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Date : 20191113


Dossier : IMM-933-19

Référence : 2019 CF 1419

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Winnipeg (Manitoba), le 13 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SYED MAZAHAR ABBAS BOKHARI

SYEDA MAZAHAR BOKHARI

SYED MUHAMMAD ABBAS BOKHARI

SYEDA MALIKA ZAHRA BOKHARI

SYED IMAN ZAHRA BOKHARI

SYEDA BATOOL ZAHRA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur principal, Syed Mazahar Abbas Bokhari, et cinq autres membres de sa famille demandent le contrôle judiciaire de la décision du 18 janvier 2019 par laquelle un agent d’immigration du haut-commissariat du Canada au Royaume-Uni [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par M. Bokhari au titre de la catégorie des candidats des provinces.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Les faits

[3]  M. Bokhari est citoyen du Pakistan. Il est marié et a quatre enfants.

[4]  Le 3 février 2017, la demande de M. Bokhari a été approuvée dans le cadre du Programme Candidats immigrants pour la Saskatchewan [PCIS], et un certificat de désignation a été délivré à son nom pour le code de profession 6221 – spécialistes des ventes techniques – commerce de gros.

[5]  Sur le fondement de sa désignation provinciale, M. Bokhari a présenté une demande de résidence permanente à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Sa demande a par la suite été transmise au haut-commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni, à des fins de traitement.

[6]  Le 6 juillet 2017, l’agent a envoyé par courriel à M. Bokhari, avec copie à la province de la Saskatchewan, une lettre relative à l’équité procédurale pour l’informer qu’il semblait ne pas satisfaire aux exigences en matière d’immigration au Canada. L’agent a expliqué qu’il n’était pas convaincu que les renseignements fournis avec la demande établissaient que M. Bokhari avait la capacité de s’établir économiquement au Canada ou qu’il satisfaisait autrement à la définition de candidat d’une province.

[7]  L’agent s’est dit particulièrement préoccupé par le fait que M. Bokhari n’avait pas les compétences linguistiques nécessaires pour travailler comme spécialiste des ventes techniques. Tout en reconnaissant qu’en Saskatchewan le niveau de compétence linguistique canadien [NCLC]  représente le niveau minimal recommandé dans le contexte de l’évaluation des compétences linguistiques et que les compétences linguistiques de M. Bokhari étaient supérieures à ce niveau minimal (NCLC 6 en expression écrite, en compréhension de l’écrit et en expression orale, et NCLC 7 en compréhension de l’oral), l’agent a fait remarquer que chaque poste peut exiger des niveaux plus élevés de compétences en anglais. L’agent a souligné que c’était le cas pour le poste proposé par M. Bokhari.

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous possédez les compétences linguistiques nécessaires à l’accomplissement des tâches liées au poste de spécialiste des ventes techniques ou à un poste connexe au Canada. Les spécialistes des ventes techniques doivent être en mesure d’identifier et de solliciter des clients potentiels et d’évaluer leurs besoins, ainsi que de préparer et d’administrer des contrats de vente, de résoudre les problèmes des clients et d’offrir un soutien continu. Il semble raisonnable de s’attendre à ce que les tâches qui exigent un contact étroit avec la clientèle et une compréhension approfondie de leurs besoins exigent un niveau de compétence en anglais plus élevé que modéré (NCLC 6 ou 7).

[8]  L’agent a convenu que M. Bokhari avait de l’expérience comme gestionnaire, mais les postes de gestionnaire au Canada exigent un niveau de compétence élevé en anglais (au moins le NCLC 8), l’agent n’était pas convaincu que M. Bokhari pourrait occuper ce poste. L’agent n’était pas non plus convaincu que M. Bokhari serait en mesure de trouver un emploi au Canada ou, s’il l’était, que cela lui permettrait de s’établir économiquement.

[9]  L’avocat de M. Bokhari a répondu à la lettre relative à l’équité en octobre 2017 et a présenté pour examen une nouvelle offre d’emploi à titre de superviseur des ventes – commerce de détail (chef de quart dans une station-service). L’avocat s’est opposé à l’utilisation de la terminologie « faible-modéré-élevé » adoptée par l’agent, car aucun fondement n’a été établi quant à cette terminologie, ni quant à la raison pour laquelle les NCLC 6 et 7 étaient des niveaux de compétence « modérés » tandis que le NCLC 8 était un niveau de compétence « élevé ». L’avocat a soutenu que les compétences linguistiques de M. Bokhari étaient suffisantes pour qu’il remplisse les fonctions de spécialiste des ventes techniques ou de superviseur des ventes au détail.

