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Date : 20191122


Dossier : IMM‑2082‑19

Référence : 2019 CF 1486

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

COUMBA BATHILY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, Coumba Bathily, est une citoyenne de la France qui a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’immigration portant sur cette demande CH, la demanderesse soutient que son droit à l’équité procédurale a été violé, puisque l’agente s’est appuyée sur une affirmation non fondée selon laquelle elle s’était dérobée aux représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) durant cinq mois, et ce, sans lui donner à la possibilité de réfuter cette allégation.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’agente a violé le droit à l’équité procédurale de la demanderesse puisqu’elle s’est appuyée sur une allégation non fondée qui ne figurait pas au dossier.

Contexte

[3]  Madame Bathily est la mère d’un fils de 10 ans, Mady, qui est de citoyenneté française, et d’un fils de 3 ans, Idriss, qui est de citoyenneté canadienne. Sa demande CH était fondée sur son établissement au Canada, l’intérêt supérieur de ses enfants et le préjudice que lui ferait subir sa famille en France.

[4]  Madame Bathily craint sa famille en raison des croyances et des pratiques religieuses islamiques extrêmes de cette dernière. Quand la demanderesse était adolescente, sa famille l’a obligée à épouser un oncle et a tenté de la forcer à subir une mutilation génitale féminine. Par la suite, alors qu’elle était une jeune adulte, sa famille l’a contrainte à épouser un deuxième oncle. Madame Bathily affirme que le fait qu’elle ne soit pas une adepte de l’islam et qu’elle ait eu un enfant hors mariage mettrait sa famille en colère, et qu’elle a peur que celle-ci ne lui fasse du mal et ne lui prenne ses enfants si elle retourne en France. En outre, Mme Bathily craint pour la sécurité de son fils aîné, Mady, car son père a menacé de l’enlever et de l’amener au Mali.

[5]  Après le rejet de sa demande d’asile, Mme Bathily a présenté une demande CH le 5 décembre 2018.

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La demande CH de Mme Bathily a été rejetée.

[7]  Dans sa décision, l’agente a déclaré que, même si Mady subirait les conséquences d’une conclusion défavorable relative à la demande, celles-ci ne nuiraient pas à son intérêt supérieur. L’agente a noté que les [traduction] « difficultés de sa mère avec les services d’immigration nuis[ai]ent au bien-être émotionnel et au développement de Mady » et qu’une plus grande stabilité serait dans son intérêt supérieur (décision et motifs relatifs à la demande CH, à la p. 4). Elle a également indiqué que les tribunaux français avaient accordé des droits de visite au père de Mady, et que celui‑ci pouvait faire partie de la vie de son fils en France, mais pas à Victoria. De plus, l’agente a constaté qu’il n’y avait guère d’éléments dans le dossier qui laissaient croire que le père de Mady avait menacé de l’enlever ou qu’un éventuel enlèvement était une préoccupation constante. Elle a cité la réunion du père et de l’enfant ainsi que la citoyenneté française et la maîtrise du français de ce dernier comme facteurs atténuant les répercussions négatives d’un retour en France. Elle a également noté que Mady avait vécu en France pendant six ans et qu’il [traduction] « conn[aissait] vraisemblablement encore bien la vie dans ce pays » (décision et motifs relatifs à la demande CH, à la p. 4).

[8]  De même, l’agente a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur d’Idriss de rester avec sa mère et son frère aîné, et que [traduction] « l’incertitude persistante au sujet du statut d’immigration de sa famille au Canada a[vait] un effet émotionnel négatif » sur lui (décision et motifs relatifs à la demande CH, à la p. 5). L’agente a noté qu’Idriss bénéficierait d’une décision favorable relative à la demande, puisqu’il n’avait jamais vécu en France. Elle a également fait remarquer qu’il allait à la garderie et qu’il [traduction] « particip[ait] aux programmes » offerts à Victoria. L’agente a ajouté qu’en tant que [traduction] « citoyen canadien, Idriss ne risqu[ait] pas de devoir quitter le Canada ou d’être séparé de ses parents si la demande [était] rejetée » parce que sa mère n’avait pas manifesté son intention de le laisser au pays advenant le rejet de sa demande (décision et motifs relatifs à la demande CH, à la p. 5).

