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Date : 20191121


Dossier : IMM‑‑6186‑‑18

Référence : 2019 CF 1485

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RODRIGO COUBE DE CARVALHO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 30 novembre 2018 par laquelle un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a refusé la demande de résidence permanente du demandeur au motif que, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), ce dernier est interdit de territoire pour fausses déclarations.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Contexte

[3]  Le demandeur, Rodrigo Coube De Carvalho, est un citoyen du Brésil. Il a obtenu un visa de résident temporaire en décembre 2014 et est arrivé au Canada le 15 janvier 2015. Puisqu’il accompagnait son épouse de l’époque, Gesilene Marques Da Fonseca de Carvalho, qui détenait un permis d’études, le demandeur était admissible à un permis de travail ouvert, qu’il a obtenu le 26 mars 2015, et qui était valide jusqu’au 8 décembre 2017.

[4]  Le demandeur et son épouse de l’époque se sont présentés au point d’entrée de Niagara Falls le 22 novembre 2017. Le demandeur a pu y obtenir un deuxième permis de travail, valide jusqu’au 21 août 2020, cette fois en tant qu’époux d’une travailleuse qualifiée.

[5]  Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne le 22 septembre 2018. Dans cette demande, il a indiqué qu’il était séparé légalement de son épouse de l’époque, et a remis une copie d’un accord de garde daté du 8 novembre 2016 concernant leurs deux fils.

[6]  Une lettre d’équité procédurale a été envoyée au demandeur le 2 novembre 2018, l’informant qu’IRCC était préoccupé du fait qu’il avait fait une fausse déclaration concernant son état matrimonial dans sa deuxième demande de permis de travail. Le demandeur y a répondu au moyen d’une lettre rédigée par le cabinet d’avocats KPMG s.r.l./S.E.N.C.R.L. (KPMG), et datée du 9 novembre 2018, à laquelle était jointe une lettre du demandeur lui‑‑même, datée du 8 novembre 2018. Il a affirmé qu’il n’avait jamais eu l’intention de faire une fausse déclaration concernant son état matrimonial, et que toute omission était involontaire. Les problèmes du couple avaient commencé en août 2016. Son ex‑‑épouse et lui ont mis à exécution un accord de garde dès qu’ils ont commencé à vivre séparément, mais à cette époque, le demandeur croyait qu’il y aurait réconciliation. Lorsque la famille s’est présentée au point d’entrée de Niagara Falls, le demandeur et son épouse étaient toujours mariés. Le demandeur a affirmé que dans sa culture, être « séparé légalement » n’est pas considéré comme un état matrimonial distinct (les époux sont considérés comme mariés jusqu’à ce qu’un certificat de divorce soit délivré), et qu’au moment où il a demandé le deuxième permis de travail, ni lui ni son épouse n’avait présenté de demande de divorce. De plus, si l’agent d’immigration en poste au point d’entrée avait posé aux époux des questions sur la nature de leur relation, ils y auraient répondu. Le demandeur affirme qu’il n’était pas représenté par un avocat pratiquant en droit de la famille au moment où il a demandé le deuxième permis de travail, et qu’il n’était pas au courant d’un changement à son état matrimonial avant que lui et son épouse n’obtiennent un jugement de divorce final.

[7]  La demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée.

Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La décision a été envoyée au demandeur dans une lettre datée du 30 novembre 2018. L’agent y concluait que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Selon lui, le demandeur a fait une fausse déclaration sur son état matrimonial lorsqu’il a présenté sa demande de permis de travail le 22 novembre 2017. Plus précisément, il a conclu que le demandeur avait dissimulé le fait que lui et son épouse ne cohabitaient plus. Ce fait était pertinent pour sa demande de permis de travail, puisqu’il avait obtenu un permis de travail ouvert en sa qualité d’époux d’une personne appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés. En raison de cette fausse déclaration, l’agent a décidé que le demandeur était interdit de territoire au Canada, et, conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR, sa demande de résidence permanente a été refusée.

