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Date : 20051116

Dossier : IMM-3071-05

Référence : 2005 CF 1543

Montréal (Québec), le 16 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

SUKHDEV SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La présente est une demande de contrôle judiciaire, logée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 7 avril 2005. Par cette décision, la Commission a déterminé que M. Sukhdev Singh (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi.

FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Inde âgé de 55 ans, retraité de l'armée, dans laquelle il a servi à titre d'officier subalterne de 1970 à 2000. Le demandeur est Sikh. Avant d'arriver au Canada, il vivait avec sa famille dans le village de Bhatnura Lubana, dans l'État du Penjab.

[3]                 Le demandeur allègue que son frère Gurdial était un ami de Didar Singh, un contrebandier d'armes bien connu qui fournissait des armes aux militants et aux bandits. À la suite de son arrestation en 2003, Didar a informé la police qu'il avait caché des armes avec le frère du demandeur.

[4]                 La police a cherché le frère du demandeur mais, ne pouvant le localiser, a arrêté le demandeur à la place. Celui-ci a alors été détenu et torturé par la police. Il a dit à la police que son frère se trouvait chez son cousin, à Ambala. La police s'est rendue à Ambala et a arrêté Gurdial.

[5]                 Le demandeur a été libéré avec l'aide de membres du conseil du village et de « personnes influentes » , mais son frère est resté en détention. Le 24 janvier 2004, Gurdial a été trouvé mort.

[6]                 Le 4 mars 2004, le demandeur a consulté un avocat afin que des accusations soient portées contre la police pour la mort de Gurdial. Le 5 mars, le demandeur a été arrêté et torturé une deuxième fois. Il a encore une fois été libéré grâce à l'aide de « personnes influentes » . On lui a alors dit de ne pas porter d'accusations contre la police et de se rapporter une fois par mois au poste de police.

[7]                 Le demandeur a obtenu un visa de visiteur au Canada et a quitté l'Inde pour le Canada le 27 août 2004. Il a demandé l'asile le 6 septembre 2004.

QUESTIONS EN LITIGE

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur

n'était pas crédible?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions concernant la protection de l'État?

ANALYSE

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible?

[8]                 Les principaux arguments présentés par le demandeur visent à remettre en question les constatations de la Commission concernant sa crédibilité. Comme il a déjà été indiqué à maintes reprises, le niveau de déférence accordé aux décisions concernant la crédibilité est extrêmement élevé. C'est la position qu'adopte le juge de Montigny dans l'affaire Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 141, [2005] A.C.F. no 162, quand il affirme ceci, au paragraphe 45 :

Pour ce qui concerne la question de crédibilité, il est évident que la Cour doit beaucoup hésiter à intervenir lorsqu'il s'agit d'une décision en matière de crédibilité rendue par la Commission, qui a eu l'avantage d'entendre les témoins. Plusieurs jugements le mentionnent, les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » , ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); Siad c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 C.F. 608 (C.A.F.); Oyebade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de Immigration), [2001] A.C.F. no 1113; Sivanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 662 (C.F.).

[9]                 La Commission peut conclure qu'un demandeur n'est pas crédible en se fondant uniquement sur le fait que des éléments de son témoignage ne sont pas plausibles, dans la mesure où ses déductions ne sont pas déraisonnables et sont énoncées « termes clairs et non équivoques » (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] CFPI 1272; [2002] A.C.F. no 1724, au paragraphe 6).

[10]            Contrairement à ce qu'affirme le demandeur, je considère qu'il n'était pas déraisonnable, de la part de la Commission, de trouver très improbable qu'un très respecté officier subalterne à la retraite soit arrêté et torturé pour avoir rencontré un avocat dans le but de porter des accusations contre la police qui aurait prétendument tué son frère. Je ne trouve pas non plus déraisonnable que la Commission ait douté qu'il soit plausible que le demandeur ait été arrêté, torturé puis libéré en présence de personnes importantes comme des membres du conseil du village, qui auraient pu témoigner de la brutalité des autorités. Je considère que les déductions faites, concernant la crédibilité du demandeur, relevaient entièrement de la compétence de la Commission.

