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Date : 20040625

Dossier : IMM-2025-03

Référence : 2004 CF 914

Toronto (Ontario), le 25 juin 2004

En présence de Monsieur le juge O'Keefe

ENTRE :

                                                        ALFREDO NATYNCZYK,

LUIS MARTIN OLIVERAS,

LORENA NATALIA NATYNCZYK,

MALENA NATYNCZYK,

OLGA MARGARITA ROMERO DE NATYNCZYK,

EVANGELINA VANESSA NATYNCZYK,

GABRIELA LOURDE FLORINDO

et PABLO ALFREDO NATYNCZYK

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision du 5 mars 2003 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]                Les demandeurs sollicitent l'annulation par la Cour de la décision de la Commission d'ordonner le renvoi de leurs revendications devant un tribunal différemment constitué.

Contexte

[3]                Alfredo Natynczyk (le demandeur principal), 50 ans, est un citoyen argentin et prétend craindre avec raison d'être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un certain groupe social, soit les syndiqués luttant pour les droits des travailleurs.

[4]                Les autres demandeurs font partie de la famille étendue du demandeur principal; ce sont sa femme Olga, sa fille Lorena, son beau-fils Luis Oliveras, sa petite-fille Malena, sa fille Evangelina, son fils Pablo et sa belle-fille Gabriela Florindo. Tous fondent leur revendication sur leur appartenance à la famille du demandeur principal. Par conséquent, l'issue de leurs revendications est tributaire de la sienne.


[5]                En plus de revendiquer le statut de réfugié, les demandeurs revendiquent de façon subsidiaire le statut de personnes à protéger. Ils prétendent en effet qu'en cas de renvoi vers l'Argentine, ils seraient personnellement exposés au risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités, ou à une menace à leur vie.

Le demandeur principal

[6]                Dans l'exposé circonstancié contenu dans son Formulaire de renseignements personnels (PIF), le demandeur principal déclare que, de 1972 à 1987, il a exercé le métier de plombier, principalement dans le secteur de la construction. Après 1987, il a travaillé comme soudeur. À partir de 1972, le demandeur principal a été membre de l'Unión Obrera de la Construcción de la República de Argentina, Seccional San Nicolás, un syndicat représentant des ouvriers de la construction. Le demandeur principal soutient avoir toujours été un ardent défenseur des droits des travailleurs.

[7]                Le demandeur principal prétend avoir commencé à recevoir des menaces en raison de ses activités syndicales au début de l'année 1999, alors qu'il travaillait pour la société Techint S.A., à San Nicolás. Le demandeur principal et ses collègues de travail ont protesté contre les iniquités de l'entreprise à leur endroit, et contre son refus de leur verser leur salaire. Le demandeur principal déclare que, lorsqu'il s'est rendu aux bureaux du syndicat afin de solliciter son aide, un inconnu l'a pris à part et l'a prévenu que, s'il continuait à revendiquer ses droits haut et fort, il ne perdrait pas seulement son emploi, mais pourrait aussi regretter amèrement de s'être mêlé de choses qui ne le regardaient pas.


[8]                Le demandeur principal soutient également qu'un inconnu a téléphoné chez lui pour lui faire des menaces et le prévenir, une fois encore, qu'il ne devait pas mettre son nez dans les affaires des autres s'il ne voulait pas mettre sa vie en péril.

[9]                Le demandeur principal déclare avoir été embauché comme soudeur, à l'été 1999, par DSD Construcciones y Montajes S.A. En août 1999, il a été élu représentant syndical et il a commencé à critiquer bien franchement au sein du syndicat les conditions de travail injustes dans l'entreprise ainsi que dans l'Argentine en général. Plus particulièrement, le demandeur principal a dénoncé la pratique de l'entreprise consistant à verser officiellement à ses employés - et ainsi à consigner au livre de paie - une petite fraction de leur salaire, puis le reste en espèces afin d'éviter de payer de l'impôt. Le demandeur principal a aussi critiqué le fait pour l'entreprise d'introduire au pays des travailleurs étrangers plutôt que de recourir à la main-d'oeuvre locale, et de ne pas verser à ses employés tout ce qui leur était dû.


[10]            Le demandeur principal affirme avoir fait l'objet de menaces additionnelles, y compris de huit à dix fois tout au moins à son lieu de travail. Des inconnus armés assistaient aux réunions syndicales. De plus, en d'autres occasions, on l'a approché pendant ses heures de travail pour lui dire qu'il serait aisé de trouver et d'engager quelqu'un prêt à le tuer pour une somme modique. Le demandeur principal prétend aussi que, pratiquement chaque semaine, il recevait des appels de menaces chez lui, auxquels répondaient parfois des membres de sa famille. Le demandeur principal déclare également qu'il était sur la liste noire pour certains emplois en raison de ses activités syndicales.

[11]            Le demandeur principal soutient qu'en 1999, son fils Pablo et sa belle-fille Gabriela ont trouvé une lettre à la porte de la résidence familiale, mentionnant que la famille allait disparaître. Le demandeur principal précise que son fils ne lui a rapporté cet incident que beaucoup plus tard afin de préserver la quiétude de la famille.

