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Date: 20040916

Dossier: IMM-8664-03

Référence: 2004 CF 1263

Montréal (Québec), le 16 septembre 2004

Présent :          Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

                                                          LARRISSAN TSONGO

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c.27 (Loi) porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) rendue le 14 octobre 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que la demanderesse ne satisfait pas à la définition de « réfugiée au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi ni à celle de « personne à protéger » au paragraphe 97(1) de la Loi.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Le tribunal a-t-il commis une erreur en rejetant la preuve d'identité présentée par le demanderesse?

[3]                Le tribunal a-t-il commis une erreur en minant injustement la crédibilité de la demanderesse sans égard à la preuve et à son témoignage?

[4]                Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à ces questions et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

LES FAITS

[5]                La demanderesse allègue être une citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC). Elle allègue avoir une crainte bien fondée de persécution dans son pays de citoyenneté en raison de sa nationalité et en raison de ses opinions politiques imputées. De plus, elle allègue être une « personne à protéger » , parce que sa vie est menacée et qu'elle s'expose à des traitements ou peines cruels et inusités, de même qu'au risque de torture, si elle devait retourner en RDC.

[6]                La demanderesse allègue être née à Butembo, ville du Nord-Kivu, en RDC. Sa mère serait d'origine hutue et son père congolais, de l'ethnie nandé. Elle a témoigné que sa grand-mère était rwandaise, également de l'ethnie hutue et que lors du génocide de 1994, sa grand-mère était cantonnée dans un camp de réfugiés du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) situé dans la province du Kivu. La grand-mère et les oncles maternels de la demanderesse lui rendirent visite à certaines occasions. La demanderesse qui se croyait jusqu'alors congolaise, apprit du même coup les origines de sa mère. Ces visites ne passèrent pas inaperçues chez les voisins et la famille de la demanderesse aurait été dénoncée au parti Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD).

[7]                En 1998, le RCD dressa une liste de « traîtres » et le nom de tous ceux soupçonnés d'avoir entretenu des contacts avec des Hutus y figurait. La demanderesse a témoigné que les personnes identifiées sur la liste étaient mises à mort pour trahison. La demanderesse allègue que sa maison a été attaquée à compter de 1998 et ce, jusqu'au 15 novembre 2001, date à laquelle son père prit la décision de séparer les membres de la famille. La demanderesse témoigna qu'elle s'est rendue en Ouganda, où elle a été prise en charge par un ami de son père. Ce dernier lui procura les documents de voyage nécessaires afin qu'elle quitte l'Ouganda le 29 décembre 2001. Après avoir transité par l'Angleterre, la demanderesse est arrivée au Canada le 30 décembre 2001, pour y solliciter l'asile quelques jours plus tard.


DÉCISION CONTESTÉE                                                    

[8]                Le tribunal a rejeté la demande d'asile de la demanderesse en raison de son défaut d'établir son identité et également de son absence de crédibilité. Le tribunal a jugé que la demanderesse n'était pas crédible principalement en raison de son comportement à l'audience et, dans les motifs de la décision, le tribunal souligne que son témoignage était vague, incohérent et contradictoire, qu'elle était incapable de répondre aux questions posées, et que ses déclarations, même en réponse aux questions simples, manquaient de clarté et étaient confuses. Après l'analyse de la preuve concernant l'identité de la demanderesse, le tribunal a également jugé qu'elle n'avait pas produit des documents d'identité acceptables, au sens de l'article 106 de la Loi. Le tribunal s'est exprimé ainsi à la page 2 de sa décision:

Alors que la [demanderesse] allègue être née et avoir vécu à Butembo, Nord-Kivu, avec sa famille, le tribunal constate que ces documents [attestation de naissance et un extrait d'acte de naissance] ont été émis à Kinshasa par le bourgmestre de la commune de Ngaliema. La [demanderesse] a témoigné qu'environ 1 000 kilomètres séparaient Butembo de Kinshasa, et n'a pu expliquer l'incohérence entre son lieu de naissance et le lieu d'émission des pièces [...], expliquant que c'était son père qui lui avait remis ces deux documents avant qu'elle quitte son pays pour l'Ouganda. La [demanderesse] a relaté que son père, qui se rendait à l'occasion à Kinshasa voir des amis, n'y était plus jamais retourné après le début de la guerre, au mois d'août 1998. Cependant, le tribunal constate que les pièces [...] ont été émises après le début de la guerre, soit en octobre et décembre 1998. Considérant ce qui précède, le tribunal n'accorde aucune valeur probante à l'acte de naissance et à l'extrait d'acte de naissance de la [demanderesse...].

PRÉTENTIONS DES PARTIES


[9]                La demanderesse conteste la décision concernant l'évaluation de l'authenticité de documents personnels étrangers car en l'espèce le tribunal aurait effectué une analyse sans preuve sérieuse à l'appui et aurait agi de manière capricieuse et déraisonnable en arrivant à ses conclusions concernant son identité. De plus, la demanderesse se base sur les arrêts Halili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1335 (QL) et Parizi c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), (1994) 90 F.T.R. 189, [1994] F.C.J. No.1977 (QL) pour souligner que le tribunal n'a, sans raison valable, pas accordé de poids à la déclaration solennelle du pasteur Paluku Kivikwamo, ni à l'ensemble de son histoire de persécution. Elle allègue, en vertu des décisions rendues dans les arrêts R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2003) 228 F.T.R. 43, [2003] A.C.F. no 162 (QL); Attakora c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.) (QL); et Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989) 98 N.R. 312, [1989] A.C.F. no 442 (C.A.)(QL) qu'il était déraisonnable pour le tribunal de conclure « en bloc » que son récit était inventé du seul fait qu'il n'avait pas jugé crédible les documents soumis à l'appui de ses prétentions concernant son identité.


[10]            La partie défenderesse se fonde sur l'arrêt Chen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 551 (C.A.) (Q.L.) et Tong c. Canada (Secretary of State), [1994] F.C.J. No. 479 pour soumettre que la décision du tribunal était bien fondée en faits et en droit et que cette demande devrait être rejetée. La partie défenderesse soumet que cette honorable Cour a décidé que, dans la mesure où un demandeur n'avait pas établi qu'il était la personne qu'il prétendait être, le tribunal n'avait pas à poursuivre l'analyse de sa demande (voir les décisions dans les affaires Husein c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (QL); Yogorajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1809 (QL); Thamothampillai c. (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.F.C. no 1186 (QL); et Wang c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2001] F.C.J. No. 911 (QL). La partie défenderesse s'appuie également sur l'arrêt Matanga c.Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1812 (QL) pour soutenir que le tribunal pouvait tenir compte du manque de documents d'identité acceptables et du manque de documents de voyage (tels le passeport, billet d'avion, carte d'embarquement, billet d'autobus) dans l'appréciation de la crédibilité d'un demandeur d'asile.


[11]            De plus, la partie défenderesse, se basant sur les décisions rendues dans les arrêts Mahendran c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1991] F.C.J. No. 549 (C.A.) (QL); Zhou c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] FC.J. No. 1087 (C.A.) (QL); Mohimani c. Canada (Minister of Employment and Immigration),[1993] F.C.J. No. 564 (C.A.) (QL); Fwamba c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 1247 (QL); et Owusu, précité, prétend qu'il est bien reconnu par la jurisprudence qu'il appartient au tribunal de tirer ses propres conclusions quant à la valeur probante de la preuve documentaire déposée par un demandeur d'asile et d'apprécier les explications fournies par celui-ci. La partie défenderesse constate que la demanderesse ne présente aucune argumentation à l'encontre des conclusions du tribunal concernant la contradiction dans son témoignage concernant son lieu de naissance et le lieu d'émission des documents qu'elle a déposés, ni concernant le fait que les documents en question datés du 25 octobre et du 18 décembre 1998 lui auraient été remis par son père qu'elle avait déclaré ne pas être retourné à Kinshasa après le début de la guerre en août 1998 (page 2 de la décision). La partie défenderesse soutient également que la décision Halili, précité, sur laquelle la demanderesse appuie ses prétentions, ne s'applique pas en l'espèce car les faits étaient totalement différents de ceux soulevés par le présent litige.