[11]            Le demandeur allègue que la Commission avait tort de laisser entendre que les membres du conseil du village auraient pu déclarer avoir été témoins des tortures infligées au demandeur puisqu'ils n'étaient pas présents au moment où les actes de brutalité ont eu lieu. La Commission affime dans sa décision :

[...] il est très invraisemblable qu'elle ait arrêté le demandeur d'asile, qui était un agent adjoint de la Commission connu et respecté, à la retraite (comme l'a affirmé le demandeur d'asile). Il est aussi très invraisemblable qu'elle l'ait torturé et mis en liberté en présence de personnes importantes comme le sarpanch, les membres du conseil du village ainsi que des personnes influentes, qui avaient été témoins de la brutalité de celle-ci et qui auraient pu témoigner en Cour.

(Page 2 de la décision de la Commission datée du 7 avril 2005)

[12]            Dans ce passage, je ne crois pas que l'intention de la Commission était de dire que les membres du conseil du village auraient pu agir comme témoins de visu de la brutalité, comme le demandeur le laisse entendre. Je considère que la Commission faisait simplement référence aux différentes manières dont les membres auraient pu faire savoir qu'ils étaient au courant des circonstances et des événements ayant entouré l'arrestation et la torture du demandeur. La Commission a bien compris et évalué les preuves qui lui ont été présentées, et sa décision concernant le témoignage des membres du conseil du village n'était pas manifestement déraisonnable.

[13]            La Commission conclut que l'affidavit signé par le sarpanch est soit un document de complaisance, soit un faux document. Le demandeur allègue qu'une telle conclusion est arbitraire et injuste, surtout si l'on considère qu'aucune vérification ou expertise indépendante n'a été faite sur l'affidavit en question. Dans l'affaire Al-Shaibie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1131, la Cour d'appel fédérale a repris les propos du juge Nadon dans l'affaire Hamid c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293, au paragraphe 21, concernant l'utilisation de documents après une conclusion défavorable quant à la crédibilité :

Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques. En l'espèce, la preuve du requérant n'a pas convaincu la Commission qui a refusé de donner aux documents en cause une valeur probante. Autrement dit, lorsque la Commission estime, comme ici, que le requérant n'est pas crédible, il ne suffit pas au requérant de déposer un document et d'affirmer qu'il est authentique et que son contenu est vrai. Une certaine forme de preuve corroborante et indépendante est nécessaire pour compenser les conclusions négatives de la Commission sur la crédibilité.

[14]            Dans la présente affaire, on n'a accordé aucune valeur probante à l'affidavit du sarpanch parce que la Commission a considéré que le demandeur n'était pas crédible. Par conséquent, je considère que la décision de la Commission de rejeter l'affidavit du sarpanch n'était ni arbitraire ni injuste.

[15]            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les documents pertinents présentés en preuve. Parmi ces documents, on trouve une lettre d'avocat, un certificat médical et un certificat de décès. Il est bien établi dans la jurisprudence que la Commission n'a pas à rendre compte de toutes les preuves présentées en exposant ses motifs. Comme la Cour d'appel fédérale l'a affirmé dans l'affaire Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, au paragraphe 1 :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.

[16]            On doit présumer que la Commission a tenu compte de toutes les preuves à moins que le contraire puisse être démontré. Je considère que le demandeur n'a pas démontré que la Commission avait négligé de considérer la totalité des preuves avant d'arriver à sa conclusion négative quant à la crédibilité.

