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Date : 20020614

Dossier : IMM-1966-01

Référence neutre : 2002 CFPI 678

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 JUIN 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

                                                                    SONG JUN REN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 28 mars 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

Genèse de l'instance

[2]                 Le demandeur, Song Jun Ren, est un citoyen chinois. Il fonde sa revendication du statut de réfugié sur les persécutions dont il aurait été victime en Chine du fait de sa religion Tian Dao.


[3]                 Voici les allégations du demandeur. En avril 1997, il a été initié au Tian Dao. Il a converti d'autres personnes à cette religion. À compter de 1998, il était chargé d'accompagner le maître spirituel de la secte. En mars 1999, alors qu'il se rendait à un lieu de rassemblement en compagnie de ce maître, le taxi à bord duquel le demandeur et le maître se trouvaient est entré en collision avec une autre automobile, ce qui a retardé leur arrivée à destination. Le demandeur a alors reçu un appel l'informant que le Bureau de la sécurité publique (BSP) avait fait une descente au temple où le rassemblement avait lieu. Le 5 mars 1999, Le BSP a arrêté d'autres membres du groupe, s'est rendu au domicile de sa femme et a perquisitionné chez lui. Le demandeur affirme qu'il s'est enfui du pays parce qu'il savait que sa vie était en danger.

[4]                 Le demandeur affirme qu'après son arrivée au Canada, il a pratiqué le Tian Dao dans un temple de Toronto. Des photographies du demandeur prises au temple Tian Dao ont été présentées à la Commission.

[5]                 Dans sa décision du 28 mars 2001, la Commission écrit ce qui suit :

[...] il a été mis au courant que des officiers du bureau de la sécurité publique étaient retournés dans sa demeure avec un mandat d'arrestation contre lui. On l'accusait d'avoir pris part à des activités religieuses illégales, de ne pas s'être conformé à l'interdiction imposée par le gouvernement, d'avoir aidé le maître spirituel de la secte à s'enfuir et d'avoir entretenu des relations avec des groupes à l'étranger. Il savait sa vie menacée, il a donc décidé de fuir la Chine.


Après avoir pris connaissance de son FRP, le tribunal a demandé au revendicateur de donner des renseignements sur la manière dont il avait obtenu son passeport et son VCV. Il a répondu qu'en raison de ses problèmes, il avait demandé à un passeur de clandestins de lui procurer un passeport. Le tribunal lui a fait remarquer que son passeport était authentique et qu'il comportait sa photographie ainsi que sa signature. Le revendicateur a admis que sa photographie et sa signature se trouvaient sur le passeport. Il a également affirmé qu'en septembre, le passeur lui avait donné un formulaire à remplir pour obtenir son visa à l'Ambassade du Canada.

Le tribunal a demandé au revendicateur si son passeport comprenait un visa de sortie délivré par le bureau de la sécurité publique pour qu'il puisse quitter son pays. Il a répondu affirmativement, puis a déclaré qu'avant qu'il monte à bord de l'avion, le passeur l'avait présenté au chef de la délégation qui se rendait au Canada. Il a ajouté avoir montré aux agents son passeport et le visa de sortie, passé le service de sécurité, et avoir pris place à bord de l'avion.

Le tribunal n'est pas convaincu de la véracité du scénario présenté par le revendicateur. D'abord, le tribunal sait très bien qu'en Chine, tout voyage à l'étranger doit être autorisé par le bureau de la sécurité publique. Cette conclusion est appuyée par la preuve documentaire [...]

À la lumière de ce qui vient d'être mentionné, le tribunal est d'avis qu'il n'est pas plausible que le revendicateur ait obtenu son visa et les deux permis de sortie sans que les autorités s'en soient aperçues. Le tribunal a tenu compte du fait que l'organisation ayant prétendument persécuté le revendicateur détenait aussi le pouvoir de lui fournir un passeport ainsi que les deux permis requis.

En outre, le tribunal a pris en considération l'affirmation du revendicateur selon laquelle le bureau de la sécurité publique avait un mandat d'arrestation contre lui. Même si on croit le supposé scénario suivant lequel le revendicateur aurait réussi à obtenir le visa de sortie et les permis requis sans que personne ne s'en rende compte, le tribunal pense qu'il est improbable qu'il soit parvenu à passer le service de sécurité de l'aéroport, au moment de son départ de la Chine. Envisager le contraire serait pousser la crédulité bien au-delà des limites raisonnables.

[...]

En définitive, le tribunal ne peut pas accepter l'idée que le revendicateur soit arrivé à obtenir son premier permis de sortie, son visa et son second permis de sortie, lesquels auraient été autorisés et délivrés par les mêmes autorités qui, prétendument, le persécutaient.

Comme les problèmes précédents relatifs à la crédibilité sont d'une grande importance dans la revendication, le tribunal considère qu'ils nuisent à la preuve du revendicateur d'une manière générale. Par conséquent, le tribunal ne croit pas qu'il a réellement vécu les supposés événements décrits dans son FRP ni qu'il est recherché par les autorités chinoises pour la pratique de la religion Tian Dao.

