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Date : 20021230

Dossier : IMM-399-02

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

                                                                                   

                                                             HERNAN DARIO YOLI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   

ET

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

  • [1]                 La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            « P. Rouleau »             

        Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20021230

Dossier : IMM-399-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1329

ENTRE :

                                                                                   

                                                             HERNAN DARIO YOLI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   

ET

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), qui vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention au demandeur, le 15 janvier 2002.

[2]                 Le demandeur prie la Cour d'annuler cette décision et de renvoyer la demande à un tribunal différemment constitué.

[3]                 Le demandeur, un citoyen argentin de 28 ans, était membre du club des partisans de soccer du Boca Juniors (Boca), de Buenos Aires, depuis 1992. Le Boca est aussi essentiellement l'un des gangs de Barra Brava impliqués dans des activités criminelles allant du simple vandalisme au trafic de la drogue et à l'extorsion.

[4]                 Deux ou trois mois après s'être lié aux dirigeants du Boca, le demandeur a appris qu'ils faisaient le trafic de la drogue, commettaient des meurtres et se livraient à d'autres activités criminelles. Alors qu'il était membre du club depuis un an, on lui a demandé de transporter des armes et de vendre de la drogue, ce qu'il a toujours refusé de faire. Il n'a jamais été intéressé au partage des profits tirés d'activités illégales.

[5]                 Le 30 avril 1994, le demandeur a vu des membres de son club tirer sur deux membres du club de partisans de soccer « River » , un club rival, et les tuer. Une personne que le demandeur connaissait a reconnu avoir tiré sur deux personnes et a fortement recommandé au demandeur de ne rien dire.


[6]                 Le demandeur a rompu tous ses liens avec le club après cet incident. Il s'est alors mis à craindre pour sa vie parce que des membres non identifiés du Boca le surveillaient, lui téléphonaient constamment pour le mettre en garde et le menacer et lui demandaient de quitter le pays, à défaut de quoi lui et sa famille seraient en danger.

[7]                 En juin 1994, le demandeur a quitté l'Argentine pour aller aux États-Unis, où il a habité avec une connaissance de son oncle durant un an. Il est retourné en Argentine à l'expiration de son visa de visiteur. Une semaine après son retour, il a recommencé à recevoir des appels de menaces, ce qui l'a incité à déménager à Cordoba (une autre province de l'Argentine) en 1995. Il a séjourné chez sa tante à cet endroit durant près d'un an. Il prétend qu'il n'a pas été importuné par le Boca pendant cette période.

[8]                 En avril 1996, lorsque l'entreprise pour laquelle il travaillait a fermé ses portes et que sa tante a déménagé à Buenos Aires, le demandeur est aussi retourné dans cette ville. Les menaces ont repris peu après. Après que des membres du Boca lui ont dit qu'ils le mettraient dans un cercueil si jamais il révélait à la police ce qui s'était passé en avril 1994, le demandeur s'est caché dans un magasin vacant à Buenos Aires. Il n'y avait pas de téléphone dans le magasin, et le demandeur a indiqué qu'il s'y sentait relativement en sécurité. Les membres de sa famille, qui avaient déménagé à Mar del Tuyo parce qu'ils se sentaient menacés, sont aussi retournés à Buenos Aires à la même époque pour gagner leur vie.


[9]                 En 1998, le demandeur a commencé à travailler comme vendeur pour les peintures Daria, à Buenos Aires. Il a commencé à recevoir des appels de menaces à son travail au milieu de l'année. En août 1999, il a reçu une enveloppe contenant un projectile d'arme à feu. Craignant pour sa vie, il a quitté l'Argentine au mois de septembre suivant et a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada en se fondant sur les opinions politiques qui lui étaient imputées. Il prétend que sa famille n'a reçu aucun appel de menaces et n'a eu aucun problème depuis.

