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Date : 20191126


Dossier : IMM‑2121‑18

Référence : 2019 CF 1506

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

YONNA SAYBAH KRAH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne l’appréciation, fondée sur les faits et la crédibilité, des éléments de preuve relatifs à l’identité d’une personne.

[2]  La demanderesse, Yonna Saybah Krah, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 13 avril 2018 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a confirmé le refus de la demande de visa de résident permanent présentée par son époux, Kenny Edo Alohan (l’époux) à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

[3]  La principale question en l’espèce tient au défaut de l’époux d’établir son identité. La SAI a conclu qu’il avait contrevenu aux paragraphes 11(1) et 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[4]  La demanderesse fait valoir que l’analyse, par la SAI, de certains éléments de preuve touchant à l’identité de son époux était erronée; elle ajoute que la SAI n’aurait pas dû tirer des inférences défavorables de son absence à l’audience devant le tribunal.

[5]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la SAI rejette la demande de parrainage de la demanderesse, car elle était truffée d’incohérences factuelles, de contradictions et d’irrégularités en ce qui touchait l’identité de son époux; il ajoute qu’étant donné qu’elle manque de crédibilité, la demanderesse ne devrait bénéficier d’aucune présomption d’authenticité des documents présentés en preuve.

[6]  Je rejetterai la demande de contrôle judiciaire. Il incombe aux demandeurs de prouver leur identité, et la demanderesse n’a pas démontré en quoi la SAI a eu tort d’entretenir de sérieux doutes quant à la crédibilité, l’authenticité et la véracité de la preuve que son époux avait fournie au sujet de son identité.

II.  Contexte

[7]  La demanderesse, qui est née au Nigéria, est devenue citoyenne canadienne en 1999. Elle vit depuis au Canada, et a un enfant né d’une relation précédente.

[8]  En revanche, les antécédents de son époux au Canada sont assez mouvementés.

[9]  L’époux de la demanderesse est né au Nigéria en 1965. Entré au Canada en avril 2000 grâce à un passeport britannique frauduleux (dont il s’est débarrassé avant d’embarquer pour son vol à destination du Canada), il a présenté une demande d’asile qui a été refusée par la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) dans une décision datée du 19 janvier 2001 (décision relative à la demande d’asile). Dans sa décision, la CISR a conclu que l’époux de la demanderesse ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir, par une preuve crédible et digne de foi, qu’il avait une crainte fondée d’être persécuté s’il devait retourner au Nigéria.

[10]  Environ deux semaines avant la décision relative à la demande d’asile, le 6 janvier 2001, l’époux de la demanderesse s’est marié avec sa première épouse canadienne. Le 2 avril suivant, cette dernière a déposé pour lui, à titre d’épouse, une demande de visa de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial (la première demande dans la catégorie du regroupement familial).

[11]  L’époux de la demanderesse ne s’est pas présenté à une rencontre avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour organiser son départ du Canada le 4 avril 2001, après la décision relative à la demande d’asile. Un mandat a été délivré en vue de son arrestation le 11 avril suivant; il a toutefois été remis en liberté en attendant qu’il soit statué sur la première demande dans la catégorie du regroupement familial.

[12]  L’époux de la demanderesse a continué de ne pas se présenter à des rencontres périodiques avec CIC, et la question de savoir s’il vivait encore avec sa première épouse canadienne faisait débat. Un autre mandat a été délivré en vue de son arrestation le 18 juillet 2001. Il a enfin été appréhendé le 1er avril 2002, puis remis en liberté sous caution.

[13]  Le 21 juin 2002, la CISR a rejeté la première demande dans la catégorie du regroupement familial, principalement parce qu’elle avait conclu que le mariage était un mariage de convenance.

[14]  Par suite du rejet de cette demande, l’époux de la demanderesse devait être renvoyé du Canada le 26 juin 2002. Cependant, il ne s’est pas présenté à la rencontre prévue avec CIC. Un autre mandat a donc été délivré le 2 juillet suivant en vue de son arrestation.

[15]  Le 12 septembre 2002, la Cour a refusé, pour des raisons procédurales, l’autorisation de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CISR ayant rejeté la première demande au titre de la catégorie du regroupement familial.

[16]  Le 20 septembre 2003, le mariage entre l’époux de la demanderesse et sa première épouse canadienne a été dissous; un certificat de divorce a été délivré en conséquence.

[17]  La demanderesse et M. Alohan se sont mariés le 25 avril 2009; le 2 septembre 2010, elle a présenté pour lui, à titre d’épouse, une demande de statut de résident permanent dans la catégorie du regroupement familial (la deuxième demande).

[18]  La demanderesse et son époux ont déclaré, dans le cadre de cette deuxième demande, qu’ils s’étaient rencontrés pour la première fois dans une boîte de nuit le 12 juin 2007. Le dossier certifié du tribunal contient toutefois la copie du bail d’un appartement à Montréal, sur lequel ils sont tous les deux identifiés comme les locataires. Ce bail entrait en vigueur le 1er juillet 2006. Cette question n’a pas été soulevée à l’audience; je ne la mentionne donc qu’au passage.

