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Date : 20191101


Dossier : T-894-19

Référence : 2019 CF 1367

Ottawa (Ontario), le 11 novembre 2019

En présence de la Juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

JEAN-CLAUDE NADEAU

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Je suis saisie d’une requête écrite présentée par le Procureur général du Canada (« PGC »), visant à obtenir une ordonnance rejetant la demande de mandamus de M. Jean-Claude Nadeau.

[2]  M. Nadeau a atteint l’âge de 65 ans alors qu’il purgeait une peine d’incarcération dans un pénitencier fédéral. Sa demande de pension de la sécurité de la vieillesse a été approuvée par Service Canada en août 2015, mais avant même que le versement des prestations ne débute, Service Canada l’a informé que ses prestations seraient suspendues à compter de juin 2016, en raison de son incarcération.

[3]  S’en est suivi l’exercice par M. Nadeau d’une série de recours visant à attaquer cette décision et à contester la constitutionnalité de l’article 5(3) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC (1985), ch. O-9, qui prévoit qu’une personne assujettie à une peine d’emprisonnement à purger dans un pénitencier en vertu d’une loi fédérale n’a pas droit à la pension pendant cette période d’incarcération. Le dossier de M. Nadeau a d’abord fait l’objet d’une demande de reconsidération, pour ensuite faire un certain va-et-vient entre la Division générale et la Division d’appel du Tribunal de la Sécurité sociale.

[4]  Je ne mentionnerai ici que les demandes et décisions pertinentes pour trancher ce qui est présentement devant la Cour :

  • Le 11 octobre 2016, M. Nadeau demande à la Division générale d’ordonner au ministre de l’Emploi et du Développement social de lui remettre tous les documents en sa possession ayant mené à la décision de suspendre ses prestations ;

  • Le 18 octobre 2016, la Division générale répond à M. Nadeau qu’elle n’a pas l’autorité d’exiger du ministre de lui fournir les documents demandés, et elle lui transmet une copie de la Loi supprimant le droit des prisonniers à certaines prestations, LC, 2010, ch. 22, qui amende la Loi sur la sécurité de la vieillesse pour empêcher les personnes incarcérées de recevoir des prestations de pension de vieillesse ;

  • Le 19 juillet 2017, la Division générale rejette l’appel dont elle est saisie sur la foi du dossier dont elle dispose, en raison du défaut de M. Nadeau de se présenter à l’audience qui devait avoir lieu par vidéoconférence le 15 juin 2017 ;

  • En janvier 2018, la Division d’appel accorde la permission d’en appeler de cette décision et, du consentement du ministre, accorde l’appel et retourne le dossier à la Division générale;

  • Puisque dans ses observations écrites, M. Nadeau soulève certaines violations de la Charte canadienne des droits et libertés, la Division générale l’avise le 28 septembre 2018 qu’il doit déposer un avis au titre de l’alinéa 20(1)a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale (il s’agit d’un second avis d’une question constitutionnelle puisque le premier, jugé non conforme par la Division générale, a été retiré par M. Nadeau le 19 décembre 2016);

  • Le 26 octobre 2018, M. Nadeau produit ce second avis de question constitutionnelle et puisqu’il est à nouveau jugé non conforme par la Division générale, celle-ci décide qu’elle tranchera les autres questions soulevées par M. Nadeau, à l’exception de la question constitutionnelle;

  • M. Nadeau demande la permission d’en appeler de cette décision à la Division d’appel, laquelle est rejetée le 30 mai 2019 (elle refuse de se prononcer sur une décision interlocutoire de la Division Générale, étant d’avis qu’aucune circonstance exceptionnelle ne le justifie); elle retourne le dossier à la Division générale pour qu’elle se prononce sur le mérite de l’affaire;

[5]  Le même jour, M. Nadeau dépose devant la Cour sa demande en mandamus visant à forcer le PGC à lui transmettre « les documents demandés par le demandeur relativement aux dites demandes faites au Tribunal de la sécurité sociale du Canada et ce dans les 30 jours du jugement ». Voici la liste des documents dont il demande la production :

1.  JE DEMANDE au Procureur général du Canada de remettre au demandeur tous les documents qui sont pertinents ou liasses de documents pertinents, qui sont sous sa garde et à l’égard desquels je ne connais aucun privilège de non-divulgation n’a été revendiqué, dans le contenu des articles 4.1 et 5 du ministère de la justice sur la suspension de la pension de vieillesse du Canada pour une personne incarcérée.

2.  Une copie certifiée de la Clause dérogatoire que le gouvernement du Canada a en sa possession pour restreindre certains droits reconnus dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 envers le demandeur en date du 2016-05-05, pour une personne incarcérée sur la suspension des versements de la SV du demandeur.

3.  Les avis constitutionnels des procureurs généraux des provinces du Canada sur les droits reconnus dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 pour une personne incarcérée sur la modification de la Charte par les 2/3 des provinces et le droit d’appel du Procureur général du Canada sur les commentaires et des opinions des provinces.

4.  La preuve forte et persuasive que détient le Procureur général du Canada pour maintenir son action envers le demandeur sur la suspension des versements de la SV.

