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Date : 20010509

Dossier : IMM-1174-00

Référence neutre : 2001 CFPI 451

ENTRE :

SIVAKUMAR SHANMUGALINGAM

demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

Introduction:

[1]    Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 janvier 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle celle-ci a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]    L'avocat du demandeur a soulevé deux questions principales : 1. Lors de son appréciation de la crédibilité du demandeur, la Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve médicale dont elle disposait? 2. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve documentaire dont elle disposait alors qu'elle examinait si la crainte du demandeur, un jeune Tamoul du nord du Sri Lanka, était bien fondée vu les circonstances particulières de celui-ci?

Les faits :

[3]    Citoyen sri-lankais, le demandeur est un Tamoul hindou de 21 ans qui revendique le statut de réfugié en invoquant une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques. Il prétend que son frère a été recruté par les Tigres et qu'il a dû se déplacer de Pooneryn à Vavuniya pour éviter d'être emmené à la place de son frère si ce dernier ne se joignait pas aux Tigres. À Vavuniya, en avril 1997, le demandeur aurait été arrêté et détenu par la PLOTE. Le demandeur affirme avoir été arrêté par la police en novembre 1997, puis de nouveau en 1998, et détenu par l'armée pendant deux semaines en juillet 1998. Il a fui Vavuniya avec son père en août 1998 pour se rendre à Colombo. Il dit y avoir encore été arrêté par la police, mais que son père a obtenu sa libération.


[4]                 Le demandeur a fui le Sri Lanka le 30 août 1998, est arrivé au Canada le 1er septembre 1998 et a revendiqué le statut de réfugié le 4 septembre 1998.

[5]                 La Commission a noté que le demandeur avait soulevé le fait qu'il avait des problèmes psychologiques et, comme il ressort de la décision, elle a pris ce facteur en considération pour décider si le demandeur était capable de témoigner. Le demandeur a affirmé craindre de se présenter devant la Commission et souffrir de divers problèmes susceptibles d'influencer sa capacité à témoigner, à savoir : sa propension à oublier ce qu'il dit, son défaut de comprendre certaines choses et une difficulté à repérer certaines choses dans des documents. Lors de l'audience, on a déposé un rapport psychologique. Le demandeur a également déclaré qu'il n'avait pas eu de suivi avec le psychologue ni subi de traitement avec des médicaments.

[6]                 Selon la Commission, le demandeur était alerte et attentif, quoique parfois nonchalant, et donnait des réponses évasives. La Commission a estimé qu'il existait de nombreuses incohérences entre le contenu du FRP du demandeur et son témoignage à l'audience, ainsi que dans son témoignage même, notamment :

- Le demandeur affirme avoir quitté Colombo en août 1998 avec son oncle et vu ses parents pour la dernière fois en décembre 1996, alors que son FRP indique que son père a voyagé avec lui jusqu'à Colombo et a versé une somme d'argent à la police pour le faire libérer à la suite de son arrestation;


- Les contradictions internes dans le témoignage du demandeur quant au moment et à la durée de sa détention en février 1998;

- Dans son FRP, le demandeur indique qu'il a été interrogé par l'armée en juillet 1998. Il a cependant déclaré à l'audience qu'il n'avait pas été interrogé. Après s'être fait poser d'autres questions, le demandeur a déclaré qu'il avait été interrogé mais qu'il n'avait rien compris des questions, car l'interrogatoire s'était déroulé en cinghalais;

- Le demandeur a témoigné que les Tigres étaient venus lui rendre visite à plusieurs reprises depuis décembre 1996, mais ce renseignement n'a pas été consigné dans son FRP et ne tient pas debout car, si on se fie à ses autres déclarations, il s'était rendu à Vavuniya en décembre 1996, donc tout incident qui se serait produit alors n'aurait pas mis en cause les Tigres;

- Les déclarations du demandeur contredisent le FRP de son frère, lequel a affirmé que le demandeur n'avait pas abandonné ses parents lorsqu'il a fui vers Colombo;

- Les déclarations du demandeur selon lesquelles il a été harcelé par les Tigres à Vavuniya, sous le contrôle des Tigres à ce moment-là, contredisent la preuve documentaire établissant que Vavuniya n'était pas sous l'emprise des Tigres tamouls à ce moment-là.