[19]  Le 18 novembre 2011, durant son entrevue du conjoint avec CIC relativement à la deuxième demande, l’époux de la demanderesse a été placé en détention par l’Agence des services frontaliers du Canada en vue de son renvoi, sur la foi du mandat d’arrestation de 2002. Encore une fois, il a été remis en liberté sous caution.

[20]  Le 13 décembre 2011, un agent d’immigration a rejeté la deuxième demande, principalement parce que la demanderesse et son époux n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour le convaincre que leur mariage était authentique.

[21]  Dans son rapport versé au dossier, l’agent d’immigration formulait des doutes quant à la crédibilité des parties, et faisait remarquer que l’époux de la demanderesse avait fourni une déclaration solennelle attestant qu’il n’avait jamais détenu de passeport légal par le passé. Pourtant, lorsqu’il se trouvait au Canada en 2010, il avait obtenu, après en avoir fait la demande, un document intitulé « Certificat de moralité de la police nigériane » (le Certificat de police de 2010), lequel faisait référence à un numéro de passeport nigérian qui lui avait été délivré le 16 mai 2001. L’agent d’immigration n’a pas été convaincu par l’explication fournie par l’époux pour justifier cette contradiction. L’importance du certificat de police de 2010 sera abordée plus loin.

[22]  Le 17 mai 2012, sans fournir de motifs, la Cour a refusé d’accorder l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire relativement à la décision par laquelle la CISR avait rejeté la deuxième demande.

[23]  L’époux de la demanderesse a ensuite déposé une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaires, qui a été rejetée; l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire relativement à cette décision a aussi été refusée par la Cour le 7 mars 2014.

[24]  Le 11 avril suivant, la demanderesse a soumis une autre demande visant à parrainer le visa de résident permanent de son époux dans la catégorie du regroupement familial (la troisième demande).

[25]  De plus, le 7 mai 2014, l’époux de la demanderesse a sollicité une évaluation des risques avant renvoi au titre de la Section 3 de la Partie 2 de la LIPR. Cette demande a été rejetée le 30 janvier 2015 après qu’il eut été établi que l’époux de la demanderesse ne serait pas exposé à un risque de persécution ou à une menace contre sa personne s’il retournait au Nigéria.

[26]  Le 19 septembre 2014, l’avocat représentant la demanderesse et son époux a répondu à une demande du Haut Commissariat du Canada à Accra, au Ghana (HCC Ghana), qui visait à obtenir des documents à l’appui de la troisième demande. Des documents supplémentaires ont donc été envoyés au HCC Ghana le 4 décembre 2014.

[27]  Le 10 décembre suivant, le HCC Ghana a transmis à l’époux de la demanderesse ce qui était essentiellement une lettre d’équité procédurale. L’agent d’immigration l’a informé que sa demande de résidence permanente ne remplissait pas les exigences prévues par la LIPR. Sur la foi de la preuve fournie, l’agent d’immigration n’était pas convaincu : 1) de l’authenticité du mariage entre l’époux et la demanderesse; 2) de l’authenticité des documents soumis; et 3) par les éléments de preuve relatifs à son identité. L’agent d’immigration a toutefois accordé à l’époux de la demanderesse 30 jours pour fournir des renseignements additionnels susceptibles d’étayer l’authenticité du mariage ainsi que son identité.

[28]  Des documents supplémentaires ont été envoyés au HCC Ghana en janvier 2015.

[29]  Le 20 février 2015, le HCC Ghana a rejeté la troisième demande présentée par la demanderesse, parce que l’agent n’était pas convaincu que son époux avait divulgué sa véritable identité et que les documents fournis pour établir son identité n’avaient pas été jugés authentiques.

III.  La décision soumise au contrôle

[30]  Le 23 mars 2015, la demanderesse a interjeté appel devant la SAI du rejet de la troisième demande.

[31]  À la suite d’échanges entre les parties et la SAI quant à la manière dont l’appel devait aller de l’avant, la SAI a décidé que celui-ci se poursuivrait conformément au processus normal d’audience. Une audience a en fin de compte été fixée au 5 décembre 2017. La SAI a délivré un avis de comparution à toutes les parties, y compris à la demanderesse.

[32]  À la date de l’audience, la demanderesse ne s’est pas présentée, pas plus que les frères et sœurs de son époux ni les personnes qui avaient soumis des lettres d’attestation et des affidavits pour les soutenir tous les deux. Le seul témoin était l’époux lui-même.

[33]  L’avocat de la demanderesse a informé la SAI que sa cliente avait dû aller travailler et que, de toute façon, il lui avait dit aussi que comme la seule question dont la SAI était saisie concernait l’identité de son époux, il n’était pas nécessaire qu’elle soit présente, puisqu’elle ne l’avait rencontré qu’en 2007 et ne pouvait donc être d’aucune aide pour établir son identité avant cette date.