[10]            La revendication du statut de réfugié du demandeur a été entendue le 9 novembre 2000 et le 20 septembre 2001. Le tribunal de la SSR a considéré que le témoignage du demandeur était crédible et digne de foi. Après avoir résumé la preuve, la SSR a indiqué ce qui suit dans ses motifs :

Le demandeur craint d'être persécuté par le Boca. Ce dernier se fait passer pour un simple club d'amateurs de sport et laisse entendre qu'il « loue ses services d'émeutiers » à des fins politiques, mais le tribunal estime qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'une bande de criminels. Cependant la peur de bandes de criminels, suscitée par le fait d'avoir été témoin d'un crime, n'a de lien avec aucun des motifs donnés dans la définition de la Convention.

[11]            Le tribunal de la SSR s'est fondé sur les décisions De Arce c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 32 Imm. L.R. (2d) 74 (C.F. 1re inst.), et Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 163 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.), pour en arriver à cette conclusion. Il a ensuite fait référence à l'arrêt Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.F.), qui était invoqué par le conseil du demandeur. Il a établi une distinction entre cette affaire et le cas du demandeur :


Le tribunal établit une distinction entre ce cas et Klinko parce qu'il n'existe pas de preuve convaincante que l'opposition du demandeur aux activités criminelles du club de Boca est une « question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé » . Il se peut que des partis politiques aient utilisé le Boca dans le cadre d'une stratégie de « location d'émeutiers » , mais rien ne prouve que le Boca et l'État sont si étroitement liés qu'un refus de coopérer avec le Boca soit synonyme d'opposition à l'appareil étatique.

[12]            Se fondant ensuite sur la décision De La Torre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 735 (QL) (C.F. 1re inst.), le tribunal a fait remarquer que le demandeur n'avait pas dénoncé le Boca. Il a alors établi une autre distinction avec l'affaire Klinko et a conclu qu'il n'y avait aucun lien entre les craintes du demandeur et l'un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

[13]            Finalement, le tribunal a statué que l'alinéa 1Fb) de la Convention ne s'appliquait pas de manière à exclure le demandeur de la définition contenue dans la Convention.

[14]            Le demandeur conteste maintenant la décision de la SSR, plus précisément sa conclusion sur la question du lien entre ses craintes et les motifs prévus par la définition de réfugié au sens de la Convention.

[15]            La seule question en litige en l'espèce consiste à décider si le tribunal de la SSR a commis une erreur en statuant qu'il n'existait aucun lien entre les craintes du demandeur et l'un des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

[16]            Le demandeur prétend que les faits suivants ne sont pas contestés :


(a) il est devenu membre d'un groupe appelé le club « Barra Brava » des partisans de l'équipe de soccer du Boca;

(b) il a appris ensuite que des membres du groupe se livraient à des activités illégales, notamment qu'ils faisaient le trafic de la drogue et commettaient des meurtres;

(c) il a été témoin du meurtre de deux personnes par des membres du groupe, a été en mesure d'identifier les meurtriers et a appris que des politiciens importants et des hauts gradés du service de police étaient impliqués dans les activités illégales du club;

(d) on lui a demandé de participer à des activités illégales, mais il a refusé de le faire et a quitté le groupe par la suite;

(e) il a été l'objet de menaces de mort et a été forcé de fuir le pays parce qu'il a refusé de participer à des activités criminelles et qu'il aurait pu révéler des renseignements concernant l'identité des meurtriers et leurs activités.


[17]            Le demandeur soutient que, compte tenu de ces faits, le tribunal de la SSR a eu tort de conclure qu'il n'avait pas démontré qu'il craignait avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui étaient imputées. Selon lui, le tribunal de la SSR a commis une erreur de droit en n'appliquant pas correctement aux faits de l'espèce les principes relatifs à la notion d'[traduction] « opinions politiques imputées » qui ont été élaborés dans l'arrêt Klinko, précité, et dans la jurisprudence subséquente.

