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Date : 20010706

Dossier : IMM-3096-00

Référence neutre : 2001 CFPI 768      

ENTRE :

                                   ERZSEBET KENINGER

                                       BARBARA OLAH

                        ATTILA FEHER et ATTILA FEHER

demandeurs

                                                    - et -

                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                 ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]    Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 16 mai 2000 par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].


[2]    Erzsebet Keninger (la demanderesse) et Attila Feher (le demandeur) sont mari et femme. Barbara Olah et Attila Feher, les plus jeunes, sont leurs enfants. Ils sont tous des citoyens hongrois. La demanderesse est d'origine ethnique rome. Elle fonde sa revendication du statut de réfugiée au sens de la Convention sur ses origines ethniques. Le demandeur est d'origine ethnique hongroise. Il fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur son appartenance à un groupe social déterminé, en l'occurrence les membres des familles qui sont perçues comme étant d'origine ethnique rome ou qui comprennent un membre qui est effectivement d'origine ethnique rome. Les enfants fondent leur revendication sur les origines ethniques qu'on leur impute du fait des origines ethniques de leur mère.

[3]    La SSR n'a pas remis en question la crédibilité des demandeurs relativement aux éléments de preuve qu'ils ont soumis à la SSR par le biais des énoncés circonstanciés contenus dans leur formulaire de renseignements personnels et de leur témoignage.

[4]    Voici en quels termes la SSR a résumé les allégations des demandeurs dans les motifs de sa décision :

[TRADUCTION]


La revendicatrice a parlé des difficultés qu'elle éprouve depuis son enfance. Elle a soutenu qu'elle avait été victime de discrimination à l'école parce qu'elle était une Rome, tout comme son frère et sa soeur. La revendicatrice a affirmé qu'elle et son frère étaient tous les deux maltraités par leurs professeurs, qu'elle et sa soeur obtenaient de mauvaises notes à cause de leur origine ethnique rome malgré le fait qu'elles étaient motivées à bien étudier. La revendicatrice a déclaré qu'elle devait cacher ses origines romes pour pouvoir obtenir du travail et qu'elle avait réussi à les cacher. Son frère a eu plus de difficulté parce qu'il est plus facilement identifiable comme un Rom d'après son apparence, de sorte que les emplois qu'il a pu obtenir étaient rémunérés au salaire minimum.

La revendicatrice a relaté un incident survenu en 1997 au cours duquel elle avait été expulsée par le propriétaire d'un bar voisin après qu'elle se fut plainte que du verre avait été brisé près de l'endroit où les enfants jouaient. La revendicatrice a expliqué qu'après qu'elle eut porté plainte à la police, son mari a été menacé près d'une cabine téléphonique par quatre hommes chauves accompagnés d'un pit-bull. Elle croit que les quatre hommes étaient des skinheads. La revendicatrice soutient que ces incidents ont traumatisé les enfants. Un psychologue lui a conseillé de déménager. Elle avait déjà reçu ce conseil lorsqu'elle avait porté plainte à la police. Finalement, en raison du fait qu'il y avait constamment des altercations entre les skinheads et les Tziganes devant son immeuble, la famille a quitté la Hongrie pour le Canada en octobre 1998.

Dans son témoignage, la revendicatrice a déposé que la fille d'un de ses cousins avait été agressée à la fin de 1996 par une bande d'hommes et que la victime était devenue déprimée par suite de cette agression et que, malgré les soins médicaux qu'elle avait reçus et le fait qu'elle avait immigré au Canada, elle avait fini par se suicider. La revendicatrice a expliqué que, même si elle croyait que les assaillants étaient des skinheads, elle ne pouvait l'affirmer avec certitude. Elle pensait que l'on avait demandé l'aide de la police, mais elle n'en était pas certaine. La revendicatrice a également témoigné que d'autres de ses cousins avaient été harcelés chez eux et avaient été agressés. Bon nombre de ces cousins ont depuis immigré au Canada.

