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Date : 20050607

Dossier : IMM-5353-04

Référence : 2005 CF 816

Toronto (Ontario), le 7 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                                    TRANG BUI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Trang Bui est citoyen vietnamien et norvégien. Il est venu au Canada en détenant un visa de visiteur au mois de septembre 2001. Il a prolongé son séjour après l'expiration de son visa et sa demande de renouvellement, sept mois plus tard, a été refusée. Le 31 janvier 2002, il a épousé, à Toronto, Kham Luanglath, une citoyenne canadienne née au Vietnam et, le 4 juin 2002, il a présenté une demande en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration en vue d'être dispensé des exigences relatives à l'établissement en sa qualité de conjoint parrainé.


[2]                Dans cette demande, qui a été rédigée avec l'aide d'un consultant en immigration, M. Bui a indiqué qu'il avait rencontré sa femme, Mme Kham Luanglath, dans un parc, à Oslo, lorsqu'elle voyageait en Europe et qu'elle avait passé quatre jours en Norvège, au mois de juin 2000. Ils sont ensuite restés en contact en s'appelant souvent au téléphone jusqu'à ce que M. Bui vienne rendre visite à Mme Luanglath, au mois de septembre 2001. Après avoir passé une semaine ensemble à Montréal, ils ont décidé de se marier. M. Bui a déclaré qu'en Norvège, il travaillait dans l'industrie de la construction et qu'il espérait trouver un emploi dans le même domaine au Canada.

[3]                Avec l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la demande de M. Bui a été transformée en une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Au mois de novembre 2003, le défendeur a envoyé à M. Bui une demande de renseignements additionnels. M. Bui a rempli et soumis un nouveau formulaire de demande au mois de décembre 2003. Dans la lettre d'envoi, l'avocat dont M. Bui venait de retenir les services a mentionné que les antécédents professionnels inscrits dans la demande antérieure étaient faux. M. Bui avait en fait été en chômage et avait touché des prestations d'assistance sociale pendant huit ans avant son arrivée au Canada, par suite du stress lié à la rupture d'un mariage antérieur. Aucune autre correction n'a été apportée aux renseignements antérieurement soumis.

[4]                Selon l'affidavit de M. Bui qui a été déposé dans la présente instance, l'histoire de la rencontre de M. Bui avec sa femme était également inventée. M. Bui affirme maintenant avoir rencontré sa femme seulement après être arrivé au Canada à l'automne 2001.

[5]                Le 21 avril 2004, la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire présentée par M. Bui a été refusée parce que l'agente d'immigration qui procédait à l'examen n'était pas convaincue de prime abord qu'il s'agissait d'un mariage véritable. L'agente a noté que Mme Luanglath ne pouvait peut-être pas se marier étant donné que, selon son document d'établissement et d'autres documents, elle était déjà mariée à M. Tadam Luanglath.

[6]                L'agente n'était pas non plus convaincue que M. Bui était établi au Canada. Il est en chômage et n'a pas travaillé au Canada et il n'a suivi aucun cours de formation ou de perfectionnement professionnel. Il y avait peu de temps que M. Bui était au Canada. Par conséquent, l'agente n'a pas conclu à l'existence d'un nombre suffisant de raisons d'ordre humanitaire pour justifier le traitement de la demande de M. Bui depuis le Canada.

POINTS LITIGIEUX

[7]                1.          L'agente a-t-elle enfreint les principes d'équité procédurale en prenant sa décision sur le fondement de la crédibilité sans procéder à une entrevue?


2.          L'agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve ou en interprétant la preuve d'une façon erronée?

ARGUMENTS ET ANALYSE

1.          Équité procédurale

[8]                M. Bui soutient que ses droits à l'équité procédurale ont été violés parce qu'il n'a pas été convoqué à une entrevue. L'agente ne croyait pas que son mariage était un mariage véritable, tirant ainsi une inférence fondée sur une mauvaise appréciation de la preuve. Une entrevue aurait dû avoir lieu afin de permettre à l'agente d'apprécier la crédibilité de M. Bui. Plus la décision est importante pour la vie des personnes touchées, plus les protections procédurales doivent être rigoureuses : Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[9]                Le défendeur affirme qu'il n'existe aucun droit à une entrevue en vue de répondre aux préoccupations liées au caractère véritable d'un mariage : Baker, précité; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 40, au paragraphe 22. En l'espèce, il s'agit de savoir si le demandeur a convaincu l'agente que son mariage était un mariage véritable et il a omis de le faire : Aigbirior c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 A.C.F. no 1134 (1re inst.).


[10]            Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a fait remarquer, au paragraphe 34, que les décisions d'un agent d'immigration sont très différentes des décisions judiciaires. La Cour a reconnu que la loi prévoit une certaine souplesse dans la pratique et la procédure. Pour qu'une audience soit équitable, il n'est pas toujours nécessaire de tenir une entrevue orale. Le demandeur doit avoir une possibilité réelle de présenter les divers types de preuve qui sont pertinents dans son cas et il a droit à ce qu'il soit tenu compte d'une façon complète et équitable de ces éléments. Ce qu'il faut, c'est une participation réelle au processus décisionnel.

