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Date : 20191125


Dossier : T‑1594‑18

Référence : 2019 CF 1496

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

WESTMINSTER SAVINGS CREDIT UNION

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, AU NOM DU MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC) selon laquelle la demanderesse, la Westminster Savings Credit Union (WSCU), ne correspond pas à la définition de « caisse de crédit » figurant au paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15 (la LTA), et au paragraphe 137(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC  985, c 1 (5e suppl.) (la LIR).

[2]  Au cœur du différend se trouve la question de savoir si la WSCU tire « la totalité ou presque la totalité » de ses revenus d’une liste de sources définies dans la LIR. Dans le cadre de la vérification des affaires de la WSCU, l’ARC a déterminé que ce n’était pas le cas.

[3]  La question clé de la présente demande de contrôle judiciaire, cependant, ne porte pas sur l’interprétation de la LIR, mais plutôt sur la question de savoir si la Cour est l’instance appropriée pour demander la réparation souhaitée par la WSCU.

II.  Contexte

[4]  La WSCU a été constituée en personne morale en Colombie‑Britannique le 19 octobre 1944 et elle est régie par la Credit Union Incorporation Act et la Financial Institutions Act de la Colombie‑Britannique.

[5]  La principale activité de la WSCU consiste à agir à titre de caisse de crédit. À ce titre, elle perçoit les dépôts de ses membres, paie des intérêts à ses membres sur lesdits dépôts et investit les dépôts pour obtenir un rendement. La WSCU prête également de l’argent à ses membres, et les intérêts perçus sur ces prêts constituent sa principale source de revenus.

[6]  En plus de générer des revenus grâce aux intérêts sur les prêts consentis à ses membres, la WSCU tire des revenus des sources suivantes :

  • La WSCU perçoit des cotisations des membres et des non‑membres qui agissent à titre de fiduciaire de diverses fiducies.

  • La WSCU possède et gère un portefeuille de placements d’actifs et en tire un revenu.

  • La WSCU reçoit divers frais de la part de Credential Asset Management Inc. en contrepartie des services de gestion du patrimoine fournis par Credential aux membres de la WSCU.

  • La WSCU perçoit des frais de gestion auprès de Mercado Capital Corp et de Mercado Financing Ltd, des sociétés de crédit‑bail d’équipement appartenant à la WSCU.

  • La WSCU tire des revenus de WS Leasing Ltd, une société en propriété exclusive de la Colombie‑Britannique qui achète diverses automobiles et divers équipements auprès de concessionnaires tiers et loue ces biens à des membres du public.

  • La WSCU reçoit divers frais du Groupe financier Desjardins lorsque Desjardins émet des cartes de crédit aux membres du WSCU en vertu d’une entente entre Desjardins et la WSCU.

A.  La vérification relative à la TPS

[7]  En 2015, l’ARC a avisé la WSCU qu’elle commençait une vérification en vertu de la LTA pour les périodes de déclaration de 2013 et de 2014 (la vérification relative à la TPS). L’ARC a par la suite élargi la vérification relative à la TPS pour y inclure les périodes de déclaration de 2015 et de 2016 de la WSCU.

[8]  Dans le cadre de la vérification relative à la TPS, l’ARC a avisé la WSCU qu’elle avait présenté une demande à la Direction de l’accise et des décisions de la TPS/TVH de l’ARC pour qu’elle détermine si la WSCU était une « caisse de crédit » au sens du paragraphe 123(1) de la LTA et du paragraphe 137(6) de la LIR.

[9]  La Direction de l’accise et des décisions de la TPS/TVH a renvoyé cette demande à la Direction des décisions de l’impôt de l’ARC au motif que la décision demandée était en fait une question d’impôt sur le revenu. La définition de « caisse de crédit » dans la LTA renvoie à la définition de ce terme dans la LIR.

[10]  La Direction des décisions de l’impôt a rendu sa décision le 7 avril 2017. Après avoir fourni une analyse détaillée des arrangements financiers de la WSCU par rapport à la définition de « caisse de crédit », la décision formule la conclusion suivante : [traduction] « il est possible que [la WSCU] ne corresponde pas à la définition de caisse de crédit qui figure au paragraphe137(6) ».

