilerinayo, en 2012; toutefois, la famille n’a pris aucune mesure pour mettre sa menace à exécution au cours des cinq années qui ont suivi. La SPR a aussi fait remarquer que les demandeurs ne sentaient pas que les menaces de violences étaient imminentes, et qu’ils avaient continué à vivre et à travailler au même endroit, et à voyager à l’intérieur et à l’extérieur du Nigéria pour le travail et pour le plaisir sans incident.

[6]  La SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve que les agents de persécution avaient continué de chercher les demandeurs après que ceux‑ci eurent quitté le Nigéria. Les demandeurs n’ont pas affirmé que toute la secte secrète était à leur recherche, mais plutôt seulement les membres de la famille de Saheed qui en faisaient partie. Même si les membres de la famille de Saheed pouvaient encourager la secte à chercher les demandeurs, la SPR a estimé qu’il était invraisemblable que la secte ait eu la capacité de retrouver les demandeurs à Port Harcourt compte tenu des éléments de preuve objectifs montrant que la secte n’avait pas une portée nationale et n’opérait pas dans la partie sud‑est du pays où est située la ville de Port Harcourt.

[7]  La SPR a conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir d’une PRI à Port Harcourt. Elle a pris en compte la question de savoir s’il serait trop difficile pour les demandeurs de se réinstaller à Port Harcourt. Elle a aussi pris en considération les arguments des demandeurs selon lesquels ceux‑ci connaîtraient des difficultés parce qu’ils n’ont pas d’amis ni de parents dans cette ville. De plus, elle a soupesé les facteurs religieux, économiques et culturels et la façon dont ces facteurs affectent les femmes dans la PRI. Elle a finalement conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’il serait déraisonnable pour eux de se réinstaller à Port Harcourt.

[8]  Dans le cadre de l’appel devant la SAR, les demandeurs ont voulu produire des éléments de preuve supplémentaires sous la forme de trois courriels contenant des articles sur les sectes au Nigéria, dont deux précédaient la décision rendue par la SPR. La SAR a conclu que les demandeurs ne respectaient pas le sous‑alinéa 3(3)g)iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [Règles de la SAR] qui oblige les appelants à faire des observations complètes et détaillées montrant en quoi les nouveaux éléments de preuve répondent aux conditions quant à leur admissibilité. La SAR a refusé d’admettre en preuve les trois articles, soulignant qu’« [e]n l’absence de ces observations particulières, je ne sais pas en quoi ces éléments de preuve se rapportent aux appelants ou s’ils répondent aux exigences d’admissibilité ».

[9]  Devant la SAR, les demandeurs ont soutenu que la SPR avait commis une erreur en omettant de prendre en compte le guide jurisprudentiel pertinent, en appliquant le mauvais critère juridique dans son analyse de la PRI, en omettant de tenir compte de la nature omniprésente des croyances traditionnelles au Nigéria et en omettant de prendre en considération les difficultés causées par la rupture de tout contact avec les membres de la famille et les amis.  

[10]  La SAR a effectué sa propre analyse des éléments de preuve et a convenu avec la SPR que les demandeurs avaient une PRI viable à Port Harcourt.

III.  Questions à trancher

[11]  Les demandeurs soutiennent que les questions à trancher par la Cour sont les suivantes :

[traduction]

A.  « La Section d’appel des réfugiés a‑t‑elle omis d’admettre en preuve des documents qui auraient dû être admis en preuve? »

B.   « Le raisonnement de la Section d’appel des réfugiés est‑il entaché parce qu’elle a confondu les sectes? »

IV.  Norme de contrôle

[12]  La norme de contrôle à appliquer ici n’est pas contestée. Les conclusions de la SAR à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Cette norme s’applique à la conclusion de la SAR quant à l’existence d’une PRI (voir la décision Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017 au par. 14) et à l’appréciation par la SAR de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve (voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au par. 29 [Singh]).

[13]  La Cour doit établir si la décision est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des éléments de preuve dont disposait la SAR et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

V.  Analyse

A.  La Section d’appel des réfugiés a‑t‑elle omis d’admettre en preuve des documents qui auraient dû être admis en preuve?

[14]  Les demandeurs affirment que le refus de la SAR d’admettre en preuve les trois articles, et plus particulièrement l’article daté du 12 octobre 2018, était déraisonnable. Ils soutiennent que [traduction] [p]arfois les documents parlent d’eux‑mêmes » et que la pertinence des documents qu’ils ont présentés aurait dû être évidente pour la SAR sans observations particulières à leur sujet. Je ne suis pas d’accord. La pertinence ne peut pas être établie isolément.

[15]  Il est désormais bien reconnu que le mémoire d’appel d’un appelant devant la SAR doit inclure des observations complètes et détaillées sur la façon dont tout élément de preuve documentaire que l’appelant souhaite invoquer est conforme aux exigences du paragraphe 110(4), mais aussi la façon dont ils sont liés à lui : Singh, au par. 45. En l’espèce, les demandeurs ont omis de présenter des observations de fond à la SAR.