Le revendicateur a fait sien le récit que la revendicatrice a donné dans son FRP. Il a également témoigné que, lors de l'incident de 1997 avec le pit-bull, il s'était rendu à une cabine téléphonique pour faire un appel pour son travail. La vitre de la cabine a été fracassée et on lui a arraché le combiné des mains. Lorsque le revendicateur s'est retourné pour voir ce qui se passait, il a vu un homme qu'il a identifié comme étant le propriétaire du restaurant où le verre avait été brisé en compagnie de quatre de ses amis et de leur chien. Le revendicateur a témoigné que l'incident s'était produit avant la date que la cour avait fixée pour juillet 1997 pour l'instruction de cette affaire.

Le revendicateur a témoigné qu'il s'était rendu plusieurs fois à l'étranger en 1997 et en 1998 dans le cadre de son travail, mais il n'a pas pu préciser aux commissaires le nom de son employeur à l'époque. Le revendicateur a témoigné qu'il s'absentait du pays pour plusieurs jours à chacun de ces voyages mais qu'il n'avait jamais revendiqué le statut de réfugié, malgré le fait qu'il ait visité des pays signataires de la Convention. Lorsque le tribunal lui a demandé pourquoi il n'avait pas présenté de revendication, le revendicateur a répondu que, pour pouvoir démontrer l'existence d'un vrai problème, il lui faudrait remonter à sa petite enfance et que l'idée de quitter la Hongrie ne lui avait jamais effleuré l'esprit. Lorsque le tribunal lui a demandé ce qu'il craignait s'il devait retourner en Hongrie, le revendicateur a d'abord parlé des événements entourant la révolution de 1956, puis il a fini par dire qu'il craignait pour ses enfants et qu'il avait peur du propriétaire du restaurant qui, avec ses amis, l'avaient encerclé à la cabine téléphonique en 1997.


[5]                 Dans ce résumé, il n'est pas fait mention qu'au cours des dix-huit (18) mois qui ont suivi la confrontation entre la demanderesse et le propriétaire du bar avoisinant, les demandeurs ont été harcelés et menacés. Il n'y est par ailleurs pas mentionné qu'à la suite de la plainte de la demanderesse à la police au sujet du comportement du propriétaire du bar, une enquête a été ouverte, qu'une ou plusieurs accusations ont été portées contre le propriétaire du bar, qui a fait défaut de comparaître pour répondre à ces accusations, qu'un mandat d'arrestation a été délivré contre lui, qu'il a effectivement été arrêté et qu'il a été brièvement détenu, qu'une nouvelle date d'audition a été fixée et que ce n'est que lorsqu'il a comparu à la seconde audition qu'il a été acquitté. Il semble que cet acquittement découle, non pas du défaut de l'État hongrois d'intenter des poursuites avec diligence, mais bien du défaut des demandeurs eux-mêmes de donner suite à l'affaire.

[6]                 Devant moi, l'avocat des demandeurs a soutenu que la SSR avait commis quatre (4) erreurs qui justifient la révision de sa décision, premièrement, en se référant directement à une décision antérieure de la SSR sur un « cas type » relatif à des Roms hongrois et en adoptant le raisonnement suivi par la SSR dans cette affaire dont les faits étaient évidemment différents de ceux de la présente espèce; deuxièmement, en imposant aux demandeurs un critère trop exigeant pour leur reconnaître le statut de réfugiés; troisièmement, en se trompant dans son interprétation de la différence entre persécution et discrimination et, finalement, en n'appréciant pas comme il se doit l'ensemble de la preuve documentaire dont elle disposait sur la question de la situation en Hongrie.


[7]                 Voici ce que la SSR a écrit au sujet de la première question :

[TRADUCTION]

Il existe toutefois également des éléments de preuve documentaire suivant lesquels on cherche à résoudre ce problème [la question de la protection de l'État accordée aux Roms en Hongrie] en recrutant des Roms au sein de la police et en sensibilisant la population à la diversité culturelle.

Pour appuyer cette proposition, la SSR s'est contentée de citer les motifs rendus le 20 janvier 1999 par une autre formation de la SSR dans le dossier T-98-04435. Elle a plus précisément cité les pages 36 et 37 de ces motifs.