[17]            Le demandeur affirme que la Commission n'a pas traité comme il se doit la preuve concernant le nombre de cas de violence policière portés devant la commission des droits de la personne de l'État, qui était passé de 90 à 2 100 cas en trois ans. Je conclus cependant que l'augmentation du nombre de cas ne correspond pas nécessairement à une augmentation des abus et de la violence; cela signifie simplement que les gens ont davantage accès à la justice et ont les moyens de loger des plaintes. Les statistiques de la Commission sont basées sur les preuves documentaires, et on y recourt pour illustrer le fait que la commission des droits de la personne de l'État est devenue un mécanisme efficace pour ceux qui veulent obtenir justice. Je considère que la Commission a bien compris et évalué les preuves qui lui ont été présentées, et qu'elle n'a donc pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible.

[18]            Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'étendue des violations des droits de la personne au Penjab. Je ne suis pas d'accord avec le demandeur et constate au contraire que la Commission a évalué l'ensemble de la preuve, en considérant la totalité des éléments qui lui étaient présentés. Dans son analyse, la Commission a évalué la preuve documentaire qui montre clairement que les conditions qui avaient cours entre 1984 et 1993 au Penjab s'étaient grandement améliorées et que les Sikhs n'étaient plus persécutés. En outre, la Commission a aussi constaté que la police ne pouvait plus agir impunément.

(Voir page 3 de la décision de la Commission, datée du 7 avril 2005)

Pour justifier une intervention de la Cour, le demandeur doit établir que la décision de la Commission concernant sa crédibilité est manifestement déraisonnable. Le juge von Finckenstein affirme, dans l'affaire Mutinda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] CF 365, [2004] A.C.F. no 429, au paragraphe 11, que :

Les conclusions en matière de crédibilité sont par essence des conclusions de fait, de sorte que la demanderesse a le fardeau de démontrer que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable ou que celle-ci l'a rendue sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[19]            Je conclus que le demandeur n'a pas démontré que les conclusions de la Commission concernant sa crédibilité étaient manifestement déraisonnables.           

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions concernant la protection de l'État?

[20]            Le demandeur prétend qu'il aurait été raisonnable que la Commission conclue qu'il ne pouvait pas compter sur la protection des autorités. Il dit que la protection de l'État n'est réelle que si elle est assurée de façon soutenue par la police, mais comme il a fait des démarches pour intenter des poursuites contre la police et compte tenu de la façon dont la police a agi à son égard et à l'égard de son frère, il est raisonnable de conclure que la protection des autorités n'irait pas de soi.

[21]            Un demandeur doit faire plus que de montrer qu'il est allé rencontrer quelques policiers et que ses efforts sont restés vains (voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532).

[22]            La présente Cour a déterminé maintes fois que, pour déterminer l'existence d'une protection de l'État, on peut se fier à la disponibilité d'organismes administrés ou créés par l'État, outre la police (Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 281, [2002] A.C.F. no 370; Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 1206, [2002] A.C.F. no 1642; Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1614).

[23]            La Commission a fait une analyse en profondeur de plusieurs documents concernant l'efficacité de la protection de l'État en Inde. Elle en est arrivée à la conclusion raisonnable que les personnes qui prétendent avoir été victimes de brutalité de la part de la police ont plusieurs ressources à leur disposition. En outre, beaucoup d'avocats et de groupes voués aux droits de la personne appuient dans leurs démarches ceux qui se disent victimes de violence policière. Comme le défendeur l'a signalé, la seule démarche que le demandeur ait faite pour assurer sa protection dans son pays a été d'aller voir un avocat, et une seule fois. La Commission tire la conclusion raisonnable que le demandeur n'a pas exploré toutes les possibilités qui lui sont offertes pour obtenir la protection de l'État.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

  • La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;
  • Aucune question ne soit certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Isabelle Rochon, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3071-05

INTITULÉ :                                       SUKHDEV SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 26 octobre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS

DATE :                                                Le 16 novembre 2005

COMPARUTIONS:

Jeffrey Platt

POUR LE DEMANDEUR

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Platt

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada        

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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