[9]  Selon les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), qui font partie des motifs de la décision (De Hoedt Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1391, au par. 51; Afridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 193, au par. 20; Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, au par. 3), l’agent a tenu compte de la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale, à savoir son explication selon laquelle, même si lui et son épouse ne vivaient plus ensemble et avaient mis à exécution un accord de garde au moment où il a présenté sa deuxième demande de permis de travail, il s’était fié aux normes culturelles brésiliennes qui, selon lui, ne font pas de l’état « séparé légalement » un état matrimonial distinct. Cependant, l’agent a conclu qu’il incombait au demandeur de comprendre la définition de « séparé légalement », et qu’il avait la responsabilité de veiller à ce que sa demande soit véridique et complète. En outre, l’agent a souligné que des définitions relatives à l’état matrimonial se trouvaient dans le guide d’instructions pour remplir les demandes. On y trouvait, entre autres, les définitions des termes suivants : mariage annulé, conjoint de fait, marié, divorcé, ainsi que « séparé légalement » (qui signifie, « [v]ous êtes marié mais ne vivez plus avec votre conjoint »). L’agent a noté que le demandeur avait aussi joint une copie de la demande de divorce, datée du 30 octobre 2018, dans laquelle il est précisé que le demandeur et son épouse sont séparés depuis le 1er août 2016. De plus, même si le demandeur a affirmé qu’il croyait qu’il se réconcilierait avec son épouse, son permis de travail avait été délivré en fonction de son état matrimonial au moment de la présentation de la demande, et non en fonction d’une éventuelle réconciliation. Lui et son épouse vivaient séparément depuis plus d’un an à la date du dépôt de la demande.

[10]  L’agent a noté que le demandeur a deux enfants mineurs qui sont temporairement au Canada, et qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants d’être avec leurs parents. Toutefois, il a ajouté qu’aucun des membres de la famille n’a le statut de résident permanent au Canada, et qu’il est entendu que les résidents temporaires respecteront l’exigence de retourner dans leur pays d’origine à la fin de leur séjour autorisé.

[11]  L’agent a affirmé que, si le demandeur avait dit la vérité concernant son état matrimonial, il n’aurait pas été admissible à un permis de travail ouvert à titre d’époux d’une travailleuse qualifiée. Ainsi, après avoir conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, l’agent a rejeté la demande.

Question en litige et norme de contrôle

[12]  Le demandeur n’est pas représenté et n’a présenté aucune observation au sujet de la question en litige ou de la norme de contrôle. Le défendeur soutient, et je suis d’accord, que la question en litige est celle de savoir s’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur est interdit de territoire pour fausses déclarations.

[13]  La norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer aux questions mixtes de fait et de droit. La question qui se pose en l’espèce est de cette nature, car elle invite la Cour à examiner comment l’agent a appliqué le droit régissant les fausses déclarations aux faits propres à la présente espèce (Dunsmuir c Nouveau‑‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 53 (Dunsmuir); Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 824, aux par. 10 et 13; Tofangchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 427, au par. 13 (Tofangchi)).

[14]  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au par. 47).

Dispositions législatives pertinentes

[15]  Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11(1) Application before entering Canada ‑‑ A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) Obligation — answer truthfully ‑‑ A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

40 (1) Fausses déclarations ‑‑ Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants:

40 (1) Misrepresentation ‑‑ A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Analyse

[16]  Comme je l’ai mentionné, le demandeur n’est pas représenté. Dans ses observations écrites, il affirme qu’il ne croyait pas être séparé légalement de son épouse lorsqu’il a présenté sa deuxième demande de permis de travail. Il soutient qu’il a présenté tous les faits à l’agent d’immigration, qu’il n’a pas menti à propos de son mariage, qu’il n’a pas fait de fausse déclaration, et que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ne s’applique pas en l’espèce. Il semble également soutenir qu’il ne comprenait pas les raisons pour lesquelles son conseil avait indiqué, dans sa demande de résidence permanente, qu’il était séparé, que ce n’était pas le cas à ce moment‑‑là, et qu’il avait signé la demande sans la lire correctement. Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a affirmé que son erreur avait été de signer un document – à savoir la demande de résidence permanente qui avait été préparée par son conseil en immigration – sans l’avoir préalablement lu. J’en déduis qu’il voulait probablement dire qu’il se considérait toujours comme marié, même si son épouse et lui vivaient séparément.

[17]  Le défendeur soutient que le demandeur a déclaré, dans sa demande de permis du 22 novembre 2017 présentée à titre d’époux d’une travailleuse qualifiée, qu’il était marié. Or, le demandeur admet maintenant qu’il était plutôt séparé légalement. Même s’il affirme que cette fausse déclaration était involontaire, il lui incombait de connaître le sens juridique précis des termes « marié » et « séparé légalement », et de s’assurer de l’exactitude de sa demande. S’il avait été franc, il n’aurait pas obtenu de permis de travail. Par conséquent, comme la fausse déclaration faite par le demandeur a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, il est interdit de territoire conformément à l’alinéa 40(1)a).