[34]  La SAI a alors instruit l’affaire en l’absence de la demanderesse, et malgré l’objection soulevée par le représentant du ministre. Après l’audience, comme la décision rejetant la troisième demande invoquait uniquement l’identité de l’époux comme motif de refus, la SAI a demandé au représentant du ministre de préciser si le ministre souhaitait ajouter un motif de refus lié à l’authenticité du mariage.

[35]  Le 19 décembre 2017, le représentant du ministre a informé la SAI que même si le ministre n’était pas convaincu de l’authenticité du mariage, il n’en ferait pas un motif additionnel de refus relativement à la troisième demande.

[36]  Après avoir reçu les observations écrites des parties le 13 avril 2018, la SAI a rendu sa décision rejetant l’appel. Elle a conclu que le témoignage de l’époux manquait de crédibilité et qu’il n’avait pas établi son identité par des documents dignes de foi. Comme la question de son identité mettait en jeu l’authenticité de son mariage, et donc son statut de membre de la catégorie du regroupement familial, il a été établi que l’époux de la demanderesse ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer pourquoi il n’était pas interdit de territoire au Canada. La SAI a également tiré des inférences défavorables du défaut de la demanderesse de comparaître et de témoigner.

[37]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

IV.  Question préliminaire

[38]  La présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 7 juin 2018.

[39]  Le 4 juillet suivant, le défendeur a sollicité la radiation de la demande, du dossier de requête de la demanderesse et de l’affidavit fourni à l’appui, lequel était signé par un stagiaire en droit du cabinet de l’avocat de la demanderesse, plutôt que par la demanderesse elle-même.

[40]  Le 22 mars 2019, le juge Pentney a refusé de radier la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (Krah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 361, au par. 24 [Krah n1]). Il a également mentionné qu’il était prématuré de demander la radiation de tout ou partie des affidavits déposés par la demanderesse, et a laissé au juge chargé d’instruire l’affaire le soin de trancher la question.

[41]  Ayant à présent instruit l’affaire, je conviens avec le juge Pentney qu’il n’est pas absolument nécessaire qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soit étayée par un affidavit de la demanderesse (Krah no 1, au par. 16). En l’espèce, l’affidavit du stagiaire en droit visait simplement à présenter des documents — dont la plupart figuraient déjà dans le dossier certifié du tribunal —, sans faire valoir d’autres faits ou arguments. Je ne vois pas l’utilité de le radier.

[42]  Quant à l’affidavit de l’ancien avocat de la demanderesse, joint en tant que pièce à l’affidavit du stagiaire, j’estime que la décision du juge Pentney a pleinement traité de tous les problèmes soulevés par ce document (Krah no 1, aux par. 16 à 23). J’estime que cet affidavit est truffé d’opinions et d’arguments. Son contenu est mieux adapté à des observations écrites (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huntley, 2010 CF 1175; Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47; Duyvenbode c Canada (Procureur général), 2009 CAF 120). Je ne lui accorde aucun poids.

[43]  Le 6 juin 2019, la Cour a donné son autorisation pour que la demande de contrôle judiciaire aille de l’avant.

V.  Norme de contrôle

[44]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions à trancher :

  • 1) La SAI a‑t‑elle commis une erreur en accordant peu de poids aux documents censés établir l’identité de l’époux de la demanderesse?

  • 2) La SAI a‑t‑elle tiré du témoignage de l’époux ainsi que du défaut de citer des témoins pour attester son identité des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité?

  • 3) La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de l’identité de l’époux?

[45]  Les deux avocats ont confirmé, à l’audience qui s’est déroulée devant moi, que la seule question dont était saisie la SAI concernait l’identité de l’époux de la demanderesse, et non l’authenticité de leur mariage.

[46]  Compte tenu de la nature factuelle de l’analyse et de la fonction de tribunal spécialisé de la SAI (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 58 [Khosa]; El Assadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 58, aux par. 20 et 21), il est établi que les conclusions qu’elle tire au sujet de l’identité doivent être soumises à la norme du caractère raisonnable (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 377, au par. 8). Suivant cette norme, les décisions administratives doivent être justifiées, transparentes et intelligibles, et appartenir aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47; Khosa, au par. 59).

VI.  Analyse

[47]  L’époux de la demanderesse a déposé, à l’appui de la troisième demande, les documents suivants visant à établir son identité :

  • (i) Certificat de naissance national délivré par la Commission démographique nationale du Nigéria;

  • (ii) Certificat de moralité de la police nigériane;

  • (iii) Confirmation d’examen relative au certificat d’études primaires;

  • (iv) Attestation d’école primaire;

  • (v) Certificat de fin d’études/témoignage du Collège technique de Benin;

  • (vi) Lettre du Collège scientifique et technique gouvernemental;

  • (vii) Affidavit de Jude Woghiren, prétendument son cousin, daté du 20 avril 2010;

  • (viii) Affidavit de John Alohan, prétendument son frère, daté du 7 janvier 2015.

