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Date : 20051221

Dossier : T-199-05

Référence : 2005 CF 1726

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

TODD Y. SHERIFF ET SEGAL AND PARTNERS INC.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Un délégué du surintendant des faillites a suspendu la procédure disciplinaire engagée contre les syndics de faillite défendeurs en raison de ce qu'il considérait comme une omission persistante de l'analyste principale/affaires disciplinaires (analyste principale) de divulguer les documents pertinents en temps opportun ou de façon adéquate. En sa qualité de représentant du Bureau du surintendant des faillites, le procureur général du Canada sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                Le procureur général allègue que le délégué a commis une erreur de principe quand il a accordé la suspension. Plus exactement, le procureur général affirme que le délégué a mal compris l'étendue de l'obligation de divulguer la preuve dans un cas comme la présente espèce et qu'il a commis une autre erreur en concluant que l'analyste principale avait manqué à cette obligation.

[3]                De plus, le procureur général soutient que le délégué a commis une erreur en ne tenant pas pleinement compte de l'injustice qui découlerait de l'octroi de la suspension étant donné l'obligation du Bureau du surintendant des faillites (BSF) de protéger le public.

[4]                Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis convaincue que le délégué du surintendant n'a pas commis d'erreur en accordant la suspension des procédures. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Contexte

[5]                Pour bien situer dans leur contexte les questions soulevées dans la présente affaire, il est essentiel de comprendre leur historique, qui est long et complexe.

[6]                Le BSF contrôle l'administration des actifs et des affaires régis par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3. Il s'occupe notamment de la délivrance de licences aux syndics et de leur supervision, ainsi que de la détermination des normes professionnelles et de l'administration du processus disciplinaire établi pour les allégations de faute professionnelle.

[7]                Todd Sheriff est un syndic de faillite autorisé travaillant pour Segal and Partners Inc., laquelle est titulaire d'une licence de syndic pour personne morale. Dans la présente décision, les défendeurs sont appelés collectivement « les syndics » .

[8]                À la suite d'une plainte déposée par un créancier selon laquelle les syndics avaient brigué des procurations dans le cadre de l'administration d'un actif, une enquête a été lancée conformément aux dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. En conséquence de l'enquête, une analyste principale/affaires disciplinaires (analyste principale) a rédigé un rapport, daté du 29 juin 2001, qui soulignait des manquements répartis en sept catégories dans les pratiques des syndics.

[9]                À la suite de ce rapport initial, le Groupe national de vérification du BSF a mené une vérification qui a débouché sur la préparation d'un rapport supplémentaire daté du 25 octobre 2001 qui a révélé d'autres manquements dans les pratiques des syndics. Alors que le premier rapport portait sur le fait que les syndics n'auraient pas respecté les normes professionnelles, le deuxième traitait de fautes qui auraient porté atteinte aux intérêts de bénéficiaires d'actifs de faillis.

[10]            À l'origine, les deux rapports devaient servir de point de départ pour une procédure disciplinaire unique, mais il a plus tard été décidé que le deuxième rapport serait soumis pour examen à un arbitre différent.

           

[11]            En l'espèce, la procédure disciplinaire rattachée aux conclusions du premier rapport n'est pas expressément en question, même s'il est allégué que des problèmes de divulgation sont pertinents à la présente procédure.

[12]            Le surintendant des faillites a présidé lui-même la première audience disciplinaire et, dans une décision datée du 3 septembre 2002, il a conclu que les syndics avaient commis plusieurs manquements dans leur administration de certains actifs dont ils avaient la responsabilité.

[13]            L'un des sujets abordés à la première audience disciplinaire était le comportement apparemment malhonnête de Mme A, l'une des anciennes employées de Segal and Partners Inc. Mme A était l'administratrice principale des actifs dans les dossiers examinés à l'audience. En octobre 2000, les syndics l'ont congédiée pour détournement de fonds.

[14]            Avant même que la question de la peine appropriée ait pu être abordée, les syndics ont présenté une demande de suspension des procédures ou, subsidiairement, une demande de nouvel examen de la conclusion de faute professionnelle en raison de la découverte de nouveaux éléments de preuve concernant la malhonnêteté de Mme A, sous forme d'une lettre qui a été adressée en avril 2002 au Bureau du surintendant des faillites par l'employeur subséquent de Mme A et qui signalait le détournement des fonds d'un client par Mme A.

[15]            Dans une décision datée du 12 février 2003, le surintendant des faillites a refusé d'accorder une suspension des procédures, car il a conclu que, même si l'analyste principale aurait dû divulguer ce document aux syndics, les renseignements non divulgués n'auraient pas entraîné un résultat différent et n'auraient pas non plus poussé les syndics à suivre d'autres pistes susceptibles de mener à un autre résultat. Le surintendant des faillites a donc estimé qu'il n'y avait aucune raison d'accorder la tenue d'une nouvelle audience ou de suspendre les procédures.

