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Date : 20191126


Dossier : IMM‑2004‑19

Référence : 2019 CF 1513

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MODUPEOLA WINNIEFRED KOLADE

MOROLAOLUWA TENIOLA KOLADE

OMOROMOLA MOFE KOLADE

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire du rejet, par un agent principal [l’agent], d’une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et d’une demande subsidiaire de permis de séjour temporaire, lequel rejet est daté du 27 février 2019 [la décision].

[2]  Les présents motifs ont été prononcés de vive voix, à l’audience tenue le 21 novembre 2019, date à laquelle je me suis réservé le droit de les réviser sur les plans de la grammaire, de la syntaxe, de la langue, des citations et des références.

[3]  Les faits sous‑jacents sont que la demanderesse principale et ses deux enfants mineures sont citoyennes du Nigéria. Elles sont arrivées au Canada en juin 2016. En juillet 2016, elles ont déposé une demande d’asile fondée sur des allégations selon lesquelles la famille de l’époux de la demanderesse principale, établie au Nigéria, souhaitait que les demanderesses mineures subissent une mutilation génitale féminine [MGF]. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leur demande en septembre 2016, déclarant que le facteur déterminant était la possibilité de refuge intérieur ailleurs au Nigéria. Les demanderesses ont interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. En septembre 2017, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demanderesses n’avaient ni la qualité de réfugiées au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[4]  Au moment de la décision, la demanderesse principale avait entre la mi‑trentaine et la fin de la trentaine, et ses deux filles étaient âgées d’environ 10 ans, une plus jeune et une plus âgée. Leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire reposait sur l’établissement au Canada, les difficultés qu’elles subiraient en retournant au Nigéria et l’intérêt supérieur des demanderesses mineures. La demanderesse principale a subi une MGF lorsqu’elle était enfant et continue de souffrir de ses effets néfastes sur son bien‑être physique et psychologique. Un psychiatre, c.‑à‑d. un médecin du Centre de toxicomanie et de santé mentale, lui a diagnostiqué un trouble dépressif majeur ainsi qu’un trouble de stress post‑traumatique, et il a indiqué que le risque de suicide de la demanderesse principale augmenterait si elle retournait au Nigéria.

[5]  La norme de contrôle d’une affaire fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est la décision raisonnable, comme cela a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy].

[6]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui était attendu d’une cour appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[7]  La Cour suprême du Canada nous explique également qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. En outre, une cour de révision doit décider si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable : voir Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir également Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[8]  Avant d’aborder les questions particulières en l’espèce, comme je l’ai indiqué au début de l’audience, je n’ai pas trouvé dans la présente affaire de considération importante ou substantielle de ce qui, d’après moi, constitue le deuxième volet du critère de l’arrêt Kanthasamy, à savoir celui de déterminer s’il existe des faits en l’espèce de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne, dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial. Tels sont les enseignements de l’arrêt Kanthasamy, eu égard à la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1970), 4 AIA 351 [Chirwa], laquelle est une décision antérieure dans le contexte humanitaire, mais qui a eu tendance à être laissée de côté au fil des ans, les difficultés étant devenues le principal objet des décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire. En résumé, dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a rétabli l’approche adoptée dans Chirwa, en plus de confirmer une analyse des difficultés.

[9]  Si je peux me permettre de parler de difficultés maintenant, je conviens avec la demanderesse que l’agent semble avoir importé une évaluation des risques au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Je dis cela parce qu’il a demandé à la demanderesse de [traduction« réfuter les conclusions importantes tirées par la SPR et la SAR ». À mon humble avis, cette approche semble imposer un fardeau trop lourd aux demanderesses, parce que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne constituait pas un appel de la décision de l’un ou l’autre de ces tribunaux.

[10]  En toute déférence, j’estime de plus que l’agent s’est en quelque sorte substitué à la SAR en ce qui concerne la protection de l’État, contrevenant ainsi aux enseignements du juge Scott (tel était alors son titre), dans Uo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 557, au par. 50 :

[…] Le fait que la SPR avait conclu qu’il y avait une protection de l’État adéquate qui empêchait les demanderesses d’obtenir l’asile ne veut pas automatiquement dire qu’il y a également une protection de l’État adéquate dans le contexte [des considérations d’ordre humanitaire] qui préviendrait de trop grandes difficultés. […]

[11]  En ce qui concerne la situation dans le pays en rapport avec les difficultés — et, encore une fois, j’en ai aussi discuté lors de l’audience — les demanderesses soutiennent que l’agent s’est référé de manière sélective au rapport du Home Office du Royaume‑Uni intitulé Country Policy and Information Note, Nigeria: Medical and Healthcare issues, version 2.0 (août 2018), tout en ne tenant pas compte d’autres parties du même rapport, lesquelles contredisaient ses conclusions.