[12]            Le demandeur principal décide finalement de quitter l'Argentine en mai 2000. Il déclare avoir craint pour sa vie et pour celles des membres de sa famille. Les demandeurs sont arrivés au États-Unis le 2 mai 2000, munis d'une dispense de visa de touriste I-94. Ils sont restés illégalement aux États-Unis après l'expiration de leur statut.

[13]            Lorsqu'il a témoigné devant la Commission, le demandeur principal a rapporté qu'aux États-Unis il s'est informé sur la façon de régulariser le statut de sa famille dans ce pays, mais qu'on lui a répondu que, puisque celle-ci y avait pénétré au moyen d'une dispense de visa, il n'y avait aucun moyen d'obtenir un statut permanent.


[14]            Le demandeur principal déclare qu'il devient de plus en plus difficile de demeurer illégalement aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001. De peur d'être pris en défaut par les responsables de l'Immigration puis expulsés vers l'Argentine, le demandeur principal et sa famille, celui-ci affirme-t-il, ont quitté les États-Unis à destination du Canada. Ils ont revendiqué le statut de réfugié dans notre pays, dans l'espoir d'y vivre en lieu sûr.

[15]            Le 2 avril 2002, les demandeurs sont arrivés à Coutts en Alberta, où ils ont immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

[16]            Un tribunal de la Commission constitué d'un seul membre a instruit les revendications des demandeurs le 5 février 2003.

Motifs de la Commission de l'immigration et du Statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés)

[17]            Par une décision datée du 5 mars 2003, la Commission a statué que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes de la LIPR.

[18]            La Commission a reconnu que les demandeurs étaient bien des ressortissants de l'Argentine et que le demandeur principal s'était adonné à San Nicolás à des activités syndicales. La Commission a toutefois statué qu'il n'y avait pas une preuve suffisamment crédible et digne de foi pour conclure en une possibilité raisonnable de risque pour les demandeurs d'être persécutés s'ils devaient retourner en Argentine.


[19]            La Commission a relevé le fait que, bien que le demandeur principal se soit habituellement exprimé sans détours dans sa déposition, ses propos quant à ses activités syndicales s'étaient souvent avérés vagues, redondants et de nature trop générale.

[20]            La Commission a rejeté les revendications du statut de réfugié des demandeurs pour les quatre motifs qui suivent.

1.          Le défaut des demandeurs de demander l'asile aux États-Unis dénotait l'absence d'une crainte subjective de persécution.

2.          Le départ tardif des demandeurs d'Argentine laissait également croire en l'absence d'une telle crainte.

3.          Les événements décrits par les demandeurs correspondaient à du harcèlement et non à de la persécution.

4.          Sur la foi de la preuve documentaire sur la situation des syndicalistes en Argentine, la prétendue crainte de persécution des demandeurs n'est pas objectivement bien fondée.

Absence de crainte subjective - défaut de demander ailleurs l'asile


[21]            Bien que, tel que la Commission l'a reconnu, le défaut de demander l'asile dans un autre pays ne constitue pas un facteur décisif en soi, il y a lieu d'en tenir compte pour apprécier la crainte subjective de persécution de demandeurs d'asile (Huerta c. Canada Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.).

[22]            En fonction des faits d'espèce, la Commission a relevé que le demandeur principal avait quitté l'Argentine à destination des États-Unis le 1er mai 2000. Ce dernier n'a pas revendiqué le statut de réfugié à son arrivée aux États-Unis, ni après l'expiration de son visa de touriste trois mois plus tard, ni à toute autre date ultérieure pendant son séjour dans ce pays.

[23]            Lors de son témoignage, le demandeur principal a déclaré qu'il avait consulté un avocat et pris part à des ateliers sur des questions d'immigration, et qu'on lui avait alors fait savoir qu'il n'y avait pour lui aucune façon de demeurer aux États-Unis en toute légalité. La Commission n'a pas jugé vraisemblable que, dans le cas où le demandeur principal aurait demandé s'il y avait une manière [traduction] _ quelconque » pour sa famille de demeurer aux États-Unis, on n'aurait pas évoqué la possibilité de demander l'asile.


[24]            La Commission n'a pas jugé satisfaisantes, en outre, les explications données par le demandeur quant au défaut de revendiquer le statut de réfugié. Selon la Commission, le demandeur principal n'était ni naïf ni inexpérimenté et il aurait su comment défendre ses propres intérêts et ceux de sa famille. La Commission a estimé que, si le demandeur principal avait véritablement quitté l'Argentine en craignant pour sa vie, il aurait mentionné ce fait à tout professionnel consulté. La Commission a cité Madoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 122 F.T.R. 157 (1re inst.) et conclu que le défaut de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis dénotait l'absence d'une crainte subjective.

Absence de crainte subjective - départ tardif d'Argentine

[25]            Le demandeur principal a déclaré lors de son témoignage que les menaces liées à ses activités syndicales ont été proférées en 1999, qu'il s'est longuement demandé ce qu'il devait faire et qu'il a finalement décidé de quitter l'Argentine en 2000. Il a en outre déclaré qu'aucun événement spécifique n'avait déclenché son départ mais que la situation l'a stressé pendant des mois. Le 1er mai 2000, le demandeur principal a quitté l'Argentine à destination des États-Unis.