A.  La décision de l’agent

[10]  Conformément au paragraphe 87(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, l’agent a effectué une substitution d’appréciation après avoir consulté un deuxième agent d’immigration. Je ne suis pas convaincu que le fait que M. Bokhari soit visé par un certificat de désignation délivré par la Saskatchewan constitue un indicateur suffisant de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. L’agent a tiré cette conclusion parce qu’il n’était pas convaincu que M. Bokhari possédait les compétences linguistiques nécessaires pour s’établir économiquement au Canada dans un délai raisonnable. La réponse d’octobre 2017 au courriel de l’agent n’a pas atténué les préoccupations soulevées.

[11]  L’agent a déterminé ce qui suit :

[traduction]

[…] une offre d’emploi en soi ne démontre pas nécessairement qu’un candidat a la capacité de s’établir économiquement. Si un employé potentiel ne répond pas aux exigences, les risques encourus par un employeur éventuel semblent relativement faibles comparativement au risque d’accorder le statut de RP à un demandeur qui n’a pas démontré clairement qu’il a la capacité de s’établir économiquement au Canada dans un délai raisonnable.

[12]  Le deuxième agent d’immigration s’est dit en accord avec cette évaluation. 

III.  La question en litige

[13]  La question à trancher consiste à déterminer si la décision de l’agent selon laquelle il est peu probable que M. Bokhari s’établisse économiquement au Canada est déraisonnable.

IV.  La norme de contrôle

[14]  Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de l’agent de refuser la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs dans le cadre du Programme des candidats des provinces : Haider c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 686, au par. 12; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 808, au par. 10. La norme du caractère raisonnable est une norme appelant la déférence, et une décision raisonnable est une décision qui « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux par. 47 et 48.

V.  Analyse

[15]  Les parties conviennent qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation par une province de la capacité d’un demandeur de s’établir économiquement dans cette province : Singh Sran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 791, au par. 13. Elles conviennent également que la décision du gouvernement provincial appelle une certaine retenue, mais qu’elle n’est pas contraignante et que l’agent d’immigration n’est pas obligé de tenir compte des mêmes critères que la province : Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1072, au par. 28). Étant donné que les compétences linguistiques de M. Bokhari n’ont pas été soulevées par la province de la Saskatchewan et que la province n’a pas contesté le courriel de l’agent, je suis convaincu que l’agent a fait preuve d’une retenue suffisante.

[16]  L’agent a tenu compte du niveau de compétence linguistique démontré par les résultats que M. Bokhari a obtenus aux tests. L’agent a estimé que les résultats obtenus par M. Bokhari indiquaient que sa connaissance de l’anglais ne lui permettrait pas d’accomplir l’éventail des tâches d’un spécialiste des ventes techniques, le métier pour lequel il avait été désigné, ou d’un superviseur de vente au détail, un travail pour laquelle il avait reçu une offre d’emploi.

[17]  Les demandeurs font valoir que l’agent n’a pas réussi à justifier pourquoi ses conclusions étaient incompatibles avec d’autres catégories d’immigration économique. Ils prétendent que les critères des autres catégories fédérales de l’immigration économique sont pertinents parce que le Programme des candidats des provinces [PCP] vise expressément à faire en sorte que [traduction] « [les candidats] qui ne répondent peut-être pas aux critères d’immigration fédéraux, mais qui ont des attributs d’une valeur particulière pour la province candidate et ses objectifs de développement économique particuliers puissent immigrer ». Les demandeurs font valoir qu’étant donné que le but du PCP est d’assouplir les exigences d’autres obligations en matière d’immigration, l’agent avait le devoir d’expliquer pourquoi il imposait des exigences linguistiques beaucoup plus sévères que celles d’autres catégories d’immigration.

[18]  Un examen attentif de la décision de l’agent révèle qu’il n’a pas imposé un niveau de compétence linguistique précis aux demandeurs de la catégorie des candidats des provinces. De plus, l’agent n’était pas tenu d’examiner le niveau de compétence linguistique requis pour les différentes catégories d’immigration, qui ont des objectifs sous-jacents différents : Yasmin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 383, au par. 42.

[19]  En l’espèce, il incombait à l’agent de déterminer si M. Bokhari pouvait s’établir économiquement dans un délai raisonnable. L’agent devait nécessairement tenir compte des compétences linguistiques de M. Bokhari pour prendre cette décision.