[16]            Pour parvenir à cette conclusion, le surintendant des faillites a examiné le droit applicable en matière de divulgation préalable à l'audience dans les procédures administratives et a formulé plusieurs observations sur le droit à la divulgation dont bénéficie un syndic dans le cadre d'une audience disciplinaire.

[17]            Le surintendant des faillites a conclu notamment que l'obligation d'une divulgation complète dont a parlé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, relativement à l'avocat de la Couronne dans le contexte du droit criminel, s'appliquait aux analystes principaux/affaires disciplinaires « avec les adaptations nécessaires » . Selon le surintendant des faillites, le « rôle [de l'analyste principale] est de présenter tous les éléments d'information utiles au surintendant ou à son délégué juridictionnel afin qu'il puisse décider s'il y a eu inconduite professionnelle » .

[18]            Le surintendant des faillites a ensuite formulé les observations suivantes :

[Il n'y a] aucun doute dans mon esprit quant à l'obligation qui incombe à l'analyste principale de communiquer tous les éléments d'information utiles en sa possession, que cette communication soit requise par suite de son enquête ou pour toute autre raison. Pour examiner si les informations en question sont pertinentes ou non, le critère consiste dans la question de savoir non seulement si elles ont un rapport avec son réquisitoire, mais encore si elles ne seraient pas utiles pour la défense du syndic. En cas de doute, l'obligation de communiquer l'emporte et c'est à ce dernier de décider en fin de compte si, quand et comment il veut les produire en preuve.

[19]            Le surintendant des faillites a fait observer qu'il existe cinq exceptions à l'obligation de divulguer. Selon lui, une divulgation en temps opportun n'est pas exigée dans les cas suivants :

1.         Les éléments d'information en question n'ont visiblement rien à voir avec l'affaire;

2.         La non-divulgation s'explique par les règles applicables en matière de secret professionnel;

3.         Le retard dans la divulgation est nécessaire pour protéger les témoins;

4.         Le retard dans la divulgation est nécessaire pour la bonne fin de l'enquête;

5.         Les informations non divulguées ne sont pas en la possession du ministère public. [à la page 8]

[20]            Une demande de contrôle judiciaire de la décision du surintendant des faillites concernant la conclusion de faute de la part des syndics a alors été présentée. Avant même que cette demande puisse être entendue, l'audience disciplinaire découlant du deuxième rapport a commencé en novembre 2002 par la nomination du délégué du surintendant des faillites chargé d'entendre l'affaire.

[21]            Il ressort du dossier que les avocats des parties se sont parlés entre novembre 2002 et octobre 2003, mais rien n'indique que l'analyste principale a fait la moindre divulgation au cours de cette période. Les syndics croyaient de toute évidence qu'ils avaient déjà reçu en conséquence de la décision antérieure du surintendant des faillites tous les documents pertinents que l'analyste principale avait en sa possession.

[22]            En octobre 2003, l'analyste principale a été contre-interrogée sur l'affidavit qu'elle avait souscrit en réponse à la demande de contrôle judiciaire présentée par les syndics à l'encontre de la décision du surintendant des faillites dans la première procédure disciplinaire. Les syndics affirment que les réponses de l'analyste principale leur ont fait prendre conscience que le Bureau du surintendant des faillites avait vraisemblablement en sa possession d'autres renseignements pertinents à cette question.

[23]            Par voie de lettres datées du 13 février et du 3 mars 2004, les syndics ont donc demandé la production de certains documents précis se rapportant au rapport supplémentaire. Le 16 mars 2004, l'avocat du BSF a déposé plusieurs documents additionnels en précisant que le BSF estimait que ces documents n'étaient en fait pas pertinents pour les questions soulevées dans le rapport supplémentaire.

[24]            La deuxième audience disciplinaire devait commencer en mai 2004. Après avoir reçu divulgation des documents le 16 mars, les syndics ont cherché à faire reporter l'audience pour cause de divulgation tardive par l'analyste principale; ils ont également affirmé qu'il semblait que l'analyste principale avait en sa possession d'autres documents portant sur l'administration des fonds des tierces parties qu'elle n'avait pas encore produits.

[25]            Dans une lettre qu'ils ont envoyée au Bureau du surintendant des faillites le 14 avril 2004, les syndics ont décrit les documents supplémentaires dont ils souhaitaient obtenir la divulgation, notamment toutes les notes prises par l'analyste principale au cours de son enquête. Ils ont en outre demandé que tous les documents pour lesquels le secret professionnel était invoqué soient soumis au délégué afin qu'il détermine s'ils devaient être produits.

[26]            En réponse à cette lettre, le BSF a produit une autre série de documents et fait valoir une fois de plus que leur contenu n'avait absolument aucun lien avec les questions soulevées dans le rapport supplémentaire. Les documents n'ont pas été soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande, mais l'avocat m'informe que les documents supplémentaires divulgués par l'analyste principale au printemps de 2004 étaient très nombreux.