[48]  Devant la SAI, l’époux de la demanderesse a déposé les documents supplémentaires ci‑dessous, qu’il n’avait pas en sa possession avant le rejet de la troisième demande le 20 février 2015 :

  • (i) Passeport nigérian délivré par l’ambassade du Nigéria à Ottawa le 31 août 2015;

  • (ii) Permis de séjour temporaire canadien délivré le 5 janvier 2016;

  • (iii) Permis de conduire du Québec.

1)  La SAI a‑t‑elle commis une erreur en accordant peu de poids aux documents censés établir l’identité de l’époux de la demanderesse?

[49]  La demanderesse fait valoir que la SAI a ignoré et négligé d’analyser le certificat de moralité de la police nigériane à titre d’élément de preuve de l’identité de son mari. Elle soutient que, même si elle a mentionné le document en passant, la SAI a choisi de ne pas en tenir compte dans son analyse portant sur l’identité de l’époux.

[50]  J’estime que la SAI n’a pas ignoré le certificat de moralité de la police nigériane, mais qu’elle l’a plutôt jugé dépourvu de crédibilité.

[51]  Il s’avère que le certificat de moralité de la police nigériane déposé à l’appui de la troisième demande n’était pas celui daté de 2010 et soumis dans le cadre de la deuxième demande; il s’agissait d’un nouveau certificat, délivré le 14 février 2014 (le certificat de police de 2014), soit deux mois seulement avant le dépôt de la troisième demande.

[52]  Contrairement au certificat de police de 2010, celui de 2014 ne contenait aucune référence inopportune à un passeport nigérian antérieur qui pouvait avoir été délivré à l’époux de la demanderesse en 2001.

[53]  Ni l’agent d’immigration saisi de la troisième demande, ni la SAI ne disposaient du certificat de police de 2010, lequel ne faisait pas non plus partie du dossier certifié du tribunal qui m’a été soumis. La SAI connaissait son existence, car les notes de l’agent d’immigration versées au dossier y faisaient référence dans le contexte de la décision rejetant la deuxième demande de la demanderesse au titre de la catégorie du regroupement familial.

[54]  Durant l’audience devant la SAI, l’époux de la demanderesse a été questionné au sujet du certificat de police de 2010 qui mentionnait un passeport lui ayant été délivré en 2001. La SAI a déclaré ce qui suit au paragraphe 13 de sa décision :

Durant l’entrevue à l’ambassade en 2011, le demandeur [l’époux] a affirmé qu’il n’avait pas eu de passeport antérieurement. Il a attesté la même chose par déposition dans son affidavit (2014). Cependant, l’agent des visas a constaté qu’un numéro de passeport d’un passeport de 2001 apparaissait sur le certificat de police du demandeur (présenté durant son processus de demande). Le demandeur a été prié d’expliquer cette situation à son audience, et il a affirmé qu’il avait oublié avoir déjà demandé un passeport dans le passé. Il a en outre affirmé qu’il ne savait pas qu’il avait un passeport en 2001 lorsqu’il a été questionné à ce sujet par l’agent des visas en 2011. Il a expliqué qu’il avait présenté une demande de passeport en 2001 lors de son expulsion du Canada, mais il soutient qu’il n’a jamais reçu ce passeport. Les explications du demandeur quant au passeport de 2001 étaient alambiquées, incohérentes et non crédibles. J’accorde très peu de poids aux explications du demandeur. [Renvois omis.]

[55]  La demanderesse soutient que rien ne permet de croire que son époux ne disait pas la vérité lorsqu’il a déclaré n’avoir jamais reçu de passeport en 2001, et elle ajoute que l’évaluation de la crédibilité est formulée en termes vagues et généraux. Toujours selon elle, le fait qu’un numéro de passeport puisse avoir été mentionné sur le certificat de police de 2010 n’établit pas que son époux a réellement reçu un passeport à cette date.

[56]  Je reconnais que le numéro de référence se rapportant à un passeport de 2001 mentionné sur le certificat de police de 2010 ne prouve pas nécessairement que l’époux de la demanderesse a reçu ledit passeport, mais là n’est pas la question. La question pertinente n’est pas de savoir s’il a reçu ou non un passeport en 2001, mais concerne plutôt le témoignage contradictoire qu’il a fourni sur la question de savoir s’il avait ou non demandé ou reçu un passeport, et sur les documents qu’il pourrait avoir envoyés s’il en avait demandé un.

[57]  Eu égard au témoignage livré par l’époux de la demanderesse au sujet de la divergence entre le certificat de police de 2010 et celui de 2014 —témoignage jugé alambiqué par la SAI —, et compte tenu également de ce qu’elle a relevé dans la preuve concernant l’existence ou non du passeport délivré en 2001, la SAI a décidé d’accorder peu de poids au certificat de police de 2014. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[58]  Quant aux documents restants, la SAI a constaté que l’agent d’immigration avait soulevé de sérieux problèmes à l’égard des deux affidavits.