[26]            Tenant compte de ces faits et reconnaissant que le départ tardif du pays de la persécution prétendue ne constitue pas en soi un facteur décisif (Huerta, précitée), la Commission a conclu que le fait pour les demandeurs d'avoir quitté tardivement San Nicolás et l'Argentine ne cadrait pas avec leur prétendue crainte subjective de persécution.

Harcèlement mais non persécution


[27]            Après avoir repris l'essentiel du témoignage du demandeur principal relativement aux menaces ayant pesé sur lui en Argentine, la Commission a signalé que ce dernier n'avait pu clairement identifier ses agents de persécution, quoiqu'il ait laissé entendre qu'il pourrait s'agir de membres du syndicat ou de l'entreprise ou encore d'hommes de main. La Commission a également souligné le fait qu'on n'avait jamais donné suite aux menaces décrites par le demandeur principal.

[28]            La Commission a rejeté le témoignage du fils du demandeur principal selon lequel il aurait trouvé une lettre de menaces, en décembre 1999, à la porte de la résidence familiale. La Commission a jugé invraisemblable qu'un fils n'informe pas son père de l'existence d'une telle lettre, alors qu'il savait ce dernier inquiet quant à sa sécurité et à celle de sa famille. La Commission a conclu que le fils avait enjolivé son récit en faisant état de la lettre de menaces, afin d'ajouter du poids aux revendications des demandeurs; il n'a donc reconnu aucune force probante à ce récit.

[29]            La Commission a fait remarquer que le demandeur principal était incapable de donner les noms ou les postes de personnes dans une situation semblable à la sienne et qui auraient aussi subi des mauvais traitements, même s'il a déclaré avoir été au courant de nombreux cas.

[30]            La Commission a conclu en ces termes, à la page 5 de ses motifs :

Le tribunal s'est penché sur la nature floue et parfois confuse du témoignage du demandeur principal, sur le nombre et la nature des menaces, sur le fait qu'on n'a jamais donné suite aux menaces et sur le fait que ni le demandeur principal ni un membre de sa famille n'a subi un préjudice de quelque manière que ce soit. Le tribunal conclut que les menaces ont été formulées en vue d'intimider. Les gestes posés par les personnes qu'il craint n'ont pas été assez répétitifs, persistants et graves pour équivaloir, cumulativement, à de la persécution. Tout au plus s'agit-il de harcèlement.

Le tribunal conclut que les événements vécus par le demandeur principal ne constituent pas le fondement d'une crainte fondée de persécution.


La preuve documentaire ne démontre pas que la crainte de persécution était objectivement bien fondée

[31]            L'examen par la Commission de la preuve documentaire sur la situation des syndicalistes à l'époque concernée a révélé que, bien que cette situation ait été loin d'être parfaite, il n'y avait aucune preuve de la corruption ou de la collusion entre syndicats et patronat dont le demandeur principal a fait état lors de son témoignage.

[32]            La Commission a signalé, sur la foi de la preuve documentaire, que la Constitution et les lois générales de l'Argentine prévoient la liberté d'association et le droit de grève et interdisent les actions antisyndicales, et que le ministre de la Main-d'oeuvre a constitué une commission devant faire enquête sur des plaintes présentées à l'Organisation internationale du travail. La Commission a aussi fait remarquer, sur la foi du Country Report of Human Rights Practices for Argentina (mars 2002) du Département d'État des États-Unis, que le gouvernement argentin respecte bel et bien dans les faits le droit des travailleurs de se syndiquer.


[33]            La Commission s'est également fondée sur des documents de la Direction des recherches de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour conclure que la crainte du demandeur principal n'était pas objectivement bien fondée. Ce dernier a déclaré dans son témoignage être membre de nombreux syndicats, essentiellement ceux associés au Parti Justicialista toutefois. Selon un rapport de la Direction des recherches, un organisme argentin de défense des droits de la personne n'avait eu connaissance depuis octobre 1999 d'aucun cas de violence policière ou d'intimidation à l'endroit de membres de syndicats liés au Parti Justicialista; certains incidents auraient cependant touché d'autres syndicats dans d'autres régions du pays. Selon un second rapport de la Direction, le gouvernement nouvellement élu en 1999 projetait de mener à bien les réformes visant le marché du travail entamées par le gouvernement précédent, il ne faisait pas particulièrement obstacle aux syndicats et il tentait même d'engager le dialogue avec des représentants de premier plan du milieu syndical.

[34]            La Commission a déclaré préférer la preuve documentaire au témoignage du demandeur principal, celle-ci provenant de sources objectives et indépendantes non intéressées dans l'issue de la revendication. La Commission a conclu, sur ce fondement, que la crainte du demandeur principal n'était pas objectivement justifiée.

Pas des personnes à protéger

[35]            La Commission a ensuite conclu que les demandeurs, en fonction des éléments constitutifs des alinéas 97(1)a) et b) dela LIPR, n'étaient pas des personnes à protéger.