[11]  Le 22 septembre 2017, un vérificateur de la TPS/TVH de l’ARC a envoyé à la WSCU une note de service et des documents de travail exposant son analyse des revenus de la WSCU et la position selon laquelle [traduction] « nous ne croyons pas que la WSCU corresponde à la définition de caisse de crédit au sens du paragraphe 137(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu ». La lettre reconnaissait que cette constatation pouvait avoir des conséquences au titre de la LIR. Toutefois, l’examen effectué par le vérificateur de la TPS se limitait aux déclarations de TPS/TVH de la WSCU.

[12]  Le 22 février 2018, l’ARC a envoyé à la WSCU les chiffriers qu’elle avait utilisés pour calculer les revenus tirés des membres et d’autres sources pour les périodes de déclaration de 2013 à 2016.

[13]  Le 2 août 2018, un vérificateur de la TPS/TVH à l’ARC a parlé avec la représentante de la WSCU, Susan Lovell, au sujet de diverses questions, y compris la question de savoir si la WSCU correspondait à la définition de « caisse de crédit ». À la fin de cette conversation, Mme Lovell a demandé au vérificateur de la TPS/TVH de mettre ses commentaires par écrit, ce qui a donné lieu à la lettre en cause dans la présente demande.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[14]  Dans une lettre en date du 9 août 2018 (la lettre du 9 août), l’ARC a informé la WSCU qu’elle avait déterminé que la WSCU ne correspondait pas à la définition de « caisse de crédit » figurant au paragraphe 123(1) de la LTA et au paragraphe 137(6) de la LIR. La décision était fondée sur les renseignements obtenus par l’ARC et la décision demandée à la Direction des décisions de l’impôt. Malgré cette décision, la lettre du 9 août indiquait que l’ARC ne prévoyait aucune nouvelle cotisation découlant de la décision.

IV.  Événements postérieurs à la décision

A.  Demande de contrôle judiciaire

[15]  Le 14 août 2018, l’avocat de la WSCU a avisé l’ARC qu’il allait peut‑être présenter d’autres observations concernant la décision selon laquelle la WSCU ne correspondait pas à la définition de « caisse de crédit ». Toutefois, l’avocat n’a pas présenté d’autres observations, et la WSCU a demandé le contrôle judiciaire de cette « décision » le 29 août 2018.

[16]  Le procureur général a présenté une requête en radiation de la demande. L’audience a eu lieu le 22 janvier 2019, et la WSCU a contesté la requête avec succès. Le juge Roy a conclu qu’en l’absence d’une cotisation fiscale pouvant faire l’objet d’un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt (CCI), il n’était pas convaincu que l’affaire était dépourvue de toute possibilité de réussite (Westminster Savings Credit Union c Canada (Procureur général), 2019 CF 304, au par. 32 [Westminster Savings Credit Union]). À son avis, un dossier complet était nécessaire pour régler les problèmes soulevés dans la demande (Westminster Savings Credit Union, précitée, au par. 39).

[17]  Le 10 mai 2019, l’ARC a terminé la vérification relative à la TPS pour les périodes de déclaration de 2013 à 2016 et a envoyé une lettre à la WSCU détaillant les rajustements proposés. En fin de compte, l’ARC n’a pas proposé de rajustement en fonction de la décision selon laquelle la WSCU ne correspondait pas à la définition de « caisse de crédit » au sens de la LTA. À ce jour, l’ARC n’a pas établi de cotisation à l’égard de la WSCU en vertu de la LTA en ce qui concerne la décision selon laquelle la WSCU ne correspond pas à la définition de « caisse de crédit ».

B.  Vérification de l’impôt sur le revenu

[18]  Le 10 décembre 2018, l’ARC a entrepris une vérification restreinte des déclarations de revenus de la WSCU pour les années d’imposition 2015 et 2016 (la vérification en vertu de la LIR). La vérification en vertu de la LIR se limitait à déterminer si la WSCU correspondait à la définition de « caisse de crédit » figurant dans la LIR.

[19]  L’ARC a utilisé les mêmes chiffriers que ceux utilisés pour la vérification relative à la TPS pour les années d’imposition 2015 et 2016 afin de calculer les revenus de la WSCU.

[20]  Le 1er mars 2019, l’ARC a écrit à la WSCU pour l’informer qu’elle avait effectué la vérification en vertu de la LIR et qu’elle avait proposé de refuser certaines retenues réclamées en vertu de la LIR et d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de la WSCU. L’ARC a finalisé la nouvelle cotisation proposée le 27 juin 2019. Dans un avis en date du 16 juillet 2019, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2015 et 2016 de la WSCU, augmentant ainsi son impôt à payer au motif que la WSCU ne correspondait pas à la définition de « caisse de crédit » au sens de la loi au cours de ces années.