[59]  Dans son affidavit, John Alohan se présente comme le frère de l’époux. Mais durant son témoignage, l’époux a déclaré que John Alohan était son oncle, même s’il était [TRADUCTION] « comme un frère » pour lui. C’est John Alohan qui avait obtenu le document intitulé « Confirmation d’examen relative au certificat d’études primaires ». Mais ce qui a davantage troublé l’agent d’immigration et la SAI tenait au fait que la signature de John Alohan était remarquablement similaire à celle de Jude Woghiren, le souscripteur d’un autre affidavit. Celui‑ci avait obtenu, après en avoir fait la demande, le certificat de naissance national de l’époux de la demanderesse, par ailleurs délivré en 2010.

[60]  La SAI a estimé que les affidavits n’étaient pas fiables et n’a accordé aucun poids aux deux affidavits, qui arboraient des signatures semblables même s’ils émanaient de personnes différentes. Elle n’a pas non plus accordé de poids aux documents auxquels ces affidavits se rapportaient. Je ne vois là rien de déraisonnable.

[61]  De plus, la SAI a exprimé des doutes quant à l’authenticité des autres documents scolaires, à savoir la lettre du Collège scientifique et technique gouvernemental (la lettre du Collège), le certificat de fin d’études/témoignage et l’attestation d’école primaire. La lettre du Collège, datée du 13 décembre 2014, précise que l’époux a fréquenté le Collège de 1977 à 1982, et le décrit en ces termes :

[traduction]

[…] étudiant respectueux, honnête et intelligent, très vif qui a obtenu d’excellents résultats scolaires. Fervent Chrétien qui n’a jamais fait preuve d’indiscipline; très respecté par ses camarades et ses professeurs lorsqu’il fréquentait le Collège technique de Benin.

[62]  La SAI a fait remarquer que l’époux n’avait pas pu expliquer comment le directeur actuel du Collège pouvait s’être souvenu de lui aussi clairement, 35 ans après qu’il eut obtenu son diplôme. La SAI a également relevé une disparité entre la lettre du Collège, d’après laquelle le demandeur y avait étudié entre 1977 et 1982, et le certificat de fin d’études/témoignage indiquant qu’il avait fréquenté le Collège entre 1978 et 1982. De plus, toujours selon la SAI, la lettre du Collège paraissait avoir été modifiée, puisque certaines lettres dans la ligne d’objet semblaient « partiellement voilées ».

[63]  Prié par la SAI d’expliquer les divergences entre ses années d’études, l’époux a précisé que l’année scolaire avait commencé en 1977 et qu’elle s’était achevée en 1978, ce qui expliquait pourquoi la lettre du Collège mentionnait le début de l’année scolaire, tandis que le certificat de fin d’études/témoignage en mentionnait la fin.

[64]  Même si elle a reconnu que des erreurs d’écriture étaient possibles, la SAI n’a pas accepté cette explication. Pour ma part, j’estime que l’explication de l’époux était tout à fait vraisemblable, et que la SAI s’est montrée excessivement pointilleuse sur cette question. À mon avis, la conclusion qu’elle a tirée relativement à la divergence de dates relevée dans les dossiers scolaires était déraisonnable. Cependant, cette question n’est pas à elle seule déterminante au regard de l’affaire.

[65]  La SAI a également noté que l’époux « a[vait] attesté par déposition dans des affidavits que ses relevés scolaires étaient introuvables, alors que certains [avaien]t été trouvés », en ajoutant qu’il « n’a[vait] pas expliqué ce qui permettait au directeur en poste en 2014 de se souvenir si nettement [de lui] 35 ans plus tard ». Compte tenu des explications peu convaincantes de l’époux, j’estime que les conclusions de la SAI sur ces questions ne sont pas déraisonnables.

[66]  S’agissant du passeport nigérian délivré en 2015 par l’ambassade nigériane à Ottawa, la SAI ne lui a accordé que peu de poids, principalement à cause des problèmes relevés à l’égard des documents sous-jacents utilisés par l’époux pour obtenir le passeport en question, mais aussi en raison de son manque général de crédibilité.

[67]  Dans le témoignage qu’il a fourni devant la SAI, l’époux a indiqué que les documents soumis à l’appui de sa demande de passeport étaient le certificat de police de 2014 et le certificat de naissance national.

[68]  L’authenticité apparente d’un document délivré par un État étranger emporte une présomption réfutable de validité, et les autorités canadiennes peuvent toujours contester la véracité des inscriptions contenues dans un passeport étranger (Azziz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 663).

[69]  Le défendeur fait valoir que la validité d’un passeport peut être compromise s’il a été délivré sur la foi de documents qui étaient peu fiables ou douteux. Je suis d’accord.