[16]  Aux paragraphes 2 et 3 de leur déclaration écrite au sujet de nouveaux éléments de preuve qu’ils ont soumise à la SAR, les demandeurs se contentent d’affirmer qu’ils présentent des éléments de preuve visés au paragraphe 110(4) de la LIPR consistant en [traduction] « [d]es articles sur les sectes au Nigéria qui ont été publiés après la décision ». Au paragraphe 5 du formulaire, ils n’ont pas inscrit d’information quant au numéro de la page de leur mémoire d’appel où ils devaient expliquer en quoi les nouveaux éléments de preuve répondaient aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) et en quoi ils étaient liés à eux. Les trois articles ne sont pas mentionnés dans le mémoire d’appel des appelants.

[17]  Il incombait aux demandeurs d’établir que les éléments de preuve étaient survenus depuis le rejet de leur demande d’asile, qu’ils n’étaient pas normalement accessibles ou qu’ils n’auraient pas normalement pu les présenter, dans les circonstances, au moment du rejet. Il ne revient pas à la SAR de passer au crible les articles pour voir par elle‑même si les éléments de preuve répondent aux exigences du paragraphe 110(4).

[18]  Dans les circonstances, je conclus que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en refusant d’admettre en preuve les articles.

B.  La SPR et la SAR ont‑elles confondu deux sectes différentes?

[19]  Dans sa décision, la SPR renvoie à la secte Awo Opa comme celle se rapportant aux agents de persécution qui sont craints, tandis que la SAR ne renvoie qu’à la secte Imole. Les demandeurs soutiennent que le fait que les deux sections désignent deux sectes différentes en tant qu’agents de persécution qu’ils disent craindre signifie qu’elles n’ont pas examiné la même question. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la position des demandeurs voulant que la SAR a confondu la secte qui était en cause n’est pas fondée.

[20]  Saheed a constamment et particulièrement renvoyé à la secte Imole comme étant la secte en cause dans l’ensemble de son témoignage. La secte Awo Opa a été mentionnée une seule fois, par l’avocat des demandeurs dans une discussion avec Saheed portant sur une photographie montrant une initiation dans une secte assortie d’une légende renvoyant à un certain nombre de sectes, dont l’Awo Opa. L’avocat avait demandé à Saheed pourquoi il n’y avait pas d’élément de preuve documentaire au sujet de la secte Imole. Saheed avait répondu que les sectes mentionnées dans la légende de la photographie, y compris la secte Awo Opa, étaient [traduction] « les mêmes » que la secte Imole.

[21]  Dans les circonstances, la SAR ne peut pas être blâmée pour avoir renvoyé à la secte par le nom utilisé aussi par Saheed dans sa décision.

C.  La SAR a‑t‑elle effectué une analyse tronquée de la PRI?

[22]  Les demandeurs reconnaissent que la SAR a pris en compte la motivation des agents de persécution de les retrouver dans leur PRI et leur capacité à cet égard. Ils soutiennent qu’elle n’a toutefois pas pris en considération la probabilité que les agents de persécution les retrouvent dans la PRI. Ils estiment que, tant qu’il y a une possibilité que les agents de persécution qu’ils disent craindre ne les retrouvent de quelque manière que ce soit et à tout moment, la PRI proposée n’est pas viable. J’estime que toute affirmation selon laquelle la SAR n’a pas su prendre en compte la possibilité que les demandeurs soient retrouvés est d’ordre sémantique dans le meilleur des cas, et ne peut pas être démontrée lorsque la décision de la SAR est examinée dans son contexte.

[23]  La SAR a conclu que les demandeurs seraient à l’abri des membres de la secte Imole à Port Harcourt, que la portée de la secte Imole ne s’étendait pas à Port Harcourt, et que les demandeurs n’avaient pas établi « comment l’agent de préjudice prétendu aurait la motivation ou la capacité de faire du mal à cette famille ou de la persécuter à Port Harcourt ». Il s’ensuit donc implicitement que la SAR a pris en compte la possibilité que la secte et les agents de persécution retrouvent les demandeurs dans la PRI. Je ne relève aucune erreur commise par la SAR dans cet aspect de sa décision.

VI.  Conclusion

[24]  Étant essentiellement d’accord avec les observations écrites déposées par le défendeur, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[25]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1227‑19

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de décembre 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1227‑19

 

INTITULÉ :

TITILAYO BUKOLA TIODUNMO, OLUWAFERANMI MARY TIODUNMO, OLUWAPAMILERINAYO LYDIA TIODUNMO, SAHEED ABIODUN TIODUNMO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 NovembrE  2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 NovembrE 2019

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

Brendan Friesen

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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