[27]            Dans une requête datée du 26 avril 2004, les syndics ont sollicité la suspension de la deuxième procédure disciplinaire [traduction] « en raison de la persistance avec laquelle l'analyste principale/affaires disciplinaires [...]a omis de divulguer des documents pertinents dans le cadre de la présente procédure disciplinaire et d'une autre procédure connexe » . Les syndics ont allégué que cette omission de l'analyste principale a porté atteinte à leur capacité d'opposer une défense pleine et entière aux allégations dont ils faisaient l'objet.

[28]            Le BSF a rétorqué que tous les documents pertinents avaient déjà été divulgués et que, même si tel n'était pas le cas, le recours qui conviendrait en l'espèce serait une ordonnance de divulgation supplémentaire et un ajournement, plutôt qu'une suspension de l'instance.

[29]            Dans une ordonnance datée du 10 juin 2004, le délégué a rejeté la demande de suspension déposée par les syndics. Le délégué a admis que l'analyste principale n'avait pas divulgué les documents en temps opportun, mais il a par contre fondé sa décision en partie sur sa conviction que l'analyste principale n'avait plus en sa possession de documents qui n'avaient pas déjà été divulgués et il a souligné qu'elle avait déclaré, dans l'affidavit qu'elle avait souscrit en réponse à la requête des syndics, s'être conformée à toutes les demandes de divulgation.

[30]            Le délégué a néanmoins accepté d'ajourner la procédure. L'audience devait désormais commencer le 22 novembre 2004. Elle a plus tard été reportée au 9 décembre 2004.

[31]            Pour se préparer à l'audience, l'analyste principale a examiné une fois de plus tous ses dossiers afin de s'assurer que tous les documents avaient été divulgués, même ceux qui avaient des liens ténus avec les questions en litige dans la procédure. Le 2 novembre 2004, l'analyste principale a envoyé aux syndics des copies de certains courriels auparavant jugés non pertinents, afin d'éviter que d'autres allégations d'absence de divulgation ne compromettent la tenue de l'audience.

[32]            Après avoir reçu les documents divulgués le 2 novembre 2004, les syndics ont une fois de plus demandé la suspension de la procédure. Dans une décision datée du 6 janvier 2005, le délégué a suspendu la deuxième procédure disciplinaire. Cette décision de suspendre les procédures est à l'origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

[33]            Avant d'examiner les motifs qui ont poussé le délégué à suspendre les procédures, il convient de souligner que l'analyste principale a divulgué aux syndics, le 27 janvier 2005, une autre série de documents relatifs à la procédure avant que le procureur général introduise la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du délégué.

Décision du délégué

[34]            Dans son examen de la demande de suspension présentée par les syndics, le délégué a fait l'historique de la procédure en soulignant que, lorsqu'il a rejeté leur première demande de suspension, l'analyste principale lui a assuré que tous les documents avaient été divulgués. Il a fait remarquer que, malgré cette assurance, d'autres documents ont néanmoins été divulgués aux syndics peu de temps avant la date fixée pour l'audience.

[35]            Le délégué a indiqué qu'il était impossible pour les syndics préciser quels documents auraient dû être produits mais ne l'avaient pas été. Il a ajouté que les syndics avaient fait valoir que, vu l'historique de la procédure, il leur était impossible de savoir quelles informations supplémentaires l'analyste principale pouvait avoir en sa possession.

[36]            Le délégué a souligné que les syndics avaient fait l'objet de deux procédures disciplinaires distinctes et que le résultat de chacune dépendait de la preuve qui lui était propre, mais il a néanmoins indiqué que les syndics avaient déjà été « ébouillantés » par l'analyste principale. Il a affirmé que, dans les circonstances, il comprenait parfaitement que les syndics craignent qu'il n'y ait pas eu divulgation complète. Il a d'ailleurs dit que le fait que la divulgation « ne sembl[ait]pas avoir de fin » le troublait.

[37]            Quand il a analysé si l'historique de l'affaire, en ce qui a trait à la question de la divulgation, devait donner ouverture à la réparation demandée, le délégué a examiné la nature et la gravité des allégations de faute avancées contre les syndics. À cet égard, il a déclaré « il est juste de dire que, même sans minimiser l'effet cumulatif, les déficiences alléguées [de la part des syndics] ne sont pas des plus graves » .

[38]            Le délégué a aussi fait observer que le droit des syndics de continuer d'exercer leur profession était en cause et constituait un autre facteur pertinent à prendre en considération.

[39]            Le délégué a ensuite analysé le droit relatif à l'obligation de divulgation dans le cadre de procédures disciplinaires comme la présente espèce et il a souligné que ce droit n'est plus contesté dans les cas de mesures disciplinaires professionnelles. Il a renvoyé à l'arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique Milner c. Registered Nurses Assn. of British Columbia, [1999] B.C.J. No. 2743. De plus, le délégué a estimé que si l'avocat de la défense doit faire preuve de diligence, on ne peut s'attendre à ce qu'il exige la divulgation de chaque document. Ce fardeau incombe plutôt à la partie qui a l'obligation de divulgation.

