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Date : 20041209

Dossier : T-1055-04

Référence : 2004 CF 1712

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                            KENNETH GARVEY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                MEYERS TRANSPORT LIMITED

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, M. Kenneth Garvey, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) datée du 27 avril 2004, portant rejet de la plainte relative aux droits de la personne (no de dossier 20021150) qu'a présentée le demandeur contre la défenderesse, Meyers Transport Limited (Meyers Transport). Dans cette plainte, le demandeur soutient qu'il a fait l'objet d'un acte discriminatoire prévu à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi).


LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur soutient que la défenderesse a agi de façon discriminatoire à son endroit au cours de son emploi parce qu'elle a proposé de mettre fin à son emploi en raison de son âge (63 ans) et en traitant le demandeur de façon défavorable en raison de son invalidité (une maladie liée au stress), contrairement à l'article 7 de la Loi.

[3]                Le demandeur est un employé de Meyers Transport depuis le 11 janvier 1993 et occupe le poste de directeur de terminal depuis 1993. Au printemps 2002, le demandeur a commencé à souffrir de graves maux de tête qui le prenaient subitement, d'insomnie et d'autres maladies liées au stress. Il a par conséquent pris trois semaines de congé du 12 août au 3 septembre 2002. Le 20 septembre 2002, son superviseur, M. Slugocki a remis au demandeur une lettre de congédiement, avec un avis de cessation d'emploi de quatre mois. La lettre mentionnait que le rendement du demandeur était inférieur aux normes.

[4]                Peu avant le congédiement du demandeur, celui-ci a eu plusieurs entretiens avec des représentants de la société au sujet de sa retraite. Meyers Transport lui a offert le poste de directeur de projet spécial. Le demandeur a rejeté l'offre parce que son acceptation aurait entraîné une réduction de ses heures de travail et une diminution correspondante de son salaire.

[5]                Le demandeur a communiqué avec la Commission et déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne le 9 décembre 2002 dans laquelle il alléguait que Meyers avait agi de façon discriminatoire à son égard en raison de son âge et d'une maladie liée au stress constituant une invalidité. Après avoir effectué une enquête sur les allégations faites par le demandeur, l'enquêteur de la Commission a déposé son rapport le 10 février 2004. L'enquêteur recommandait que, conformément à l'article 47 de la Loi, un conciliateur soit nommé pour tenter d'amener les parties à régler la plainte, conformément à l'alinéa 44(3)a) de la Loi. L'enquêteur recommandait également que, dans le cas où les parties n'arriveraient pas à s'entendre, la question soit renvoyée au Tribunal.

[6]                Le demandeur et la défenderesse ont eu l'occasion de commenter le contenu du rapport de l'enquêteur et ils se sont prévalus de cette possibilité. Le demandeur a transmis à la Commission des lettres datées des 4 et 14 mars 2004 et la défenderesse des lettres datées des 1er et 18 mars 2004. Dans la lettre du 18 mars, la défenderesse décrit une série de faits qui sont survenus sur une période de trois ans et qui ont, selon elle, débouché sur le congédiement du demandeur. La Commission n'a pas divulgué cette lettre au demandeur et celui-ci n'a pas eu la possibilité de faire des observations à son sujet.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

[7]                La Commission a rejeté la plainte du demandeur conformément à l'alinéa 44(3)b) de la Loi pour le motif que les preuves indiquant que le rendement et la capacité du demandeur d'exécuter ses fonctions de façon efficace étaient un élément qui avait débouché sur son congédiement et parce que les preuves n'établissaient pas que la défenderesse avait agi de façon discriminatoire à l'égard du demandeur en raison de son âge.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.         La Commission a-t-elle rejeté la plainte du demandeur en se fondant sur des principes juridiques erronés?

2.         La Commission a-t-elle porté atteinte aux principes de l'équité procédurale dont devait bénéficier le demandeur lorsqu'elle a omis de lui divulguer la lettre de la défenderesse du 18 mars 2004 et en niant ainsi au demandeur la possibilité de présenter des observations à ce sujet?

3.         La Commission a-t-elle omis d'examiner de façon approfondie la preuve concernant les allégations du demandeur à l'égard de son invalidité?


LA NORME DE CONTRÔLE

[8]                Les deux parties reconnaissent qu'aux fins de la présente instance, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable simpliciter de la décision (voir Canada (Directeur des enquêtes et recherche) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.) Dans Southam, la Cour suprême a décrit la norme du caractère raisonnable simpliciter au paragraphe 56 :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion au regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelques motifs étayant cette conclusion.

Question en litige 1 : La Commission a-t-elle rejeté la plainte du demandeur en se fondant sur des principes juridiques erronés?

[9]                Dans sa décision, la Commission appuie sur deux motifs le rejet de la plainte :

- les preuves indiquent que le rendement et la capacité du plaignant d'exercer ses nouvelles fonctions de façon efficace et efficiente ont constitué un facteur dans son congédiement,

- les preuves n'indiquent pas que la défenderesse ait agi de façon discriminatoire envers le plaignant en raison de son âge.