[18]            Premièrement, on prétend qu'il n'est pas nécessaire que les opinions politiques soient exprimées. Si un demandeur commet des actes qui amènent les persécuteurs à lui imputer une opinion politique, cela devrait être suffisant. En l'espèce, les membres du Boca ont imputé une opinion politique au demandeur. Ce dernier a refusé de participer à leurs activités illégales, et ils l'ont considéré comme un traître parce qu'ils croyaient qu'il avait l'intention de révéler leurs activités illégales aux autorités.

[19]            Deuxièmement, le persécuteur ne doit pas nécessairement être l'État : il peut s'agir de tiers qui persécutent le demandeur en raison des opinions politiques qu'ils lui imputent. Le fait que la preuve démontre l'existence d'un lien entre le groupe et les autorités de l'État en raison de l'association entre le groupe et des membres supérieurs corrompus de la police et des autorités vers qui le demandeur ne pouvait pas se tourner pour obtenir une protection est important en l'espèce. Il ne fait aucun doute que l' « appareil étatique » était engagé.


[20]            On prétend également que la participation de l'État en l'espèce est beaucoup plus directe que dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, puisque des membres de l'appareil étatique étaient directement liés au groupe persécuteur et que les menaces proférées à l'endroit du demandeur avaient précisément pour but de l'empêcher de révéler l'existence de ces liens. On fait valoir par conséquent que les menaces étaient dirigées contre le demandeur à cause des opinions politiques qui lui étaient imputées et pour aucune autre raison.

[21]            Le tribunal de la SSR s'est fondé sur les décisions De Arce, précitée, et Garcia, précitée, pour conclure que la crainte du demandeur à l'égard d'un gang criminel, qui découlait du fait qu'il avait été témoin d'un crime, n'avait aucun lien avec le motif des opinions politiques imputées. Or, on prétend que le cas qui nous occupe est différent de ces affaires. Dans De Arce, précitée, et Garcia, précitée, les demandeurs étaient des témoins extérieurs des actes criminels. Il ne faisait aucun doute qu'il n'existait pas de lien entre leur crainte et un motif prévu par la Convention. En l'espèce, par contre, le demandeur était lui-même membre du groupe persécuteur. Il était en danger parce qu'il avait refusé de participer à des actes illégaux et parce que les autres membres du groupe avaient l'impression qu'il constituait une menace pour eux. Les faits étaient donc différents de ceux en cause dans les affaires sur lesquelles la SSR s'est appuyée pour rendre sa décision.

[22]            Le demandeur prétend également que le raisonnement appliqué par le tribunal de la SSR pour conclure que son cas était différent de l'affaire Klinko comporte plusieurs erreurs.


[23]            Pour sa part, le défendeur soutient que l'existence d'un lien entre un acte de persécution et un motif prévu par la Convention est une question de fait qui relève de l'expertise de la SSR. Par conséquent, il faut faire preuve de beaucoup de retenue à l'égard de la décision rendue par celle-ci, et la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 120 (QL) (C.F. 1re inst.). Selon le défendeur, la SSR n'a pas tiré ses conclusions relatives à la question du lien de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[24]            Le défendeur soutient également que le demandeur n'a pas exprimé une opinion politique en se dissociant du Boca après avoir été témoin des meurtres. Selon lui, le tribunal de la SSR pouvait conclure que les actes du demandeur n'équivalaient pas à l'expression d'une opinion politique.

[25]            À la lumière de la preuve, je ne peux conclure que le tribunal de la SSR a rendu une décision déraisonnable. Même si des éléments de preuve semblent indiquer qu'il pourrait subir un préjudice s'il retournait en Argentine, le demandeur doit démontrer que ce préjudice ou ce danger a un lien avec ses opinions politiques ou avec l'un des autres motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Or, il ne l'a pas fait.


