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Date : 20191105


Dossier : IMM-2070-19

Référence : 2019 CF 1383

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 5 novembre 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

MAHMOOD EL NOURI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

  défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée par Monsieur Mahmood El Nouri à l’encontre de la décision du 12 mars 2019, par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a décidé que les considérations d’ordre humanitaire invoquées n’étaient pas suffisantes pour lui permettre d’accueillir l’appel et a donc confirmé la mesure d’interdiction de séjour prise le 27 février 2017 par le représentant du ministre à l’égard du demandeur.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  CONTEXTE

[3]  En 1992, M. El Nouri, un citoyen libanais, a obtenu le statut de résident permanent au Canada pour la première fois, à titre d’enfant à charge de son père. Toutefois, les membres de la famille ont choisi de ne pas demeurer au Canada et ont donc perdu leur statut. Le 5 juillet 2007, M. El Nouri a obtenu le statut de résident permanent pour la deuxième fois, toujours à titre d’enfant à charge de son père. Entre 2007 et 2012, M. El Nouri a été effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant la période quinquennale de référence, mais il ne s’y est jamais établi puisque, selon son témoignage à la SAI, il a déménagé à Dubaï en 2006 pour travailler.

[4]  Le 3 février 2017, M. El Nouri, qui a sollicité l’entrée au Canada, a été interrogé au point d’entrée et a confirmé qu’il avait été présent au Canada pendant environ 178 jours au cours de la période quinquennale de référence allant du 3 février 2012 au 3 février 2017. Cela est très en dessous de l’exigence minimale de 730 jours de présence établie à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. M. El Nouri a signé un formulaire dans lequel il faisait valoir des motifs d’ordre humanitaire et a confirmé, entre autres, qu’il n’avait pas été présent au Canada pendant la période de référence, parce qu’il avait eu du mal à trouver un emploi en raison de son manque d’expérience professionnelle au Canada, qu’il se préparait à démarrer une entreprise au pays et qu’il n’y avait jamais travaillé. Une mesure d’interdiction de séjour a été prise à l’égard de M. El Nouri, parce qu’il ne s’était pas conformé à son obligation légale de résidence.

[5]  En 2017, après que la mesure d’interdiction de séjour eut été prise, M. El Nouri est demeuré au Canada et a commencé à y travailler.

III.  décision de la SAI

[6]  À la SAI, M. El Nouri n’a contesté ni la légalité de la mesure d’interdiction de séjour ni le fait qu’il ne s’était pas conformé à l’exigence de résidence établie à l’article 28 de la Loi. Il a affirmé que la SAI devrait exercer son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 67(1)c) de la Loi et que — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiaient, vu les circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

[7]  À l’appui de son appel, M. El Nouri a déposé les documents suivants : 1) le formulaire dûment rempli « Confirmation des besoins relatifs à l’audience », dans lequel il confirmait son intention d’assigner un certain nombre de témoins à l’audience; 2) le formulaire « Perte du statut de résident permanent — motifs d’ordre humanitaire »; 3) une copie de ses cartes d’assurance maladie du Québec et de résident permanent du Canada; 4) des copies des passeports canadiens de certains membres de sa famille; 5) un avenant signé à un contrat de location dans lequel il était désigné comme locataire additionnel; 6) sa déclaration de revenus faite à l’Agence du revenu du Canada pour 2017; 7) sa déclaration de revenus faite à Revenu Québec pour 2017; 8) ses bordereaux de paye pour 2018; 9) un rapport d’activités; 10) un deuxième rapport d’activités; 11) des mises à jour sur le produit, notamment une lettre de la Baie.

[8]  Lors de son témoignage à l’audience, M. El Nouri a confirmé qu’il a grandi en Arabie saoudite, et, qu’en 2006, il a déménagé à Dubaï pour y travailler, car il avait là‑bas de meilleures occasions d’emploi et pouvait gagner davantage d’argent. Il a aussi affirmé qu’en tant que fils aîné, il devait soutenir sa famille.

[9]  Lorsqu’elle a rendu sa décision, la SAI a dressé une liste non exhaustive de facteurs et en a examiné trois : 1) le temps passé par M. El Nouri au Canada, son établissement, les raisons de son départ du Canada et les efforts déployés pour y revenir; 2) les liens qu’il entretient avec les membres de sa famille au Canada; 3) les difficultés qu’il subirait s’il était renvoyé du Canada.

[10]  La SAI a fait remarquer que M. El Nouri avait eu un bon début d’établissement, mais a conclu qu’il avait quitté le Canada par choix personnel. La SAI n’a pas fait droit à l’argument de M. El Nouri selon lequel il attendait le bon moment pour revenir au Canada et s’y établir pleinement, puisque 10 années s’étaient déjà écoulées depuis qu’il avait obtenu le statut de résident permanent. La SAI a reconnu qu’il était possible que M. El Nouri ait contribué à l’entreprise familiale pendant son absence, comme il y a contribué depuis son retour, mais a conclu qu’il n’avait pas démontré en quoi sa présence à Dubaï était nécessaire pour soutenir sa famille ni qu’il n’existait aucune solution de rechange. Ces éléments ont nui à l’appel qu’il a interjeté à la SAI.

[11]  La SAI a ensuite fait remarquer que M. El Nouri avait passé la majeure partie de sa vie adulte séparé de sa famille, et que les liens qu’il avait avec le Canada par l’entremise de sa famille, bien qu’ils soient positifs, n’étaient néanmoins pas suffisants pour faire pencher la balance en sa faveur.