[7]                 La Commission a en outre conclu au caractère implausible de certaines explications fournies par le demandeur car :


- Le demandeur a omis de fournir des détails sur son arrestation par l'armée en juillet 1998 et sur ce que l'armée lui aurait donné comme « avertissement » ;

- Le demandeur est de petite stature et souffre d'asthme, donc il semble peu vraisemblable que les Tigres l'aient considéré comme un candidat pour le recrutement;

- Le demandeur a déclaré avoir été interrogé par l'armée en cinghalais, alors qu'on savait qu'il parlait tamoule;

- Selon la Commission, il apparaissait peu vraisemblable que l'armée ait gardé le demandeur pendant deux semaines au complet dans de telles circonstances;

- Le demandeur n'a pas donné de réponse précise lorsqu'on lui a demandé de décrire le pire événement de sa vie; il a plutôt simplement déclaré avoir été battu et être accablé par son problème d'asthme.

[8]                 Pour ces motifs, la Commission a conclu à la page 6 de sa décision que [TRADUCTION] « le demandeur est jugé ne pas être crédible, donc incapable de prouver sa crainte de persécution » .

Analyse :


[9]                 La première question consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve médicale dont elle disposait pour apprécier la crédibilité du demandeur. L'avocate du demandeur soutient que la Commission n'a pas suffisamment tenu compte de l'état psychologique du demandeur lorsqu'elle a apprécié la qualité et la nature de son témoignage, plus particulièrement à la lumière de la preuve documentaire portant que les hommes tamouls au Sri Lanka font l'objet de mauvais traitements aux mains des Tigres et des autorités gouvernementales, ce dont le demandeur a témoigné. Selon l'avocate, la Commission a appliqué au demandeur la même norme qu'elle aurait appliquée à l'égard de tout autre demandeur n'ayant pas produit de preuve de tels obstacles psychologiques à la prestation d'un témoignage cohérent.

[10]            D'un autre côté, le défendeur fait valoir que les conclusions de crédibilité tirées par la Commission relèvent de sa compétence et qu'il était loisible à la Commission de les tirer au vu de la preuve dont elle disposait, compte tenu des incohérences et des contradictions dans le témoignage même du demandeur et entre ses déclarations à l'audience et celles consignées dans son FRP. Le défendeur prétend que la Commission a effectivement reconnu les préoccupations d'ordre médical du demandeur, mais qu'elle a tout de même décidé que le demandeur était capable de témoigner et que ses réponses posaient problème, ce qui l'a menée à conclure que le demandeur n'était pas un témoin crédible.


[11]            En effet, au début de ses motifs, la Commission aborde clairement la question de la preuve d'ordre psychologique présentée par le demandeur. À la première page de sa décision, la Commission a écrit :

[TRADUCTION] L'audience s'est déroulée en deux sessions, soit les 7 et 25 octobre 1999. Au cours de la session du 7 octobre 1999, le frère du demandeur, Havikumar Shanmugalingam, a été nommé représentant commis d'office, car il appert que le demandeur souffrait de problèmes psychologiques. Cette décision a été prise à la suite de la conférence préparatoire tenue entre l'avocat et l'agent chargé de la revendication (ACR) et de l'examen du rapport psychologique de Maria Haladyn-Dudek, M.A.Ps. Au cours de cette conférence, on a également convenu que, dans les circonstances, l'avocat pouvait débuter son interrogatoire principal en posant des questions de base liées à la famille pour ensuite se diriger, par exemple, vers la raison pour laquelle le demandeur est présent à l'audience aujourd'hui, sur le rôle de la formation du tribunal tel qu'il le conçoit ainsi que sur la raison pour laquelle son frère est présent dans la salle. Cette démarche a été adoptée afin d'évaluer la capacité du demandeur à témoigner en le mettant à l'aise et en s'assurant qu'il comprenne les procédures dans l'instance.

