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Date : 20051214

Dossier : IMM-682-05

Référence : 2005 CF 1693

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN        

ENTRE :

                                                                     JUDE ASU

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur d'asile, Jude Asu (le demandeur), est un citoyen du Cameroun âgé de 23 ans. Après le décès de son frère, il a refusé d'épouser la veuve de ce dernier comme c'est prétendument la coutume dans la région du Cameroun d'où il est originaire. Par conséquent, les aînés locaux l'ont condamné à mort, mais il a réussi à s'échapper avec l'aide d'un voisin et il est parti vers Douala. En se rendant à Douala, il a été arrêté par la police parce qu'il se trouvait sur la route le 1er octobre, le jour où les Camerounais anglophones font traditionnellement une manifestation pour célébrer leur indépendance. Il a été arrêté et conduit en prison à Douala. Pendant qu'il était détenu, il aurait été torturé.


[2]                Le demandeur a réussi à se sauver pendant qu'il travaillait dans les champs et il s'est rendu en bateau dans un village voisin. Dans ce village, il a rencontré une femme qui avait l'habitude de faire des visites à la prison. Elle a eu pitié de lui et elle a pris des dispositions pour qu'il quitte le Cameroun pour venir au Canada.

[3]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande présentée par le demandeur estimant qu'il n'était pas digne de foi et que son récit n'était pas vraisemblable parce que :

i)          il n'y avait pas de preuve documentaire démontrant que les hommes, au Cameroun, sont obligés d'épouser la veuve de leur frère. Au contraire, toute la preuve documentaire montrait l'existence d'une société très patriarcale dans laquelle les femmes n'avaient aucun droit;

ii)                    il était improbable, selon la preuve documentaire, qu'il ait été arrêté puisqu'il n'était pas actif au sein de la collectivité anglophone;

iii)         le récit de la bonne Samaritaine était tout à fait improbable et n'était pas digne de foi.

[4]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire en alléguant ce qui suit :

            i)          les trois conclusions quant à la vraisemblance étaient incorrectes;


ii)         la Commission a omis de procéder à une analyse suivant l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), malgré qu'elle ait conclu que le demandeur avait été victime de torture.

[5]                Les conclusions quant à la crédibilité font l'objet d'un contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. (Voir l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315.) La Cour peut facilement intervenir à l'égard des conclusions quant à la vraisemblance lorsqu'il peut être démontré que la conclusion est fondée sur un principe de droit erroné, une hypothèse abusive ou irrationnelle ou lorsque la conclusion ou l'hypothèse est contraire à la preuve documentaire ou non appuyée par celle-ci. (Voir la décision Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 653, et l'arrêt Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (CAF).)

[6]                Je vais traiter des deux questions soulevées par le demandeur dans l'ordre inverse duquel elles ont été présentées.

L'omission de la Commission d'avoir procédé à une analyse suivant l'article 97

[7]                La Commission a fait le commentaire suivant à l'égard des cicatrices du demandeur :


Il prétend que les policiers l'ont arrêté, gravement battu et torturé. À l'appui de son allégation, il a produit un rapport médical et un rapport psychiatrique. Tout en admettant le rapport médical selon lequel les cicatrices du demandeur d'asile concordent avec l'agression qu'il a peut-être subie, le tribunal conclut, à partir de son témoignage, que ces blessures ont pu lui être infligées dans des circonstances entièrement différentes.

(Dossier de demande du demandeur, aux pages 9 et 10.)

[8]                Même si la Commission a accepté ce que le rapport médical énonçait, elle a fait la déclaration suivante à l'égard de l'article 97 :

Compte tenu de cette conclusion touchant la crédibilité, le tribunal détermine qu'il n'a pas qualité de personne à protéger, car son renvoi au Cameroun ne l'exposerait pas personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités; de plus, aucune raison sérieuse ne permet de croire que ce renvoi l'exposerait personnellement au risque d'être soumis à la torture.

[9]                L'article 97 n'a rien à voir avec la qualité de réfugié; il se rapporte au risque d'être exposé à la torture ou à une peine cruelle. Si la Commission décide que le demandeur n'est pas un réfugié suivant l'article 96 (comme elle l'a fait dans la présente affaire), alors elle devrait établir si les faits qu'elle a acceptés constituent un fondement pour mettre en doute le fait que la personne soit exposée à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités suivant l'article 97. Le fait de conclure que le demandeur n'est pas digne de foi et n'a pas un profil politique ne signifie pas que le demandeur n'a pas un motif pour invoquer la qualité de personne à protéger suivant l'article 97. (Voir la décision Brovina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 635.)


[10]            La Commission a mal compris la nature de son obligation légale prévue par l'article 97. Je note que la Commission n'a jamais déclaré que les agressions violentes prétendument subies par le demandeur et que ses cicatrices avaient pu « être accidentelles » . La Commission ne pouvait pas tirer cette conclusion étant donné que le rapport médical était précis et fondé sur des faits. Au dossier, il était fait état des cicatrices de la façon suivante :

[traduction]

J'ai examiné votre client le 29 juin 2004 afin de vérifier ses blessures subies à cause de cette détention et de cette torture au Cameroun. Il parle bien l'anglais et il m'a fait son récit sans l'aide d'un traducteur.

En octobre 2003, il a été arrêté et il a été conduit à la prison de Bonajo. Pendant qu'il était en prison, il a reçu à l'arrière de la tête du côté gauche des coups de bâton de police en plastique dur. Il a subi une lacération. Il n'a reçu aucun traitement pour cette blessure. Il a déclaré avoir perdu conscience pendant plusieurs heures. Un examen révèle qu'il a, à gauche à l'arrière de la tête, deux cicatrices irrégulières, mesurant respectivement 2,2 cm et 1,5 cm, qui sont compatibles avec son récit de lacérations traumatiques.

Au cours de cette détention, il a de plus été frappé au bras droit avec des câbles électriques. Il a subi deux lacérations au coude droit. Un examen révèle qu'il a deux épaisses cicatrices linéaires au coude droit. La cicatrice inférieure mesure 1 cm par 6 cm et s'étend plus ou moins le long du côté du coude droit. Il y a sur l'ancienne cicatrice une plus petite cicatrice mesurant 1,5 cm d'épaisseur.

En résumé, il a à l'arrière de la tête et sur le bras droit des cicatrices compatibles avec son récit précédemment exposé.

[11]            Le dossier de preuve montre que les Camerounais anglophones, comme le demandeur, sont persécutés, emprisonnés et que la torture est courante. Compte tenu des blessures du demandeur et de la preuve documentaire à l'égard de la torture, il incombait à la Commission de procéder à une analyse suivant l'article 97, malgré qu'elle ait conclu que le récit du demandeur n'était pas digne de foi.

[12]            L'omission d'avoir procédé à une telle analyse constitue une erreur susceptible de contrôle.

[13]            Compte tenu de ma décision à l'égard de cette omission, il n'est pas nécessaire que j'examine les conclusions quant à la vraisemblance tirées par la Commission.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision rendue le 11 janvier 2005 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à la Commission afin qu'elle soit entendue par un tribunal différemment constitué.

                                                     

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-682-05

INTITULÉ :                                        JUDE ASU

                                                                                                                                    demandeur

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 7 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                       LE 14 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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