ANALYSE

[12]            Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de crédibilité, comme en l'espèce, le tribunal est le mieux placé pour « jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent » . Tel que décidé dans l'arrêt Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'immigration ), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), les conclusions du tribunal spécialisé, dans la mesure où les inférences qu'il tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, sont à l'abri du contrôle judiciaire.


[13]            À mon avis, les arguments concernant la crédibilité de la demanderesse tiennent à l'appréciation de la preuve et des faits. La conclusion du tribunal que la preuve de la demanderesse n'était pas digne de foi est fondée sur le comportement de cette dernière, notamment l'incompatibilité entre son témoignage et les lieux d'émission ainsi que les dates indiquées sur les documents déposés. Selon ma lecture de la décision, le tribunal a fondé ses conclusions selon la preuve au dossier et l'a interprétée comme il l'entendait. Contrairement aux prétentions de la demanderesse, je suis d'avis, lorsque je considère l'importance de l'audience et les liens étroits que je présume existaient entre elle et le pasteur Kivikwamo, qu'il n'était pas déraisonnable pour le tribunal de trouver le départ de ce dernier surprenant. Je note également que le tribunal a considéré les explications que la demanderesse lui a données concernant ses documents et son identité, mais n'a simplement pas été convaincu ou satisfait de celles-ci. Selon ma connaissance du dossier, je ne vois aucune raison pouvant justifier mon intervention. Il m'apparaît que les motifs et la conclusion concernant la crédibilité de la demanderesse sont raisonnables.

[14]            En l'espèce, la demanderesse a le fardeau de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement être fait. Basé sur mon évaluation de la preuve, la demanderesse ne s'est pas déchargé de ce fardeau. Le tribunal a bien motivé sa décision en énonçant, en termes clairs et non équivoques, les raisons pour lesquelles il a douté de la véracité des allégations de la demanderesse et de la crédibilité de cette dernière. Le tribunal pouvait tenir compte des nombreuses disparités entre le témoignage de la demanderesse, son comportement et les documents déposés pour appuyer ses prétentions concernant son identité. Je suis donc satisfait que le tribunal, en arrivant à la conclusion que l'absence des documents de voyage tels le passeport et le billet d'avion le privait de renseignements qui auraient pu confirmer ou infirmer les allégations de la demanderesse sur son identité et voyage au Canada, s'est fié sur la preuve présentée et n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable, susceptible d'emporter la révision de la Cour fédérale.

[15]            Concernant la conclusion à l'égard de l'identité, je la considère raisonnable. J'ai revu, ayant à l'esprit les motifs justifiant cette conclusion, la décision et les arguments. Je suis aussi perplexe quant à la distance entre l'endroit de naissance et de l'émission du certificat de naissance. Je le suis encore plus lorsque je lis la transcription de l'audition au sujet de sa connaissance de Butembo, endroit où elle aurait vécu pendant près de 20 ans. Ses réponses limitées, les hésitations et le peu de connaissance de la ville de sa jeunesse démontrent au lecteur que le témoignage est faible et qu'il manque de substance. Bref, la décision dans sa totalité m'apparaît raisonnable.

[16]            Les parties furent invitées à soumettre des questions pour fin de certification mais aucune fut remise.

ORDONNANCE

Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

                      « Simon Noël »                       

                                 juge                            


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                IMM-8664-03

INTITULÉ :               LARRISSAN TSONGO

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

                                                     

                                                                           partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 15 septembre 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   le 16 septembre 2004

COMPARUTIONS:

Me Kathleen Gaudreau                                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Thi My Dung Tran                                       POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Kathleen Gaudreau                                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE


Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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