[70]  En l’espèce, les documents soumis par l’époux de la demanderesse pour établir son identité — en particulier ceux dont il s’est servi pour obtenir son passeport nigérian en 2015 — ont été jugés peu fiables par la SAI, qui leur a accordé peu de poids. La SAI a tiré à l’égard des documents sous-jacents des conclusions allant dans le même sens que celles auxquelles elle était parvenue au sujet du passeport.

[71]  Compte tenu de l’absence générale de crédibilité de l’époux et des préoccupations soulevées à l’égard des documents soumis pour établir son identité, y compris ceux utilisés pour l’obtention de son passeport, la SAI a conclu que le passeport en question ne permettait pas d’établir son identité en l’espèce. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

2)  La SAI a‑t‑elle tiré du témoignage de l’époux ainsi que du défaut de citer des témoins pour attester son identité des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité?

[72]  Dans ses motifs, la SAI a conclu que l’époux de la demanderesse manquait de crédibilité. Cette conclusion en matière de crédibilité reposait sur une divergence quant à la cause de décès de sa mère, sur le récit invraisemblable qu’il avait donné de sa brouille avec sa famille et sur une inférence défavorable tirée du fait qu’il n’avait pas appelé de témoin à comparaître pour attester son identité. J’aborderai tour à tour chacun de ces motifs.

a)  Divergence quant à la cause de décès de sa mère

[73]  La SAI a déterminé que l’époux avait fourni des éléments de preuve contradictoires quant aux circonstances ayant entouré le décès de sa mère. Dans son formulaire de renseignements personnels (signé le 17 mai 2000), il prétendait que sa mère avait été enlevée, violée et tuée, et qu’elle [TRADUCTION] « a[vait] été enlevée par des musulmans parce qu’elle était Ibo; ils l’ont violée, torturée et tuée, pour moi, c’en était assez; j’étais prêt à prendre les choses en main pour me défendre et défendre mes frères et sœurs ». [Souligné dans l’original.]. Il s’agissait là prétendument du fondement de sa crainte lorsqu’il avait présenté une demande d’asile. Toutefois, dans un affidavit (daté du 30 décembre 2013), il a affirmé ce qui suit : [TRADUCTION] « En 1999, ma mère est décédée, emportée par une maladie ». Il a tenté d’expliquer la divergence en déclarant que sa mère avait souffert d’une maladie à la suite du viol, et qu’elle avait fini par en mourir. La SAI a estimé qu’en tentant de reconstituer ses éléments de preuve, l’époux essayait simplement de concilier deux versions contradictoires.

[74]  Après avoir examiné la transcription de l’audience de la SAI, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable de sa part de douter de la crédibilité de l’époux sur cette question.

b)  Brouille avec sa famille

[75]  La question de la brouille de l’époux avec ses frères et sœurs est importante, car elle pourrait expliquer pourquoi personne de sa famille n’était disponible pour témoigner devant la SAI au sujet de son identité. Nous devons garder à l’esprit que l’affidavit de John Alohan, une personne ayant attesté être le frère de l’époux, pour ensuite devenir son oncle, s’est vu accorder peu de poids.

[76]  D’après la SAI, l’époux n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il était brouillé avec ses frères et sœurs. Questionné sur la source d’une telle dissension, l’époux de la demanderesse a mentionné à titre d’exemple que ses frères et sœurs utilisaient ses chaussures sans sa permission lorsqu’il était jeune.

[77]  Cela est possible. Mais d’après la transcription, l’époux a déclaré avoir cessé de communiquer avec les membres de sa famille parce qu’ils n’arrêtaient pas de le presser pour qu’il leur donne de l’argent :

[traduction]

Q. Comment décririez-vous votre relation avec vos frères et sœurs depuis votre arrivée au Canada?

R. Eh bien, lorsque je suis arrivé au Canada, j’étais en contact avec eux, mais vous savez, venir ici n’a pas été facile. Lorsque je suis arrivé, je n’avais pas où habiter, je n’avais pas d’argent, au début, je restais au YMCA, mais à chaque fois que j’appelais, ils me demandaient toujours de l’argent, et […]

[…]

Q. Pourquoi vous demandaient-ils de l’argent?

R. Je suppose qu’ils en avaient besoin pour régler leurs problèmes. Des problèmes financiers.

Q. Vous contactaient-ils pour d’autres raisons?

R. Eh bien, parfois, ils voulaient savoir comment j’allais, mais tout ce qui importait c’était ce que je pouvais leur envoyer, ou ce qu’ils pouvaient obtenir de moi.

Q. D’accord. Alors, comment – qu’avez-vous – qu’avez‑vous – cela s’est-il poursuivi? Cette relation a-t-elle continué? Veuillez s’il vous plaît donner une explication détaillée : quand cela est‑il arrivé, et qu’avez-vous fait ensuite?

R. À cause de la pression que j’avais sur les épaules à essayer de m’établir ici, et eux qui me mettaient de la pression pour leur donner de l’argent, j’ai donc juste arrêté de les contacter. J’ai perdu, vous savez, j’ai arrêté d’appeler et j’ai perdu contact avec eux.

