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Date : 20020325

Dossier : IMM-495-01

Référence neutre : 2002 CFPI 336

Ottawa (Ontario), le lundi 25 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

VYACHESLAV ZHURAVL'OV

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCEET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Le seul point soulevé dans cette demande de contrôle judiciaire est de savoir si la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a commis une erreur sujette à révision lorsqu'elle est arrivée à la conclusion que M. Vyacheslav Zhuravl'ov n'est pas un juif ni n'est perçu comme un juif en Ukraine. M. Zhuravl'ov soutient que, en concluant de la sorte, la SSR n'a pas tenu compte de la preuve pertinente et l'a injustement écartée. Il affirme aussi que le président de l'audience a agi irrégulièrement, en ce sens qu'il a montré du parti pris et qu'il est intervenu à l'excès durant l'audience, au point de s'arroger le rôle d'un avocat.

[2]                 M. Zhuravl'ov est né dans l'ex-Union soviétique et il est aujourd'hui un ressortissant ukrainien. Il a déclaré que son père est russe et sa mère juive et qu'il est persécuté en Ukraine en raison de ses origines juives.

[3]                 M. Zhuravl'ov a indiqué dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que, lorsqu'il était enfant à Moscou, il a connu l'humiliation, les injures et les mauvais traitements en raison de ses origines juives. Après que sa famille partit s'installer en Ukraine, M. Zhuravl'ov fréquenta l'université, qui lui décerna un diplôme, mais l'emploi qu'il obtint était, en raison de ses origines juives, d'un niveau inférieur à celui pour lequel il était qualifié. M. Zhuravl'ov dit que l'on finit par le congédier, sans motif.

[4]                 M. Zhuravl'ov a déclaré que, après l'effondrement de l'Union soviétique, il a été ciblé par une organisation antisémite. Il a reçu plusieurs appels téléphoniques où on lui proférait des menaces. En avril 1997, son appartement fut vandalisé, mais la police refusa de faire enquête. M. Zhuravl'ov reçut un appel téléphonique où on lui signifia que cette action était un avertissement et qu'il devait quitter l'Ukraine. M. Zhuravl'ov a alors commencé de recevoir des lettres de menaces de caractère antisémite.


[5]                 En septembre 1997, sa voiture fut vandalisée et, encore une fois, la police refusa d'enquêter. Au poste de police, M. Zhuravl'ov surprit des officiers de police qui le tournaient en dérision. Les lettres de menaces continuaient d'arriver et, en mars et septembre 1998, M. Zhuravl'ov fut passé à tabac. En novembre 1998, on lui tira dessus, mais il ne fut pas gravement blessé. M. Zhuravl'ov subit encore une fois une rossée en avril 1999 et, en juin 1999, son chien fut empoisonné.

[6]                 M. Zhuravl'ov est arrivé au Canada en juillet 1999.

[7]                 La SSR a considéré à juste titre que l'élément essentiel de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention était le fait que M. Zhuravl'ov est d'origine juive et qu'il est considéré comme juif en Ukraine.

[8]                 La SSR a ensuite étudié les pièces d'identité présentées par M. Zhuravl'ov. Elle a pris note de l'aveu de M. Zhuravl'ov selon lequel il n'avait pas de pièces d'identité originales lui attribuant la qualité de juif, ainsi que de son témoignage selon lequel il ne savait pas pourquoi il n'avait pas une copie certifiée de son passeport intérieur. La SSR a reproduit fidèlement la réponse de M. Zhuravl'ov à la question portant sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas l'original ou un extrait de l'acte de naissance de sa mère ou de sa grand-mère. La raison donnée par M. Zhuravl'ov était qu'une longue période s'était écoulée depuis.


[9]                 La SSR a alors conclu que les pièces présentées par M. Zhuravl'ov n'établissaient pas à elles seules d'une manière convaincante qu'il était juif ou qu'il était vu comme tel. Cette conclusion est, au vu de la preuve, inattaquable.

[10]            La SSR a ensuite étudié les autres éléments de preuve produits au soutien des origines juives revendiquées par M. Zhuravl'ov. Les doutes de M. Zhuravl'ov quant à la manière dont la SSR a apprécié les éléments de preuve en question sont de trois ordres.

[11]            D'abord, la SSR a ignoré une photographie montrant M. Zhuravl'ov agenouillé près d'une tombe qui, a-t-il dit, était celle de sa grand-mère maternelle. Les raisons données par la SSR étaient que, selon elle, aucune preuve convaincante ne permettait de rattacher M. Zhuravl'ov à la personne nommée sur la pierre tombale, et ensuite que M. Zhuravl'ov avait d'abord affirmé que sa grand-mère était décédée en 1972, mais qu'il s'était ravisé lorsqu'on lui fit observer que la pierre tombale mentionnait 1973 comme année du décès.

