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Date : 19991018


Dossier : IMM-423-98

OTTAWA (Ontario), le 18 octobre 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

VITALI BORISOVICH MALKINE,

demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.

     VU la demande que le demandeur a présentée en vue d"obtenir le contrôle judiciaire et l"annulation, par voie d"ordonnance, de la décision qu"une agente des visas du consulat général du Canada à Détroit a rendue dans une lettre datée du 16 décembre 1997, dans laquelle elle a rejeté la demande d"immigration que le demandeur avait déposée dans le cadre de la catégorie des entrepreneurs;

     VU l"audition, tenue à Toronto le 16 août 1999, à l"occasion de laquelle l"avocat du demandeur et l"avocate du défendeur ont présenté des observations et la Cour a réservé sa décision et, compte tenu de l"examen de ces observations;


ORDONNANCE

     LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie, la décision de l"agente des visas datée du 16 décembre 1997 soit rejetée, et la demande d"immigration que le demandeur avait déposée dans le cadre de la catégorie des entrepreneurs soit soumise à un autre agent des visas pour qu"il statue à son tour sur celle-ci.


                             " W. Andrew MacKay "

                                         J U G E

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19991018


Dossier : IMM-423-98


ENTRE :

VITALI BORISOVICH MALKINE,

demandeur,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY


[1]      Le demandeur, M. Malkine, cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision, datée du 16 décembre 1997, dans laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente qu"il avait présentée en tant qu"entrepreneur. Par sa demande, M. Malkine cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision de l"agente des visas et une ordonnance, de la nature d"un mandamus, enjoignant au défendeur de traiter sa demande de résidence permanente ou, de façon subsidiaire, de renvoyer l"affaire à un autre agent des visas pour qu"il statue à son tour sur celle-ci.



Le contexte

[2]      Le 26 août 1994, l"avocat du demandeur a, pour le compte de ce dernier, présenté au consulat général du Canada à Buffalo (New York) une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre de la catégorie des entrepreneurs. La demande a été transférée au consulat général du Canada à Détroit au début de 1995 et le demandeur a eu une entrevue avec une agente des visas au consulat de Détroit le 12 juin 1995.

[3]      L"agente des visas a expliqué au demandeur qu"il devait satisfaire aux exigences de la définition d"" entrepreneur " et a discuté de cette définition avec lui. Monsieur Malkine s"est présenté devant l"agente des visas comme un homme d"affaires expérimenté. Dans son affidavit, il déclare qu"il est actionnaire et dirigeant de trois sociétés ayant leur siège social à Moscou et qu"il a des responsabilités relatives au fonctionnement quotidien de ces sociétés. La première société est une banque, la Rossinski Kredit Bank, dont il détient 21 pour cent des actions. La deuxième société, Agro-Service, est une société bancaire et financière dont il possède près de la moitié des actions. Enfin, la troisième société, Triada-1, est une société de placement et de courtage. L"agente a souligné que M. Malkine possédait d"importants avoirs à Hong Kong, en Israël, aux États-Unis et en Russie.

[4]      Le demandeur avait déclaré dans ses documents de demande qu"il avait l"intention d"établir au Canada une entreprise fournissant des services bancaires d"investissement. Les parties ont convenu qu"à cette entrevue, le demandeur et l"agente des visas ont discuté des difficultés auxquelles il serait confronté s"il tentait d"établir une telle entreprise au Canada. L"agente des visas dit qu"à l"entrevue, le demandeur a dit qu"il souhaitait s"impliquer dans le domaine de l"investissement immobilier. Monsieur Malkine a fait remarquer qu"il avait déjà acheté deux immeubles à Toronto et qu"il était en train de négocier l"achat d"un troisième immeuble. L"agente des visas lui a demandé de fournir des éléments de preuve établissant ses relations d"affaires au Canada et lui a dit qu"elle lui donnerait le temps de se procurer les documents nécessaires. Le demandeur dit qu"à l"entrevue, ils ont discuté d"un autre de ses projets, soit celui d"établir au Canada une entreprise qui achèterait des marchandises qu"elle exporterait en Russie.