Plus loin dans la transcription, l’époux mentionne avoir cessé de communiquer avec ses frères et sœurs entre 2000 et 2001.

[78]  Les réponses de l’époux fournissent une explication plus complète de la brouille que la description qu’en a donnée la SAI. Le témoignage appuie l’argument de la demanderesse portant que la famille de son époux demandait constamment de l’argent. Sur cette question, j’estime que la SAI s’est trop concentrée sur des parties choisies de la transcription, tout en ignorant une explication plausible pour la brouille. J’estime que la conclusion de la SAI sur cette question n’était pas raisonnable. Cela dit, je ne crois pas que cette conclusion soit à elle seule déterminante au regard de l’affaire.

c)  Inférence défavorable tirée du fait que l’époux n’a pas appelé de témoins à comparaître au sujet de son identité

[79]  Au paragraphe 8 de sa décision, la SAI a fait remarquer qu’« il [étai]t préoccupant que [l’époux] n’ait pas appelé de témoins à comparaître afin d’établir son identité », en ajoutant au paragraphe 14 que la demanderesse « n’a[vait] pas témoigné dans le cadre de son appel afin d’établir l’identité de son époux ».

[80]  La demanderesse soutient que la SAI a eu tort de tirer une inférence défavorable du fait qu’elle n’a pas comparu à l’audience, car elle ne pouvait rien dire au sujet de l’identité de son époux avant 2000, étant donné qu’ils ne s’étaient rencontrés qu’en 2007. Son avocat lui avait apparemment dit qu’il n’était pas nécessaire qu’elle comparaisse, étant donné qu’elle ne pouvait fournir aucun renseignement pertinent à l’égard de cette question litigieuse.

[81]  Le défendeur fait valoir que la SAI a eu raison de tirer une inférence défavorable du fait que la demanderesse n’a pas témoigné, et ajoute que ce témoignage aurait pu contribuer à résoudre certaines divergences dans les éléments de preuve concernant l’identité de son époux. Toujours d’après lui, la SAI ne disposait pas de toute la preuve disponible, étant donné que la demanderesse n’avait pas témoigné pour étayer les affirmations de son époux.

[82]  Il existe un principe général en matière de preuve selon lequel une inférence défavorable peut être tirée contre la partie qui omet de faire entendre un témoin clé (comme cela est expliqué dans Berhad c Canada, 2004 CF 501, aux par. 217 à 222; R c Jolivet, 2000 CSC 29, [2000] 1 RCS 751, aux par. 25 à 28; Lévesque c Comeau et al, [1970] RCS 1010, 1970 CanLII 4 (CSC), aux pages 1012 et 1013). Dans le contexte de l’immigration, il est possible que le tribunal tire une inférence défavorable lorsqu’un témoin avance certaines déclarations, mais refuse de les faire sous serment (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Malik (1997), 128 FTR 309, au par. 4). De même, la SAI peut tirer une inférence défavorable lorsqu’un témoin qui est en mesure de fournir une preuve à même de résoudre des questions importantes de crédibilité décide malgré tout de ne pas le faire (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509, aux par. 29, 33 et 34).

[83]  Les faits dans la décision Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 587 [Nguyen], sont similaires, quoiqu’assez distincts de ceux en l’espèce. Dans cette affaire, la SAI a déterminé que l’épouse du demandeur était exclue de la catégorie du regroupement familial parce que leur mariage n’était pas authentique. Ses nombreux doutes quant à l’authenticité du mariage avaient amené la SAI à déterminer que le refus de Mme Nguyen de témoigner laissait penser qu’elle était indifférente à l’égard de l’issue de l’appel. La Cour fédérale a reconnu qu’« [i]l était tout à fait raisonnable que la [SAI] tire une conclusion défavorable à l’égard de Mme [Nguyen] dans ces circonstances » (au par. 31).

[84]  Je reconnais qu’il est possible que la demanderesse ait eu à travailler. Les gens n’ont pas toujours la chance de trouver un emploi dont ils puissent s’absenter pour des raisons familiales ou personnelles, et ils doivent souvent s’en remettre à la compréhension et à la générosité de leur employeur.

[85]  Cependant, en l’espèce, l’appel interjeté devant la SAI a été déposé au nom de la demanderesse. Elle avait reçu l’avis de comparution que lui avait envoyé la SAI. Si elle ne pouvait se présenter, elle ou son avocat aurait dû en informer le tribunal et l’autre partie au préalable.

[86]  Le représentant du ministre devant la SAI s’est offusqué de ce que la demanderesse n’ait pas indiqué par un préavis qu’elle ne comparaîtrait pas à l’audience. Il avait préparé ses arguments dans l’expectative que la demanderesse serait présente pour répondre à ses questions, et il est possible qu’il aurait demandé un report s’il avait été averti qu’elle ne se présenterait pas en raison d’engagements professionnels. Au lieu de cela, il a été mis devant le fait accompli le matin même de l’audience.