[8]                 La décision motivée rendue par la SSR dans le dossier T-98-04435 n'a pas été déposée en preuve en l'espèce. J'ignore donc ce que les commissaires y déclarent aux pages 36 et 37 de leur décision. Vu ce qui précède, je ne suis tout simplement pas disposé à accepter l'argument de l'avocat des demandeurs suivant lequel, dans le cas qui nous occupe, la SSR a fait sienne l'analyse faite par d'autres commissaires dans une affaire antérieure qui portait sur des faits différents. Tout ce qui je suis prêt à présumer, c'est que, dans la première décision, la SSR s'est expressément référée à des preuves documentaires qui avaient été portées à sa connaissance et qu'en l'espèce, la SSR s'est contentée de reprendre ces références à des éléments de preuve documentaire qui, comme je suis également prêt à le présumer, avaient aussi été portés à sa connaissance en l'espèce. Faute de preuve contraire, je ne suis pas disposé à aller plus loin. En conséquence, je conclus que, sur cette question, la SSR n'a commis aucune erreur qui justifierait la révision de sa décision.


[9]                 Sur la deuxième question, celle de savoir si la SSR a imposé ou non aux demandeurs un critère préliminaire trop exigeant pour pouvoir leur reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention, voici ce que la SSR écrit, à la page 7 de sa décision :

[TRADUCTION]

Si l'on suppose, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents relatés par les revendicateurs se sont produits en gros comme ils le soutiennent, les agissements dont ils se plaignent n'équivalent pas, suivant le tribunal, à de la persécution subie dans le passé. Elle remplirait plutôt les conditions requises pour être considérée comme de la discrimination.

Plus loin, à la même page, la SSR déclare :

[TRADUCTION]

Cet incident [l'agression dont la fille d'un cousin a été victime] n'équivaut pas, de l'avis du tribunal, à un préjudice infligé d'une manière répétée, persistante ou systématique qui est suffisamment grave pour franchir la ligne de démarcation entre de la discrimination et de la persécution.

À l'appui de la première conclusion susmentionnée, la SSR a cité notamment l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward[2]. Au soutien de la seconde, elle a également invoqué l'arrêt Ward de la Cour suprême du Canada, ainsi que l'arrêt Rajudeen c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[3] et un autre jugement de notre Cour.

[10]            À la page 9 de sa décision, la SSR écrit :


[TRADUCTION]

Les revendicateurs n'ont pas établi, par une preuve claire et convaincante, que l'État ne peut pas ou ne veut pas les protéger eux et les membres de leur famille.

[...]

Les revendicateurs ne se sont pas acquittés de la charge de preuve qui leur incombait de démontrer qu'il existe un risque sérieux ou une possibilité raisonnable qu'ils seront persécutés s'ils retournent en Hongrie.                                                        [Non souligné dans l'original.]

À l'appui de la première de ces propositions, la SSR cite de nouveau l'arrêt Rajudeen et la même autre décision de notre Cour. À l'appui de la seconde proposition, elle ne cite aucun précédent et c'est cet énoncé du critère qui, suivant ce que l'avocat des demandeurs soutient, est entaché d'une erreur justifiant la révision de la décision de la SSR.

[11]            Dans l'arrêt Salibian c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[4], la Cour a déclaré ce qui suit, à la page 173, sous la plume du juge Décary :

À la lumière de la jurisprudence de cette Cour relative à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, il est permis d'affirmer :

1) que le requérant n'a pas à prouver qu'il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir,

2) que le requérant peut prouver que la crainte qu'il entretenait résultait non pas d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis directement à son égard, mais d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis à l'égard des membres d'un groupe auquel il appartenait, [...]