[20]  M. Bokhari a été informé des préoccupations de l’agent quant à sa capacité de s’établir économiquement au Canada. Il a eu l’occasion de répondre à ces préoccupations, mais ses observations subséquentes n’ont pas convaincu l’agent qu’il était susceptible de réussir son établissement économique au Canada. À mon avis, il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion en se fondant sur le dossier dont il disposait.

[21]  Je suis d’accord avec M. Bokhari pour dire que l’agent devait tenir compte du but du PCIS et expliquer pourquoi il exigeait un niveau de compétence linguistique plus élevé que le NCLC 4 exigé par la Saskatchewan. À mon avis, c’est ce qu’il a fait dans des motifs exhaustifs et intelligibles.

[22]  L’agent a déclaré ce qui suit dans ses notes :

[traduction]

Le représentant du DP affirme qu’une « analyse comparative des tâches » démontre que M. Bokhari « peut exercer les fonctions d’un spécialiste des ventes techniques ou d’un superviseur des ventes au détail », mais ne présente pas une telle analyse à l’appui de cette affirmation.

[…] Je ne suis pas convaincu que l’interprétation du représentant soit suffisante pour démontrer que la connaissance de l’anglais du DP lui permettait d’accomplir l’éventail de tâches auquel il semblerait raisonnable de s’attendre d’un spécialiste des ventes techniques ou d’un superviseur des ventes au détail au Canada, de sorte qu’il pourrait s’établir économiquement dans un délai raisonnable.

[…] Toutes les observations du représentant du DP ont été étudiées en profondeur, mais je ne suis pas convaincu qu’elles suffisent à dissiper les préoccupations énoncées dans la lettre relative à l’équité procédurale.

[23]  L’agent a déterminé que M. Bokhari n’avait pas les compétences linguistiques nécessaires pour occuper un poste de spécialiste des ventes techniques ou pour exercer un poste connexe. La décision selon laquelle ces emplois exigent des compétences linguistiques supérieures au NCLC 6 ou 7 s’inscrit dans l’échelle des résultats raisonnables.

[24]  M. Bokhari n’a fourni aucune explication claire quant à la façon dont il a été en mesure de soumettre un nouvel emploi à l’examen de l’agent, malgré le fait que cet emploi n’était pas lié à l’emploi figurant sur le certificat de désignation, ni quant aux raisons pour lesquelles l’examen du nouvel emploi par l’agent était lié au but du PCIS. Quoi qu’il en soit, l’agent a pris en considération l’offre d’emploi de superviseur des ventes au détail de M. Bokhari.

[25]  Bien que l’agent n’ait pas examiné en détail dans son analyse les compétences linguistiques de M. Bokhari en vue du poste de superviseur des ventes au détail, il a conclu que, même si M. Bokhari était en mesure de trouver un emploi [traduction] « exigeant peu de compétences », il n’aurait probablement pas un revenu suffisant pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a pris note des seuils de faible revenu pertinents, qui indiquent le revenu annuel en-deçà duquel une famille pourrait être aux prises avec des difficultés financières (c.-à-d. qu’elle aurait à dépenser la plus grande partie de son revenu pour se nourrir, se vêtir et se loger). Statistique Canada prévoyait (en 2017) que le seuil était de 58 473 $ pour une famille de six personnes, et l’agent a jugé qu’il s’agissait d’un indicateur utile du revenu nécessaire pour ne pas se retrouver sous le seuil de la pauvreté. Lors de l’examen du salaire du superviseur des ventes au détail, l’agent a noté que le revenu annuel projeté de 37 752 $ [traduction] « semble encore faible pour subvenir aux besoins d’une famille de six personnes ». Le demandeur n’a pas pu établir que cette conclusion est déraisonnable.

VI.  Conclusion

[26]  Pour les raisons qui précèdent, je ne vois aucune raison d’intervenir en l’espèce. La demande est par conséquent rejetée.

[27]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-933-19

LA COUR STATUE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de décembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-933-19

 

INTITULÉ :

SYED MAZAHAR ABGBAS BOKHARI, SYEDA MAZAHAR BOKHARI, SYED MUHAMMAD ABBAS BOKHARI, SYEDA MALIKA ZAHRA BOKHARI, SYED IMAN ZAHRA BOKHARI, SYEDA BATOOL ZAHRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Luke McRae

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Norah Dorcine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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