[5]      L"agente des visas dit dans son affidavit qu"à l"entrevue, elle a dit au demandeur qu"elle avait des réserves quant à sa capacité de s"établir de façon permanente au Canada vu qu"il projetait de continuer d"exploiter activement ses entreprises étrangères. Le demandeur soutient que l"agente des visas ne lui a pas dit cela. Il dit avoir informé l"agente des visas qu"il a un fils au Canada avec qui il souhaitait passer plus de temps et qu"il pouvait diriger les entreprises qu"il possédait en Russie sans y être physiquement, ce qui lui permettrait de passer le temps nécessaire au Canada afin de diriger les entreprises qu"il y posséderait.

[6]      Après l"entrevue, soit le 14 juin 1995, l"agente des visas a écrit à M. Malkine pour lui demander de fournir des documents établissant ses compétences afin de démontrer qu"il satisfaisait aux exigences de la définition d"entrepreneur. Monsieur Young, l"avocat du demandeur, a répondu à la demande de l"agente par une lettre datée du 1er novembre 1995, dans laquelle il décrivait le plan d"affaires de son client, mais ne fournissait pas les documents que cette dernière avait demandés.

[7]      Il ressort des notes CAIPS de l"agente des visas que le 2 février 1996, le SCRS l"a avisée qu"il avait l"intention d"avoir une entrevue avec le demandeur. Cette entrevue a eu lieu le 12 septembre 1996. L"affidavit du demandeur est accompagné d"une lettre que M. Young lui avait envoyée et qui indiquait que l"agente des visas avait informé M. Young que la demande de son client avait été approuvée sous réserve de l"entrevue, mais l"agente des visas a nié avoir dit cela à ce dernier.

[8]      L"agente des visas a attendu pendant un certain temps avant de prendre une décision définitive, car elle estimait que [TRADUCTION " les renseignements que produiraient ces vérifications d"antécédents " l"aideraient à prendre cette décision. Monsieur Young s"est régulièrement enquis de l"état de la demande de son client. Chaque fois, l"agente des visas l"a avisé qu"elle attendait le résultat des vérifications d"antécédents en cours. En tout, l"avocat du demandeur et l"agente des visas se sont échangé dix lettres de juin 1995 à décembre 1997. Il ressort de cette correspondance que la seule raison pour laquelle l"agente des visas a reporté le traitement de la demande était le rapport qu"elle attendait, semble-t-il, du SCRS.

[9]      En bout de ligne, l"agente des visas a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la définition d"entrepreneur en se fondant sur les éléments de preuve au dossier et sans attendre le rapport du SCRS. Elle a envoyé une lettre, datée du 16 décembre 1997, confirmant sa conclusion. Dans sa lettre, l"agente des visas a dit, après avoir repris la définition d"" entrepreneur " prévue au Règlement sur l"immigration de 19781 :