[40]            Invoquant l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, aux pages 264 à 265, le délégué a souligné que les renseignements non divulgués peuvent non seulement porter atteinte au droit à une défense pleine et entière, mais aussi priver la défense des possibilités réalistes d'examiner les utilisations possibles des renseignements non divulgués aux fins de l'enquête.

[41]            Tout en soulignant que la réparation appropriée en cas de défaut de divulguer serait habituellement une ordonnance de production ou l'ajournement, le délégué a dit qu'il lui était impossible de rendre une telle ordonnance en l'espèce parce que l'analyste principale lui avait assuré une fois de plus qu'il n'y avait aucun autre document à divulguer. Selon le délégué, l'examen de l'historique de l'affaire l'a amené, comme les syndics, à ne ne plus avoir confiance dans le processus.

[42]            Le délégué a ensuite examiné si les circonstances justifiaient la suspension des procédures. Il a rappelé que la Cour suprême du Canada a dit dans l'arrêt R. c. Taillefer, [2003] 3 R.C.S. 307, 2003 CSC 70, que l'arrêt des procédures ne doit être ordonné que dans les cas les plus manifestes. S'interrogeant quant à savoir s'il s'agissait d'un tel cas, le délégué a dit :

Au mieux, nous avons affaire à un cas marginal, mais lorsque je soupèse les intérêts des syndics et ceux de l'État, qui cherche à punir l'inconduite reprochée, je conclus que la balance penche en faveur des syndics. Les manquements qui leur sont reprochés ne sont pas des plus graves. Dans un jugement rendu dans une affaire connexe, le surintendant a conclu que les syndics n'avaient pas bénéficié d'une complète divulgation. Dans le présent cas, on les avait assurés que la divulgation était complète, mais d'autres documents leur ont été divulgués par la suite. L'intégrité du processus est remise en question et, par conséquent, leur droit à une défense pleine et entière et leur capacité de présenter une défense pleine et entière sont également remis en question. [aux pages 7-8]

[43]            En conséquence, le délégué a conclu qu'il était indiqué de suspendre les procédures.

Questions en litige

[44]            La présente demande soulève les questions suivantes :

            1.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Quelle est l'étendue de l'obligation de divulgation de l'analyste principale?

            3.          L'analyste principale a-t-elle manqué à son obligation de divulgation?

            4.         Quels sont les critères pertinents pour accorder une suspension des procédures?

            5.          Compte tenu des circonstances de l'espèce, le délégué a-t-il commis une erreur en suspendant les procédures disciplinaires?

Quelle est la norme de contrôle applicable?

[45]            Les parties conviennent que la suspension des procédures est une réparation discrétionnaire et qu'une cour de révision ne devrait pas intervenir à la légère dans la décision d'accorder ou de ne pas accorder une suspension dans des circonstances données. Les deux parties renvoient aux observations de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 87, où elle a confirmé qu'une intervention ne sera justifiée que si l'arbitre s'est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice.

[45]

[46]            Il convient toutefois de souligner qu'il s'agissait, dans l'arrêt Tobiass, de l'examen en appel de la décision d'un juge de première instance ayant accordé une suspension et non du contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal administratif de suspendre des procédures.

[47]            Dans la décision Sheriff c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 399, 2005 CF 305, la Cour a été appelée à se prononcer sur la norme applicable à un contrôle judiciaire du refus du surintendant des faillites de suspendre la première procédure disciplinaire intentée contre les syndics. La Cour a conclu que la décision de suspendre ou non des procédures comporte des questions mixtes de fait et de droit et que la norme de contrôle applicable pour déterminer le bien­fondé de la décision du surintendant des faillites à l'égard de la demande de suspension est celle de la décision raisonnable [au paragraphe 32].

[48]            Les pouvoirs du surintendant des faillites ont été délégués en l'espèce, mais je ne vois aucune raison d'appliquer une norme de contrôle différente à la décision du délégué de suspendre les procédures.

[49]            Toutefois, avant d'en finir avec la question de norme de contrôle, il convient de souligner que la décision du délégué de suspendre les procédures comporte certaines conclusions de droit, notamment en ce qui concerne l'étendue de l'obligation de divulgation de l'analyste principale et la détermination du critère approprié pour accorder une suspension des procédures. La norme de la décision correcte s'applique à ces conclusions de droit : Sheriff, au paragraphe 32.

Quelle est l'étendue de l'obligation de divulgation de l'analyste principale?

[50]            La première question à trancher est celle de savoir si le délégué a commis une erreur en ce qui a trait à l'étendue de l'obligation de divulgation de l'analyste principale. Pour le procureur général, le délégué a conclu à tort que les syndics avaient droit à une norme élevée de divulgation, semblable à celle qui est exigée dans le contexte du droit criminel, et cette erreur motive en grande partie la décision du délégué. Le procureur général affirme que le délégué s'est fondé sur des considérations erronées en droit concernant la norme de divulgation applicable et n'était donc pas en mesure d'évaluer correctement si le manquement à cette obligation justifiait la suspension des procédures. En conséquence, la décision du délégué ne peut pas être maintenue.