[36]            La Commission a conclu, en tenant compte de l'ensemble de la preuve, que le demandeur principal n'avait pas démontré par une preuve suffisamment crédible et digne de foi qu'il y avait des motifs sérieux de croire qu'il risquait d'être soumis à la torture s'il devait retourner en Argentine.

[37]            Pour les motifs énoncés dans son analyse relative au statut de réfugié, la Commission a également rejeté la revendication des demandeurs fondée sur l'alinéa 97(1)b), puisqu'elle n'était pas convaincue qu'il y avait une possibilité raisonnable de menace à la vie des demandeurs d'asile ou de risque pour eux de traitements ou peines cruels et inusités s'ils devaient retourner en Argentine.

[38]            Puisqu'elle a rejeté la revendication du demandeur principal, la Commission a également rejetée celles - dont le sort en dépendait totalement - des sept autres demandeurs.

[39]            Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

Prétentions des demandeurs


[40]            Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité puisque, pour qu'il en soit ainsi, de clairs motifs doivent en être énoncés dans sa décision. Les demandeurs relèvent le commentaire de la Commission selon lequel le demandeur principal a témoigné de manière directe mais certaines de ses réponses étaient vagues et de caractère général. Les demandeurs soutiennent qu'au contraire, l'examen de la transcription fait voir que le demandeur principal a répondu clairement à toutes les questions qu'on lui a posées, et qu'il incombait à la Commission de s'enquérir plus avant si certains détails devaient être clarifiés.

[41]            Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur en exigeant que le demandeur principal fasse la preuve de persécutions antérieures, alors que le critère approprié pour l'appréciation d'une crainte fondée de persécution a un caractère prospectif. Au soutien de leur argument, les demandeurs citent Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 113 N.R. 123 (C.A.F.); Naredo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.) et Marchant c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1982] 2 C.F. 779 (C.A.). Selon les demandeurs, la Commission était tenue d'examiner si les incidents passés, qu'ils constituent ou non de la persécution, pouvaient justifier une crainte de préjudice plus grave à l'avenir.

[42]            Les demandeurs soulignent qu'il était erroné pour la Commission de déclarer que le demandeur principal n'avait pu donner le nom d'aucune autre personne dans une situation similaire à la sienne. Dans son témoignage, en effet, le demandeur principal a mentionné qu'on avait abattu son ami Ohada en raison de ses positions et de ses actions favorables aux travailleurs. Les demandeurs soutiennent, par conséquent, que la Commission a commis une erreur en ne déduisant pas de cette situation similaire que la crainte de persécution était objectivement bien fondée.


[43]            Les demandeurs font valoir Djama c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 531 (C.A.) (QL) pour demander l'annulation de la décision de la Commission, au motif que celle-ci n'aurait pas pris en compte l'ensemble de la preuve documentaire. Selon les demandeurs, la preuve sur la situation dans le pays révèle que les manifestations des syndicats sont réprimées avec une grande violence, et de nombreux exemples sont signalés de cas où des activités syndicales ont donné lieu à des affrontements, des conflits et de la violence.

[44]            Les demandeurs allèguent aussi que la Commission n'a fourni aucun motif valable expliquant pourquoi elle n'avait pas reconnu la force probante de la preuve documentaire au soutien de la déposition du demandeur principal (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 1425 (1re inst.)(QL)). Selon les demandeurs, la preuve documentaire corroborante considérée dans son ensemble, jointe au témoignage du demandeur principal, constitue la preuve qu'ils seraient exposés à des risques en cas de retour en Argentine.


[45]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a conclu erronément que le demandeur principal n'avait pas une crainte subjective de persécution. Selon eux, il n'y avait aucun fondement à la conclusion de la Commission quant à l'invraisemblance des explications du demandeur principal relativement au départ tardif de l'Argentine et au défaut de demander l'asile aux États-Unis. La Commission, en outre, n'aurait pas fourni de motifs détaillés lorsqu'elle a conclu que le témoignage du demandeur principal était déraisonnable.

[46]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a interprété et appliqué erronément la définition des expressions « persécution » et « craignent avec raison d'être persécutés » . Le demandeur principal a déclaré dans son témoignage qu'on l'avait menacé d'atteintes à sa liberté et à sa sécurité en raison de ses activités syndicales, qu'on l'avait inscrit sur une liste noire et qu'il n'était plus en mesure de se trouver du travail. Les demandeurs font valoir ce témoignage, ainsi que l'indication du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCR) selon laquelle de graves restrictions au droit d'exercer un métier peuvent constituer de la persécution, pour soutenir que la Commission a commis une erreur en ne concluant pas que le demandeur principal avait été persécuté en Argentine. Les demandeurs soutiennent, en outre, que le défaut pour la Commission de mentionner la preuve relative à la liste noire démontre que des éléments de preuve n'ont pas été pris en compte et que la décision, par conséquent, devrait être annulée.

[47]            Pour ces motifs, les demandeurs demandent dans leurs observations écrites que la décision de la Commission soit annulée et que soit ordonnée la tenue d'une nouvelle audience.