V.  Questions en litige

[21]  Les questions en litige sont les suivantes :

  • (1) La Cour a‑t‑elle compétence pour examiner la présente demande?

  • (2) Dans l’affirmative, la décision de l’ARC selon laquelle la WSCU n’était pas une « caisse de crédit » au sens du paragraphe 123(1) de la LTA et du paragraphe 137(6) de la LIR pour ses périodes de déclaration de 2013 et de 2014 était‑elle raisonnable?

VI.  Dispositions pertinentes

A.  Loi sur les Cours fédérales

[22]  Sous réserve de certaines exceptions, la Cour fédérale a compétence exclusive en première instance pour délivrer une injonction, un bref de certiorari, un bref d’interdiction, un bref de mandamus ou un bref de quo warranto, ou pour accorder un redressement déclaratoire, contre tout office fédéral (Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, alinéa 18(1)a)). De plus, la Cour a compétence exclusive, à l’origine, pour entendre et trancher les demandes ou autres procédures en vue d’un tel redressement (Loi sur les Cours fédérales, al.  18(1)b)).

[23]  L’ARC est un « office fédéral » (Loi sur les Cours fédérales, par.  2(1)).

[24]  Les recours prévus au paragraphe 18(1) ne peuvent être obtenus que sur demande de contrôle judiciaire faite en vertu de l’article 18.1 (Loi sur les Cours fédérales, par. 18(3)).

[25]  Les pouvoirs de la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont énumérés au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales :

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

[26]  Ces pouvoirs sont limités par l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. En l’espèce, lorsqu’une loi fédérale prévoit un appel d’une décision à la Cour canadienne de l’impôt (CCI), cette décision n’est pas, dans la mesure où elle peut faire l’objet d’un appel, susceptible de révision, sauf en conformité avec cette loi.

[27]  L’article  2 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T‑2, prévoit que la CCI a compétence exclusive à l’origine pour entendre et trancher les renvois et les appels à la CCI sur des questions découlant de la LIR et de la partie  IX de la LTA.

B.  Loi sur la taxe d’accise et Loi de l’impôt sur le revenu

[28]  Le terme « caisse de crédit » est défini au paragraphe 123(1) de la LTA de la manière suivante :

caisse de crédit  S’entend au sens du paragraphe 137(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Y est assimilée la société visée à l’alinéa a) de la définition de compagnie d’assurance‑dépôts au paragraphe 137.1(5) de cette loi.

[29]  Le terme « caisse de crédit » est défini plus en détail au paragraphe 137(6) de la LIR. Les parties conviennent que la seule partie pertinente de la définition en l’espèce est l’alinéa a) :

caisse de crédit  Société, association ou fédération constituée ou organisée comme une caisse de crédit ou une association coopérative de crédit dans le cas où :

a) soit elle tire la totalité, ou presque, de ses revenus :

(i) de prêts consentis à des membres ou de l’encaissement de leurs chèques,

(ii) de créances ou de titres du gouvernement du Canada, du gouvernement d’une province, d’une municipalité canadienne ou de l’un de leurs organismes ou de créances ou de titres que ceux‑ci garantissent, de créances ou de titres d’un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ou de l’un de ses organismes,

(iii) de créances ou de dépôts auprès d’une société, d’une commission ou d’une association ou de créances ou de dépôts que celles‑ci garantissent, société, commission ou association dont au moins 90 % des actions ou du capital appartiennent au gouvernement du Canada ou d’une province, ou à une municipalité du Canada,

(iv) de créances d’une banque, ou d’un dépôt auprès d’une banque, ou de créances ou de dépôt garantis par une banque, ou de créances d’une société titulaire d’une licence ou par ailleurs autorisée par la législation fédérale ou provinciale à exploiter au Canada l’entreprise consistant à offrir au public des services fiduciaires, ou de dépôts auprès d’une telle société,

(v) de commissions, d’honoraires et de droits perçus auprès de ses membres ou des membres de ces derniers,

(vi) de prêts consentis à une caisse de crédit ou à une association coopérative de crédit dont elle est membre ou de dépôts auprès d’une telle caisse ou association,

(vii) d’une source de revenu visée par règlement.