[18]  Selon le défendeur, le demandeur n’aborde pas les conclusions de l’agent dans ses observations. Or, dans la mesure où le demandeur conteste le bien‑‑fondé de la décision le déclarant interdit de territoire, même si l’on reconnaissait la véridicité de son explication, il serait tout de même interdit de territoire, puisque même une omission de bonne foi de fournir des renseignements importants constitue une fausse déclaration (Tofangchi, aux par 33 et 40; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942, au par. 35 (Jiang); Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux par. 56 à 58 (Wang 2005); Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 647, aux par. 24 et 25; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020, au par. 10 (Smith)). Constitue une exception limitée à l’alinéa 40(1)a), le fait pour un demandeur de croire honnêtement et raisonnablement qu’il ne fait pas de présentation erronée sur un fait important dont la connaissance échappait à sa volonté, bien que cette exception ne s’applique qu’en des circonstances véritablement exceptionnelles. Le défendeur soutient que ce n’est pas le cas en l’espèce. L’obligation de franchise prévue au paragraphe 16(1) de la LIPR comprend le devoir de s’assurer que les documents sont complets et exacts. En l’espèce, le demandeur a omis de consulter le guide d’instructions qui contenait la définition de « séparé légalement ». La connaissance de ce fait n’échappait pas à sa volonté, et le demandeur n’a pas agi raisonnablement ni ne s’est acquitté de son obligation de s’assurer que sa demande était complète et exacte (Tofangchi, aux par. 33 à 40; Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043, aux par. 17 et 18 (Appiah); Smith, au par. 12; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 880, au par. 25; Wang 2005, aux par. 56 à 58).

[19]  À mon avis, le défendeur a bien relevé et résumé la jurisprudence applicable. Dans Tofangchi, la juge Tremblay‑‑Lamer expose clairement le droit régissant les fausses déclarations et l’interdiction de territoire visées à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR :

[38]  Il convient de garder à l’esprit que les étrangers qui cherchent à entrer au Canada ont une obligation de franchise : Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15. Comme il est dit au paragraphe 16(1) de la Loi : « [l’]auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous les éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ».

[39]  Ainsi qu’il est indiqué dans la décision Bodine (au paragraphe 44) :

[...] L’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (voir De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, confirmée pour d’autres motifs dans l’arrêt 2006 CAF 345). Dans certains cas, même le silence peut constituer une fausse déclaration (voir Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299) et les faits en l’espèce constituaient bien plus qu’un simple silence.

[40]  De pair avec cette obligation de franchise, la demanderesse est tenue, selon moi, de s’assurer qu’au moment de présenter sa demande, les documents sont complets et exacts. Il est trop facile de prétendre plus tard qu’on est innocent et de jeter le blâme sur une tierce partie quand, comme c’est le cas en l’espèce, le formulaire de demande indique clairement que les résultats du test de langue doivent y être joints et que les demandeurs l’ont signé. Ce n’est que dans les cas exceptionnels où un demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants « dont la connaissance échappait à sa volonté » qu’il peut se prévaloir d’une exception à l’application de l’alinéa 40(1)a). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[Souligné dans l’original.]

[20]  Dans Appiah, le juge Martineau examine l’exception fondée sur la déclaration inexacte faite de bonne foi :

[18]  L’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration est restreinte et ne peut qu’excuser la non‑‑divulgation de renseignements importants que dans des circonstances extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important, qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte et que le demandeur n’avait pas connaissance de la fausse déclaration.

(Voir aussi : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 368, aux par. 16 à 18).

[21]  Dans ces décisions, et d’autres encore, la Cour énonce que le demandeur a l’obligation de s’assurer que sa demande est complète et exacte, et que même une déclaration inexacte faite de bonne foi ne le dégage pas de cette obligation, sauf en des circonstances exceptionnelles (voir, par exemple, Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126).

[22]  En ce qui concerne la fausse déclaration reprochée au demandeur en l’espèce, la lettre d’équité procédurale énonce ce qui suit [traduction] : « Dans la présente demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, vous avez déclaré être séparé légalement depuis juillet 2017, et vous avez fourni une ordonnance rendue par un tribunal en novembre 2016 concernant des aliments pour enfant et la garde d’enfant. » Toutefois, je ne vois rien dans la demande de résidence permanente présentée par le demandeur le 21 septembre 2018 qui indique qu’il s’était séparé de son épouse en juillet 2017. La demande confirme que les époux sont séparés, mais aucune date de séparation n’y est indiquée.