[9]  L’agente a conclu que, même si le retour de Mme Bathily en France aurait des [traduction] « répercussions mesurables sur son bien‑être mental », celle‑ci n’avait pas démontré qu’elle ne pourrait avoir accès à un traitement adéquat dans son pays. De même, l’agente a constaté que, même si Mme Bathily avait un certain degré d’établissement au Canada, celui‑ci était modeste en raison de son incapacité à trouver un emploi [traduction] « durable » et du fait qu’elle aurait cherché à éviter les représentants de l’ASFC. L’agente a fait observer que même si Mme Bathily et ses enfants étaient victimes d’un crime ou de discrimination en France, cette dernière n’avait pas démontré qu’ils ne seraient pas en mesure de demander réparation. Enfin, l’agente a conclu que le fait que Mme Bathily se soit prétendument soustraite aux représentants de l’ASFC pendant cinq mois [traduction] « rédui[sait] au minimum le poids [qu’elle] accord[ait] au degré d’établissement de la demanderesse au Canada » (décision et motifs relatifs à la demande CH, à la p. 6).

Question en litige et norme de contrôle

[10]  La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions relatives à la décision de l’agente; toutefois, la question déterminante dans le présent contrôle judiciaire est celle de l’équité procédurale, qui découle de la conclusion de l’agente selon laquelle Mme Bathily s’était soustraite aux représentants de l’ASFC pendant cinq mois. Je refuse donc d’aborder les autres questions.

[11]  La norme de contrôle à appliquer dans une affaire de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43).

Analyse

[12]  Madame Bathily affirme que l’allégation de l’agente selon laquelle elle s’est dérobée aux représentants de l’ASFC pendant cinq mois, soit d’octobre 2018 à mars 2019, est sans fondement puisque rien ne prouve que cela ait bel et bien été le cas. Elle soutient que l’agente s’est fondée sur cette allégation pour minimiser son degré d’établissement au Canada, ce qui a nui à l’évaluation de l’intérêt supérieur de ses enfants. Madame Bathily n’a pas eu la possibilité de répondre à cette allégation.

[13]  La présente affaire est semblable à l’affaire Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824 [Begum], dans laquelle un agent s’était fondé sur une preuve extrinsèque sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre. La Cour a défini la preuve extrinsèque, dans le contexte d’une décision relative à une demande CH, comme une preuve qui ne fait partie ni des observations du demandeur ou du défendeur ni du dossier communiqué du tribunal (Begum, au par. 37). Si des renseignements extrinsèques ont « servi à tirer une conclusion qui pourrait avoir eu une incidence sur l’issue de la demande CH », l’agent devrait transmettre ces renseignements au demandeur pour que celui‑ci y réponde (Begum, au par. 46). Dans la décision Begum, la Cour a conclu que le fait que l’agent se soit appuyé sur de tels éléments de preuve sans donner aux demandeurs la possibilité de répondre constituait un manquement à l’équité procédurale (Begum, au par. 44).

[14]  Un examen de la décision de l’agente montre qu’elle a utilisé l’allégation selon laquelle la demanderesse se serait dérobée aux représentants de l’ASFC comme motif pour minimiser le poids favorable accordé à l’établissement de cette dernière au Canada. L’agente a souligné que la conclusion selon laquelle Mme Bathily s’était soustraite aux représentants de l’ASFC [traduction] « rédui[sait] au minimum le poids [qu’elle] accord[ait] au degré d’établissement de la demanderesse au Canada » (décision et motifs relatifs à la demande CH, à la p. 6). De même, dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a formulé des commentaires sur des éléments comme [traduction] « les difficultés [de leur mère] avec les services d’immigration » et [traduction] « l’incertitude persistante découlant des difficultés de [la] famille avec les services d’immigration », ce qui donne à penser que, selon elle, la tentative alléguée de Mme Bathily pour éviter les représentants de l’ASFC avait eu un effet négatif sur les enfants (décision et motifs relatifs à la demande CH, aux p. 4 et 5).

[15]  Le seul élément de preuve au dossier portant sur la tentative alléguée de la demanderesse de se dérober aux représentants de l’ASFC figure dans la décision de l’agente. Si cette dernière possédait la preuve que Mme Bathily s’était soustraite aux représentants de l’ASFC, et qu’elle ne l’a pas divulguée, la situation est semblable à celle de l’affaire Begum, et Mme Bathily aurait dû avoir eu la possibilité de répondre. Si une telle preuve n’existait pas, et que l’agente a fait erreur en ce qui concerne les faits, Mme Bathily aurait quand même dû avoir eu la possibilité de répondre à l’allégation. Quoi qu’il en soit, l’information invoquée par l’agente — information manifestement importante pour l’issue de la demande CH — ne figurait pas au dossier. Comme dans l’affaire Begum, le fait que l’agente se soit fondée sur des renseignements extrinsèques sans donner à Mme Bathily la possibilité de répondre constitue un manquement à l’équité procédurale.

[16]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[17]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑2082‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de décembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2082‑19

 

INTITULÉ :

COUMBA BATHILY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 octobRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 2 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Darcy Golden

POUR LA DEMANDERESSE

Edward Burnet

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Golden & Golden Law

Avocats

Victoria (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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