[12]  En toute déférence, je dois souscrire à cet argument. L’agent a cité ce rapport britannique et a fait remarquer qu’au Nigéria, il existait des hôpitaux de neuropsychiatrie, des écoles de médecine avec des départements de psychiatrie ainsi que six hôpitaux psychiatriques d’État. L’agent a ensuite déclaré :

[traduction]

Il est évident, d’après les documents, que le Nigéria dispose d’une politique de santé mentale officiellement approuvée et qu’il existe des services de santé mentale accessibles au Nigéria, et la demanderesse n’a pas présenté suffisamment [d’éléments de preuve objectifs] pour établir qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir un traitement si elle en avait besoin.

[13]  À mon avis, l’agent n’a pas examiné adéquatement d’autres renseignements contraires contenus dans le même rapport du Royaume‑Uni, qui mentionne notamment que [traduction« [l]es ressources humaines ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins du pays [...] il y a moins de 300 psychiatres pour les quelque 180 millions d’habitants du Nigéria ». Ce fait mine sérieusement la généralité des conclusions de l’agent, au point de les rendre quasiment insoutenables au regard de la preuve.

[14]  Une autre préoccupation que j’ai à l’égard de l’analyse relative à la situation dans le pays est liée à l’examen qu’a fait l’agent de la loi sur la protection contre la violence faite aux personnes [le Violence Against Persons Protection Act ou VAPP Act], une loi de l’assemblée législative fédérale du Nigéria. L’agent a conclu que le VAPP Act [traduction« prot[égeait] les femmes contre les pratiques traditionnelles préjudiciables ». Toutefois, le rapport de 2017 du Département d’État des États‑Unis, dont des extraits ont été fournis à l’agent, mais n’ont pas été cités, et dont je n’ai aucune raison de douter, mentionnait que le VAPP Act ne s’appliquait que dans le district fédéral du Nigéria; le VAPP Act n’avait pas encore été adopté en dehors de cette zone relativement petite. Ainsi, et en toute déférence, je suis amené à juger la conclusion de l’agent comme n’étant pas étayée par la preuve et, encore une fois, comme étant déraisonnable.

[15]  Quant à l’intérêt supérieur des enfants, je ne suis pas du tout convaincu que l’agent s’y soit montré réceptif, attentif et sensible. Je conviens qu’il n’y a aucune expression figée ni formule magique, et j’ai indiqué ce qui suit dans Jaramillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 744, au par. 70 :

[70]  C’est à juste titre que le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant ne prévoit aucune expression figée ni formule magique. Cependant, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il est de droit constant qu’il faut que l’agent se soit montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants visés. […]

[16]  Néanmoins, je suis très préoccupé par l’analyse qu’a faite l’agent de l’intérêt supérieur des enfants. Plusieurs raisons m’y ont amené. Tout d’abord, dans cet aspect de l’analyse et, en fait, tout au long de cette décision, l’agent a abondamment et exagérément employé des expressions passe‑partout comme celles critiquées par le juge Rennie (tel était alors son titre), et d’autres encore, notamment dans Velazquez Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1009, au par. 19 :

[19]  Il est devenu monnaie courante de lire des décisions [relatives aux considérations d’ordre humanitaire] et des décisions [en matière d’évaluation des risques avant renvoi] dans lesquelles les motifs exposés se limitent à la formule suivante : « Les demandeurs allèguent X; cependant, je ne relève pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir X. » Ce genre de formule type est contraire à la raison d’être des motifs de décisions, puisqu’elle obscurcit plutôt que ne révèle la justification de la décision de l’agent. Les motifs devraient être rédigés pour permettre au demandeur de comprendre pourquoi une décision a été rendue et non pour mettre la décision à l’abri d’un contrôle judiciaire : Lorne Sossin, « From Neutrality to Compassion: The Place of Civil Service Values and Legal Norms in the Exercise of Administrative Discretion », (2005), 55 UTLJ 427.