Prétentions du défendeur

[48]            Les demandeurs ayant retiré à l'audience leur demande de jugement de constatation, je ne ferai pas état de leurs observations sur ce point.

[49]            Le défendeur soutient qu'essentiellement dans leurs observations les demandeurs ne font que s'objecter à l'appréciation et à l'interprétation de la preuve par la Commission, ce qui ne saurait justifier d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Le défendeur soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur de droit ni n'a tiré de conclusion de fait manifestement déraisonnable justifiant d'annuler la décision.

[50]            Le défendeur réfute l'argument des demandeurs selon lequel il incombait à la Commission d'obtenir d'eux des éclaircissements ou des précisions au sujet de leurs revendications. Le défendeur fait valoir qu'il ressort de décisions comme Boateng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 810 (QL), 2003 CFPI 632 que les demandeurs ont le fardeau de présenter une preuve crédible démontrant à la satisfaction de la Commission le bien-fondé de chaque aspect de leur revendication, et qu'il n'y a jamais renversement du fardeau de preuve à l'encontre de la Commission.


[51]            Selon le défendeur, la Cour devrait appliquer la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, qui correspond à une grande retenue, aux conclusions de fait et quant à la crédibilité de la Commission et à l'appréciation par celle-ci de la preuve. Le défendeur fonde ses prétentions sur des décisions telles que Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) et Owusu c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1988] A.C.F. n ° 434 (C.A.) (QL).

[52]            Le défendeur soutient qu'il y avait matière pour la Commission à conclure que les demandeurs n'avaient pas une crainte subjective d'être persécutés en Argentine. Après qu'elle a entendu les explications des demandeurs quant à leur départ tardif d'Argentine et quant au défaut de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis, le défendeur soutient-il, il était loisible à la Commission de juger ces explications invraisemblables et insatisfaisantes, étant donné les craintes alléguées et la situation particulière des demandeurs. Le défendeur prétend qu'il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission, en l'espèce, de conclure en l'absence de crainte subjective de persécution chez les demandeurs. Il cite à cet égard Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 88 F.T.R. 220 (1re inst.), Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 112 F.T.R. 9 (1re inst.) et Riadinskaia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 30 (1re inst.)(QL).


[53]            Selon le défendeur, c'est à juste titre que la Commission a pris en compte des événements antérieurs pour évaluer la crainte de persécution dans l'avenir des demandeurs. Ces derniers ayant fondé leurs revendications sur ces événements, le défendeur soutient-il, il était raisonnable pour la Commission de tenir compte du fait qu'on avait ou non donné suite aux menaces proférées. Le défendeur soutient que la Commission n'a pas apprécié erronément la crainte objective de persécution des demandeurs.

[54]            Le défendeur soutient en outre qu'il était loisible à la Commission de préférer, quant à la situation des travailleurs en Argentine, la preuve documentaire au témoignage du demandeur principal. Or, celle-ci met à mal les allégations des demandeurs quant au bien-fondé de leur crainte d'être persécutés. Le défendeur soutient que, comme on l'a conclu dans Adu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 114 (C.A.) (QL) et dans Boateng, précitée, la présomption de véracité du témoignage sous serment du demandeur principal se trouvait réfutée par l'absence de corroboration de son récit par la preuve documentaire présentée à la Commission.

[55]            Le défendeur refuse d'admettre que la Commission a mal interprété la preuve documentaire dont elle était saisie. À son avis, les passages indiqués par les demandeurs n'ont aucun lien avec leur situation particulière, ne démontrent pas l'existence d'un climat général d'oppression à l'endroit des travailleurs et ne font nulle mention du demandeur principal, de la région où il vivait non plus que de son syndicat national. Le défendeur soutient qu'à cet égard les demandeurs ne font que s'objecter à l'appréciation des faits par la Commission, ce qui ne saurait appeler l'intervention de la Cour.

[56]            Le défendeur déclare, en se fondant sur Aguebor, précitée, qu'il est loisible à la Commission d'invoquer des invraisemblances pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Il soutient qu'en l'espèce, il n'était pas manifestement déraisonnable que la Commission estime invraisemblable le récit concernant la lettre de menaces laissée à la porte de la résidence familiale, et ne lui reconnaisse par conséquent aucune force probante.

[57]            Selon le défendeur, le demandeur principal n'a pas démontré qu'il y avait matière pour la Cour à intervenir face à la conclusion de la Commission portant que les demandeurs avaient fait l'objet de harcèlement et de discrimination mais non de persécution. Le défendeur soutient que la question de savoir si les faits d'espèce constituent ou non de la persécution est une question mixte de droit et de fait, pour laquelle on recourait dans le passé à la norme de la décision raisonnable simpliciter (Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), autorisation d'appel à la C.S.C. refusée, [1993] C.S.C.R. n ° 461 (QL)), mais à l'égard de laquelle il y a maintenant lieu d'appliquer la norme moins stricte, énoncée dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, de l' « erreur manifeste et dominante » .


