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Date : 20010615

Dossier : IMM-3253-00

Référence neutre : 2001 CFPI 664

ENTRE :

ZSOLTNE BARANYI

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, visant la décision rendue le 6 juin 2000 par la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Dans sa décision, la SSR a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


[2]                 La demanderesse sollicite une ordonnance prononçant l'annulation de la décision mentionnée précédemment ainsi que le renvoi de l'affaire devant une formation différemment constituée pour que celle-ci statue de nouveau sur l'affaire.

Les faits

[3]                 La demanderesse Zsoltne Baranyi, une citoyenne hongroise, est arrivée au Canada le 29 septembre 1998 avec ses deux filles mineures et son époux. Le même jour, ils ont revendiqué le statut de réfugié en invoquant comme motif leur origine ethnique rom. Depuis ce temps, la demanderesse s'est séparée de son époux et celui-ci est retourné en Hongrie. Sa revendication du statut de réfugié a été déclarée abandonnée préalablement à l'audition de celle de la demanderesse, instance au cours de laquelle celle-ci a agi à titre de représentante désignée pour ses filles mineures.

[4]                 Le 17 janvier 2000 et le 9 mars 2000, la revendication de la demanderesse a été entendue conjointement avec celles de ses filles. Dans sa décision, la SSR a conclu que les deux filles de la demanderesse étaient des réfugiées au sens de la Convention, mais qu'elle ne l'était pas.


[5]                 La demanderesse a indiqué dans la portion narrative de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que son époux et elle avaient été la cible d'attaques menées en pleine rue par des skinheads en 1995. Elle était alors enceinte et, ayant reçu un coup de pied au ventre, a perdu l'enfant (de même que la capacité future d'en porter d'autres). La demanderesse affirme que son époux et elle ont été renvoyés du poste de police lorsqu'ils ont voulu signaler l'incident. En 1998, la demanderesse a été encerclée et agressée de nouveau par des skinheads à Koztarsasag Ter. Ceux-ci avaient réussi à lui déchirer son chemisier lorsque des Roms sont venus lui porter secours.

[6]                 La SSR a déterminé que le témoignage de la demanderesse ne correspondait pas aux renseignements inscrits sur son FRP relativement à ces deux incidents. La Commission explique aux pages 2 et 3 de sa décision :

Au cours de son témoignage, la revendicatrice n'arrivait pas à se rappeler la date de ce dernier incident important, survenu avant son départ de la Hongrie. Elle a raconté que l'incident du square Koztarsasag Ter était survenu au cours de l'été 1998, mais elle a paru, au début, relier à cet incident le coup de pied qu'elle a reçu au ventre et à la suite duquel elle a perdu son enfant, plutôt qu'à l'incident survenu en 1995 qu'elle décrit dans son FRP. En réponse aux questions de l'agent chargé de la revendication (ACR), qui tentait de savoir lequel des incidents était survenu en 1998 et lequel était survenu en 1995, la revendicatrice a répondu que les deux incidents se confondaient dans sa mémoire. En réponse à des questions suggestives posées par son conseil en contre-interrogatoire, la revendicatrice principale a confirmé la chronologie des événements qu'elle avait racontés dans la partie explicative de son FRP, à savoir qu'elle a perdu son bébé en 1995 et que son chemisier avait été déchiré au cours d'une agression survenue à l'été 1998 au square Koztarsasag Ter. La revendicatrice principale a attribué l'erreur qu'elle a commise au cours de sa déposition à la gêne et à l'humiliation qu'elle ressentait à la suite de ces deux incidents. On n'a produit ni rapport médical ni dossier hospitalier pour corroborer le témoignage de la revendicatrice principale au sujet des blessures qu'elle a subies et de la date à laquelle elle a reçu des soins médicaux pour ces blessures.