[TRADUCTION]
À mon avis, vous n"avez pas satisfait aux exigences de la définition susmentionnée. Vous avez été incapable de me convaincre que vous avez l"intention d"établir ou d"acquérir une entreprise ou un commerce au Canada ni que vous avez l"intention d"investir une somme importante dans une telle entreprise. Vous ne m"avez pas convaincue que vous contribuerez de manière significative à la vie économique canadienne et que vous créerai ou maintiendrai des emplois. Vous n"êtes pas non plus parvenu à me convaincre que vous avez l"intention et la capacité de participer de façon active et soutenue à l"exploitation d"une entreprise au Canada.
À votre entrevue personnelle du 12 juin 1995, je vous ai fait part de mes réserves concernant votre demande. Je vous ai alors demandé de répondre à ces réserves en me fournissant des documents au soutien de vos arguments. Vous avez reçu une lettre datée du 14 juin 1995 qui vous invitait expressément à fournir des documents établissant que vous satisfaisiez aux exigences de la définition d"entrepreneur. La lettre vous demandait de fournir des éléments de preuve établissant que vous avez investi dans un immeuble dans la région de Toronto, des documents établissant que vos plans d"affaires contribueront de manière significative à la vie économique canadienne et créeront des emplois, et quel sera votre rôle en particulier.
J"ai reçu une lettre de votre représentant sur le plan juridique, Joseph R. Young, datée du 1er novembre 1995. La lettre mentionne que vous possédez 21 % de la 8e banque la plus importante de Moscou, que vous avez d"importants avoirs, et que vous êtes en mesure d"établir une entreprise au Canada. La lettre dit que vous avez l"intention d"établir au Canada une entreprise fournissant des services bancaires d"investissement dans le cadre de laquelle vous établirez une société canadienne qui achètera et exportera divers produits, dont du matériel informatique, des logiciels, des meubles et de l"équipement, pour le compte de plusieurs sociétés de l"ancienne Union soviétique.
Nous n"avons toujours pas reçu d"éléments de preuve concernant votre investissement immobilier au Canada dont nous avons discuté à l"entrevue. Vous avez fourni des éléments de preuve établissant votre expérience en affaires en Russie, mais vous n"avez fourni aucun élément de preuve qui m"amènerait à conclure que vous avez l"intention d"établir une entreprise au Canada. Je ne puis conclure de façon réaliste que vous pourrez résider de façon permanente au Canada et participer de façon active et soutenue à l"exploitation d"une entreprise au pays, étant donné que vous possédez, en partie, une grande institution financière et que vous avez d"importants avoirs à Hong Kong, en Israël, en Russie et aux États-Unis.
Sur le fondement des renseignements que j"ai obtenus à l"entrevue et après avoir consulté le dossier, je suis d"avis que vous n"avez pas l"intention d"établir une entreprise au Canada. Vous avez également été incapable de me convaincre que vous contribuerez de manière significative à la vie canadienne et que vous êtes en mesure de participer de façon active à l"exploitation d"une entreprise au Canada.
Vous faites donc partie de la catégorie des personnes inadmissibles que décrit l"alinéa 19(2)d ) de la Loi sur l"immigration de 1976, et votre demande a été rejetée.

[10]      En janvier 1998, M. Young a communiqué avec l"agente des visas pour lui demander s"il pouvait lui faire parvenir des documents qu"il croyait lui avoir déjà envoyés mais que, semble-t-il, elle n"avait pas reçus. L"avocat a par la suite envoyé à l"agente des visas des documents concernant l"achat d"un immeuble en copropriété, sis à North York (Ontario), par une société ontarienne dont M. Malkine était directeur et président, de même que des documents faisant état de l"achat de produits canadiens d"une valeur de 300 000 $ US devant être exportés en Russie par l"une des sociétés russes de ce dernier. L"agente des visas a examiné l"affaire sur le fondement de ce nouvel élément de preuve. Elle a ensuite répondu à l"avocat en lui faisant parvenir une lettre datée du 28 janvier 1998 qui mentionnait, en partie :

[TRADUCTION]
J"ai minutieusement examiné le dossier de M. Malkine et les renseignements que vous m"avez récemment fournis pour son compte. Malheureusement, je ne peux modifier la décision initiale que j"ai prise dans ce dossier.
Vous avez soumis des copies de la loi constitutive de la société 1069180 Ontario Limited. L"annexe A mentionne que M. Malkine en est le vice-président et qu"il a été nommé en septembre 1994. Vous avez également présenté des éléments de preuve se rapportant à une immeuble que la société à responsabilité limitée a acheté, un rôle d"impôt foncier, des factures d"amélioration locative, une lettre d"intention concernant The Sports Clubs of Canada et une brochure concernant le 18, promenade Wynford, à North York. Les éléments de preuve que vous avez soumis n"indiquent pas que M. Malkine a activement fait des affaires au Canada ni qu"il a l"intention ou la capacité de participer de façon active et soutenue à la gestion d"une entreprise ou d"un commerce. Vous n"avez fourni aucun élément de preuve établissant que M. Malkine possède des intérêts financiers dans la société ontarienne à responsabilité limitée. En outre, vous n"avez fourni aucun élément de preuve établissant que M. Malkine a pris part de façon active à tout aspect décisionnel ou à la gestion de la société.