[17]  Par exemple, l’agent déclare à un endroit :

[traduction]

On ne m’a fourni aucune preuve objective pour étayer la proposition selon laquelle ces services ne seraient pas à la disposition de toutes les demanderesses à leur retour au Nigéria. Je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir que les demanderesses mineures n’auraient pas les mêmes possibilités. Je ne dispose pas non plus de suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour indiquer que, au Nigéria, les activités parascolaires ne sont pas offertes aux élèves ou ne leur sont pas accessibles. On ne m’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs.

[18]  La dernière phrase n’est d’aucune utilité. Il semble s’agir de l’insertion d’une partie d’un menu déroulant; l’énoncé final requis fait défaut. C’est préoccupant.

[19]  En outre, les motifs de l’agent portent réellement à confusion quant au nombre et au genre des jeunes enfants dont l’agent doit déterminer l’intérêt supérieur. La situation de départ est qu’il y a en l’espèce une mère et ses deux jeunes enfants. C’est d’elles que l’agent est censé tenir compte dans l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants. Au début, l’agent indique à juste titre que les enfants sont toutes les deux des filles. Cependant, l’agent déclare ensuite [traduction« il retournera ». En toute déférence, ce n’est pas [traduction« il » qui retournerait (au Nigéria), mais « elles », puisqu’il s’agit de deux filles, et non de garçons. La même erreur est encore une fois commise lorsque l’agent affirme ceci : [traduction« Il est raisonnable de penser que, tous les ajustements qu’ils devront faire, ils les feront en bénéficiant des soins et du soutien de sa famille ». En toute déférence, ce n’est pas [traduction« sa famille », mais plutôt celle de non pas une, mais de deux petites filles. Encore une fois, le genre et le nombre d’enfants sont erronés. Les mêmes motifs relatifs aux considérations d’ordre humanitaire se poursuivent : [traduction« On ne m’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour me convaincre que les enfants sont assimilés ou intégrés au Canada à un point tel que, si la présente demande était rejetée, il soit incapable de se réintégrer ou de se réadapter au Nigéria, où ils sont nés. » Encore une fois, ce n’est pas un seul garçon qui pourrait ou non se réintégrer, mais deux enfants, en particulier les deux petites filles de la mère. La Cour a reconnu que nous commettions tous des erreurs typographiques ou grammaticales, mais le devoir de l’agent dans un cas comme celui‑ci est d’être réceptif, attentif et sensible aux personnes qui sont en réalité devant lui. Ces erreurs répétées en ce qui concerne, non seulement, le nombre d’enfants, mais aussi leur genre, me dérangent franchement.

[20]  En ce qui concerne la preuve médicale et professionnelle, et nonobstant les efforts de l’avocat pour me dissuader, je suis d’avis que l’agent avait un doute déraisonnable sur les opinions professionnelles fournies dans la présente affaire, en faisant remarquer l’absence de traitement continu (à deux reprises) et l’insuffisance des séances de counseling. À mon humble avis, cela va à l’encontre des enseignements de la décision des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 47 :

[47] On comprend mal que, après avoir fait droit au diagnostic psychologique, l’agente exige quand même de Jeyakannan Kanthasamy une preuve supplémentaire quant à savoir s’il a ou non cherché à obtenir des soins ou si de tels soins étaient même offerts, ou quant aux soins qui existaient ou non au Sri Lanka. Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[Les italiques sont dans l’original.]

[21]  En particulier, les conclusions qui me préoccupent sont les suivantes :

[traduction]

Le résumé date d’il y a plus d’un an et demi, et je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la demanderesse a demandé un traitement pour [nom supprimé] concernant ses pensées suicidaires. De plus, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve que [nom supprimé] assiste régulièrement à des séances de counseling ou qu’elle reçoit un traitement continu pour traiter ses pensées suicidaires.

[22]  Je ne suis pas en mesure de concilier ces conclusions avec les enseignements de la Cour suprême du Canada.