Puis, aux pages 3 et 4, sous le titre Crédibilité :

Le témoignage de la revendicatrice principale au sujet de ses propres démêlés avec les skinheads de Hongrie pose davantage problème. Il y a des contradictions entre sa déposition et son témoignage écrit en ce qui concerne le moment où est survenu l'incident qui a provoqué la perte de son bébé et l'a privée de la possibilité d'avoir d'autres enfants, et les détails entourant cet incident. La revendicatrice principale a déclaré avoir reçu des soins médicaux et avoir subi une intervention chirurgicale à la suite de cet incident dans un centre hospitalier de Hongrie. Elle n'a toutefois produit aucun rapport médical ni dossier hospitalier à l'appui de son témoignage. Elle a déclaré qu'en Hongrie, elle avait en sa possession des documents médicaux faisant état de ses blessures et de l'intervention chirurgicale qu'elle avait subie. Elle n'a toutefois pas expliqué pourquoi elle n'avait pas produit ces documents à l'audience. La revendicatrice principale attribue à la gêne et à l'humiliation l'erreur qu'elle a commise dans son témoignage au sujet des mauvais traitements qu'elle a subis aux mains des skinheads. Le tribunal constate que l'incident survenu au square Koztarsasag Ter se serait produit au cours de l'été 1998, avant le départ des revendicatrices de la Hongrie. Il s'agit là de la cause immédiate du départ de la famille. Le tribunal a par conséquent du mal à admettre que la revendicatrice ait pu faire erreur quant à la date où cet incident est survenu et quant à ce qui s'est produit ce jour-là.

Après avoir examiné les éléments de preuve dont il a été saisi, le tribunal n'est pas persuadé, suivant la prépondérance des probabilités, que la revendicatrice principale a été, comme elle le prétend, par deux fois agressée par des skinheads.

Prétentions de la demanderesse

[7]                 Lorsqu'elle a conclu qu'il y avait moins qu'une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée à son retour en Hongrie, la SSR a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas dûment compte de la preuve présentée par la demanderesse que des personnes dans une situation similaire ont fait l'objet de persécution?


[8]                 Selon la demanderesse, la conclusion de la SSR que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention tient à ce que le traitement subi par la demanderesse dans le passé n'équivalait pas, de l'avis de la SSR, à de la persécution. La demanderesse soutient que, plutôt que de se fier uniquement à ses expériences passées comme indice de ce qui est susceptible de se produire dans le futur, la SSR aurait dû avoir pris en considération le traitement qu'ont subi ses filles.

[9]                 La demanderesse cite l'extrait suivant du paragraphe 43 du Guide du HCNUR : « Il n'est pas nécessaire que les arguments invoqués se fondent sur l'expérience personnelle du demandeur. Ainsi, le sort subi par des parents ou des amis ou par d'autres membres du même groupe racial ou social peut attester que la crainte du demandeur d'être lui-même tôt ou tard victime de persécutions est fondée. » Par conséquent, fait valoir la demanderesse, lorsque la SSR a conclu qu'il existait moins qu'une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée à son retour en Hongrie, la SSR a commis une erreur en ne prenant pas en considération les éléments de preuve concernant le traitement qu'ont subi ses filles.


Prétentions du défendeur

[10]            Le défendeur prétend qu'il ressort clairement des motifs de la SSR qu'à l'étape de l'examen de la revendication, celle-ci était tout à fait au courant de la situation des filles de la demanderesse. La SSR a relevé suffisamment de différences entre le témoignage de la demanderesse et celui de ses filles, de sorte qu'elle a pu tirer des conclusions distinctes au regard des revendications. Le défendeur affirme que la différence la plus marquée consiste en ce qu'on a cru au témoignage des filles et non à celui de la demanderesse. Au vu du dossier, il était raisonnablement loisible à la SSR de tirer les conclusions qu'elle a tirées quant à la crédibilité de la demanderesse.

Dispositions législatives applicables

[11]            La Loi sur l'immigration définit « réfugié au sens de la Convention » en ces termes :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

2(1) "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


Questions en litige

[12]            1.         Lorsqu'elle a conclu qu'il y avait moins qu'une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée à son retour en Hongrie, la SSR a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de révision en ne tenant pas dûment compte de la preuve présentée par la demanderesse concernant des personnes dans une situation similaire?

2.          La SSR a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de révision en concluant que les deux incidents décrits par la demanderesse ne se sont pas produits?


Analyse et décision

[13]            Question 1

Lorsqu'elle a conclu qu'il y avait moins qu'une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée à son retour en Hongrie, la SSR a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de révision en ne tenant pas dûment compte de la preuve présentée par la demanderesse concernant des personnes dans une situation similaire?