[51]            En alléguant que le délégué s'est fondé sur des considérations erronées sur la question du degré de divulgation exigé dans une procédure comme la présente espèce, le procureur général fait remarquer que la procédure disciplinaire ne donnera pas lieu à des sanctions pénales et qu'elle n'aura pas automatiquement pour conséquence d'empêcher les syndics d'exercer leur profession.

[52]            Le procureur général soutient en outre que les procédures en question n'étaient pas des procédures disciplinaires au sens conventionnel, comme dans le cas de médecins ou d'avocats. Elles concernent plutôt les conditions de licences délivrées aux syndics, en qualité de syndics autorisés en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, pour s'acquitter des responsabilités que leur délègue le Bureau du surintendant des faillites. Le procureur général affirme que la Loi conférant un monopole limité aux syndics qui sont chargés d'offrir certains services aux créanciers et aux débiteurs, le surintendant des faillites assume une responsabilité beaucoup plus directe sur les agissements des syndics autorisés que ce ne serait le cas pour des affaires ordinaires de discipline professionnelle.

[53]            Le procureur général soutient que, dans les circonstances, l'obligation de l'analyste principale se borne à exiger la divulgation des éléments sur lesquels le rapport est fondé, de façon à ce que les syndics puissent connaître les arguments qu'ils doivent réfuter et soient en mesure de présenter leur point de vue. Le procureur général invoque à l'appui de sa prétention la décision de la Cour dans l'affaire Sheriff, précitée, au paragraphe 47.

           

[54]            Il convient de souligner qu'il s'agissait, dans la décision Sheriff, du contrôle judiciaire de la décision de ne pas suspendre les procédures après qu'une décision eut été rendue sur le bien­fondé de la procédure relative à une faute professionnelle. Le juge avait tenu compte du fait que la procédure en question n'avait pas, dans les faits, débouché sur la radiation du statut professionnel des syndics, alors que dans la présente affaire, ce statut est encore fortement menacé.

[55]            Ce qui est plus important toutefois, la décision Sheriff semble aller à l'encontre de nombreuses décisions portant sur les obligations qui seront imposées en matière de divulgation faites à la partie poursuivante dans des cas de discipline professionnelle. Selon cette jurisprudence, qui comprend l'arrêt Milner de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, cité par le délégué, l'équité procédurale exige de façon générale que la partie poursuivante divulgue complètement et en temps opportun aussi bien les preuves inculpatoires que les preuves potentiellement disculpatoires : voir aussi The Regulation of Professions in Canada, de James T. Casey (Toronto : Carswell, 1994), aux pages 8.23 à 8.26.

[56]            Lorsqu'ils imposent des obligations aussi lourdes à la partie poursuivante, les tribunaux sont souvent influencés par la gravité éventuelle des conséquences d'une conclusion de faute professionnelle pour le membre d'une profession réglementée, tant sur le plan de sa réputation professionnelle que sur celui de sa capacité de gagner sa vie.

[57]            Il convient aussi de souligner que la décision Sheriff ne fait pas l'unanimité. Dans la décision Sam Lévy & Associés Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [2005] A.C.F. no 882, 2005 CF 702, le juge Martineau s'inscrit en faux contre la façon dont la Cour caractérise le processus disciplinaire et contre sa détermination de la nature des droits en jeu dans les questions de discipline professionnelle mettant en cause des syndics autorisés.

[58]            Il convient enfin de souligner que la personne chargée d'administrer les dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité qui traitent de délivrance des licences, soit le surintendant des faillites, estimait lui aussi que l'obligation de divulgation qui incombe à un analyste principal s'apparente à celle qui a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stinchcombe.

[59]            Pour les motifs susmentionnés, je suis convaincue que le délégué a correctement cerné l'étendue de l'obligation de divulgation incombant à l'analyste principale dans des affaires disciplinaires comme la présente espèce.

[60]            Le délégué ayant correctement déterminé la norme de divulgation applicable, la question qui se pose ensuite est de savoir s'il a conclu à tort que cette norme n'avait pas été respectée.

L'analyse principale a-t-elle manqué à son obligation divulgation?

[61]            Le procureur général soutient que l'analyste principale n'a pas manqué en l'espèce à son obligation de divulguer les documents en temps opportun. Les syndics ont demandé des documents précis à deux reprises, soit en mars et en avril 2004, et ces documents ont été produits. En novembre 2004, l'analyste principale a divulgué d'autres documents [traduction] « par mesure de prudence » .

[62]            Selon le procureur général, le rapport supplémentaire préparé à la suite de la vérification des pratiques des syndics a établi les paramètres initiaux des éléments qui étaient pertinents en l'espèce. Le procureur général prétend que l'analyste principale [traduction] « a été informée » , au fur et à mesure du processus, de ce que les syndics considéraient comme les questions en litige dans cette affaire. D'autres divulgations ont été faites à mesure que ces questions ont été précisées.