Les questions en litige

[11]      La question en litige fondamentale est de savoir si le demandeur a établi que l"agente des visas a commis une erreur de droit susceptible de contrôle lorsqu"elle a rejeté la demande. Voici les questions particulières que le demandeur a soulevées :

1.      L"agente des visas a-t-elle commis une erreur lorsqu"elle a interprété la définition d"" entrepreneur "?
2.      L"agente des visas s"est-elle fondée à tort sur des éléments de preuve extrinsèque?
3.      L"agente des visas a-t-elle violé l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait lorsqu"elle a omis d"aviser le demandeur plus d"une fois qu"elle voulait qu"il lui fournisse d"autres renseignements?
4.      Le retard du défendeur en ce qui concerne la production du dossier certifié constitue-t-il un motif permettant d"infirmer la décision de l"agente des visas?
5.      L"agente des visas a-t-elle commis une erreur lorsqu"elle a omis d"apprécier le demandeur selon un système de points et d"apprécier la personnalité de ce dernier?
6.      L"agente des visas a-t-elle commis une erreur lorsqu"elle a modifié le dossier certifié du tribunal?

[12]      Je traiterai d"abord des trois premières questions en détail, puis brièvement des trois autres étant donné que, selon moi, ces dernières questions ne sauraient fonder une intervention de notre Cour en l"espèce.

L"analyse

[13]      Le défendeur soutient que la Cour doit appliquer une norme de contrôle sévère à la présente demande de contrôle judiciaire en se fondant sur l"arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada2. Il fait également remarquer qu"en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur l"immigration3 (la Loi) , il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la Loi ni à ses règlements.

La définition d"" entrepreneur "

[14]      Voici la définition d"" entrepreneur " que contient le Règlement sur l"immigration de 19784 :

(a) who intends and has the ability to establish, purchase or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

(b) who intends and has the ability to provide active and on-going participation in the management of the business or commercial venture;

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

[15]      Le demandeur fait valoir que l"agente des visas, lorsqu"elle a été contre-interrogée relativement à son affidavit, n"a pas accepté que la définition d"entrepreneur que contenait la Loi [TRADUCTION] " est prospective, qu"elle porte sur la capacité et l"intention du demandeur d"établir une entreprise ou un commerce ... et ... la capacité de ce dernier de gérer une telle entreprise ou un tel commerce ... après son arrivée au Canada ". Elle a plutôt dit que les personnes qui cherchaient à obtenir un visa dans le cadre de la catégorie des entrepreneurs recevaient un visa à condition qu"elles établissent effectivement une entreprise au Canada ou qu"elles achètent une telle entreprise ou investissent dans une telle entreprise et participent de façon active à son exploitation. Le demandeur dit que l"agente lui a mentionné que l"éventuel entrepreneur devait satisfaire à cette condition avant son arrivée, et il soutient que la définition dépend plutôt en grande partie de la question de savoir si l"individu satisfait à cette condition après son arrivée au Canada. Cependant, il me semble clair, à la lecture de la transcription du contre-interrogatoire, que l"agente a dit que l"individu devait satisfaire aux conditions [TRADUCTION] " dans les deux années suivant son arrivée ". En outre, je suis d"avis qu"il ressort de la lettre de décision de l"agente qu"elle n"était pas convaincue qu"il avait l"intention ou la capacité de participer à l"avenir de façon active à l"exploitation d"une entreprise au Canada, conformément à ce que prévoit la définition d"" entrepreneur ".

[16]      Le demandeur soutient également que l"agente des visas a commis une erreur lorsqu"elle a conclu qu"il n"avait pas l"intention d"établir une entreprise au Canada. Le demandeur conteste le fondement de cette décision, faisant valoir que l"agente des visas ne pouvait, comme elle l"a fait, renvoyer au fait que le demandeur avait d"importants intérêts commerciaux ailleurs, au manque d"éléments de preuve (autres que ses propres observations et celles de son avocat) établissant son participation active à l"exploitation d"une société canadienne qu"il aurait établie avant son entrevue, ni au fait qu"il avait la citoyenneté israélienne.