[10]            Le demandeur soutient qu'il est implicite dans le premier motif que la Commission a estimé que la discrimination à son endroit est à l'origine de son congédiement mais qu'elle a conclu que ce n'était pas le facteur principal ou dominant. Ceci constitue, à ses yeux, une erreur susceptible d'être révisée, étant donné qu'il n'est pas nécessaire de conclure que la discrimination a constitué le facteur dominant ou principal pour saisir le Tribunal du dossier. Voir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.C.D.P.) à D/5038 et D-5040, et Holden c. Chemins de fer nationaux du Canada [1990] A.C.F. no 414 (C.A.F.)). Cette interprétation n'est pas implicite dans le premier motif et n'en découle pas nécessairement non plus. L'enquêteur a mentionné d'autres facteurs dans son rapport, notamment la réduction de personnel et la réorganisation de Meyers Transport; il se pourrait fort bien qu'il s'agisse là des principaux facteurs. Selon une interprétation raisonnable du premier motif, la Commission a tout simplement formulé une conclusion de fait selon laquelle le rendement du demandeur est un facteur qui a joué dans son congédiement. La Commission a ensuite clairement abordé la question de la discrimination dans son deuxième motif.

[11]            La Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) n'oblige pas la Commission à motiver ses décisions mais uniquement à informer le plaignant de la décision qu'elle a prise. La Cour a abordé cette question dans Kallio c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [1996] A.C.F. no 725 (1re inst.), au paragraphe 13 :

La Cour estime que la simple existence d'une différence d'opinion sur une question de fait entre les requérants et les intimées ne signifie pas que la Commission est obligée de saisir un tribunal du dossier -- si tel était le cas, presque toutes les plaintes devraient être portées devant un tribunal et le par. 44(3) serait vicié -- et qu'un différend sur une question de fait n'oblige pas la Commission à motiver sa décision. Vu l'énorme volume de dossiers qui lui sont soumis, celle-ci a, et doit avoir, le pouvoir discrétionnaire de décider quels dossiers justifient ou non un réexamen ou une décision motivée. Il ne s'agit pas en l'espèce de l'un des très rares cas où il y a lieu de motiver la décision.

[12]            Les motifs laconiques fournis en l'espèce sont plus que suffisants compte tenu de la conclusion de la Cour dans la décision Kallio (précité).

Question en litige 2 : La Commission a-t-elle porté atteinte aux principes de l'équité procédurale dont devait bénéficier le demandeur lorsqu'elle a omis de lui divulguer la lettre de la défenderesse du 18 mars 2004 et en niant ainsi au demandeur la possibilité de présenter des observations à ce sujet?

[13]            Le demandeur soutient que la lettre du 18 mars contenait de nouveaux éléments et faits qui étaient essentiels pour cette affaire et que, par conséquent, elle devait lui être communiquée.

[14]            Il aurait été certes préférable que tous les documents soient divulgués au demandeur, mais cette omission n'est pas fatale à la décision de la Commission. Le contenu de l'obligation d'équité a été décrite par le juge Dubé dans Miller c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1996), 112 F.T.R. 195 (1re inst.), au paragraphe 22 :

Selon la règle d'équité procédurale, un plaignant doit connaître les allégations formulées contre lui. Il n'a pas le droit d'en connaître les moindres détails, mais il devrait être informé des prétentions générales de la partie adverse. Le plaignant n'a pas le droit d'exiger les notes d'entrevue de l'enquêteur ou les déclarations obtenues des personnes interrogées. Il a le droit d'être informé du fond de l'affaire et de s'attendre à ce que l'enquêteur résume entièrement et fidèlement la preuve obtenue au cours de son enquête. Il doit avoir la possibilité de répondre. Il a également le droit d'être informé des commentaires de la partie adverse qui concernent des faits différents de ceux qui sont exposés dans le rapport d'enquête. Pour que l'erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause. [Non souligné dans l'original.]


[15]            Les éléments contenus dans la lettre du 18 mars ont été mentionnés, directement ou autrement, dans le rapport de l'enquêteur. Aucun des faits mentionnés dans la lettre du 18 mars n'a joué un rôle fondamental dans la décision. Aucun de ces faits n'a été mentionné dans l'avis de demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, l'argument du demandeur ne peut être retenu.

Question en litige 3 : La Commission a-t-elle omis d'examiner de façon approfondie la preuve concernant les allégations du demandeur à l'égard de son invalidité?

[16]            Le demandeur note que la Commission n'a pas traité de la question de son invalidité dans sa décision. Il assimile cette omission de mentionner son invalidité à l'omission par la Commission de prendre en considération cet élément. L'examen du dossier ne conforte pas cette allégation.

[17]            Dans son rapport, l'enquêteur signale que le demandeur n'a fourni aucun renseignement médical sur la nature exacte de son invalidité, ni sur les limitations susceptibles d'en découler. Il a apparemment estimé qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve au dossier pour appuyer l'affirmation du demandeur selon laquelle son congédiement découlait de son invalidité. Par conséquent, l'enquêteur a estimé que les preuves étaient insuffisantes pour justifier une recommandation.


[18]            À la lumière de ces remarques, il était raisonnable que la Commission elle-même ne traite pas de l'allégation de discrimination fondée sur une invalidité.

[19]            Étant donné qu'aucune des trois questions en litige soulevées par le demandeur n'a reçu de réponse positive, la demande ne peut être accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Il n'y aura pas d'ordonnance concernant les dépens.

                                                                        « K. von Finckenstein »          

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                  T-1055-04

INTITULÉ :                                           KENNETH GARVEY

et

MEYERS TRANSPORT LIMITED

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 7 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                          LE 9 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

FREDERICA WILSON                                                           POUR LE DEMANDEUR

RAIJA PULKKINEN

KELLY CHARLEBOIS                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ENGELMANN GOTTHEIL                                                     POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

MILLER THOMSON LLP                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

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