[12]            Sur la même question, le juge O'Keefe a écrit ce qui suit dans le jugement Piel et autres c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5], au paragraphe 25 :

L'analyse du tribunal quant à la persécution est très limitée étant donné que la décision traite principalement de la question de la capacité de l'État de protéger les demandeurs. Quant à l'expression « le bien-fondé de leur crainte d'être persécutés » , on ne la retrouve que dans une conclusion à la page 2 de la décision, où le tribunal déclare qu' « ils n'ont pas établi le bien-fondé de leur crainte d'être persécutés en Hongrie » , et à un autre endroit, à la page 11 de la décision, où il déclare que les « revendicateurs n'ont pas non plus démontré qu'il existe un risque ou une possibilité véritable qu'ils soient persécutés en raison [...] de [...] » . Je suis d'avis que cette question devrait être examinée plus à fond et tranchée par le tribunal qui réexaminera cette demande. [Non souligné dans l'original.]

Après avoir cité l'arrêt Salibian, le juge O'Keefe poursuit en disant :

À cause de la référence à « qu'ils soient persécutés    » et le manque d'explication détaillée, il m'apparaît que le tribunal a pu croire que les demandeurs devaient démontrer qu'ils avaient eux-mêmes été persécutés. Il s'agit d'une erreur.

[13]            J'en arrive à une conclusion différente en l'espèce, compte tenu du contexte des motifs de la SSR dans les extraits précités et notamment de l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Adjei c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[6] dans lequel le juge MacGuigan écrit ce qui suit, au nom de la Cour, à la page 683 :

Les parties ont convenu que l'on peut correctement décrire le critère applicable en parlant de [traduction ] « possibilité raisonnable » : existe-t-il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine?

Nous adopterions cette formulation.


Dans l'arrêt Salibian, précité, la Cour a adopté l'énoncé qui précède du critère applicable en remplaçant le conditionnel « seraient » par la tournure plus positive « seront » qui a été retenue en l'espèce par la SSR.

[14]            Sur la troisième question, celle de savoir si la SSR a commis ou non une erreur en concluant que les expériences vécues par les demandeurs constituaient de la discrimination et non de la persécution, voici ce que la SSR a écrit :

[TRADUCTION]

Si l'on suppose, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents relatés par les revendicateurs se sont produits en gros comme ils le soutiennent, les agissements dont ils se plaignent n'équivalent pas, suivant le tribunal, à de la persécution subie dans le passé. Elle remplirait plutôt les conditions requises pour être considérée comme de la discrimination. Les revendicateurs ont tout au plus parlé des difficultés qu'ils avaient eues à se trouver du travail et des problèmes qu'ils ont rencontrés à l'école; ils ont signalé un incident qui s'est poursuivi pendant un certain temps et qui concernait des menaces à leur sécurité physique dont ils ont fait l'objet en 1997 et le harcèlement dont ils ont été victimes, notamment le fait que l'électricité leur a délibérément été coupée entre 1997 et 1998, lorsque la famille a quitté la Hongrie. La revendicatrice a parlé des séquelles psychologiques dont elle avait souffert à la suite de l'incident de 1997, mais elle n'a produit aucun rapport psychologique. La revendicatrice a relaté l'agression que la fille de son cousin aurait subie, mais d'après son témoignage, qu'elle a donné de façon tout à fait honnête, le tribunal ne peut conclure qu'il s'agissait d'autre chose que d'un incident isolé. La revendicatrice n'a pas été en mesure de fournir suffisamment de détails au sujet de l'incident pour nous permettre de tirer une telle conclusion.

                                                         

[15]            Dans le jugement Horvath et autres c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], le juge MacKay a écrit, aux paragraphes 16 à 18 :

[TRADUCTION]


En l'espèce, tout en ne retenant pas complètement la preuve des FRP des demandeurs et le témoignage de la mère, la formation reconnaît que les demandeurs, en leur qualité de Roms, feraient face, s'ils retournaient en Hongrie, à de la discrimination en matière d'enseignement, d'emploi, de soins de santé et qu'ils seraient en général harcelés en ce qui concerne les services publics. Elle reconnaît qu'il existe de la discrimination à l'encontre des Roms dans à peu près tous les domaines de la vie des demandeurs. Elle ne s'est pas demandé si cumulativement le traitement auquel faisaient face les demandeurs pouvait donner lieu à une crainte fondée de persécution.