           

[63]            Le procureur général soutient qu'il n'y a pas ici de preuve irréfutable, c'est-à-dire qu'il n'y a aucun document manifestement pertinent qui aurait dû être produit mais ne l'a pas été. La pertinence des documents qui ont été produits à la dernière minute était si faible qu'on comprend sans peine pourquoi ils n'avaient pas été produits plus tôt. Le procureur général affirme qu'il serait injuste que la Cour analyse rétrospectivement la question, étant donné que la pertinence possible des documents n'est devenue apparente qu'au moment où l'on a compris quels arguments les syndics entendaient invoquer.

[64]            Enfin, le procureur général prétend que le délégué a commis une erreur en concluant que l'analyste principale avait manqué à son l'obligation de divulgation sans avoir examiné les documents en question.

[65]            Pour commencer par le dernier argument, un examen rapide des motifs du délégué peut donner l'impression, à première vue, qu'il n'a peut-être pas examiné de près les documents produits par l'analyste principale en novembre 2004, mais une analyse plus approfondie des motifs invoqués révèle qu'il n'en est rien. Lorsque le délégué affirme qu'il n'a pas « examiné la question en détail » , il est manifeste qu'il veut dire qu'il a cherché à savoir si les documents en question « contiennent de nouveaux éléments de preuve importants sur la participation de l'analyste principale au processus de vérification » . Cela ne signifie pas qu'il n'a pas examiné de près les documents eux-mêmes.

[66]            Le délégué a admis qu'il n'y a pas en l'espèce de preuve irréfutable et il a reconnu franchement que les syndics ne pouvaient indiquer un document en particulier qui, selon eux, aurait dû être produit mais ne l'a pas été. Toutefois, les syndics, et aussi le délégué, s'inquiétaient non pas de l'omission de produire des documents, mais plutôt de la menace pour l'intégrité du processus posée par les actes de l'analyste principale, laquelle avait continué de produire des documents liés à l'affaire après que le surintendant des faillites l'eut réprimandée pour ne pas avoir fait les divulgations requises dans une procédure apparentée - alors que le délégué avait conclu auparavant à l'absence d'une divulgation en temps opportun dans cette même affaire et après aussi avoir affirmé à plusieurs reprises, tant aux syndics qu'au délégué, qu'il y avait déjà eu divulgation complète des documents.

[67]            Pour déterminer si le délégué a tiré à tort cette conclusion, il importe de garder à l'esprit que l'affaire devait à l'origine être entendue en 2003. L'affaire n'a été dissociée de la procédure dont avait saisi le surintendant des faillites qu'une fois la décision prise, en septembre 2002, de la renvoyer à un arbitre différent. En février 2003, le surintendant des faillites a reproché à l'analyste principale de ne pas avoir divulgué les documents pertinents dans la première procédure disciplinaire mettant en cause les syndics. Toutefois, rien n'indique que l'analyste principale a divulgué des documents entre octobre 2002 et le printemps 2004. Qui plus est, des documents n'ont été divulgués au printemps 2004 qu'après que l'avocat des syndics en eut fait la demande.

[68]            J'ai aussi tenu compte de l'argument du procureur général suivant lequel l'importance potentielle des documents produits en novembre 2004 n'est devenue manifeste qu'après que l'analyste principale eut été « informée » de la façon dont les syndics voyaient la question. Cet argument est à première vue attrayant, mais il n'est pas étayé par la preuve. Dans l'affidavit qu'elle a souscrit à l'appui de la présente demande, l'analyse principale fait un historique très détaillé de la procédure. Toutefois, bien qu'elle explique ce qui s'est passé entre la divulgation faite en avril 2004 et la production de nouveaux documents en novembre 2004, son témoignage n'indique pas que les syndics ont fourni au cours de cette période des précisions sur les questions en litige.

[69]            Il convient de rappeler qu'il appartient à l'analyste principale de de divulguer les documents au moment opportun et que cette obligation n'est pas tributaire d'une demande faite par l'avocat des syndics dont la conduite fait l'objet d'un examen. Je suis convaincue, après avoir examiné les documents produits en novembre 2004 et reconnaissant que la norme permettant d'établir la pertinence est peu exigeante, qu'on peut affirmer que les documents en question étaient pertinents à la cause des syndics. À cet égard, je souscris au raisonnement des syndics exposé aux paragraphes 60 à 67 de leur exposé des faits et du droit.

[70]            De plus, après avoir soigneusement examiné l'historique de l'affaire, je suis convaincue que le délégué pouvait raisonnablement à conclure que l'analyste principale n'avait pas divulgué les documents en temps opportun.

[71]            Avant d'examiner le critère applicable pour décider s'il convient ou non d'accorder une suspension dans une situation donnée, j'aimerais simplement souligner que s'il est effectivement préoccupant que l'analyste principale ait de toute évidence jugé nécessaire de divulguer d'autres documents en janvier 2005, ce fait n'a joué aucun rôle dans ma réflexion étant donné que la divulgation faite en janvier est postérieure à la décision du délégué : voir à cet égard les commentaires faits au paragraphe 21 de la décision Sheriff.