   

[6]                 La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. La Cour est saisie en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision.


Prétentions et moyens du demandeur

[7]                 Le demandeur affirme que la Commission n'a pas tiré de conclusion claire et non équivoque sur la question de savoir s'il était un adepte de la religion Tian Dao.

[8]                 Le demandeur soutient que la Commission a fondé sa décision uniquement sur le fait qu'il avait réussi à obtenir un passeport et un visa de sortie des autorités chinoises. Il explique que, ce faisant, la Commission s'est limitée à la question de savoir si le demandeur avait été victime de persécution dans le passé, sans se demander s'il risquait de l'être à l'avenir.

[9]                 Le demandeur fait valoir que la Commission n'a tiré aucune conclusion sur la question de savoir s'il était un adepte du Tian Dao et s'il pratiquait cette religion au moment de l'audience de la Commission. Le demandeur ajoute qu'en dépit de sa conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité, la Commission aurait dû se demander si le demandeur risquait d'être persécuté s'il retournait en Chine.


[10]            Le demandeur fait remarquer que, compte tenu du caractère prospectif de la définition du réfugié au sens de la Convention, il importe peu que le demandeur ait été un adepte de la religion Tian Dao dans le passé et que la seule question qui se pose est celle de savoir s'il est présentement un adepte du Tian Dao et s'il pratique cette religion et entend continuer à la pratiquer à l'avenir. Le demandeur exprime l'avis qu'en ne tirant pas de conclusion sur l'identité du demandeur comme croyant adhérant présentement à la religion Tian Dao, la Commission a commis une erreur de droit.

[11]            Le demandeur soutient qu'il est clairement précisé dans la preuve documentaire que le Tian Dao est interdit en Chine et que ceux qui sont surpris en train de pratiquer des religions qui interdites s'exposent à de sévères sanctions.

Prétentions et moyens du défendeur

[12]            Le défendeur affirme que la Commission a attentivement examiné l'ensemble de la preuve et rappelle que le récit du demandeur n'a pas convaincu la Commission. Le défendeur soutient que c'est à bon droit que la Commission a jugé que le demandeur n'avait pas démontré qu'il avait raison de craindre d'être persécuté.

[13]            Suivant le défendeur, la Commission a précisé en des termes clairs et non équivoques les raisons pour lesquelles elle considérait que le témoignage du demandeur n'était pas crédible.

[14]            Le défendeur exprime l'avis qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de considérer qu'il n'était pas plausible que le demandeur obtienne deux visas de sortie et un passeport sans que les autorités s'en aperçoivent ou sans que les autorités mêmes qui, selon le demandeur, le persécutaient, lui fassent de problèmes.


[15]            Le défendeur explique que la Commission a le droit de tirer une conclusion négative au sujet de la crédibilité en se fondant sur les contradictions et incohérences du récit du revendicateur et les autres éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission.

[16]            Le défendeur explique que, comme la Commission doutait de la véracité de la revendication du demandeur, il n'était pas nécessaire qu'elle se livre à une analyse prospective pour savoir s'il risquait d'être persécuté à l'avenir. Le défendeur rappelle que la Commission a conclu que les autorités ne s'intéressaient pas au demandeur et affirme qu'il s'agit là d'une conclusion légitime qui reposait sur les éléments de preuve dont la Commission disposait.

Question en litige

[17]            La Commission a-t-elle commis une erreur justifiant la révision de sa décision en n'examinant pas la question de savoir si le demandeur était présentement un adepte de la religion Tian Dao et si son appartenance à cette secte constituait une raison justifiant sa crainte d'être persécuté s'il retournait en Chine?


Dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[18]         La Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, définit comme suit le « réfugié au sens de la Convention » :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_ :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_ :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

  

Analyse et décision


[19]            La Commission a-t-elle commis une erreur justifiant la révision de sa décision en n'examinant pas la question de savoir si le demandeur était présentement un adepte de la religion Tian Dao et si son appartenance à cette secte constituait une raison justifiant sa crainte d'être persécuté s'il retournait en Chine?

L'affaire récente Sun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 637 (QL); 2002 CFPI 493, portait sur une situation analogue à la présente. Les paragraphes 27 et 29 de cette décision sont ainsi rédigés :

Pour apprécier si une personne a ou non une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe précis qui est lui-même l'objet de persécution, la Commission doit, sauf dans le cas que nous soulignerons plus bas, déterminer si cette personne est ou non membre de ce groupe.