Si elle avait tenu compte des effets cumulatifs du traitement discriminatoire infligé aux demandeurs, la formation aurait peut-être conclu que ces effets ne constituaient pas un fondement justifiant une crainte de persécution. Cependant, eu égard à la situation de ces intéressés et compte tenu de la preuve dont elle disposait, la formation a commis une erreur en omettant de tenir compte des effets cumulatifs du traitement qu'elle a toujours reconnu comme discriminatoire et comme indiquant les problèmes sérieux auxquels font face les Roms en Hongrie.

L'appréciation des effets cumulatifs du harcèlement comme fondement possible permettant de conclure à la persécution est reconnue par la Cour d'appel dans l'arrêt Retnem c. MEI [...] Il en est également fait mention comme suit dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR :

53. En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l'objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s'ajouter dans certains cas d'autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d'insécurité dans le pays d'origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d'esprit qui permet raisonnablement de dire qu'il craint d'être persécuté pour des « motifs cumulés » .

          [Non souligné dans l'original. Renvois omis]

Le juge MacKay a poursuivi en concluant qu'eu égard aux circonstances de l'affaire, la SSR avait commis une erreur en omettant de déterminer si les effets cumulatifs du traitement discriminatoire, fondé sur l'origine ethnique, constituaient de la persécution.


[16]            Je suis persuadé, vu l'ensemble des faits de la présente affaire, qu'il y a lieu de tirer une conclusion différente. Malgré le fait que certains pourraient considérer que le résumé précité des expériences vécues par les demandeurs a pour effet de minimiser la gravité de ces événements au lieu de les maximiser ou même de les décrire avec justesse, ce résumé constitue un exposé de l'ensemble des expériences vécues par les demandeurs. Il se termine par la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

[Cela] n'équivaut pas, de l'avis du tribunal, à un préjudice infligé d'une manière répétée, persistante ou systématique et qui est suffisamment grave pour franchir la ligne de démarcation entre de la discrimination et de la persécution. Le tribunal reconnaît que le critère est prospectif, mais qu'un des indicateurs du comportement futur est le comportement passé.

[17]                        Il est vrai que j'aurais pu en arriver à une conclusion différente compte tenu des faits de l'espèce en ce qui concerne la question de savoir si la ligne de démarcation entre la discrimination et la persécution a été franchie dans le cas des demandeurs, mais, compte tenu de l'accumulation des expériences qu'ils ont vécues et de celles des personnes se trouvant dans une situation semblable, ce n'est pas là le critère applicable. Je suis convaincu qu'il était raisonnablement loisible à la SSR de tirer la conclusion à laquelle elle en est arrivée et j'estime que sa conclusion ne s'explique pas par une omission de défaut de tenir compte de l'ensemble des expériences des demandeurs et d'autres personnes ou d'une évaluation inadéquate de ces expériences.

[18]                        Finalement, je passe à la quatrième question, celle de l'appréciation, par la SSR, de l'ensemble de la preuve et en particulier de la preuve documentaire qui lui avait été soumise. À cet égard, voici ce que la SSR écrit :

[TRADUCTION]