Quels sont les critères pertinents pour accorder une suspension des procédures?

[72]            Les parties conviennent qu'il y a deux raisons distinctes pour lesquelles une instance décisionnelle peut ordonner la suspension des procédures pour remédier à l'absence de divulgation : la suspension peut être accordée si l'équité de l'audience a été compromise ou si l'audience, ou la poursuite, porterait atteinte à l'intégrité du système judiciaire et constituerait à ce titre un abus de procédure.

[73]            Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Tobiass, précité, au paragraphe 90, une fois encore dans le contexte criminel :

S'il appert que l'État a mené une poursuite de façon à rendre les procédures inéquitables ou qu'il a porté par ailleurs atteinte à l'intégrité du système judiciaire, il faut satisfaire à deux critères pour que la suspension constitue une réparation convenable. Les voici :

(1)      le préjudice causé par l'abus en question sera révélé, perpétué ou aggravé par le déroulement du procès ou par son issue;

(2)      aucune autre réparation ne peut raisonnablement faire disparaître ce préjudice.

[74]            La suspension des procédures est une réparation draconienne qui, comme le fait observer le délégué dans sa décision, ne doit être accordé que dans les cas les plus manifestes : voir R. c. Taillefer, précité.

[75]            Il ressort de l'examen des observations du procureur général que celui-ci ne conteste nullement le critère appliqué par le délégué pour décider s'il y avait lieu d'accorder ou non la suspension des procédures. Le procureur général remet plutôt en question la façon dont le délégué a déterminé et apprécié plusieurs facteurs avant de conclure qu'il convenait de suspendre les procédures. Nous allons maintenant nous pencher sur cet aspect de la question.

Compte tenu des circonstances de l'espèce, le délégué a-t-il commis une erreur en suspendant les procédures disciplinaires?

[76]            Le procureur général affirme que le délégué a commis plusieurs erreurs quand il a décidé de suspendre les procédures disciplinaires, car, selon lui, il ne s'agit pas d'un « cas des plus manifestes » et il n'a pas été établi que la divulgation tardive aurait causé un préjudice aux syndics.

[77]            Le procureur général estime que le délégué a aussi commis une erreur quand il a minimisé la gravité des accusations portées contre les syndics. À cet égard, il affirme que le délégué a de toute évidence commis une erreur en concluant que les allégations contre les syndics « ne sont pas des plus graves » . Selon le procureur général, cette conclusion ne tient pas compte de la responsabilité du Bureau du surintendant des faillites, qui est de protéger l'intérêt du public en veillant à ce que les syndics autorisés agissent avec compétence et honnêteté.

[78]            Le procureur général ajoute que le délégué s'est en outre trompé lorsqu'il a conclu que « le droit des syndics de continuer à exercer leur profession [était]en cause » . À cet égard, il renvoie aux observations faites dans la décision Sheriff, précitée, où la Cour a dit que la procédure disciplinaire en question n'avait pas débouché sur la radiation du statut professionnel des syndics.

[79]            Le procureur général affirme que le délégué s'est posé la mauvaise question quand il a conclu que l'intégrité du processus avait subi une atteinte irrémédiable. Selon le procureur général, le délégué a tenu compte des opinions des syndics au lieu de déterminer s'il avait été objectivement établi qu'il serait injuste d'autoriser la poursuite des procédures. Par contre, le procureur général fait valoir qu'il serait injuste d'empêcher le Bureau du surintendant des faillites de s'acquitter de son mandat d'intérêt public, c'est-à-dire veiller à ce que les syndics autorisés s'acquittent de leurs fonctions avec compétence et honnêteté.

[80]            Enfin, le procureur général estime que le délégué a commis une erreur en n'examinant pas d'autres solutions que la suspension.

[81]            En ce qui concerne la question du préjudice, le procureur général soutient qu'étant donné qu'il n'avait pas convenablement examiné les documents, le délégué n'a pas pu conclure que les syndics avaient subi un préjudice. Cependant, comme je l'ai déjà dit, je suis convaincue que le délégué a en fait examiné les documents divulgués en novembre 2004. J'ai en outre conclu que les documents étaient sans doute pertinents à la procédure disciplinaire.

[82]            Il faut en outre garder à l'esprit que ce qui préoccupait vraiment le délégué n'était pas la divulgation tardive d'un document en particulier, mais plutôt le fait que la divulgation ne semblait pas avoir de fin, après que l'analyste principale eut été critiquée pour ne pas avoir fait les divulgations en temps voulu dans la première procédure, après que le délégué eut lui­même conclu dans sa décision de juin 2004 que les divulgations n'avaient pas été faites à temps et après que des assurances eurent été données que tous les documents pertinents avaient été produits.