[23]  Le défendeur a déposé un affidavit souscrit par M. Anthony Martino, gestionnaire, Exécution de la loi, dans la région du Sud de l’Ontario, ASFC, dans lequel celui‑‑ci atteste qu’il a examiné les notes dans le SMGC concernant le demandeur. Selon M. Martino, puisque la demande de permis de travail du 22 novembre 2017 a été faite à un point d’entrée, une demande en version papier n’était pas requise et n’a pas été soumise; la décision a été prise par un agent de l’ASFC, et cette décision n’est pas sur support papier. Monsieur Martino a joint à cet affidavit, sous la cote A, une capture d’écran non datée affichant les résultats d’une recherche effectuée relativement au dossier numéro UCI 92579407 (apparemment l’indicateur d’identification du demandeur) qui, sous les mentions permis de travail et code de dispense, indique que le code C41 a été sélectionné dans la liste déroulante. Monsieur Martino affirme que le code C41 s’applique aux époux ou aux conjoints de fait des travailleurs qualifiés qui viennent au Canada comme travailleurs étrangers. Sont également jointes à l’affidavit de M. Martino, sous la cote B, des notes, qu’il qualifie de ponctuelles, versées dans le SMGC le 23 novembre 2017, soit le jour suivant le dépôt de la demande de permis de travail du demandeur. Monsieur Martino affirme que selon ces notes, le demandeur a présenté une première demande de résidence permanente en juillet 2017. Cette demande a par la suite été annulée car elle était incomplète. Toutefois, dans cette première demande, le demandeur a déclaré qu’il était séparé légalement.

[24]  L’examen de cette pièce révèle qu’il y aurait eu deux entrées le 5 juillet  2017, à 19 h 45 min 08 s. Dans la première entrée, sous [traduction] ÉTAT MATRIMONIAL 1, il est indiqué que le demandeur est un « conjoint de fait », sa conjointe étant Gesilene Marques Da Fonseca de Carvalho (mise à jour effectuée à 19 h 45 min 08 s). Puis, la seconde entrée, sous [traduction] ÉTAT MATRIMONIAL 2 indique que le demandeur est « séparé légalement » (mise à jour effectuée à 19 h 46 min 51 s). Monsieur Martino affirme que la deuxième entrée, la plus récente concernant l’état matrimonial du demandeur, a été effectuée au moment où le demandeur a présenté sa demande de permis de travail. En outre, cette dernière entrée révèle qu’au moment où le demandeur a présenté sa demande de permis de travail le 22 novembre 2017, le SMGC indiquait que le demandeur était séparé légalement. Or, l’agent de l’ASFC qui a accordé le permis de travail avec le code de dispense C41 n’a [traduction« vraisemblablement pas vu » cette entrée. Je souligne que le dossier certifié du tribunal (DCT) ne contient aucun document soumis par le demandeur concernant la demande de résidence permanente de juillet 2017.

[25]  Mis à part les entrées dans le SMGC telles qu’interprétées par M. Martino, rien dans le dossier dont je dispose n’indique que le demandeur a déclaré dans la première demande de résidence permanente qu’il était, en juillet 2017, séparé de son épouse de l’époque, comme le mentionne l’auteur de la lettre d’équité procédurale.

[26]  Cependant, comme nous l’avons vu, le demandeur a expliqué dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale que son épouse et lui‑‑même avaient conclu un accord de garde lorsqu’ils se sont séparés. Le cabinet KPMG précise dans sa lettre qu’il a joint l’accord de garde à la demande électronique de résidence permanente du demandeur, car la convention sur les mesures accessoires à la séparation ou au divorce n’avait pas encore été rendue officielle. La lettre d’équité procédurale renvoie d’ailleurs à l’accord de garde de novembre 2016. De plus, en réponse à cette lettre, KPMG a aussi fourni une copie de la demande de divorce, déposée le 30 octobre 2018. Il y est indiqué que le demandeur et son épouse se sont séparés le 1er août 2016.

[27]  Le 21 septembre 2018, le demandeur a présenté une nouvelle demande de résidence permanente. Une copie de cette demande figure dans le DCT. Selon cette demande, le demandeur était séparé légalement de son épouse, et leur demande de divorce était en voie d’être finalisée.