[12]  Enfin, la SAI a fait remarquer que l’établissement récent du demandeur était un facteur positif, mais qu’il avait moins de poids que la mesure d’interdiction de séjour, puisqu’il avait eu lieu après que cette dernière eut été adoptée. Par ailleurs, les difficultés auxquelles M. El Nouri serait exposé s’il devait quitter le Canada ne suffisaient pas à justifier la prise de mesures spéciales.

[13]  La SAI a donc rejeté l’appel interjeté par M. El Nouri et a conclu qu’il n’avait pas réussi à établir qu’il existait des considérations d’ordre humanitaire suffisamment importantes pour passer outre au manquement considérable à son obligation de résidence.

IV.  ARGUMENTS DES PARTIES

[14]  Dans l’affidavit qu’il a déposé à la Cour, M. El Nouri a notamment déclaré qu’il n’avait pas travaillé ou vécu à Dubaï depuis 2011, et il a donné des précisions sur son travail au sein de l’entreprise familiale.

[15]  M. El Nouri soutient que la décision est déraisonnable parce que : 1) la SAI n’a pris en compte un principe de justice naturelle et d’équité procédurale, car elle n’a pas accordé suffisamment de poids aux normes et aux valeurs culturelles d’une famille musulmane libanaise où le fils aîné a la responsabilité de gérer et de faire prospérer l’entreprise familiale afin d’assurer le bien‑être financier de tous les membres de la famille; 2) la SAI n’a pas accordé le poids voulu au fait qu’avant la prise de la mesure d’interdiction de séjour, le 3 février 2017, il a tenté de s’établir progressivement au Canada, et qu’il s’est pleinement établi depuis cette date; 3) la SAI a commis une erreur dans l’analyse aussi bien de ses allées et venues à l’étranger que du but de ses voyages au Moyen‑Orient depuis qu’il est devenu résident permanent du Canada.

[16]  M. El Nouri fait valoir qu’il n’était pas représenté par un conseiller juridique lors de l’audience, ce qui lui a nui au moment d’exposer les faits.

[17]  Le ministre répond que la Cour ne doit intervenir que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

[18]  Le ministre soutient que la SAI a examiné tous les facteurs, et qu’il était loisible à celle‑ci de tirer les conclusions en question, compte tenu de la preuve produite et du témoignage que M. El Nouri a présenté à l’audience.

[19]  Le ministre ajoute que la SAI a examiné la preuve et que le fait que M. El Nouri s’oppose aux motifs qu’elle a rédigés ne les rend pas déraisonnables.

[20]  Enfin, le ministre soutient que M. El Nouri ne peut pas prétendre qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale simplement parce qu’il a choisi de ne pas être représenté. Le ministre ajoute aussi qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas censée éliminer toutes les difficultés.

V.  ANALYSE

[21]  Les deux parties s’accordent pour dire que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa]). La Cour s’attache principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par 47 [Dunsmuir]). Elle s’attache également à la question de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au par 47). La question ne consiste donc pas à savoir si la Cour aurait rendu la même décision, mais plutôt si la conclusion tirée par la SAI est étayée par le dossier.

[22]  Je tiens à souligner que l’affidavit que M. El Nouri a déposé à la Cour contenait de nouveaux éléments de preuve qui, à certains égards, contredisaient son témoignage antérieur, et qui, à d’autres égards, n’avaient pas été présentés à la SAI. La Cour ne saurait examiner des documents ou des renseignements qui n’ont pas été présentés à la SAI, sauf s’il existe des circonstances spéciales, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[23]  À la SAI, M. El Nouri a affirmé sans équivoque qu’il avait déménagé à Dubaï en 2006 pour y travailler, que les possibilités d’emploi y étaient bien meilleures parce qu’il s’agit d’une plaque tournante comme « New York », et qu’il pouvait y travailler pour des sociétés multinationales et gagner des revenus non imposables. Il a bien fait référence au soutien qu’il apportait à son père et à sa famille en tant que fils aîné, mais il n’a fourni aucune précision sur les raisons pour lesquelles ce soutien devait être apporté à partir de Dubaï plutôt que du Canada, pas plus qu’il n’a donné de renseignements sur la nature et l’étendue de son soutien, ou encore sur son travail pour le compte de l’entreprise familiale. Enfin, M. El Nouri n’a présenté à la SAI aucun élément de preuve attestant qu’il avait tenté de s’établir progressivement avant 2017.

[24]  En ce qui concerne la preuve dont disposait la SAI, je suis convaincue que la décision rendue par celle‑ci est raisonnable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[25]  Enfin, je souscris à l’énoncé du paragraphe 26 de la décision Kleckner c Canada (Procureur général), 2016 CF 1206, selon lequel « le principe de la primauté du droit ne comprend pas l’accès général à des services juridiques lorsque des droits et obligations sont en jeu ». Tout comme au paragraphe 51 de la décision Balasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1368, ma conclusion est la suivante : « Aucun élément produit devant la Cour ne porte à penser que le demandeur n’a pas été à même de faire correctement valoir ses arguments devant la SAI. Même s’il estime maintenant qu’un conseiller juridique aurait pu l’aider à mieux défendre sa cause, il a fait son choix librement et ne saurait maintenant affirmer que ce choix a entraîné un manquement à l’équité procédurale. »


JUGEMENT dans le dossier IMM-2070-19

LA COUR STATUE :

  • 1) La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de décembre 2019.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2070-19

INTITULÉ :

MAHMOOD EL NOURI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 octobre 2019

Jugement et motifS :

La juge ST-LOUIS

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 5 novembre 2019

COMPARUTIONS :

Barbara J. Leiter

Pour le demandeur

Édith Savard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leiter Rahme Avocats Inc.

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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