[87]  Je comprends l’argument de l’avocat de la demanderesse quant au fait que l’authenticité du mariage n’était pas en jeu, et que la seule question débattue avait trait à l’identité de l’époux avant 2000, ce dont la demanderesse n’avait aucune connaissance. Cependant, il me semble étrange qu’à aucun moment du processus qui s’est déroulé devant la SAI ou la Cour, la demanderesse n’a fourni de témoignage solennel sur la moindre question, même s’il s’agissait simplement de corroborer les efforts déployés par son mari depuis leur première rencontre pour établir son identité.

[88]  La demanderesse n’a pas fourni d’affidavit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, et n’en a pas déposé non plus en réponse à la requête du ministre en radiation de sa demande.

[89]  Bien entendu, elle n’était pas tenue de le faire, mais je puis certainement saisir l’argument du ministre sur ce plan, compte tenu des antécédents en l’espèce, qui donnent à croire que la demanderesse évite de fournir un témoignage sous serment ou de se placer dans une position où elle risquerait d’être contre-interrogée.

[90]  Comme c’était le cas dans l’affaire Nguyen, et compte tenu des antécédents dans la présente affaire, les circonstances suivant lesquelles la demanderesse n’a pas comparu pour appuyer sa propre demande ou pour montrer qu’elle était ne serait‑ce que disposée à témoigner, pourraient amener à conclure qu’elle a manifesté ainsi son désintérêt à l’égard de l’affaire. Par conséquent, je ne puis affirmer que l’inférence défavorable tirée par la SAI est déraisonnable.

3)  La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de l’identité de l’époux?

[91]  L’identité de l’époux de la demanderesse représente une question fondamentale depuis le moment de son arrivée au Canada. La Cour a invariablement estimé que l’identité est « la pierre d’assise du régime canadien de l’immigration » (Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 373, au par. 7 [Bah]; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gebrewold, 2018 CF 374, au par. 21 [Gebrewold]). Cela s’explique par le fait que c’est sur l’identité « que reposent les questions telles que l’admissibilité au Canada, l’évaluation du besoin de protection, l’appréciation d’un éventuel danger pour la sécurité publique, ou les risques de voir l’intéressé se soustraire aux contrôles officiels » (Bah, au par. 7; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2004 CF 1634, au par. 38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c X, 2010 CF 1095, au par. 23).

[92]  Il incombe au demandeur d’établir son identité par une preuve documentaire et, en l’absence de tels documents, d’expliquer quelles mesures ont été prises pour les obtenir (Elhassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1247, au par. 20 [Elhassan]; Qiu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 259, au par. 6; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877, au par. 14). Si le demandeur n’établit pas son identité, il n’est pas nécessaire que la SAI évalue le fond de la demande d’asile (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, aux par. 7 et 9; Husein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF 726 (QL), au par. 13; Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126, au par. 26; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, au par. 8).

[93]  La demanderesse fait valoir que les documents scolaires et le passeport nigérian de 2015 suffisent à établir l’identité de son époux, que la SAI n’a pas examiné l’ensemble de la preuve avant de rendre sa décision et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de réfuter la présomption de validité du passeport de son époux, un document délivré par l’État.

[94]  Le défendeur s’appuie sur Gebrewold, aux paragraphes 21 à 28, pour faire valoir que la demanderesse ne devrait pas se voir accorder le bénéfice du doute, étant donné qu’elle n’a pas fourni toute la preuve requise pour étayer sa demande.

[95]  Après avoir examiné le dossier, j’estime que la SAI ne s’est pas montrée déraisonnable lorsqu’elle a mis en doute l’authenticité de la preuve documentaire produite au sujet de l’identité de l’époux. En sa qualité de tribunal spécialisé, la SAI a évalué la crédibilité de la preuve fournie et examiné attentivement la preuve documentaire dont elle disposait. Elle a soulevé de graves préoccupations concernant l’authenticité du certificat de naissance national, des affidavits, du passeport nigérian et des documents scolaires. Ces évaluations reposaient sur les divergences présentes dans les documents eux-mêmes ou sur la manière dont ils avaient été produits. Conformément à la jurisprudence de la Cour, la SAI a rejeté la preuve qu’elle n’avait pas jugée crédible (Elhassan, au par. 23; Williams c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 917, au par. 14).

[96]  En somme, la demanderesse cherche à remettre en litige les questions sur lesquelles la SAI a déjà statué. Cependant, la Cour n’a pas pour rôle de procéder à un appel de novo portant sur les questions de preuve déjà tranchées par la SAI. Suivant la norme du caractère raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision de la SAI était déraisonnable, et non si elle aurait tranché les questions autrement que cette dernière (Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509, au par. 32).

VII.  Conclusion

[97]  Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2121‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de décembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2121‑18

 

INTITULÉ :

YONNA SAYBAH KRAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Marie‑Maude R. Beauvais

 

POUR La demanderesse

Me Mario Blanchard

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ferdoussi Hassa Attorneys

Montréal (Québec)

 

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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