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Date : 20050426

Dossier : IMM-4161-04

Référence : 2005 CF 574

Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

SYED KHAWER BOKHARI

SYEDA MAHRAIN SHAHID

SYEDA QURAT-UL-AIN BOKHARI

SYED BOKHARI HAKIM

SYED SHAHZAD ALI KHURAM

                                                                                                                                        demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Prononcés à l'audience, puis mis par écrit pour plus de précision et de clarté)


[1]                Les demandeurs, Syed Khawer Bokhari (ci-après appelé le demandeur), Syeda Mahrain Shahid, Syeda Qurat-Ul-Ain Bokhari, Syed Bokhari Hakim et Syed Shahzad Ali Khuram sont tous musulmans chiites et citoyens du Pakistan. Ils disent être victimes de persécution pour des motifs religieux car le demandeur est un dirigeant bien connu de la secte islamiste Nosheri Al-Tashi, dans la province frontalière du Nord-ouest du Pakistan. Le demandeur a été élu secrétaire général d'une fiducie qui avait pour mission de construire dans son village une imam baraga (une mosquée chiite). Le demandeur soutient que des membres de sa famille et lui-même ont été intimidés et blessés lorsque des membres d'un groupe extrémiste - le Sipae-Sahaba Pakistan (SSP) - ont tenté de débarrasser le Pakistan de toutes les sectes musulmanes non sunnites et qu'à cause de cela, ils ont dû fuir leur pays.

[2]                La Commission a rejeté leur demande en concluant ce qui suit :

[Traduction] Il n'y avait pas assez d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir, selon la prépondérance des probabilités, l'allégation du demandeur principal, savoir qu'il était un dirigeant chiite bien connu au Peshawar. La preuve établit que, selon la prépondérance des probabilités, les chiites peuvent généralement obtenir la protection de l'État au Pakistan. La preuve ne fait pas de distinction entre les demandeurs et les autres chiites au Pakistan.

[3]                À l'audience sur la demande, après que les avocats eurent interrogé le demandeur et avant qu'ils présentent leurs observations, le commissaire a dit :

[Traduction] Merci. Eh bien, nous n'avons pas d'observations parce que nous n'avons pas de R [...]. Ce qui m'intéresse surtout, c'est le fondement objectif, une PRI. Il se peut que je fasse quelques remarques au sujet de la crainte subjective et du temps mis avant de quitter le Peshawar et d'y revenir. Mais ce qui m'intéresse principalement, c'est une PRI et la protection de l'État.

[4]                Dans ses observations, l'avocat s'est donc concentré sur la protection de l'État et la PRI. La décision du commissaire reposait toutefois sur la crédibilité et la protection de l'État. Il n'a été question d'une PRI qu'en passant, dans la phrase suivante :

[Traduction] Si les demandeurs ne veulent pas vivre au Peshawar, je conclus qu'ils pourraient vivre à Lahore ou à Karachi. Deux villes qui rivalisent entre elles en tant que [...] « centre du chiisme au Pakistan » .

[5]                La seule manière d'interpréter la déclaration du commissaire qui est citée au paragraphe 3 qui précède est qu'elle signifie que la crédibilité, la crainte objective et subjective ont été établies. Après tout, la protection de l'État et la PRI (les sujets qui intéressent le plus le commissaire) n'entrent en ligne de compte qu'une fois que le récit du demandeur est accepté (c'est-à-dire que l'on a admis sa crédibilité) et que sa crainte objective et subjective est établie. En faisant cette déclaration, le commissaire a effectivement induit en erreur l'avocat du demandeur et l'a empêché de traiter de la crédibilité, qui s'est avérée le point central de la décision de la Commission.

[6]                Il a été décidé que le fait d'induire ainsi en erreur un avocat et d'empêcher par conséquent un demandeur de formuler des observations sur des points cruciaux est assimilable à un déni de justice naturelle. Voir Velauthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 425.

[7]                Dans un tel cas, la Cour n'a d'autre choix que d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience et d'annuler la décision initiale. Comme l'a dit le juge Russel dans Sivamoorthy c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CFA 408, au paragraphe 45 :


[45]          La Cour suprême a jugé que, lorsque la justice naturelle a été déniée, une nouvelle audience est nécessaire pour corriger le manquement. Dans l'arrêt Cardinal c. Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, le juge Le Dain, rédigeant l'avis unanime de la Cour, écrivait, à la page 660 :

J'estime nécessaire d'affirmer que la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

[46]          Même s'il pouvait subsister dans les motifs de la Commission un élément justifiant le refus de la revendication de la demanderesse, le déni de justice naturelle dans cette affaire requiert une nouvelle audition quand bien même la décision ultime serait restée la même.

[8]                Par conséquent, malgré le raisonnement apparemment convaincant de la Commission, en me fondant sur l'arrêt Cardinal c. Kent, précité, je ferai droit à la présente demande.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 7 avril 2004 soit annulée et l'affaire renvoyée à cette dernière pour qu'un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen.


                       


      « K. von Finckenstein »

                     Juge


Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-4161-04

INTITULÉ :                            SYED KHAWER BOKHARI et al.

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 26 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :           LE 26 AVRIL 2005

COMPARUTIONS :

Shane Molyneaux                      POUR LES DEMANDEURS

Kim Shane                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon and Associates    POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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