5.  Une copie certifiée des rapports des analystes juridiques et des juristes en constitutionnalités du gouvernement du Canada que la loi utilisée par Service Canada dans la suspension des versements de la SV du demandeur n’enfreint pas les droits reconnus dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 pour une personne incarcérée et que les jugements rendus par la Cour suprême du Canada, Cour fédérale du Canada sur les droits des personnes incarcérées sont non-applicables pour une personne incarcérée et que la pension du Canada est un subside.

6.  Une copie certifiée des documents qui donne toute la légitimité en droit de l’action du gouvernement du Canada de prendre possession des avoirs du demandeur, qui est la base de la pension de la sécurité de la vieillesse qui sont les cotisations que le demandeur a versées dans son compte NAS comme travailleur jusqu’à 65 ans, appartient à l’État le temps de l’incarcération.

7.  Une copie certifiée des raisons invoquées par le ministère de la justice du Canada pour ne pas avoir corrigé la Loi sur le ministère de la justice (art 5) qui prévoit, entre autres, qu’ « il conseille les chefs des divers ministères sur toutes les questions de droit qui concernent ceux-ci (al.c) en vue de vérifier si l’une de leurs dispositions est incompatibles avec les fins et dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés en conservant intégralement le contenu de l’article 123(2) de la Loi de 1964-1965, chapitre 51 sur le régime de pension du Canada repris par la Loi C-31 et absente de la Loi C-26 mais toujours en vigueur comme action envers le demandeur.

8.  Une copie certifiée de l’entente négociée entre les parties qui sont le Ministère de l’emploi et du Développement social Canada (antérieurement Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences) Ottawa (Ontario) K1A 0L4 et du service correctionnel du Canada, pour la suspension des versements de la pension du Canada et à l’égard desquels aucun privilège de non-divulgation n’est revendiqué.

9.  Une copie certifiée du Pourvoi déposé par le défendeur dans l’affaire Solasky c La Reine [1980] 1 RCS 821, par l’honorable Juge Dickson, sur les droits des personnes incarcérées.

10.  Une copie certifiée que l’État n’est pas tenu d’appliquer et de reconnaître les jurisprudences des jugements rendus par les tribunaux sur les droits et libertés qui sont enchâssées dans la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 pour une personne incarcérée [sic].

[6]  Une simple lecture de cette liste mène à la conclusion que certains des documents qui y sont énumérés n’existent tout simplement pas, alors que d’autres ne sont pas pertinents au recours de M. Nadeau devant la Division générale du Tribunal de la Sécurité sociale. Dans certains cas, il ne s’agit pas réellement d’une demande de documents mais plutôt d’un argument juridique déguisé en demande de production de documents.

[7]  Quoiqu’il en soit, il n’appartient pas à cette Cour de régir l’exercice d’un recours pendant devant un tribunal administratif spécialisé. La Division générale est maître de sa procédure et elle a pleine autorité pour déterminer la preuve requise et pertinente à l’exercice de sa compétence.

[8]  Dans son dossier de réponse, M. Nadeau invoque « l’énoncé de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, pour une défense pleine et entière qui n’est pas observée et que la loi sur la preuve au Canada, Art 650 [cette loi n’a que 54 articles], arrêt R.C. Stinchicombe 560 [sic] », au soutien de sa demande de production de documents. Or, il ne s’agit pas ici d’un cas de discrimination qui soulève l’application de la Charte, ni une procédure criminelle qui nécessite une communication complète de la preuve de la part de la Couronne. Il s’agit d’une procédure administrative régie par le Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60, laquelle n’est pas épuisée. Une demande de contrôle judiciaire ou une demande en mandamus devant cette Cour est donc prématurée (Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 aux paras 30-33, 51).

[9]  M. Nadeau invoque également l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la justice, LRC (1985), ch. J-2 qui prévoit que le ministre de la justice vérifie la conformité des lois et règlements qui sont présentés à la Chambre de communes à la Charte canadienne des droits et libertés.

[10]  Les documents énumérés au paragraphe 5 relèvent d’un certain nombre d’institutions fédérales, incluant le ministère de la justice. Or, la Loi sur l’accès à l’information confère aux particuliers et aux sociétés le droit d’accéder aux documents qui relèvent des institutions fédérales; elle prévoit qu’ils peuvent se les faire communiquer sur demande, sous réserve des exceptions qui y sont prévues. M. Nadeau a également l’obligation d’épuiser les recours que lui confère la Loi sur l’accès à l’information. Un recours en mandamus devant cette Cour n’est pas une alternative à une demande d’accès à l’information.

[11]  Il est donc évident et manifeste que le recours de M. Nadeau est prématuré et qu’il n’a aucune chance de succès.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-894-19

LA COUR STATUE que :

  1. La requête du défendeur est accueillie;

  2. La demande en mandamus du demandeur est rejetée;

  3. Le tout sans frais.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-894-19

 

INTITULÉ :

JEAN-CLAUDE NADEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À OTTAWA, ONTARIO SUITE À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE en chef adjointe GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 novembre 2019

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR  :

Jean-Claude Nadeau

 

SON PROPRE COMPTE

 

Sylvie Doire

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la Justice

Gatineau, Québec

 

Pour lE DÉFENDEUR

 

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