Compte tenu de l'existence d'éléments de preuve documentaires permettant de conclure à l'existence d'une discrimination généralisée contre les Roms, le tribunal a examiné la question de la protection de l'État accordée aux revendicateurs. Le tribunal est conscient de l'existence d'éléments de preuve au sujet de la brutalité policière et de la discrimination dont les Roms font l'objet. Il existe toutefois également des éléments de preuve documentaire suivant lesquels on cherche à résoudre ce problème en recrutant des Roms dans la police et en sensibilisant la population à la diversité culturelle. Les revendicateurs affirment tous les deux que, lorsqu'ils les ont abordés, les policiers se sont contentés de leur donner un « bon conseil » , celui de déménager. Lorsqu'on lui a demandé ce que cette expression signifiait, le revendicateur a répondu que les policiers leur avaient donné un conseil mal intentionné. La revendicatrice a déclaré que la famille ne pouvait pas déménager à cause du manque d'argent. Lorsqu'on lui a demandé comment elle avait pu voyager à l'étranger si elle n'avait pas d'argent, la revendicatrice a répondu que déménager coûte plus cher que de voyager. Le tribunal constate que la cour avait fixé la date d'audition de la plainte que la revendicatrice avait portée contre le propriétaire du bar-restaurant, ce qui permet de penser que la police avait pris certaines mesures pour poursuivre le propriétaire du bar-restaurant. Les revendicateurs ont comparu devant la cour à la date fixée dans l'avis. Le propriétaire du bar-restaurant n'a pas comparu; un mandat d'arrestation a été délivré contre lui. La revendicatrice explique qu'il a été arrêté et remis en liberté avant que la cour ne fixe une nouvelle date d'audition. Nous concluons que, même si l'affaire n'a peut-être pas été réglée à leur satisfaction, les revendicateurs pouvaient non seulement se réclamer de la protection de l'État, mais que l'État leur a concrètement offert cette protection.

La revendicatrice affirme qu'elle a approché le ministère de l'Autonomie et le ministère de la Protection de l'enfance pour chercher à obtenir leur protection pour sa famille et pour ses enfants. La revendicatrice soutient qu'elle leur a demandé de fermer le restaurant-bar où l'incident était survenu en 1997, et elle a témoigné qu'ils lui avaient répondu que cela n'était pas de leur ressort. Le tribunal estime toutefois que, si la revendicatrice la réclamait, elle pourrait obtenir une protection suffisante de l'État en Hongrie. Il n'est pas nécessaire que cette protection soit parfaite, et elle ne peut l'être. Il ressort de la preuve documentaire que l'État a mis en place des programmes de protection. Bien qu'il semble que, dans le cas des revendicateurs, le recours au tribunal n'ait pas permis de résoudre leur problème en 1997, il ressort de la preuve qu'au fur et à mesure que les Roms deviendront conscients de leurs droits et qu'ils prendront des mesures pour les faire reconnaître, les tribunaux les aideront. Les revendicateurs n'ont pas démontré, par des preuves claires et convaincantes, que l'État ne peut pas ou ne veut pas protéger les revendicateurs et leur famille.

[19]            Sur cette question, voici ce que le juge MacKay a écrit dans le jugement Horvath, précité, aux paragraphes 14 et 15 :


En bonne partie, la conclusion finale que la formation a tirée au sujet de l'absence d'une crainte fondée de persécution repose sur des conclusions accessoires découlant de certains éléments de la preuve documentaire. Il n'appartient pas à la Cour de remettre en question l'appréciation de la preuve par la formation à moins que les conclusions tirées par cette dernière ne soient jugées abusives ou manifestement déraisonnables. Il est reconnu que l'omission de mentionner des documents précis ne donne pas à entendre qu'il n'a pas été tenu compte des documents. Pourtant, lorsque la formation ne fait pas mention d'une preuve documentaire provenant de sources généralement acceptables qui contredit les éléments sur lesquels elle se fonde, il est difficile de conclure qu'elle a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents.

En l'espèce, la Commission conclut, tout en reconnaissant les préoccupations que les demandeurs ont au sujet des difficultés auxquelles ils faisaient face dans le domaine de l'enseignement, des soins de santé et de l'emploi, et en ce qui concerne le harcèlement et les agressions des skinheads, que les mesures étatiques et autres visant à régler les problèmes de la minorité Rom en Hongrie constituent maintenant un moyen efficace de protéger leurs intérêts. Cette appréciation est clairement moins défendable compte tenu de certains éléments de la preuve documentaire normalement retenus. À mon avis, l'omission de mentionner ces éléments de preuve eu égard aux circonstances de l'espèce indique que la formation n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents.