[17]      En ce qui concerne sa prétention selon laquelle il aurait établi une entreprise au Canada, il importe de souligner que le demandeur lui-même a mentionné les relations d"affaires qu"il avait déjà entretenues au Canada pour établir qu"il avait un intérêt dans une entreprise commerciale au pays. À mon avis, l"agente n"a pas agi de façon déraisonnable lorsqu"elle a considéré que les activités commerciales que M. Malkine avait déjà menées au Canada constituaient un facteur d"appréciation de ses intentions futures. La décision Chen c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration)5, sur laquelle le demandeur se fonde, ne s"applique pas directement à l"espèce, car elle portait sur la catégorie des " investisseurs " prévue par la Loi plutôt que sur celle des " entrepreneurs ".

[18]      À mon avis, l"agente des visas n"a pas agi de façon déraisonnable lorsqu"elle a tenu compte des activités commerciales que le demandeur menait à l"étranger. Il se peut que cela soit pertinent pour ce qui est de la question de savoir si le demandeur a la capacité d"établir une entreprise au Canada, mais il me semble qu"il s"agit d"une facteur neutre quant à l"appréciation de son intention. Il se peut que le fait d"avoir investi dans des entreprises dans d"autres pays et d"avoir la citoyenneté israélienne laisse entendre qu"il se pourrait que le demandeur ne concentre pas tous ses efforts commerciaux et son investissement financier au Canada, mais l"éventuel entrepreneur n"est tenu de concentrer ses intérêts ici que dans la mesure où il peut démontrer qu"il a la capacité d"établir une entreprise au Canada et de participer de façon active à l"exploitation de celle-ci. Par contre, le fait d"exiger des éléments de preuve établissant la participation du demandeur à l"exploitation d"une société canadienne, une autre question que le demandeur lui-même a soulevée, était raisonnable et pertinent tant en ce qui concerne l"appréciation de son intention que celle de sa capacité d"établir une entreprise au Canada. Il importe de souligner que malgré le fait que l"agente des visas lui a demandé, à l"entrevue, de fournir de tels éléments de preuve, les seuls renseignements que le demandeur a fournis à cet égard étaient des lettres de son avocat accompagnées d"observations, mais sans que des éléments de preuve à l"appui soient produits avant que l"agente ne rende sa décision initiale défavorable.

[19]      Le demandeur soutient que l"échange suivant, qui a eu lieu lors du contre-interrogatoire, établit que l"agente a commis une erreur lorsqu"elle a apprécié sa capacité de gérer de façon active une entreprise au Canada :

[TRADUCTION]
Q.      À votre avis, M. Malkine avait-il la capacité d"établir une entreprise au Canada?
R.      J"estime qu"il avait la capacité d"établir une entreprise au Canada compte tenu de son expérience en affaires. Mon renvoi à sa capacité -- son refus sur la base de la définition d"entrepreneur était fondé sur l"intention. Et un individu -- on peut établir un lien entre l"intention et la capacité et le fait que j"ai estimé qu"il n"était pas réaliste de s"attendre à ce qu"il aurait la capacité de participer pleinement à la gestion d"une entreprise au Canada vu la façon dont il avait déjà participé à l"exploitation de ses entreprises. Le temps qu"il lui faudrait.

[20]      Le demandeur conteste l"idée qu"il ne pourrait pas participer pleinement à l"exploitation d"une entreprise au Canada vu sa participation dans d"autres entreprises ailleurs. L"" entrepreneur " doit avoir l"intention et la capacité de " participer activement et régulièrement à la gestion [de l"] entreprise ou [du] commerce ". La conclusion de l"agente des visas selon laquelle M. Malkine consacrerait moins de temps à l"exploitation d"une entreprise canadienne vu sa participation importante dans des entreprises à l"étranger est certes raisonnable mais, à mon avis, cela n"étaye pas une conclusion selon laquelle il n"avait ni l"intention ni la capacité de " participer activement et régulièrement à la gestion [de l"] entreprise " au Canada.

[21]      L"ampleur nécessaire de la participation dans une entreprise au Canada n"est pas définie dans la Loi . Il doit s"agir d"une participation active et régulière. En l"espèce, l"agente des visas a lié cela à son appréciation de la capacité du demandeur de [TRADUCTION] " résider de façon permanente au Canada ". Le demandeur soutient qu"en faisant cela, l"agente a commis une erreur et lui a, de fait, imposé une exigence en matière de résidence que la définition d"" entrepreneur " dans la Loi ne prévoit pas.