[58]            Le défendeur ajoute que la preuve présentée à la Commission vient clairement étayer les conclusions de celle-ci quant au harcèlement - plutôt qu'à la persécution - dont les demandeurs ont fait l'objet. Le défendeur soutient que le harcèlement subi par le défendeur principal ne constituait pas une [traduction] _ violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l'absence de protection de l'État » , aux termes de la définition donnée au mot « persécution » par la Cour suprême dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 734. Les actes allégués ne constituent pas non plus, toujours selon le défendeur, de la persécution au sens du Guide du HCR. Compte tenu de ces sources, la Commission n'aurait pas commis d'erreur en concluant que les événements vécus par les demandeurs constituaient de la discrimination ou du harcèlement, mais non pas de la persécution.

[59]            Le défendeur demande le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Questions en litige

[60]            Voici les principales questions à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient fait l'objet de harcèlement mais non de persécution?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas la crainte subjective d'être persécutés en Argentine?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas la crainte objective d'être persécutés en Argentine?


Dispositions législatives pertinentes

[61]            On définit comme suit, à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'expression « réfugié au sens de la Convention » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;   

[...]

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

[...]

Analyse et décision

[62]            1re question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient fait l'objet de harcèlement mais non de persécution?


Après examen des prétentions des demandeurs et de la preuve dont elle avait été saisie, la Commission a statué que les menaces proférées à l'endroit du demandeur principal et de sa famille constituaient du harcèlement destiné à les intimider, et qu'elles n'avaient pas un caractère suffisamment suivi, continu et grave pour équivaloir à de la persécution. La Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit à cet égard, au paragraphe 3 de la décision Sagharichi, précitée :

Il est vrai que la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer, d'autant plus que, dans le contexte du droit des réfugiés, il a été conclu que la discrimination peut fort bien être considérée comme équivalant à la persécution. Il est également vrai que la question de l'existence de la persécution dans les cas de discrimination ou de harcèlement n'est pas simplement une question de fait, mais aussi une question mixte de droit et de fait, et que des notions juridiques sont en cause. Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[63]            Tout comme dans Sagharichi, précitée, notre Cour a appliqué, dans Wickramasinghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 601 (QL), 2002 CFPI 470, la norme de la décision raisonnable simpliciter à la conclusion de la Commission quant à une situation de harcèlement plutôt que de persécution. J'estime, contrairement à ce que prétend le défendeur, que la norme de l' « erreur manifeste et dominante » énoncée dans Housen, précitée, n'est pas appropriée en l'espèce. L'affaire Housen en était une de négligence et l'une des questions que la Cour avait alors à trancher concernait la norme de contrôle convenant aux questions de droit et de fait lorsqu'il y avait appel des conclusions du juge du fond. Puisque Housen portait expressément sur les règles de droit applicables aux appels, et non aux contrôles judiciaires, je choisis de suivre la voie tracée par la Cour d'appel fédérale dans Sagharichi, précitée, et d'appliquer à la question sous examen la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[64]            Au soutien de son argumentation, chacune des parties a renvoyé aux commentaires du Guide du HCR relativement aux situations de discrimination par opposition à celles de persécution. On a récemment fait mention du Guide du HCR dans Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. n ° 563 (QL), 2003 CF 429, au paragraphe 34 :

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a publié un ouvrage intitulé Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (réédité à Genève en janvier 1992) (le Guide), où l'on trouve des conseils pour l'examen des revendications de persécution fondées sur les effets cumulatifs de la discrimination. Les paragraphes 53 à 55 sont pertinents. Je cite aussi le paragraphe 52, parce qu'il fournit un contexte à la discussion de savoir de quels éléments on doit tenir compte lorsqu'on fait une analyse cumulative en vue d'atteindre l'objectif plus général de déterminer l'existence d'une persécution :

b) Persécutions

[...]

52. La question de savoir si d'autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas [...] Le caractère subjectif de la crainte d'être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l'intéressé. C'est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu'il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l'objet ou dont il redoute d'être l'objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l'interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.

53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des « motifs cumulés » . Il va sans dire qu'il n'est pas possible d'énoncer une règle générale quant aux « motifs cumulés » pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique.

c) Discrimination


54. Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.

55. Lorsque les mesures discriminatoires ne sont pas graves en elles-mêmes, elles peuvent néanmoins amener l'intéressé à craindre avec raison d'être persécuté si elles provoquent chez lui un sentiment d'appréhension et d'insécurité quant à son propre sort. La question de savoir si ces mesures discriminatoires par elles-mêmes équivalent à des persécutions ne peut être tranchée qu'à la lumière de toutes les circonstances de la situation. Cependant, il est certain que la requête de celui qui invoque la crainte des persécutions sera plus justifiée s'il a déjà été victime d'un certain nombre de mesures discriminatoires telles que celles qui ont été mentionnées ci-dessus et que, par conséquent, un effet cumulatif intervient.

[65]            M'inspirant de ces conseils, je vais maintenant me pencher sur les faits de la présente affaire. La Commission a résumé, à la page 4 de sa décision, les incidents décrits par le demandeur principal et elle a conclu que ceux-ci équivalaient à de la discrimination et non à de la persécution. Il était assurément loisible à la Commission, selon moi, de tirer une telle conclusion et, à ce titre, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.