Dans la présente affaire, je ne crois pas que l'absence de conclusion claire de la Commission, quant à l'appartenance à la religion Tian Dao, ait de l'importance eu égard à l'issue de la demande. La preuve de la persécution des adeptes de la religion Tian Dao provient du témoignage de la demanderesse que la Commission a jugé invraisemblable. J'ai examiné la preuve documentaire et il en ressort clairement que les adeptes de la religion du Falun Gong subissent actuellement la persécution. Il n'y a en ce moment aucune référence à la persécution des adeptes de la religion Tian Dao. Il n'y a simplement pas suffisamment de preuve documentaire pour établir que les adeptes de la religion Tian Dao sont persécutés en Chine. De même, vu la conclusion de la Commission quant à l'absence de crédibilité, conclusion sur laquelle je reviendrai plus loin, le propre témoignage de la demanderesse ne peut servir à établir la persécution du groupe religieux auquel elle prétend appartenir. Ainsi, comme il n'a pas été établi que le groupe religieux Tian Dao est persécuté en Chine, il importe que la demanderesse soit ou non une adepte de la religion Tian Dao. Et même si la Commission a erré en ne se prononçant pas sur la question de savoir si la demanderesse était une adepte de la religion Tian Dao, cela n'a pas d'incidence sur l'issue de l'affaire.

[20]            La seule manière dont l'adhésion du demandeur à la religion Tian Dao entre en jeu est si la Commission ajoute foi à sa version des faits et si les adeptes de la religion Tian Dao sont effectivement persécutés en Chine.


[21]            Or, la Commission n'a pas jugé crédible la version des faits du demandeur au sujet des événements qui l'ont amené à quitter la Chine. Il est de jurisprudence constante que la décision d'un tribunal administratif sur la crédibilité d'un témoin ne doit pas être infirmée si ce tribunal explique en des termes clairs et non ambigus les raisons pour lesquelles il estime que l'intéressé n'est pas crédible (voir l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.)). En l'espèce, la Commission a cité des exemples bien concrets des problèmes que soulevait le témoignage du demandeur. La Commission a souligné que, pour pouvoir quitter la Chine, le demandeur devait obtenir des visas de sortie et des autorisations du BSP, c'est-à-dire l'organisme qui, selon ce qu'il affirmait, l'avait arrêté et persécuté. Le demandeur affirmait que, malgré le fait qu'un mandat d'arrestation avait été lancé contre lui, il avait réussi à obtenir des visas de sortie, les autorisations requises et un passeport à son nom et à passer le service de sécurité à l'aéroport sans être repéré. La Commission a conclu que retenir le scénario proposé par le demandeur reviendrait à pousser la crédulité bien au-delà des limites raisonnables. Je ne suis pas disposé à modifier la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité.

[22]            Le seul argument qu'il reste au demandeur est que la Commission a commis une erreur en ne tirant pas de conclusion sur la question de savoir s'il était un adepte de la religion Tian Dao. Si le demandeur a raison, cette proposition ne joue en sa faveur que si la preuve démontre que les adhérents à la religion Tian Dao sont présentement persécutés en Chine.


[23]            Comme la Commission n'a pas cru le demandeur, il ne lui reste plus que la preuve documentaire. À mon avis, la preuve documentaire ne démontre pas que les tenants de la religion Tian Dao sont persécutés en Chine. Il ressort de la preuve documentaire que la religion Tian Dao a été interdite en Chine après la Seconde Guerre mondiale, alors qu'elle portait un nom différent, et que des chefs de l'Église protestante ont été mis en prison. Il n'y a tout simplement aucune preuve documentaire qui démontre que ceux qui pratiquent la religion Tian Dao sont présentement persécutés en Chine.

[24]            Il s'ensuit que le demandeur ne peut obtenir gain de cause, étant donné que sa crainte d'être persécuté en Chine ne repose sur aucun fondement objectif, vu que son témoignage n'a pas été jugé digne de foi et que la preuve documentaire n'établit pas l'existence de ce type de persécution.

[25]            Il n'est pas nécessaire que j'examine la question de l'appartenance du demandeur à la religion Tian Dao.

[26]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[27]            Aucune des deux parties n'a manifestement son désir de faire certifier une question grave de portée générale.


                                           ORDONNANCE

[28]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 14 juin 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-1966-01

INTITULÉ :              SONG JUN REN

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le jeudi 6 juin 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     le vendredi 14 juin 2002

  

COMPARUTIONS :

Me Hart Kaminker                                                POUR LE DEMANDEUR

Me Angela Marinos                                               POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kranc & Associates                                             POUR LE DEMANDEUR

425, avenue University, bureau 500

Toronto (Ontario) M5G 1T6

Ministère de la Justice                                           POUR LE DÉFENDEUR

The Exchange Tower, C.P. 36

130, rue King Ouest, bureau 3400

Toronto (Ontario) M5X 1K6


                                                  

                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

             SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                          Date : 20020614

                                                            Dossier : IMM-1966-01

ENTRE :

SONG JUN REN

                                                                                    demandeur

- et -

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                     défendeur

                                                                                                                              

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                 ET ORDONNANCE

                                                                                                                              

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