[22]      À mon avis, l"agente des visas a effectivement commis une erreur lorsqu"elle a tenu compte, relativement à la capacité du demandeur de participer activement et régulièrement à la gestion d"une entreprise au Canada, de sa propre appréciation selon laquelle il ne serait pas en mesure de résider de façon permanente au Canada. La Loi n"exige pas qu"il réside au Canada de façon permanente. À ce stade-là, il n"a pas été admis en tant que résident permanent5 et il ne demandait pas la citoyenneté canadienne. En outre, M. Malkine a bel et bien dit à son entrevue qu"il souhaitait résider de façon permanente au Canada, ce qui est pertinent en ce qui concerne son admission en tant qu"entrepreneur, même si l"agente des visas a accordé peu, voire aucun poids à cette intention en exerçant son pouvoir discrétionnaire.

La preuve extrinsèque

[23]      Par ailleurs, le demandeur fait valoir que le passage suivant, tiré des notes CAIPS de l"agente des visas, laisse entendre que celle-ci a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon abusive et violé l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait à l"égard du demandeur vu qu"elle ne l"a pas avisé qu"elle avait considéré un certain élément du dossier. Voici le passage en cause :

[TRADUCTION] IL RESSORT DES VÉRIFICATIONS D"ANTÉCÉDENTS QU"IL EXISTE UNE TENDANCE PARMI LES BANQUIERS RUSSES, DONT PLUSIEURS CHERCHENT À OBTENIR LA RÉSIDENCE/CITOYENNETÉ AU CANADA PAR SOUCI DE COMMODITÉ5.

[24]      Le défendeur soutient que la preuve selon laquelle il existerait une tendance parmi les banquiers russes n"était pas une preuve extrinsèque du type de celle que l"agente des visas avait l"obligation de fournir à M. Malkine. Dans Amoateng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)5, le juge McKeown a suivi l"arrêt Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)5 et conclu que le fait de se fonder sur de la preuve extrinsèque sans aviser le demandeur et sans lui permettre de faire des remarques violait l"obligation d"agir équitablement. Le défendeur se fonde sur Chiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)5. À mon avis, on peut distinguer l"affaire Chiu d"avec l"espèce car dans cette affaire, l"agent avait entrepris une recherche de façon indépendante et il s"était fondé sur les résultats de cette recherche sans avoir avisé le demandeur au préalable. Madame le juge Simpson a conclu dans le circonstances que l"obligation d"agir équitablement n"avait pas été violée vu que la recherche portait sur une question qui avait été abordée à l"entrevue du demandeur et que les résultats ne faisaient que confirmer l"entente conclue à l"entrevue.

[25]      À mon avis, les faits de la présente affaire sont comparables aux circonstances de l"affaire Amoateng . Bien qu"en l"espèce, l"agente des visas n"ait pas, dans sa lettre du 16 décembre 1997, mentionné qu"elle avait tenu compte de l"existence d"une tendance qui avait été identifiée parmi les banquiers russes en tant que fondement de sa décision de rejeter la demande de M. Malkine, il ressort de ses notes CAIPS que l"existence d"une telle tendance a constitué l"une des considérations sur lesquelles elle a fondé sa décision. N"ayant discuté de cette question avec le demandeur ni à l"entrevue, ni à tout moment ultérieur avant de prendre sa décision, l"agente des visas a, à mon avis, violé l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait.