Le dossier du tribunal contient des preuves documentaires étayant la persécution dont sont victimes d'autres citoyens roms hongrois. La demanderesse est en droit de s'attendre à ce que cette preuve soit prise en compte et peut se fonder sur cette preuve pour établir la persécution dont elle prétend faire l'objet. Dans l'arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.F.), la Cour a énoncé ce qui suit à la page 173 :

À la lumière de la jurisprudence de cette Cour relative à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, il est permis d'affirmer

1) que le requérant n'a pas à prouver qu'il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir,

2) que le requérant peut prouver que la crainte qu'il entretenait résultait non pas d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis directement à son égard, mais d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis à l'égard des membres d'un groupe auquel il appartenait,

. . .


Puis, aux pages 174 et 175 :

. . . et je fais mienne cette description du droit applicable que l'on retrouve à la fin de l'article précité:

In sum, while modern refugee law is concerned to recognize the protection needs of particular claimants, the best evidence that an individual faces a serious chance of persecution is usually the treatment afforded similarly situated persons in the country of origin. In the context of claims derived from situations of generalized oppression, therefore, the issue is not whether the claimant is more at risk than anyone else in her country, but rather whether the broadly based harassment or abuse is sufficiently serious to substantiate a claim to refugee status. If persons like the applicant may face serious harm for which the state is accountable, and if that risk is grounded in their civil or political status, then she is properly considered to be a Convention refugee.                                                                                                                                                                                          Dans le cas présent, la section du statut s'est méprise sur la nature du fardeau que le requérant avait à rencontrer et elle a rejeté sa demande sur la base d'une absence de preuve de persécution personnelle dans le passé. Cette conclusion est doublement erronée; point n'est besoin, en effet, pour se réclamer du statut de réfugié au sens de la Convention, de démontrer ni que la persécution est personnelle ni qu'il y a eu persécution dans le passé.

[14]            Même lorsque la SSR juge qu'un demandeur n'est pas crédible, elle est tout de même tenue de prendre en compte la preuve documentaire. Dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.), notre Cour a déclaré à la page 132 :

Il est clair que lorsque la seule preuve qui relie le demandeur à la persécution émane de son témoignage, le fait de rejeter ce témoignage signifie que le lien avec la persécution n'existe plus. Il devient donc impossible d'établir un lien entre la revendication de la personne et la preuve documentaire.

La situation est évidemment différente en l'espèce, car il existait une preuve, dont la CIN de la demanderesse principale, émanant d'autres sources que son témoignage et permettant de relier sa demande à la persécution infligée aux jeunes femmes tamoules au Sri Lanka.


La preuve documentaire peut ou peut ne pas avoir établi une crainte fondée de persécution pour ce qui est de la situation de la demanderesse. La SSR aurait dû avoir examiné cette preuve pour déterminer si celle-ci a établi le bien-fondé de la crainte de persécution. J'ai passé en revue la décision de la SSR et je ne trouve aucune référence à des preuves documentaires concernant la persécution dont font ou ont fait l'objet d'autres citoyens roms hongrois. À mon avis, que ce soit à la lumière de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter ou de celle de la décision manifestement déraisonnable, la SSR a commis une erreur de droit susceptible de révision en omettant de tenir compte de cette preuve.

[15]            Vu ma réponse à la première question, il n'est pas nécessaire que j'aborde la seconde question.

[16]            La présente demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l'affaire est renvoyée devant une formation de la SSR différemment constituée pour que celle-ci statue de nouveau sur l'affaire.


[17]        Les parties disposent de cinq jours à compter de la présente décision pour soumettre à mon attention, le cas échéant, toute question grave de portée générale.

                                                        « John A. O'Keefe »             

                                                                              J.C.F.C.                       

Ottawa (Ontario)

Le 15 juin 2001

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               IMM-3253-00

INTITULÉ DE LA CAUSE : Zsoltne Baranyi c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 25 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

EN DATE DU :                        15 juin 2001

COMPARUTIONS :

Mme Lisa Winter-Card                      POUR LA DEMANDERESSE

Mme Mielka Visnic                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Lisa Winter-Card                      POUR LA DEMANDERESSE

North York (Ontario)

M. Morris Rosenberg                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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