[83]            Je ne suis pas non plus convaincue que le délégué a également commis une erreur, comme l'affirme le procureur général, quand il a minimisé la gravité des accusations portées contre les syndics. Même s'il est allégué que les pratiques des syndics comportaient de nombreuses lacunes qui dénotaient une absence grave de contrôle interne et de compétence administrative, rien n'indique que des fonds ont été détournés ou que des infractions de même gravité ont été commises par le syndic lui­même ou par le syndic corporatif. En fait, le vérificateur reconnaît dans son rapport que les manquements allégués pourraient en eux­mêmes [traduction] « être considérés comme relativement mineurs » . Il semble donc que le délégué a eu raison de dire que les allégations avancées contre les syndics « n'étaient pas des plus graves » .

[84]            Il ressort clairement d'un examen de la décision du délégué que celui-ci était bien conscient de l'obligation du Bureau du surintendant des faillites de protéger l'intérêt du public en veillant à ce que les syndics autorisés agissent avec compétence et honnêteté. Il a d'ailleurs expressément parlé de « [l'intérêt]de l'État, qui cherche à punir l'inconduite reprochée » .

[85]            Je ne crois pas non plus que le délégué a conclu à tort que « le droit des syndics de continuer à exercer leur profession [était] en cause » . Comme il a déjà été souligné dans la présente décision, les commentaires de la Cour dans la décision Sheriff ont été formulés rétrospectivement, une fois le processus disciplinaire terminé dans la première procédure. La Cour était donc bien placée pour savoir quelle peine avait été finalement infligée aux syndics dans cette affaire. Mais la situation est ici différente, car les syndics risquent fort de perdre leur licence. Comme l'a fait observer la Cour suprême du Canada, une norme élevée d'équité procédurale est exigée dans de tels cas : Kane c. University of British Columbia, [1980] 1 R.C.S. 1105, au paragraphe 31.

[86]            Un examen de la décision du délégué ne confirme pas non plus, comme l'affirme le procureur général, que le délégué s'est posé la mauvaise question pour conclure que l'intégrité du processus avait subi une atteinte irrémédiable. Dans sa décision, le délégué résume les préoccupations des syndics qui croyaient que l'analyste principale avait en sa possession d'autres documents susceptibles de les aider et qui estimaient, vu l'historique des procédures en ce qui a trait à la question de la divulgation, être incapables de croire l'analyste principale quand elle affirmait qu'il y avait effectivement eu divulgation complète des documents. Il est vrai que le délégué ajoute qu'il comprend cette inquiétude. Il ressort toutefois clairement de son analyse que non seulement il comprenait les préoccupations des syndics, il les partageait. Je ne suis donc pas persuadée que le délégué a fondé sa décision sur les préoccupations subjectives des syndics, mais qu'il a plutôt évalué objectivement ces préoccupations.

[87]            Enfin, en ce qui concerne l'allégation que le délégué n'a pas bien examiné les autres solutions qui existaient, il ressort clairement de sa décision qu'il a effectivement analysé la question des autres réparations possibles et qu'il les a rejetées :

Comme je l'ai dit le 10 juin 2004 [...] la réparation qu'il convient d'accorder pour un défaut de divulguer, au procès, est « une ordonnance de production ou l'ajournement. » Par contre, je suis incapable de rendre une telle ordonnance dans les circonstances où l'analyste principale m'assure (comme elle l'a fait une fois auparavant) qu'il n'existe aucun autre document qui devrait être divulgué [...] [à la page 7]

[88]            De plus, l'avocat du procureur général a admis dans son argumentation que lorsque les actes reprochés à la poursuite sont de nature à faire perdre confiance en l'intégrité du processus, il n'existe aucune autre mesure, tel l'ajournement, permettant de réparer le tort causé.

Conclusion

[89]            Le délégué a reconnu en toute franchise qu'il est venu près de ne pas accorder la suspension des procédures; j'estime d'ailleurs que d'autres personnes auraient raisonnablement pu arriver à une conclusion différente quant au bien-fondé d'une suspension en l'espèce. Mais cela ne suffit pas à justifier l'annulation de la décision examinée.

[90]            Pour les motifs susmentionnés, je suis en outre convaincue que le délégué a appliqué le critère juridique pertinent, qu'il a correctement déterminé les facteurs pertinents et qu'il a attribué à chaque facteur l'importance qui lui semblait correcte pour pondérer les intérêts sociétaux opposés en l'espèce. D'autres auraient sans doute pu accorder une importance différente à ces facteurs, mais il m'est impossible de conclure que la décision du délégué était déraisonnable.

[91]            En conséquence, je ne suis pas convaincue que le délégué a commis une erreur susceptible de contrôle. C'est pourquoi la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

« Anne Mactavish »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-199-05

INTITULÉ :                                                               PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                                                   TODD Y. SHERIFF ET SEGAL AND

                                                                                   PARTNERS INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      Le 5 décembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               la juge Mactavish

DATE DES MOTIFS :                                              Le 21 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Ian Dick                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Craig Colraine                                                             POUR LES DÉFENDEURS

                                                                                                                                                          

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN S. SIMS, c.r.

Sous­procureur général du Canada                               POUR LE DEMANDEUR

BIRENBAUM, STEINBERG, LANDAU

SAVIN & COLRAINE

Toronto (Ontario)                                                         POUR LES DÉFENDEURS

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