[66]            Le demandeur principal affirme que son fils et sa belle-fille ont trouvé à la porte de la résidence familiale une lettre où l'on déclarait que la famille allait disparaître. Le fils du demandeur principal a déclaré dans son témoignage qu'il avait trouvé la lettre et qu'on avait écrit dans celle-ci : [traduction] _ Faites attention, sinon vous disparaîtrez » . Le fils et son épouse auraient déchiré la lettre et n'auraient mentionné au demandeur principal la menace proférée qu'une fois la famille arrivée à la frontière canadienne. La Commission n'a pas prêté foi à ce témoignage et a jugé invraisemblable qu'un fils ne fasse pas état d'une telle lettre à son père, alors que ce dernier craignait pour sa sécurité et celle de sa famille. J'estime encore une fois que la conclusion à cet égard de la Commission était raisonnable. Je suis d'avis que n'appelle pas l'intervention de la Cour la conclusion de la Commission portant que les comportements dont les demandeurs se sont plaints constituaient du harcèlement et non de la persécution.

[67]            2e question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas la crainte subjective d'être persécutés en Argentine?

La Commission a fait remarquer que le défaut de demander l'asile dans un autre pays ne constitue pas en soi un facteur décisif, mais est pertinent aux fins d'apprécier la crainte subjective des demandeurs. Le 1er mai 2000, le demandeur principal a quitté l'Argentine à destination des États-Unis, où il est demeuré jusqu'à ce qu'il parte pour le Canada le 2 avril 2002. Le demandeur principal a déclaré ne pas avoir revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis parce qu'un avocat lui aurait dit qu'il ne pouvait y demeurer en toute légalité. La Commission a également relevé le fait que, bien que le demandeur ait fait l'objet de menaces en 1999, il n'a quitté l'Argentine que l'année suivante.

[68]            Le demandeur a fourni certaines explications relativement à son défaut de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis. La Commission a déclaré ce qui suit à ce sujet, à la page 3 de sa décision :


[...] Le demandeur principal a expliqué qu'il avait fait des démarches auprès d'un avocat et qu'il avait participé à des ateliers sur l'immigration avec des gens qu'il croyait être des avocats représentant le gouvernement, et on lui a dit que lui et sa famille ne pouvaient entretenir aucun espoir de demeurer légalement aux États-Unis. Le demandeur principal a témoigné qu'il avait demandé s'il existait une manière pour sa famille de demeurer légalement aux États-Unis. Le tribunal conclut qu'il est invraisemblable que le demandeur principal ait demandé aux personnes mentionnées plus haut s'il existait une manière « quelconque » pour sa famille de rester et que ces personnes n'aient pas soulevé la possibilité de l'asile. Le demandeur d'asile a mentionné ses problèmes professionnels aux personnes à qui il a parlé, mais n'a dit à personne qu'il craignait pour sa vie en Argentine. Pendant qu'il se trouvait aux États-Unis, il ne s'est jamais adressé à un représentant du gouvernement pour demander la protection. Le tribunal est d'avis que l'explication du demandeur d'asile est insatisfaisante. Si le demandeur d'asile a quitté son pays parce qu'il craignait pour sa vie, il l'aurait mentionné à tout professionnel qu'il aurait consulté. Le demandeur principal n'était ni naïf ni inexpérimenté. Il était un représentant syndical dont le travail consistait à faire valoir les intérêts de ses collègues de travail il aurait su comment représenter ses propres intérêts et ceux de sa famille. Le tribunal conclut que le défaut du demandeur principal de présenter une demande d'asile aux États-Unis constitue une absence de crainte subjective. [...]

[69]            Il ne fait aucun doute que la Commission peut tirer des conclusions défavorables en raison d'un comportement du demandeur qu'elle estime incompatible avec la crainte subjective de persécution. Un tel comportement consisterait, par exemple, à retourner volontairement dans le pays que l'on a fui, ou à quitter tardivement un pays où le demandeur prétend avoir fait l'objet de persécution. Je suis convaincu que, compte tenu des faits d'espèce, la Commission n'a pas conclu erronément en l'absence de crainte subjective de persécution chez les demandeurs.

[70]            3e question en litige

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas la crainte objective d'être persécutés en Argentine?


Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis deux erreurs dans l'appréciation du bien-fondé de leur crainte. La Commission se serait trompée, en premier lieu, en exigeant que les demandeurs fassent la preuve d'une persécution antérieure, alors qu'il s'agit d'évaluer de façon prospective la crainte fondée de persécution. Elle aurait apprécié erronément, en second lieu, la preuve documentaire relative à la situation régnant en Argentine.