[26]            Les principes généraux régissant la crainte fondée sur les opinions politiques sont énoncés dans l'arrêt Ward, précité, où la Cour suprême du Canada a statué qu'une crainte de persécution pouvait être fondée sur les opinions politiques imputées à un demandeur par ses persécuteurs. La Cour a indiqué également qu'il n'était pas nécessaire que les opinions politiques d'un revendicateur aient été exprimées ou que les opinions politiques qui lui sont imputées par les persécuteurs soient conformes à ses convictions. Ce qui importe, c'est la perception des activités du demandeur par les autorités, et non ce que le demandeur considère être l'expression de ses opinions politiques (sa position contre la violence ou la corruption).

[27]            La Cour a généralement considéré que le refus de participer à une activité criminelle et le fait d'avoir été témoin d'un crime ou de le signaler ne constituait pas en soi l'expression d'une opinion politique faisant entrer en jeu la protection offerte aux réfugiés au sens de la Convention : voir, par exemple, Marvin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 38 (QL) (C.F. 1re inst.); Serrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 570 (QL) (C.F. 1re inst.); Bencic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 623 (QL) (C.F. 1re inst.). Elle a aussi statué qu'il n'existait pas de lien entre la crainte de persécution d'une personne et la définition contenue dans la Convention si la crainte de persécution n'a aucun rapport avec une opinion politique et qu'elle découle du fait que la personne est soupçonnée d'avoir participé à une activité criminelle ou est l'objet de représailles parce qu'elle sait que certains individus ont commis des crimes : Mehrabani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 427 (QL) (C.F. 1re inst.); Bencic, précitée; Garcia, précitée.


[28]            La Cour a également déjà statué que, lorsque les activités criminelles sont si répandues dans l'appareil étatique qu'elles en font fondamentalement partie, le fait de s'y opposer peut être synonyme d'opposition aux autorités de l'État : Vassiliev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 955 (QL) (C.F. 1re inst.); Demchuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1360 (QL) (C.F. 1re inst.). Dans ces cas, il n'existe pas de distinction claire entre l'aspect de lutte contre le crime et les aspects idéologiques de la crainte de persécution du revendicateur.

[29]            La situation est cependant différente en l'espèce, car le demandeur n'a rien dit à quiconque au sujet de l'identité des meurtriers ou de la nature des activités criminelles du Boca.

[30]            À mon avis, la Cour doit décider si la SSR disposait d'éléments de preuve sur lesquels elle aurait pu se fonder pour conclure que les persécuteurs avaient imputé une opinion politique au demandeur. Le demandeur a-t-il exprimé une opinion politique en refusant de participer à des activités criminelles, en étant témoin de deux meurtres et en décidant ensuite de se dissocier du groupe?

[31]            Compte tenu de ces observations, je ne peux conclure, après avoir examiné la preuve avec soin, que le demandeur avait une opinion politique au sens de la définition établie par les tribunaux.


[32]            Le demandeur a indiqué dans son témoignage que des membres du Boca pourraient être envoyés en détention s'il révélait les renseignements qu'il posséde au sujet de leurs activités criminelles et des meurtres. Il n'a jamais dit expressément qu'il craignait ce que les persécuteurs pourraient lui faire s'il révélait les liens existant entre le Boca, la police et des politiciens. Il se sentait menacé par des membres du Boca seulement s'il révélait leur identité et leurs activités.

[33]            Les liens existant entre le Boca et certains politiciens et policiers corrompus étaient connus. Comme je l'ai indiqué précédemment, le Boca s'inquiétait surtout de la possibilité que l'identité des meurtriers soit révélée et qu'il doive limiter ses activités en conséquence. Contrairement à ce que l'avocat du demandeur prétend, cela ne concerne pas les opinions politiques du demandeur. Ce dernier n'aurait pas, en révélant les activités criminelles du Boca et l'identité des meurtriers, dévoilé la corruption dont il avait été témoin puisque celle-ci était déjà connue. Le fait que la police et certains politiciens étaient corrompus et avaient été achetés par le Boca n'engage pas nécessairement les opinions politiques du demandeur. Le Boca proférait des menaces à l'endroit du demandeur uniquement parce qu'il avait l'impression que celui-ci allait révéler la preuve qu'il possédait aux autorités; il n'y a absolument rien qui indique ou qui prouve que les menaces étaient proférées à l'endroit du demandeur à cause des opinions politiques qui lui étaient imputées.