[20]            Parmi les documents cités dans le dernier passage de la décision de la SSR, il y a lieu de mentionner les renvois à la trousse d'information sur les cas types hongrois. Au moins une des références des notes de bas de page relatives à la trousse renvoie à l'ensemble de la trousse, sans mentionner de pages précises. Dans le jugement Polgari et autres c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], le juge Hansen a écrit ce qui suit, aux paragraphes 31 et 32 de ses motifs, au sujet de renvois similaires :

Dans les circonstances de l'espèce, plusieurs questions sont soulevées. Premièrement, la référence du tribunal à la trousse d'information sur les causes types hongroises. L'index de cette trousse réfère à plus de soixante-quinze documents, de diverses sources, couvrant une période de 1987 à 1998, et est accompagné des transcriptions des témoignages de six experts. Vu qu'il n'y a pas de référence à des éléments de preuve particuliers de la trousse sur laquelle on s'appuie, il n'existe pas de fondement qui permette aux demandeurs de contester la fiabilité de la documentation, l'objectivité de la source ou l'expertise. La Cour ne peut pas non plus apprécier le caractère raisonnable de conclusions fondées sur cette documentation.


Deuxièmement, les documents soumis par les demandeurs et ceux contenus dans les documents communiqués par l'ACR sèment des doutes et en fait contredisent la disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État pour les Hongrois Roms. Si, d'une part, il était raisonnable pour le tribunal de tirer les conclusions qu'il a tirées, d'autre part l'absence d'analyse de la volumineuse documentation contenue dans la trousse d'information sur les causes types hongroises, des documents de la trousse de documents communiqués par l'ACR et des documents soumis par les demandeurs, jointe à un traitement inadéquat des documents contradictoires et à l'absence d'explications sur ses préférences pour la preuve sur laquelle il s'est fondé, justifient l'intervention de la Cour.

[21]            On pourrait dire à peu près la même chose en l'espèce, mais j'en viens à une conclusion différente. Dans sa décision motivée, la SSR reconnaît que, parmi les pièces portées à sa connaissance, se trouvaient des documents sur la situation au pays qui avaient été soumis par l'avocat des demandeurs. Des notes de Citoyenneté et Immigration Canada, y compris des copies des passeports des revendicateurs et des documents de l'agent chargé de la revendication ont également été versés au dossier. Les références des notes de bas de page qui renvoient aux motifs de la SSR ne contiennent qu'une seule référence à la trousse d'information soumise par l'avocat des demandeurs. La trousse est mentionnée dans les termes les plus généraux après la phrase suivante : [TRADUCTION] « Le tribunal signale que la preuve documentaire fait état d'une discrimination généralisée à l'égard des Roms en Hongrie » . Les références aux documents de l'ACR sont plus précises et il semble que la trousse d'information sur les cas types hongrois soit au nombre des documents de l'ACR.


[22]            Bien que j'aie déjà eu l'occasion d'examiner la trousse d'information soumise par l'avocat des demandeurs à la SSR et de souligner à quel point elle est complexe et difficile à consulter, cette trousse ne m'a pas été soumise en l'espèce et la SSR n'a pas formulé de commentaires critiques sur son utilité dans sa décision. Les avocats n'ont pas cité devant moi d'éléments de preuve documentaire qui avaient été soumis à la SSR et dont on pouvait dire, pour reprendre les propos du juge Hansen, qu'ils « sèment des doutes et en fait contredisent la disponibilité et l'efficacité de la protection de l'État pour les Hongrois Roms » . Bien que la SSR disposât vraisemblablement en l'espèce d'éléments de preuve qui auraient semé des doutes et qui auraient en fait contredit les éléments de preuve sur lesquels elle s'est fondée en l'espèce pour conclure que les revendicateurs pouvaient se réclamer efficacement de la protection de l'État en Hongrie, comme on ne m'a pas renvoyé expressément à de tels éléments, je ne suis pas disposé à tirer la même conclusion que celle à laquelle Mme le juge Hansen en est venue.