VII.  Analyse

A.  La Cour a‑t‑elle compétence pour examiner la présente demande?

[30]  La WSCU reconnaît que, en règle générale, la Cour est réticente à entendre une demande de contrôle judiciaire relativement à une décision qui n’est pas définitive (Entreprise Publique Économique Air Algérie, Montréal, Québec c Hamamouche, 2019 CF 272, au par. 63). Toutefois, de l’avis de la WSCU, la décision de l’ARC dans la lettre du 9 août représentait sa conclusion sur le statut de la WSCU en tant que caisse de crédit à cette date. Rien depuis la lettre n’a amené l’ARC à changer d’avis.

[31]  La WSCU soutient que l’article 18.5 des Règles des Cours fédérales ne s’applique pas en l’espèce. Étant donné que la CCI n’a compétence que pour entendre un appel concernant une « cotisation », et que la décision de l’ARC selon laquelle la WSCU n’est pas une « caisse de crédit » ne constitue pas une « cotisation », la WSCU affirme qu’il est impossible d’interjeter appel de la décision devant la CCI et que, par conséquent, rien n’empêche la Cour de procéder à un contrôle judiciaire de la décision de l’ARC.

[32]  De plus, la lettre du 9 août indique que l’ARC n’établira pas de cotisation de TPS à l’égard de la WSCU en raison du fait qu’elle ne correspondait pas à la définition de « caisse de crédit » au cours des périodes de déclaration de 2013 à 2016. Selon la WSCU, en l’absence d’une cotisation future de la part de l’ARC, aucun appel de la décision devant la CCI ne se concrétisera jamais.

[33]  La WSCU reconnaît que l’ARC a établi de nouvelles cotisations en vertu la LIR pour les années d’imposition 2015 et 2016 et que la WSCU peut interjeter appel de ces nouvelles cotisations auprès de la CCI. Toutefois, la WSCU fait valoir que la présente demande se limite à déterminer si la WSCU correspond à la définition de « caisse de crédit » pour les fins de la TPS prévue dans la LTA pour les périodes de déclaration de 2013 et de 2014. Étant donné que la WSCU ne peut pas interjeter appel auprès de la CCI à l’égard de ce sujet limité, l’article 18.5 des Règles des Cours fédérales n’empêche pas la Cour d’effectuer un contrôle.

[34]  L’une des principales décisions en matière de contrôle judiciaire dans le domaine de l’impôt est la décision Canada c Addison & Leyen Ltd, 2007 CSC 33 [Addison & Leyen]. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a mis en garde les tribunaux de révision contre l’utilisation du contrôle judiciaire pour « créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt » (Addison & Leyen, précitée, au par. 11).

[35]  L’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales doit être interprété de façon à exclure les procédures parallèles devant la Cour et la CCI « à l’égard de deux questions essentiellement identiques » (Walker c Canada, 2005 CAF 393, au par. 13 [Walker]).

[36]  L’absence d’une nouvelle cotisation ne garantit pas un droit de contrôle judiciaire. Le contrôle judiciaire est un recours de dernier ressort (Addison & Leyen Ltd, au par. 11). La Cour ne peut examiner une demande de contrôle judiciaire lorsqu’il est possible de se prévaloir d’un recours adéquat et efficace ailleurs ou à un autre moment, y compris dans les années à venir (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, aux par. 84 et 91 [JP Morgan]).

[37]  Lorsqu’elle examine l’avis de demande, la Cour doit chercher à déterminer la « nature essentielle » de la demande en en faisant une lecture globale (JP Morgan, précitée, au par. 50). Le procureur général soutient, et je suis du même avis, que [traduction] « la nature essentielle de la demande consiste à déterminer l’obligation fiscale de la demanderesse ». Comme l’a reconnu Mme Lovell, représentante de la WSCU, la WSCU craignait d’avoir à payer de la TPS et peut‑être de l’impôt sur le revenu au cours des années subséquentes à la suite de la décision de l’ARC selon laquelle elle n’était pas une « caisse de crédit ».

[38]  En l’espèce, le contrôle judiciaire n’est pas justifié comme recours de dernier ressort. Quelle que soit la façon dont la WSCU encadre son application, le problème sous‑jacent est l’interprétation et l’application par l’ARC de la définition de « caisse de crédit » qui se trouve dans la LIR. Le fait de présenter cette question comme étant liée à la LTA plutôt qu’à la LIR n’est pas déterminant; la définition de « caisse de crédit » figurant au paragraphe 123(1) de la LTA incorpore entièrement la définition du même terme dans la LIR.