[34]            À mon avis, ni la SSR ni la Cour ne peuvent décider qu'un revendicateur a démontré que sa crainte de persécution est liée aux motifs prévus par la Convention en se fondant sur ce que ce dernier croit être l'état d'esprit de ses prétendus persécuteurs. En outre, l'opinion du demandeur ou de son avocat sur les croyances des prétendus persécuteurs est sans importance.

[35]            À mon avis, le tribunal de la SSR pouvait conclure que le refus du demandeur de participer à une activité criminelle aléatoire alors qu'il était membre du Boca et le fait qu'il s'est dissocié du groupe par la suite n'avaient aucune connotation politique et démontraient seulement que le demandeur refusait de participer à des activités criminelles.

[36]            Les faits en l'espèce sont différents de ceux de l'arrêt Ward. La preuve avait été faite, dans cette affaire, que Ward était membre du groupe terroriste paramilitaire voué à l'union politique de l'Ulster et de la République d'Irlande qui avait commis des actes de persécution. Il craignait d'être persécuté parce qu'il avait aidé des otages dont il avait la garde à s'évader. La Cour suprême a statué que cet acte avait une importance politique et était lié aux moyens employés pour réaliser des changements politiques. Elle a souligné, aux pages 748 et 749, l'importance du fait que l'acte de Ward avait été perçu comme la prise d'une position politique fondée sur une conviction politique :

Pour Ward, qui croit que tuer des innocents pour réaliser des changements politiques est inacceptable, libérer les otages était la seule solution qui s'accordait avec sa conscience. Le fait qu'il ait ou qu'il n'ait pas renoncé à appuyer les objectifs plus généraux de l'INLA ne change rien à cela. Par ailleurs, cet acte faisait de Ward un traître politique aux yeux d'une organisation militante paramilitaire comme l'INLA, qui appuie le recours à des tactiques terroristes pour réaliser ses fins. L'acte n'était pas simplement un incident isolé dénué de répercussions plus profondes. Aux yeux de Ward et de l'INLA, l'acte avait une importance politique. La persécution que Ward craint découle de ses opinions politiques que reflète l'acte qu'il a accompli.

  

[37]            La décision Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1036 (QL) (C.F. 1re inst.), est particulièrement pertinente en l'espèce. Dans cette affaire, le demandeur avait quitté la Colombie parce qu'il craignait les caïds de la drogue de Cali. Il les avait dénoncés et avait subi des représailles en conséquence. Il n'avait pas demandé la protection de la police parce qu'il était convaincu que celle-ci avait été infiltrée par des membres du cartel de la drogue et qu'elle ne le protégerait pas. Le demandeur prétendait que la dénonciation des caïds de la drogue avait un aspect politique en raison du vaste contrôle que ceux-ci exerçaient sur l'appareil étatique en Colombie. Le défendeur soutenait pour sa part que le contexte politique était différent de celui en cause dans l'arrêt Ward, où le demandeur avait été persécuté en raison de son opinion politique selon laquelle le fait de tuer des civils innocents pour atteindre des fins politiques était une activité politique à laquelle il refusait de participer. Dans Suarez, le demandeur était convaincu que la conduite des caïds de la drogue était répréhensible sur le plan moral et sur le plan éthique, et il avait personnellement refusé d'appuyer leurs activités. La Cour a conclu, sur la foi de la jurisprudence existante, que la Commission avait eu raison de statuer que les menaces de mort proférées à l'endroit du demandeur ne découlaient pas des opinions politiques qui lui étaient imputées. Il n'y avait pas de contexte ou de motivation politiques comparables à ceux existant dans Ward.