[23]            En conséquence, compte tenu des éléments qui ont été portés à ma connaissance et des arguments invoqués par les avocats devant moi et vu l'analyse qui précède, je conclus que la SSR n'a commis aucune erreur qui justifie la révision de sa décision en ce qui concerne les conclusions qu'elle a tirées au sujet des demandeurs. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[24]            L'avocat des demandeurs a recommandé la certification des quatre (4) questions suivantes :

[TRADUCTION]

1. Les agressions physiques, les menaces et/ou les atteintes à l'intégrité physique ou psychologique et au bien-être d'une personne ou les menaces sérieuses à celle-ci, qui sont fondées sur des caractéristiques raciales identifiables de la victime et qui sont déclenchées par ces caractéristiques peuvent-elles parfois équivaloir à de la « discrimination » ou constituent-elle invariablement de la « persécution » selon la définition de réfugié?


2. Où doit-on tracer la ligne de démarcation entre le fait d' « adopter le raisonnement » suivi par d'autres commissaires et le fait d' « adopter les conclusions de fait » tirées par d'autres commissaires en ce qui concerne la situation générale dans un pays déterminé et la protection efficace de l'État?

3. Le concept de « cas type » utilisé et invoqué par d'autres commissaires de la SSR qui ne disposent pas, dans le dossier qui leur est soumis, de tous les détails en ce qui concerne la genèse et le contexte du « cas type » en vue de tirer des conclusions de fait au sujet de la situation générale dans un pays déterminé et la protection de l'État soulève-t-il une crainte raisonnable de partialité, constitue-t-il un refus d'accorder une audition impartiale ou va-t-il autrement à l'encontre de l'esprit de la Loi sur l'immigration ou de la compétence que celle-ci confère à la SSR?

4. La SSR outrepasse-t-elle sa compétence ou agit-elle sans compétence lorsqu'elle transpose des éléments de preuve, tels que des témoignages et des preuves documentaires, ainsi que des conclusions de fait particulières qui proviennent d'une ou de plusieurs autres causes de la SSR alors que la preuve administrée dans cette (ces) autre(s) affaire(s) n'a pas été portée à l'attention du revendicateur et n'a pas été versée au dossier soumis à la Cour fédérale, mais que seulement un « index » descriptif de ces éléments de preuve est produit?

[25]            L'avocat du défendeur prie la Cour de ne certifier aucune des questions proposées ni d'ailleurs quelque question que ce soit.

[26]            J'estime que les questions proposées par l'avocat des demandeurs sont, de façon générale, davantage des questions à soumettre dans le cadre d'un renvoi que des questions portant sur les faits précis de la présente espèce. J'estime également qu'elles sont libellées de telle manière qu'en y répondant, je trancherais de toute évidence l'appel qui pourrait


être interjeté de ma décision. Par conséquent, bien que les questions proposées puissent être des « questions graves de portée générale » , je ne suis pas convaincu qu'il y a lieu de les certifier, compte tenu des faits de l'espèce. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

        « Frederick E. Gibson »       

                                                                                                                 Juge

Ottawa (Ontario)

Le 6 juillet 2001.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20010706

Dossier : IMM-3096-00

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 6 JUILLET 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                   ERZSEBET KENINGER

                                       BARBARA OLAH

                        ATTILA FEHER et ATTILA FEHER

demandeurs

                                                    - et -

                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                 ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                           ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question n'est certifiée.

                                                                           « Frederick E. Gibson »            

                                                                                                             Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-309600

INTITULÉ :                                           ERZSEBET KENINGER ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE : 21 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Gibson le 6 juillet 2001

COMPARUTIONS :

Rocco Galati                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Kevin Lunney                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Galati, Rodrigues & Associates                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



      1.     L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         [1993] 2 R.C.S. 689.

[3]         (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).

[4]         [1990] 3 C.F. 250; (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.F.).

[5]         [2001] F.C.J. No. 859 (Q.L.) (C.F. 1re inst.); 2001 FCT 562.

[6]         [1989] 2 C.F. 680.

[7]         [2001] F.C.J. No. 643 (Q.L.) (C.F. 1re inst.); 2001 FCT 398.

[8]         2001 FCT 626, June 8, 2001, IMM-502-00.

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