[39]  La WSCU dispose actuellement d’un mécanisme d’appel auprès de la CCI en ce qui concerne les nouvelles cotisations d’impôt de 2015 et de 2016. Bien que ces nouvelles cotisations soient effectivement fondées sur les résultats de la vérification faite en vertu de la LIR, plutôt que sur la vérification faite au titre de la TPS, la question sous‑jacente est la même : la WSCU correspond‑elle à la définition de « caisse de crédit » qui figure à l’alinéa 137(6)a) de la LIR? Cette détermination fournirait les critères nécessaires pour que la WSCU puisse déterminer la bonne approche à appliquer au critère de « la totalité ou presque la totalité » des revenus en vertu du paragraphe 137(6) de la LIR, la bonne interprétation de « revenus » et la question de savoir si ces revenus sont « tirés » des membres.

[40]  En ce qui concerne la requête en radiation de cette demande, le juge Roy était convaincu que si une cotisation avait été établie à l’égard de la WSCU, cela aurait constitué le [traduction] « coup de grâce » nécessaire pour radier la demande (Westminster Credit Savings Union, au par. 32).

[41]  La WSCU soutient que rien n’a changé [traduction] « du côté de la TPS » depuis que le juge Roy a rendu sa décision. Je ne suis pas de cet avis. Les questions « du côté de la TPS » découlent clairement de la définition de « caisse de crédit » qui se trouve dans la LTA et qui, comme il a déjà été mentionné, est fondée sur la définition de ce terme dans la LIR. L’argument de la WSCU équivaut à une tentative de maintenir la présente demande malgré la possibilité de recours auprès de la CCI.

[42]  De plus, même sans les nouvelles cotisations d’impôt sur le revenu de 2015 et de 2016, la WSCU pourrait interjeter appel auprès de la CCI aux fins de la TPS au cours des années subséquentes en demandant un remboursement de la TPS payée. Si le ministre refuse les demandes, une cotisation serait établie et la WSCU pourrait interjeter appel. La Cour ne peut pas entendre une demande de contrôle judiciaire s’il existe une possibilité d’intenter d’autres recours adéquats et efficaces à l’avenir (JP Morgan, au par. 84). D’autres mesures de redressement peuvent être demandées à la CCI, et la Cour ne doit donc pas exercer sa compétence dans la présente affaire, même si une telle compétence existait.

[43]  L’examen du caractère raisonnable de la décision de l’ARC sur cette question irait à l’encontre de la directive claire de la Cour d’appel fédérale selon laquelle il faut éviter les procédures parallèles devant la Cour et la CCI qui portent essentiellement sur la même question sous‑jacente (Walker, précitée, au par. 13). La Cour ne doit pas permettre à la WSCU de tenter de contourner la compétence exclusive de la CCI.

[44]  De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la lettre que la WSCU a demandée à l’ARC pour documenter la décision selon laquelle la WSCU n’est pas une caisse de crédit au sens du paragraphe 123(1) de la LTA pour ses périodes de déclaration de2013 et 2014 ressemble davantage à une décision fiscale anticipée qu’à une décision finale. La lettre du 9 août ne lie pas l’ARC et, par conséquent, la décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire (Rothmans, Benson & Hedges Inc c Canada (ministre du Revenu national), 1998 CanLII 7237, aux par. 27‑28 (CF); Prudential Steel Ltd c Bell Supply Company, 2016 CAF 282, au par. 25).

B.  Dans l’affirmative, la décision de l’ARC selon laquelle la WSCU n’était pas une « caisse de crédit » au sens du paragraphe 123(1) de la LTA pour ses périodes de déclaration de 2013 et de 2014 était‑elle raisonnable?

[45]  Étant donné ma décision sur la compétence et les autres mesures de redressement qui peuvent être demandées à la CCI, je n’ai pas à examiner la question de savoir si la décision de l’ARC selon laquelle la WSCU n’est pas une caisse de crédit, au sens du paragraphe 123(1) de la LTA et du paragraphe 137(6) de la LIR, était raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier no T‑1594‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Les dépens sont adjugés au défendeur et calculés selon la colonne III du tarif B.

« Michael D.  Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de décembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T‑1594‑18

 

INTITULÉ :

WESTMINSTER SAVINGS CREDIT UNION c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, AU NOM DU MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 NOVEMBRE 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT:

LE 25 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Joel A. Nitikman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Max Matas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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