[38]            À mon avis, le simple fait que le demandeur en l'espèce puisse maintenant devenir une victime du Boca ne lui permet pas de se fonder sur les opinions politiques qui lui sont imputées et ne lui donne pas droit à la protection offerte aux réfugiés.


[39]            L'avocat du demandeur prétend également que la preuve de la vaste corruption du Boca et de la participation de la police et de politiciens démontre que l'État était clairement « engagé » , de sorte que le demandeur avait clairement exprimé une opinion politique lorsqu'il avait menacé de révéler ce qu'il savait et lorsqu'il avait quitté le groupe. La Cour a cependant déjà rendu une décision qui contredit nettement cette prétention. En effet, dans l'affaire Palomares c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 176 (C.F. 1re inst.), M. le juge Pelletier (tel était alors son titre) a indiqué, aux paragraphes 12 et 15 :

Il en va de même en l'espèce. Rien ne montre que la demanderesse ait été traitée comme elle l'a été du fait de son appartenance à un groupe. Au contraire, elle a fait l'objet d'actes de violence à cause d'une caractéristique fort personnelle, à savoir sa capacité de témoigner, qui pourrait donner lieu à des poursuites. En outre, la question de l'association pour des motifs « essentiels à la dignité humaine » ne se pose pas.

[...]

À mon avis, ces éléments de preuve ne suffisent pas pour établir le lien nécessaire à l'égard du statut de réfugié. Le fait de dénoncer la corruption peut être un acte politique, mais cela n'équivaut pas toujours à pareil acte ou encore les individus corrompus ne considèrent pas toujours la chose comme un acte politique. Le risque que la demanderesse court découle du fait qu'elle a été témoin d'un crime. Même si des membres de l'appareil étatique sont en cause, le dépôt d'une plainte ne constitue pas nécessairement une action politique, et cela ne veut pas dire non plus qu'ils considéreront la plainte comme une action politique. [...]

(non souligné dans l'original)

  

[40]            A fortiori, les faits en l'espèce révèlent qu'il n'y a eu aucune révélation ou plainte. À mon avis, le demandeur n'a pas démontré que son opposition aux activités du Boca était fondée sur une position politique, même si l'appareil étatique était « engagé » d'une certaine manière. Comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Ward, à la page 750, « [l]e fait pour une personne d'être en dissentiment avec une organisation ne lui permettra pas toujours de chercher asile au Canada; le désaccord doit être fondé sur une conviction politique. Cette façon d'aborder le cas de Ward empêcherait un ancien membre de la mafia, par exemple, de l'invoquer comme précédent. »


[41]            Malgré ma sympathie pour le demandeur, je suis d'avis, à l'instar de M. le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans Mehrabani, précitée, que les auteurs des actes répréhensibles dont le demandeur avait peur ne menaçaient pas de s'en prendre à lui à cause de ses opinions politiques, mais plutôt parce qu'il possédait des éléments de preuve pertinents au regard de leur identité et de leurs activités criminelles.

[42]            Par conséquent, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[43]            La question suivante a été proposée à des fins de certification à la fin de l'audience :

1) Un membre d'un groupe criminel qui a des liens avec les autorités de l'État et qui est utilisé par celles-ci exprime-t-il une opinion politique lorsqu'il refuse de participer aux activités illégales du groupe et se dissocie ensuite de lui?

[44]            À mon avis, cette question dépend des faits et n'est pas très importante ou d'application générale. De toutes façons, elle ne serait pas déterminante dans le cadre de l'appel. Il n'est donc pas nécessaire de la certifier.

             « P. Rouleau »             

         Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                        IMM-399-02

INTITULÉ :                                                     HERNAN DARIO YOLI c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 10 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                                    Le 30 décembre 2002

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Jackman, Waldman & Associates

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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