[12]            Deuxièmement, la SSR a évoqué « le rapport médical » produit par M. Zhuravl'ov et a déclaré que M. Zhuravl'ov « a pu être traité pour une agression » , alors qu'en réalité M. Zhuravl'ov avait produit deux rapports médicaux qui faisaient état de trois agressions.


[13]            Troisièmement, la SSR a ignoré et totalement écarté un rapport de police qui mentionnait qu'un jour, tout en rossant le demandeur, ses agresseurs avaient proféré des menaces et des insultes qui s'adressaient à ses origines juives. La SSR n'a pas non plus accordé le moindre poids à une lettre de menaces dans laquelle M. Zhuravl'ov était désigné comme juif.

[14]            S'agissant de la photographie, si la contradiction des dates était la seule raison pour écarter sa valeur probante, une telle conclusion serait sans doute excessive. Cependant, compte tenu de la différence d'orthographe entre le nom apparaissant sur la pierre tombale et le patronyme de M. Zhuravl'ov tel qu'il apparaît sur l'extrait de naissance de M. Zhuravl'ov, et vu l'absence de documents rattachant M. Zhuravl'ov à la personne décédée, il m'est impossible de conclure qu'il était manifestement déraisonnable pour la SSR de dire que la photographie n'établissait pas d'une manière convaincante un lien entre M. Zhuravl'ov et la femme dont le nom apparaissait sur la pierre tombale. La confusion concernant la date du décès ne faisait rien pour ajouter à la valeur probante de la photographie.

[15]            S'agissant des deux rapports médicaux, ils disent tous deux essentiellement la même chose, c'est-à-dire que M. Zhuravl'ov a été agressé et qu'il a subi des blessures. L'intérêt du « rapport » pour la SSR était le fait que ce rapport ne mentionnait aucune raison pour l'agression subie. La SSR aurait dû faire état des deux rapports, mais je ne puis conclure que la teneur des rapports était importante au point de faire de l'erreur de la SSR une erreur sujette à révision lorsqu'elle s'est prononcée sur l'aspect central de la revendication.


[16]            S'agissant des deux documents restants, la SSR a bien fait état de leur existence, et l'on ne saurait donc affirmer que cette preuve a été ignorée. Cependant, la SSR n'a accordé aucun poids aux documents « étant donné les doutes que le tribunal éprouve quant à la fiabilité du témoignage du revendicateur dans son ensemble et parce qu'il estime que ces documents ne constituent pas une preuve convaincante de la soi-disant origine ethnique juive du revendicateur » .

[17]            C'est ici qu'à mon avis la SSR a commis une erreur sujette à révision, et cela pour les raisons suivantes.

[18]            D'abord, la SSR a exprimé des doutes sur la « crédibilité générale » de M. Zhuravl'ov, mais elle n'a pas conclu à une absence de crédibilité, elle n'a pas dit quels éléments de preuve, selon elle, n'étaient pas dignes de foi, et elle n'a nulle part expliqué pourquoi selon elle M. Zhuravl'ov n'était pas crédible.

[19]            Deuxièmement, la SSR n'a pas motivé sa conclusion selon laquelle les pièces produites n'étaient pas convaincantes. Le rapport de police mentionnait que les agresseurs de M. Zhuravl'ov avaient proféré des menaces et des insultes à propos de ses origines, tandis que la lettre de menaces mentionnait clairement que M. Zhuravl'ov était vu comme un juif par les « nettoyeurs de l'Ukraine » , qui affirmaient leur intention de chasser les juifs d'Ukraine.


[20]            La SSR n'a pas donné à entendre que les documents n'étaient pas authentiques.

[21]            Ces preuves intéressaient l'affirmation de M. Zhuravl'ov selon laquelle il était vu comme juif. La SSR était peut-être fondée à conclure que les documents n'avaient aucune valeur probante, mais elle était tenue d'exposer des motifs convaincants au soutien de cette conclusion.

[22]            Il en résulte que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[23]            Il n'est donc pas nécessaire d'examiner le point soulevé par M. Zhuravl'ov portant sur l'à-propos de la conduite du président de l'audience.

[24]            Les avocats n'ont pas proposé de question à certifier, et aucune question n'est certifiée.

ORDONNANCE

[25]            IL EST ORDONNÉ CE QUI SUIT :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 16 janvier 2001 est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué, pour nouvelle décision.


2.          Aucune question n'est certifiée.

          « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                             Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                            IMM-495-01

INTITULÉ :                                                    Vyacheslav Zhuravl'ov c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                           Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 6 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                                  le 25 mars 2002

ONT COMPARU :

M. Peter D. Woloshyn                                                            pour le demandeur

M. Matthew Oommen                                                            pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates                                                                     pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                             pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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