[26]      Le demandeur soutient également que l"agente des visas a violé l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait lorsqu"elle a omis d"informer le demandeur ou son avocat, à un moment autre que le 14 juin 1995, qu"elle voulait obtenir d"autres documents et renseignements, malgré les quelques treize lettres que l"avocat du demandeur et l"agente des visas se sont échangées de juin 1995 à décembre 1997. Il n"existe, bien entendu, aucune loi exigeant que l"agent des visas s"adresse régulièrement au demandeur pour s"assurer que ce dernier lui fournisse les renseignements qu"il lui a demandés, et l"omission de réitérer une demande de renseignements ne viole pas, en temps normal, l"obligation d"agir équitablement. Cependant, à mon avis, les circonstances de la présente affaire étaient inhabituelles. L"avocat du demandeur a produit la demande initiale de M. Malkine, il a écrit pour le compte de son client après l"entrevue, et il a ensuite fait des observations concernant l"expérience de M. Malkine en affaires. L"agente n"a pas répondu, soulignant qu"elle attendait toujours des éléments de preuve établissant cette expérience. L"agente s"est plutôt contentée, dans la correspondance qu"elle et l"avocat se sont échangée au cours des deux années et demie qui ont suivi l"entrevue, alors que le demandeur attendait qu"elle rende sa décision, de renvoyer au fait qu"elle avait demandé au SCRS de lui fournir certains renseignements sur la base desquels elle rendrait sa décision. Il semble qu"elle n"a pas reçu ces renseignements avant de prendre sa décision. Dans les circonstances inhabituelles de la présente affaire, l"omission de l"agente des visas d"aviser le demandeur ou son avocat du fait qu"elle attendait toujours des éléments de preuve établissant l"expérience du demandeur en affaires a constitué une violation de l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait à l"égard du demandeur.

D"autres erreurs qui auraient été commises

[27]      Le demandeur soutient que le retard que le défendeur a accusé en ce qui concerne la production du dossier certifié du tribunal était inéquitable. À mon avis, cela ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. L"ordonnance du protonotaire Giles en production du dossier du demandeur dans un délai de dix jours et en modification de l"échéancier applicable aux dossiers de la demande dans la présente affaire afin que ce dernier soit conforme à sa directive a traité de cette omission.

[28]      Le demandeur soutient en outre que l"agente des visas a commis une erreur lorsqu"elle a omis d"apprécier le demandeur selon un système de points et d"apprécier la personnalité de ce dernier avant de déterminer s"il était admissible à recevoir un visa en tant qu"" entrepreneur ". L"alinéa 8(1)c ) du Règlement sur l"immigration de 1978 prévoit que l"agent d"immigration doit apprécier l"éventuel immigrant de la façon suivante : " dans le cas d'un entrepreneur, d'un investisseur ou d'un candidat d'une province, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, sauf ceux visés aux articles 4 et 5 de cette annexe ". Toute omission à cet égard se produit seulement après que l"agent des visas a déterminé que l"individu qui cherche à être admis en tant qu"entrepreneur est visé par la définition applicable à cette catégorie, une étape à laquelle on n"est pas parvenu en l"espèce.

[29]      Enfin, le demandeur fait valoir que l"agente des visas a violé l"obligation d"agir équitablement et les règles de justice naturelle qu"elle devait respecter lorsqu"elle a modifié le dossier certifié, qui a été envoyé à la Cour fédérale le 30 avril 1998. La page 37 du dossier certifié contenait un courriel qui laissait entendre que M. Malkine avait envoyé des renseignements à l"agente des visas et que cette dernière avait omis de prendre note de la réception de ces renseignements dans ses notes CAIPS. La note manuscrite suivante a été prise sur le courriel :

[TRADUCTION] " 13/10/97 J"ai parlé à HMS de cette question -- le seul document qui m"a été remis est la lettre de l"avocat; aucun document à l"appui; pour examen ".

[30]      Le demandeur fait valoir que cette note ne figurait pas sur le même document qu"il a reçu en réponse à sa demande d"accès à l"information. En contre-interrogatoire, l"agente des visas a expliqué qu"elle avait ajouté cette note en janvier ou février 1998, avant de signer son affidavit mais après qu"il a été répondu à la demande d"accès à l"information. Elle a, semble-t-il, daté la note de façon à ce que cela corresponde à la date à laquelle elle a avisé l"auteur du courriel qu"elle avait confondu le dossier de M. Malkine et celui d"un autre banquier russe qui avait un nom similaire et qui avait envoyé les documents requis. Même si elle savait qu"elle ne devait pas modifier le dossier, elle a décidé d"y ajouter la note pour s"assurer que l"auteur du courriel se souvienne que cela s"était produit. Elle a admis, lorsqu"elle a été contre-interrogée relativement à son affidavit, qu"elle n"aurait pas dû ajouter la note au dossier certifié. À mon avis, cette note, de même que le moment auquel l"agente l"a inscrite au dossier, après avoir rendu sa décision défavorable, fait également douter du caractère équitable du processus qui a été suivi en l"espèce. La note introduit une certaine confusion dans le dossier pour ce qui est de la question de savoir quand le consulat a reçu la preuve documentaire que le demandeur lui a envoyée, bien que cette preuve ait, semble-t-il, été considérée seulement après que l"agente a rendu sa décision initiale de rejeter la demande, en décembre 1997.