[12]            À la page 3, la Commission a écrit :

[TRADUCTION] Les membres de la formation ont été convaincus que le demandeur était capable de témoigner et qu'il comprenait pourquoi il était présent à l'audience.

Elle poursuit plus loin, à la même page :


[TRADUCTION] Le demandeur a confirmé avoir lui-même donné au psychologue les renseignements sur lui et sur la persécution dont il a fait l'objet. Les membres de la formation n'ont remarqué aucun obstacle particulier à ce qu'il témoigne, tel qu'il a été mentionné précédemment. Il était alerte et attentif. Cependant, les membres de la formation ont effectivement remarqué que le demandeur a fait preuve d'une certaine nonchalance à certaines occasions lors de son témoignage, ne s'étant pas réellement donné la peine de comprendre les questions. Cette habitude chez le demandeur a été confirmée deux fois par son frère Havikumar lors de son bref témoignage. De plus, les membres de la formation ne s'expliquent pas pourquoi le demandeur n'a pas entrepris de traitement pour assurer le suivi de son état de santé si ses problèmes psychologiques étaient aussi sérieux qu'il le prétendait.

[13]            L'avocate du demandeur s'oppose à ce que la Commission qualifie le demandeur de [TRADUCTION] « nonchalant » et indique que le témoignage de son frère à cet égard a été interprété hors contexte, étant donné que ce dernier témoignait sur les incidences de la dépression du demandeur, et non pas sur la nature des réponses fournies par le demandeur à l'audience. En outre, l'avocate prétend que le demandeur n'a pas entrepris d'autre traitement parce qu'il était trop déprimé pour le faire et que l'absence de suivi ne devrait rien changer à l'opinion de la Commission que l'état psychologique du demandeur est grave.

[14]            Quoi qu'il en soit, à la page 3, la Commission a résumé en ces termes la nature du témoignage du demandeur :

[TRADUCTION] Le demandeur donnait généralement des réponses spontanées, mais il n'était pas toujours franc quand venait le temps de donner des détails. Il refusait de répondre à certaines occasions. Il y avait de nombreuses incohérences dans son FRP et dans son témoignage même.


[15]            À mon sens, la Commission était clairement au courant des facteurs psychologiques en cause dans cette affaire. Bien que certains commentaires provenant de la Commission me troublent, particulièrement le commentaire que le demandeur était [TRADUCTION] « nonchalant » quand il répondait aux questions de la Commission, je suis d'avis que les conclusions tirées par la Commission ne sont pas déraisonnables. Même si ce ne sont pas nécessairement celles que j'aurais tirées si je m'étais substitué à la Commission, je dois m'en remettre à la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur était capable de témoigner et qu'il aurait entrepris d'autres traitements si sa santé mentale s'était à ce point détériorée. Compte tenu que la Commission a jugé implausible et contradictoire le témoignage du demandeur, et vu qu'elle a estimé que le demandeur n'avait pas répondu de façon satisfaisante et complète aux questions qui lui ont été posées, il lui était loisible de décider que le demandeur n'était pas un témoin crédible.