[71]            J'estime, tout comme les demandeurs, qu'il faut évaluer de façon prospective le bien-fondé de la crainte de persécution. Cependant, lorsqu'un demandeur fonde sa revendication sur des événements antérieurs, ceux-ci doivent être évalués par la Commission, puisque des persécutions antérieures constituent l'un des meilleurs moyens de démontrer le bien-fondé objectif d'une crainte de persécution future. Comme fondement de leurs revendications, les demandeurs ont invoqué diverses menaces proférées à l'endroit du demandeur principal, ainsi que l'inscription de ce dernier sur une liste noire et les problèmes qu'il a eus avec son syndicat. La Commission n'a pas commis d'erreur lorsque, pour établir si les incidents antérieurs décrits par les demandeurs laissaient présager de persécutions futures, elle a apprécié leur nature et leur gravité et a jugé s'ils étaient crédibles.


[72]            Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur justifiant d'infirmer sa décision puisqu'elle a déclaré que le demandeur ne pouvait donner le nom d'aucune autre personne dans une situation semblable à la sienne qui aurait fait l'objet de persécutions. Or, tel qu'en atteste la transcription d'audience, le demandeur principal a en fait mentionné le nom d'un ami tué en raison de ses activités syndicales. J'ai examiné la décision de la Commission et, quoique celle-ci ait fait erreur en déclarant que le demandeur principal n'avait pas mentionné de nom, elle a néanmoins relevé le fait que ce dernier avait bel et bien connaissance de situations semblables. Le témoignage du demandeur principal sur ce point n'est pas suffisamment détaillé pour que je puisse conclure que c'était là une erreur importante portant atteinte à la décision finale de la Commission. Aucun détail n'a été fourni quant au syndicat pour lequel travaillait cet ami, ni quant aux circonstances dans lesquelles on l'a abattu. Je ne suis pas convaincu qu'en se trompant de la sorte, la Commission a commis une erreur susceptible de révision.

[73]            Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve documentaire relative à la situation en Argentine. Dans Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 643 (QL), 2001 CFPI 398, le juge MacKay a déclaré ce qui suit (au paragraphe 14) :

En bonne partie, la conclusion finale que la formation a tirée au sujet de l'absence d'une crainte fondée de persécution repose sur des conclusions accessoires découlant de certains éléments de la preuve documentaire. Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question l'appréciation de la preuve par la formation à moins que les conclusions tirées par cette dernière ne soient jugées abusives ou manifestement déraisonnables. Il est reconnu que l'omission de mentionner des documents précis ne donne pas à entendre qu'il n'a pas été tenu compte des documents. Pourtant, lorsque la formation ne fait pas mention d'une preuve documentaire provenant de sources généralement acceptables qui contredit les éléments sur lesquels elle se fonde, il est difficile de conclure qu'elle a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents.


[74]            J'ai passé en revue la preuve documentaire présentée à la Commission et j'estime que les demandeurs ne font que demander à la Cour d'apprécier cette preuve autrement que la Commission ne l'a fait. Je désire aussi signaler que nombre de renvois à la preuve documentaire faits par les demandeurs n'ont aucun lien avec le syndicat du demandeur principal, la situation de ce dernier ou la région de San Nicolás. L'appréciation par la Commission de la preuve documentaire non plus que sa décision quant à l'absence de crainte objective des demandeurs d'être persécutés en Argentine ne sont entachées d'une erreur révisable.

[75]            Le demandeur a soutenu avoir été inscrit sur une liste noire et n'avoir pu se trouver du travail en raison de ses activités syndicales. Il a déclaré que de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier peuvent constituer de la persécution, et que le défaut de la Commission de mentionner la preuve relative à la liste noire démontre qu'elle n'en a pas tenu compte et que sa décision devrait par conséquent être annulée. Je signale à ce sujet que la Commission est présumée, sauf preuve contraire, avoir tenu compte de tous les éléments dont elle disposait (Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 59 (C.A.) (QL)). En l'espèce, eu égard à la portée et à la nature des allégations du demandeur ainsi qu'au raisonnement de la Commission, cette présomption n'est pas réfutée. Je n'annulerais pas la décision de la Commission pour ce motif.

[76]            La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est par conséquent rejetée.

[77]            Ni l'une ni l'autre partie n'a désiré soumettre à mon attention une question grave de portée générale.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                            _ John A. O'Keefe _               

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       IMM-2025-03

INTITULÉ :                      ALFREDO NATYNCZYK,          LUIS MARTIN OLIVERAS,

LORENA NATALIA NATYNCZYK, MALENA NATYNCZYK, OLGA MARGARITA ROMERO DE NATYNCZYK, EVANGELINA VANESSA NATYNCZYK, GABRIELA LOURDE FLORINDO

et PABLO ALFREDO NATYNCZYK

                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 17 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :     LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE : LE 25 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

D. Jean Munn                                                    POUR LES DEMANDEURS

Rick Garvin                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)                                               POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                          Date : 20040625

                             Dossier : IMM-2025-03

ENTRE :

ALFREDO NATYNCZYK, LUIS MARTIN OLIVERAS, LORENA NATALIA NATYNCZYK, MALENA NATYNCZYK, OLGA MARGARITA ROMERO DE NATYNCZYK, EVANGELINA VANESSA NATYNCZYK, GABRIELA LOURDE FLORINDO et PABLO ALFREDO NATYNCZYK

                                                 demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     défendeur

       MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                 ET ORDONNANCE


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