[28]  Vu l’accord de garde mis à exécution le 8 novembre 2016 et la date de séparation du 1er août 2016 indiquée dans la demande de divorce, s’il est vrai que le demandeur n’a peut‑‑être pas compris qu’une séparation a des incidences sur un dossier d’immigration, il n’en demeure pas moins que les éléments de preuve au dossier démontrent qu’il était séparé de son épouse de l’époque depuis  2016, soit avant sa première demande de résidence permanente et avant sa deuxième demande de permis de travail datée du 22 novembre 2017.

[29]  Cela étant dit, le défendeur fait valoir que le demandeur a déclaré être marié, dans sa demande de permis de travail, alors que selon M. Martino, il n’existe aucune version papier de sa demande. Le demandeur a peut‑‑être fait une déclaration oralement, mais je n’en ai aucune preuve. Les seuls éléments de preuve dont je dispose sont la capture d’écran démontrant que le code de dispense C41 était sélectionné, ainsi que le permis de travail même, qui fait partie du DCT, et qui comporte la mention [traduction« CONJOINT D’UN TRAVAILLEUR QUALIFIÉ » dans les remarques ou observations.

[30]  Le demandeur affirme qu’il a répondu de façon honnête à toutes les questions qui lui ont été posées par l’agent de l’ASFC et qu’il n’a fait aucune fausse déclaration. Il s’était fondé sur le fait qu’à l’époque, lui et son épouse étaient, à toutes fins que de droit, toujours mariés. Il ajoute que si l’agent d’immigration le lui avait demandé, il aurait dit que son épouse et lui s’étaient séparés plus d’un an auparavant, et qu’ils avaient mis un accord de garde à exécution. Le demandeur soutient qu’il n’avait pas intentionnellement caché le fait qu’il était séparé, et qu’il ne savait tout simplement pas que l’expression « séparé légalement » existait et qu’elle s’appliquait à lui.

[31]  Comme nous l’avons vu, la jurisprudence énonce clairement qu’il incombe au demandeur de s’assurer que sa demande est complète et exacte, et qu’il sera interdit de territoire s’il fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, qui entraîne une erreur dans l’application de la LIPR. L’obligation de franchise exige la divulgation de faits importants, lesquels comprennent une modification de l’état matrimonial. L’exception à la règle sur les fausses déclarations est limitée et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important dont la connaissance échappait à sa volonté. Il n’est pas nécessaire que la fausse déclaration ait été faite intentionnellement, et une omission de bonne foi peut tout de même constituer une fausse déclaration (Tofangchi, aux par. 24 et 33 à 40; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au par. 15 (Baro); Jiang, au par. 3; Smith, au par. 10; Paashazadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 327, au par. 18; Appiah, au par. 18).

[32]  En l’espèce, l’agent a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur un fait important, à savoir son état matrimonial, ce qui a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, puisqu’il a obtenu un permis de travail du fait de cette présentation erronée. Le défendeur ne conteste pas le fait que la fausse déclaration par omission était de bonne foi, et je suis convaincu qu’elle l’était. Cependant, je suis quelque peu troublé de constater qu’il n’existe en l’espèce aucune version papier de la demande faisant état de la fausse déclaration ou de l’omission concernant la séparation, et que les instructions auxquelles l’agent renvoie n’ont pas explicitement été portées à l’attention du demandeur, et ne se trouvent pas dans le DCT. Il n’en demeure pas moins qu’il incombait au demandeur de s’assurer que ses déclarations étaient complètes. La connaissance de son état matrimonial n’échappait pas à son contrôle, et il aurait pu consulter le guide d’instructions pour mieux comprendre que, même s’il était toujours marié, sa situation personnelle était visée par la définition de « séparé légalement ». De plus, il aurait dû déclarer spontanément à l’agent d’immigration qu’il était séparé, plutôt que d’attendre de voir si on lui poserait une question à cet égard.

[33]  Notre Cour a conclu que la Section d’appel de l’immigration a déterminé à raison que l’état matrimonial du demandeur constitue un fait important à divulguer dans une demande de résidence permanente au Canada :

[17]  Bien sûr, on ne peut pas s’attendre à ce que les demandeurs anticipent les genres de renseignements que les agents d’immigration souhaitent peut‑‑être obtenir. Comme l’a noté la SAI en l’espèce, « il n’incombe pas à une personne de divulguer la totalité des renseignements qui pourraient être éventuellement pertinents ». Il faut examiner le contexte afin de décider si le demandeur ne s’est pas conformé à l’alinéa 40(1)a). 