[16]            La seconde question consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve documentaire dont elle disposait alors qu'elle examinait si la crainte du demandeur, un jeune Tamoul du Sri Lanka, était bien fondée vu les circonstances particulières de celui-ci. L'avocate du demandeur fait valoir que les conclusions tirées par la Commission sont erronées à la lumière de la preuve documentaire portant que les jeunes Tamouls font souvent l'objet de persécution tant par les TLET que par l'armée sri-lankaise. Le défendeur soutient que la Commission peut soupeser la preuve dont elle dispose. Par conséquent, prétend-il, la Commission agissait dans les limites de sa compétence lorsqu'elle a accordé de l'importance au fait que le témoignage du demandeur n'était pas crédible. Qui plus est, les motifs de la Commission indiquent que celle-ci a effectivement pris en considération la preuve documentaire et a conclu que les Tigres ne ciblaient vraisemblablement pas le demandeur pour le recruter dans leurs rangs, vu sa petite stature et ses problèmes médicaux. À la page 4 de ses motifs, la Commission a exposé :

[TRADUCTION] Compte tenu du profil du demandeur, les membres de la formation ne sont pas d'avis que les Tigres le ciblaient pour le recruter dans leurs rangs. Le demandeur a affirmé qu'il souffrait d'asthme, ce dont son père a informé les Tigres en novembre 1996, alors qu'il travaillait pour eux à la place de son fils. Le demandeur a également affirmé qu'il était de petite stature et qu'il connaissait des difficultés d'apprentissage à l'école. Il était incapable d'expliquer pourquoi les Tigres se seraient intéressés à lui, compte tenu du profil qu'il a dressé de lui-même et plus particulièrement de son état de santé, même en supposant que ceux-ci voudraient qu'au moins un membre de la famille se joigne à eux.

[17]            L'avocate du demandeur prétend que les conclusions de la Commission sur le « profil » du demandeur ne concernaient que la prétendue persécution aux mains des Tigres et que la Commission a donc omis d'examiner la possibilité de persécution aux mains de l'armée sri-lankaise. Cependant, il ressort clairement de la décision de la Commission que celle-ci n'a pas jugé crédible le récit du demandeur quant à sa détention par l'armée sri-lankaise. La Commission a affirmé à la page 6 de sa décision :

[TRADUCTION] Au cours de l'incident de juillet 1998, on a demandé au préalable au demandeur s'il avait été interrogé par l'armée, et il a répondu par la négative. On lui a lu la ligne 40 de son FRP indiquant qu'il avait été interrogé. Le demandeur a répondu qu'il avait effectivement été interrogé, mais qu'il n'avait rien compris car on lui parlait en cinghalais. Les membres de la formation s'expliquent mal pourquoi l'interrogatoire se serait déroulé dans cette langue, puisqu'on savait que le demandeur était Tamoul et qu'on tentait de lui soutirer des réponses. De plus, pourquoi l'aurait-on gardé pendant deux semaines dans ces circonstances? Le demandeur n'a pas été honnête lors de son témoignage.


Le demandeur a donné une autre explication pour l'incohérence entre son témoignage et les déclarations consignées dans son FRP : il affirme que son interrogatoire a été mené par la PLOTE, chargée de l'interprétation pour l'armée, et que ses réponses aux questions des membres de la formation sur l'interrogatoire n'étaient donc pas incompatibles avec ses déclarations. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission d'arriver à la conclusion ci-dessus sur la crédibilité compte tenu de la preuve dont elle disposait et, par conséquent, la Commission a correctement abordé la question de la prétendue persécution du demandeur aux mains de l'armée, contrairement aux observations présentées par l'avocate du demandeur.       

ORDONNANCE

[18]            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

    « W. P. McKeown »

             J.C.F.C.    

Toronto (Ontario)

Le 9 mai 2001

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                                     IMM-1174-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                    SIVAKUMAR SHANMUGALINGAM

demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                                      LE MERCREDI 25 AVRIL 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                        TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE MCKEOWN

EN DATE DU :                                                                            MERCREDI 9 MAI 2001

ONT COMPARU :                                                                     Mme Helen Luzius                                                    

Pour le demandeur

M. Marcel Larouche

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                               Helen P. Luzius

Avocate

5030-3080, rue Yonge

Toronto (Ontario)

M4N 3N1

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                             Date : 20010509

                                                                                              Dossier : IMM-1174-00

Entre :

SIVAKUMAR SHANMUGALINGAM

demandeur

-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                   

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