La conclusion

[31]      À mon avis, le dossier établit qu"une erreur justifiant l"intervention de la Cour a été commise dans la présente affaire. L"agente des visas a commis une erreur lorsqu"elle a conclu que le demandeur n"était pas visé par la définition d"" entrepreneur " en se fondant en partie sur sa conclusion qu"il n"avait pas établi qu"il était en mesure de [TRADUCTION] " résider de façon permanente au Canada ". Elle a également commis une erreur, en ce qui concerne son obligation d"agir équitablement, lorsqu"elle a omis d"aviser le demandeur qu"elle était préoccupée par le fait qu"il semblait exister une tendance parmi les banquiers russes de chercher à obtenir le droit de résider au Canada " par souci de commodité " et de lui permettre d"y répondre avant qu"elle ne tranche sa demande. Dans les circonstances de la présente affaire, l"agente a également commis une erreur lorsqu"elle a omis d"aviser le demandeur ou son avocat qu"elle avait attendu pendant longtemps, soit deux années et demie, que d"autres éléments de preuve établissant l"expérience du demandeur en affaires lui soient fournis, et lorsqu"elle a informé ce dernier que, pendant tout ce temps, elle attendait seulement que des renseignements provenant de vérifications d"antécédents lui soient fournis.

[32]      Dans les circonstances, la Cour accueille la demande et ordonne que la décision de l"agente des visas soit annulée et que l"affaire soit renvoyée à un autre agent pour qu"il l"examine à son tour. Des dépens sont adjugés au demandeur sur la base habituelle de frais entre parties.

[33]      Aucune question à certifier pour examen par la Cour d"appel n"a été proposée en vertu du paragraphe 83(1); aucune question n"est donc certifiée.


" W. Andrew MacKay "

                                         J U G E

OTTAWA (Ontario)

Le 18 octobre 1999.









Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-423-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Vitali Borisovich Malkine c. Le ministre de la                          Citoyenneté et de l"Immigration

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 16 août 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :                  18 octobre 1999



ONT COMPARU :


M. Joseph Young                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Mme Geraldine MacDonald                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. Joseph Young                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)


M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      DORS/78-172, par. 2(1), modifié.

2      [1982] 2 R.C.S. 2.

3      L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée.

4      Supra, note 1.

     [1993] J.C.F. no 582, 20 Imm. L.R. (2d) 290 (1re inst.).

     La personne qui a le statut de résidente permanente, tel que la Loi la définit, a obtenu le droit de s"établir au pays, mais elle n"est pas devenue citoyenne canadienne. Elle ne doit pas cesser d"être une résidente permanente en quittant le Canada ou en demeurant à l"étranger avec l"intention de cesser d"y résider de façon permanente. Elle peut être réputée avoir eu cette intention si elle est demeurée à l"étranger pendant 183 jours au cours de toute période de 12 mois. Voir la Loi , précitée, à la note 3, art. 2 et 24.

     Le demandeur a obtenu des copies des notes en présentant une demande d"accès à l"information. Il importe de souligner que les documents que le consulat canadien a soumis au Greffe ne contiennent pas cette phrase. Le consulat a expliqué au Greffe qu"il avait éliminé une partie du contenu de ces documents. Aucune annotation ne permet de déduire que cette phrase a été radiée. Il semble plutôt qu"elle ait été complètement éliminée des notes. Un tribunal qui fait parvenir un dossier dont le décideur était saisi a l"obligation de fournir le dossier en entier.

     (1994), 26 Imm. L.R. (2d) 317, [1994] J.C.F. no 2000 (1re inst.).

     (1994), 170 N.R. 238, [1994] J.C.F. no 1299 (C.A.).

     (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 281, [1996] J.C.F. no 1460 (1re inst.).

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