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Date : 20040123

Dossier : IMM-618-03

Référence : 2004 CF 102

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE                               

ENTRE :

                                                   OTTO ISTVAN STADTMULLER

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée suivant l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale[1] et l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[2], sur autorisation accordée par la Cour le 17 octobre 2003, qui vise une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 8 janvier 2003 par laquelle il a été conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                Le demandeur sollicite de la Cour l'annulation de la décision rendue par la Commission afin que l'affaire y soit renvoyée pour être examinée à nouveau d'une façon compatible avec l'obligation d'agir équitablement et les principes de justice naturelle et fondamentale et d'une façon compatible avec les motifs de la Cour[3].

[3]                Suivant le paragraphe 18(1) de la Loi, la Cour peut accorder la réparation demandée.

[4]                Le défendeur sollicite de la Cour le rejet de la demande de contrôle judiciaire[4].

LES FAITS

[5]                Le demandeur prétend que sa famille et lui ont subi du harcèlement et des menaces[5] du fait de leur appartenance religieuse ou de l'appartenance religieuse perçue (ou qui leur était imputée comme l'a précisé l'avocat du demandeur). En outre, le demandeur a été agressé physiquement à plusieurs reprises[6].

[6]                Bien que les antécédents religieux du demandeur soient différents de ceux de son ex-épouse, on lui imputait la religion de cette dernière.

[7]                Le demandeur déclare qu'il a divorcé de son épouse pour mettre fin à la persécution. Le demandeur croyait que sa famille était ciblée parce qu'on présumait qu'il s'était converti à la religion de son épouse. Le harcèlement et les abus ont diminué, puis ils ont repris[7].

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[8]                La Commission a conclu que le demandeur avait établi son identité[8]. Cependant, la Commission a rejeté la demande présentée par le demandeur parce que son témoignage n'était pas digne de foi et parce qu'il n'était pas une personne qui craignait avec raison d'être persécutée.

[9]                Bien que le demandeur ait subi de mauvais traitements, la Commission a toutefois conclu que ce n'était pas suffisant pour équivaloir à de la persécution[9].

[10]            En dernier lieu, la Commission a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à une possibilité sérieuse de persécution s'il retournait en Hongrie parce qu'il ne vivait plus avec son épouse et qu'il ne pratiquait aucune religion[10].

LA QUESTION EN LITIGE

[11]            Les motifs de la Commission sont-ils appropriés?

ANALYSE

[12]            Il ne ressort pas clairement des motifs de la Commission qu'elle a pris en compte l'ensemble de ce que prétendait avoir vécu le demandeur.

[13]            En réalité, le demandeur a fait de nombreuses prétentions, y compris celles selon lesquelles à un certain moment on l'a frappé et on a mis le feu à ses cheveux, on l'a poursuivi dans la rue à de nombreuses reprises, on l'a poussé et agressé et, comme la Commission l'a mentionné, on lui a brisé le bras une fois de plus[11]. Il est vrai, comme le défendeur l'affirme, que la Commission est présumée avoir pris en compte toute la preuve. Cependant, en l'espèce, la Commission donne des détails précis à l'égard d'un incident[12] sans énumérer d'autres incidents.


[14]            Il s'agit d'un élément important parce que la Commission a ensuite conclu que le demandeur n'avait aucunement subi de mauvais traitements pendant qu'il était en Hongrie. Elle a en outre conclu que si le demandeur avait subi de mauvais traitements, ces mauvais traitements n'équivalaient pas à de la persécution et qu'il ne serait pas persécuté s'il retournait en Hongrie. Le fait que la Commission ne démontre pas qu'elle avait une compréhension claire de ce que le demandeur prétendait avoir vécu entraîne que le caractère approprié de ses motifs est mis en doute.