[18]  En l’espèce, les agents canadiens chargés du traitement de la demande de résidence permanente de M. Baro, laquelle était fondée sur un parrainage conjugal, lui ont demandé une [traduction] « attestation de mariage ». Cette demande a manifestement éveillé l’attention de M. Baro sur le fait que ces agents voulaient savoir s’il s’était déjà marié. À mon avis, dans ces circonstances, M. Baro était obligé de révéler ses antécédents matrimoniaux. Certes, il s’est conformé à la demande de production d’un certificat officiel d’enregistrement de mariage. Cependant, le fait de se conformer à cette demande ne le dégageait pas de l’obligation de révéler son mariage antérieur et les mesures qu’il avait prises pour faire en sorte que sa première épouse soit présumée décédée. M. Baro n’aurait pas pu croire raisonnablement qu’il ne dissimulait pas des renseignements importants.

[34]  En l’espèce, le demandeur savait que son admissibilité à un permis de travail dépendait de son mariage avec son épouse qui était une travailleuse qualifiée. Même s’il ne savait pas que la définition de « séparé légalement » s’appliquait à sa situation, il avait une obligation de franchise qui exigeait de lui qu’il révèle sa séparation.

[35]  La décision de l’agent appelle la retenue, et elle est raisonnable car elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[36]  En terminant, je souligne que, dans ses observations, le demandeur affirme qu’il a deux fils qui étudient au Canada et qu’en tant que père, il doit demeurer au Canada pour prendre soin d’eux. L’agent a reconnu que le demandeur a deux fils mineurs au Canada et qu’il est dans leur intérêt supérieur qu’ils soient avec leurs parents naturels. Par contre, l’agent a souligné qu’aucun membre de la famille du demandeur n’a le statut de résident permanent, et qu’il est entendu que, étant des résidents temporaires, ils retourneront au Brésil à la fin de leur séjour autorisé. Compte tenu de ces commentaires, le défendeur fait valoir que l’intérêt supérieur des enfants n’a pas été compromis par la décision de l’agent, sans doute parce que la séparation serait de courte durée.

[37]  Or, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas, notamment parce que le demandeur a lui‑‑même demandé la résidence permanente, et parce que le cabinet KPMG a indiqué dans la demande du 21 septembre 2018 que son épouse allait poursuivre de manière indépendante les démarches lui permettant d’obtenir la résidence permanente au Canada. Dans ce cas, et dans l’éventualité où la demande de résidence permanente de son épouse et de ses enfants serait acceptée, la décision déclarant le demandeur interdit de territoire pourrait toutefois avoir des répercussions importantes pour les enfants, puisque la séparation durerait cinq ans, selon l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[38]  Cela étant dit, le commentaire de l’agent semble viser la réponse du demandeur à la lettre d’équité procédurale, où il était précisé que selon le paragraphe 3(1) de la LIPR, la réunification des familles au Canada est l’un des objectifs de la loi en matière d’immigration, et que le demandeur serait séparé de ses fils [traduction« pour une trop longue période, à un moment crucial de leur préadolescence, si l’on concluait à l’existence d’une fausse déclaration ». L’auteur de la réponse ajoute qu’une telle conséquence serait excessive par rapport à l’erreur commise dans la demande de permis de travail.

[39]  Je conviens que le demandeur pourrait invoquer la séparation de sa famille et sa déclaration inexacte faite de bonne foi au soutien d’une éventuelle demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, le demandeur n’affirme pas avoir voulu que l’agent se prononce sur une demande d’octroi de mesures fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, et il n’affirme pas non plus que c’est ce que l’agent a fait; et rien ne me permet de le croire. Par conséquent, étant donné que l’agent a raisonnablement conclu qu’une fausse déclaration avait été faite, il n’était pas tenu d’examiner si les conséquences de cette fausse déclaration étaient excessives.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑‑6186‑‑18

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que « le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration » remplace « le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté »;

  2. La demande est rejetée;

  3. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et l’espèce n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de décembre 2019.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑‑6186‑‑18

INTITULÉ :

COUBE DE CARVALHO RODRIGO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Rodrigo Coube De Carvalho

Pour le demandeur,

POUR SON PROPRE COMPTE

Christopher Crighton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada,

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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