[11]            La norme applicable aux difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives aux fins de l'octroi de la dispense de l'obligation de demander un visa depuis l'étranger met en cause une exigence préliminaire rigoureuse : Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 139; Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 (C.F. 1re inst.).

[12]            Le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur et il peut présenter les faits qu'il estime pertinents. Une déclaration indirecte, succincte et obscure n'impose pas à l'agent l'obligation de mener une enquête plus approfondie : Owusu, précité, au paragraphe 9.

[13]            Je suis convaincu qu'en l'espèce, il n'y a pas eu un manquement à l'équité procédurale. M. Bui a eu une possibilité suffisante de présenter des éléments de preuve pertinents à l'appui de sa demande et il a été tenu compte d'une façon complète et équitable des éléments qu'il a soumis. Il est malheureux que le technicien juridique que M. Bui a initialement consulté l'ait mal conseillé, mais c'est M. Bui qui a choisi ce conseil. Il ne suffit pas de dire maintenant qu'il ne savait pas ce qui avait été signé et déposé : Cove c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 CFPI 266. Il lui incombait de s'assurer que les renseignements soient exacts. On ne saurait blâmer l'agente de ne pas avoir convoqué le demandeur à une entrevue afin de savoir ce qui était faux et ce qui était exact dans les observations écrites.

2.          L'omission de tenir compte de la preuve ou la mauvaise interprétation de la preuve

[14]            M. Bui affirme que l'agente n'a pas tenu compte d'éléments de preuve qui montraient que le mariage qu'il avait contracté avec Mme Luanglath était un mariage véritable. Cela comprenait la preuve selon laquelle le mariage avait été enregistré avec succès en Ontario et la preuve d'un bail d'habitation sur lequel figuraient les deux noms, indiquant qu'il y avait cohabitation. M. Bui a soumis un document du chef du village de Mme Luanglath, au Laos, où cette dernière avait vécu pendant de nombreuses années, indiquant que sa femme et M. Luanglath n'avaient jamais été mariés.

[15]            Le défendeur affirme que la norme de contrôle d'une décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.). L'agente a tenu compte comme il se doit des renseignements dont elle disposait et elle a tiré une conclusion qu'elle pouvait raisonnablement tirer. Les cours de justice ne doivent pas soupeser de nouveau la preuve : Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] 1 R.C.S. 3; Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 232 F.T.R. 101, au paragraphe 8.

[16]            À mon avis, l'agente pouvait raisonnablement tirer, selon la preuve présentée, la conclusion qu'elle a tirée. Le document d'établissement de Mme Luanglath datant de 1985 indiquait clairement qu'elle était mariée à ce moment-là. Il y avait également les actes de naissance des enfants, indiquant du moins que l'homme désigné comme étant son mari dans les documents d'établissement était le père de ses enfants. Il n'y avait pas de document indiquant qu'un divorce avait été obtenu au Canada. Au mieux, le document provenant du chef du village atteste simplement la propre déclaration de Mme Luanglath, à savoir qu'elle n'avait jamais antérieurement été mariée. Il ne s'agit pas d'un élément de preuve indépendant indiquant ce fait.


[17]            L'agente avait donc des motifs valables de douter de la validité du mariage. Quoi qu'il en soit, le mariage d'un citoyen canadien ne constituera pas toujours un motif suffisant pour accorder une réparation d'ordre humanitaire. La demande était fondée sur la relation du couple et sur les difficultés qu'une séparation leur causerait si M. Bui était obligé de présenter sa demande depuis la Norvège. Il n'est pas certain que la demande aurait été accueillie même si la validité du mariage avait été reconnue.

[18]            Je ne puis rien constater me permettant de modifier la décision de l'agente et, par conséquent, la demande sera rejetée.

[19]            Le demandeur a proposé la certification d'une question de portée générale portant sur la question de savoir si l'obligation d'équité exige la tenue d'une entrevue lorsque la crédibilité est en cause. Il est de droit constant, à mon avis, qu'une entrevue n'est pas toujours nécessaire pour satisfaire à la norme d'équité procédurale qui s'applique à l'agent qui procède à un examen des raisons d'ordre humanitaire : Baker, précité. La Cour a déjà statué qu'il faut tenir une audience lorsque la crédibilité est une question essentielle à l'affaire : Kaberuka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 3 C.F. 252 (1re inst.), et Tehrankari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1420 (1re inst.). Je ne suis pas convaincu que cette question soit déterminante en ce qui concerne le résultat de la présente affaire.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »          

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5353-04

INTITULÉ :                                                                TRANG BUI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                                       LE 6 JUIN 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 7 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                                              POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                                          POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.                                                         

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

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