[15]            Le défendeur prétend que la Commission a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi parce qu'elle a jugé qu'il y avait dans sa preuve une incohérence majeure qui était au coeur de sa demande. Dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), le demandeur a fait une déclaration à l'égard de sa religion en cochant, à la page 1, l'une des cases prévues à cet effet[13], alors que dans son témoignage de vive voix il a déclaré que ce n'était pas sa religion[14]. La Commission, se fondant sur cette incohérence, a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi. Ses autres motifs ont découlé de cette conclusion[15].


[16]            Il n'est pas clairement établi dans les motifs si la Commission a pris en compte le témoignage du demandeur selon lequel les personnes qui le persécutaient pensaient qu'il s'était converti à une autre religion et que par conséquent il était perçu comme une personne appartenant à cette religion. D'où la nécessité pour la Commission de fournir dans des motifs clairs, pas nécessairement en grand nombre, les raisons pour lesquelles elle met en doute le récit du demandeur[16].

[17]            En outre, le demandeur déclare dans son FRP qu'il a été harcelé et agressé après qu'il eut divorcé de son épouse. Par conséquent, étant donné que le demandeur serait forcé de retourner en Hongrie, la Commission devait apprécier ce témoignage eu égard à la crédibilité. La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne serait pas perçu comme il le décrivait, ou qu'on ne lui imputerait pas une religion comme il le prétendait, requiert qu'il soit fait mention des éléments de preuve et que soit fournie une explication plus appropriée que celle contenue dans les motifs.

CONCLUSION

[18]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision devrait être renvoyée à la Commission, mais non en raison de la conclusion tirée puisqu'il appartient à la Commission de tirer des conclusions dans cette présente affaire. Il est bien connu que la Commission a un nombre énorme de dossiers à traiter et qu'il est nécessaire pour des raisons pratiques d'énoncer des motifs succincts. Toutefois, en l'espèce, les motifs ne sont simplement pas appropriés.


[19]            Les points saillants ou principaux du témoignage doivent être traités dans les motifs d'une manière plus révélatrice. Cela ne signifie pas nécessairement que les motifs doivent comprendre de nombreux autres mots ou doivent être plus longs, mais plutôt qu'ils doivent énoncer en termes clairs et explicites le fondement du rejet ou de l'acceptation de la demande.

[20]            La contradiction, comme en traite la décision, à l'égard de la religion est essentielle et est au coeur même de la demande. Ce coeur, à lui seul, aurait pu être détaillé, pas en longueur, mais d'une façon précise, en mentionnant la conclusion de la Commission. C'est la Commission, suivant toute la retenue qui s'impose à l'égard de ses connaissances spécialisées, qui doit trancher l'affaire.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La décision est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'elle soit examinée à nouveau.


2.                   Il n'y a aucune question à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-618-03

INTITULÉ :                                                    OTTO ISTVAN STADTMULLER

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 23 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Harvey Savage                                                  POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS DU DOSSIER :

Harvey Savage                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi).

[2]L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[3]Dossier de demande du demandeur, onglet 1, Avis de demande, à la page 2.

[4]Mémoire des faits et du droit du défendeur, à la page 10, au paragraphe 19.

[5]Dossier de demande du demandeur, décision de la Commission, onglet 3, à la page 7 (la décision de la

Commission).

[6]Dossier de demande du demandeur, onglet A, Formulaire sur les renseignements personnels, aux pages 23 et 24, aux paragraphes 8 et 16 (le FRP).

[7]FRP, précité, au paragraphe 12.

[8]Décision de la Commission, précitée, à la page 8.

[9]Précitée.

[10]Précitée, à la page 9.

[11]Les motifs de la Commission, précités, à la page 7.

[12]Le FRP, aux pages 23 et 24, aux paragraphes 8 et 17.

[13]Précité, à la page 15.

[14]Précité, à la page 22, au paragraphe 5.

[15]Transcription, à la page 172.

[16]Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.) (QL), Gyarmati c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 580 (QL), et également Osipenkov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 59 (QL).

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