[23]  En ce qui concerne l’établissement, je suis préoccupé par le fait que cet aspect des motifs de l’agent est vicié par ce que certains pourraient qualifier d’impasse, à savoir qu’ayant énoncé toutes les réussites qu’a connues une personne au Canada — en l’espèce, l’agent le fait tant à l’égard de la mère que de ses deux enfants — l’agent a, si l’on peut dire, retourné ces réussites contre elles, déclarant [traduction« on peut donc s’attendre à ce que vous connaissiez les mêmes réussites à votre retour au Nigéria ». Voir la décision du juge Rennie, qui siège maintenant à la Cour d’appel, dans Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336, au par. 26 :

[26]  En d’autres termes, l’analyse du degré d’établissement des demandeurs ne devrait pas être fondée sur la possibilité qu’auront les demandeurs d’exercer ou non des activités semblables en Haïti. D’après l’analyse effectuée par l’agente, plus le demandeur réussit, est entreprenant et fait preuve de civisme tandis qu’il est au Canada, moins il a de chances que sa demande fondée sur l’article 25 soit accueillie. Mon collègue le juge Russel Zinn a bien exprimé ce point dans le jugement Sebbe c The Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 813, au paragraphe 21 :

… Cependant, la présente affaire commande une analyse et une évaluation du degré d’établissement des demandeurs et de la mesure dans laquelle cet élément joue en faveur de l’octroi d’une dispense. L’agent ne doit pas simplement faire abstraction des mesures prises par les demandeurs et en attribuer le mérite au régime canadien de l’immigration et de la protection des réfugiés pour leur avoir donné le temps de prendre ces mesures; il doit reconnaître l’initiative dont les demandeurs ont fait preuve à cet égard. Il doit également se demander si l’interruption de cet établissement milite en faveur de l’octroi de la dispense.

[24]  J’ai également abordé cette question dans l’affaire Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, citée dans les documents des demanderesses et dans laquelle j’ai tiré la même conclusion que le juge Rennie, au par. 35 :

[35]  À mon humble avis, l’évaluation faite par l’agent de l’établissement du demandeur était effectivement examinée sous l’angle des difficultés. L’agent a accordé un poids important au soutien qu’il avait reçu pour ses années de travail en tant que bénévole dans la communauté, à la radio et dans le domaine de la musique — mais il l’écarte immédiatement en renvoyant à sa capacité de faire du bénévolat aux États‑Unis. Autrement dit, il ne subira pas tant de difficultés. Je suis d’avis que cet accent mis sur ce qu’il pourrait faire aux États‑Unis va à l’encontre de ce que le juge Rennie, qui siégeait à ce moment à la Cour, a affirmé dans Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 336, au paragraphe 26 : « […] l’analyse du degré d’établissement des demandeurs ne devrait pas être fondée sur la possibilité qu’auront les demandeurs d’exercer ou non des activités semblables en Haïti. D’après l’analyse effectuée par l’agente, plus le demandeur réussit, est entreprenant et fait preuve de civisme tandis qu’il est au Canada, moins il a de chances que sa demande fondée sur l’article 25 soit accueillie ».

[25]  J’ai dit d’entrée de jeu que le contrôle judiciaire n’était pas une chasse au trésor à la recherche d’une erreur. Il peut y avoir de bonnes raisons pour que la Cour suprême du Canada se prononce de cette façon, parce que les agents traitent un grand nombre de demandes et que les erreurs occasionnelles ou le caractère déraisonnable peuvent se glisser dans leurs rapports. La Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, doit prendre du recul et considérer l’affaire comme un tout. Il ne suffit pas d’additionner les facteurs favorables et défavorables, et il y a des facteurs favorables en l’espèce. Cependant, il y a aussi des facteurs défavorables que j’ai spécifiquement mentionnés dans les présents motifs. La Cour doit être convaincue que la décision dans son ensemble appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Selon mon analyse et en toute déférence, la décision ne satisfait pas à cette norme. Par conséquent, elle doit être annulée.

[26]  Les parties conviennent que l’intitulé de la cause en l’espèce devrait être modifié pour indiquer que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, ce qui sera fait.

[27]  Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et je n’en ai décelé aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2004‑19

LA COUR STATUE :

  1. que l’intitulé en l’espèce est modifié de manière à ce que le défendeur soit désigné dès maintenant comme le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration;

  2. que la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  3. que la décision de l’agent est annulée et renvoyée pour nouvelle décision par un autre décideur;

  4. qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de décembre 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2004‑19

 

INTITULÉ :

MODUPEOLA WINNIEFRED KOLADE, MOROLAOLUWA TENIOLA KOLADE, OMOROMOLA MOFE KOLADE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Natalie Domazet

Rylee Raeburn‑Gibson

 

Pour les demanderesses

 

Gordon Lee

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell

LLP Migration Law Chambers

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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