Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20021202

Dossier : T-660-02

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2002.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                    ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                             APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL INDUSTRIES LTD.

                                                    et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                     ORDONNANCE

La requête est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

Carolyn A. Lauden-Stevenson

Juge

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


Date : 20021202

Dossier : T-660-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1250

ENTRE :

                                                    ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                             APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL INDUSTRIES LTD.

                                                    et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                 La défenderesse Apotex Inc. (Apotex) demande à la Cour d'annuler l'ordonnance du protonotaire datée du 27 août 2002 rejetant sa requête visant à obtenir le rejet de la demande d'Astrazeneca AB et Astrazeneca Canada Inc. (Astrazeneca). Invoquant l'alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), DORS/93-133, modifié dans DORS/98-166 et DORS/99-379 (le Règlement), Apotex demande à la Cour de rejeter la demande d'Astrazeneca au motif qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire, ou qu'elle constitue un abus de procédure.

[2]                 La demande d'Astrazeneca vise l'obtention d'une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer à Apotex un avis de conformité (AC) relativement à ses comprimés d'Apo-oméprazole jusqu'à l'expiration du brevet canadien no 1,338,377 (le brevet 377).

[3]                 Le brevet 377 revendique une préparation constituée d'un composé de benzimidazole, d'un sel inorganique basique (de potassium, de sodium et d'aluminium) jouant le rôle d'agent stabilisant et d'un enrobage gastro-résistant. Le 4 mars 2002, Apotex a déposé, relativement aux comprimés de 10, 20 et 40 mg d'oméprazole, un avis d'allégation (AA) selon lequel aucune revendication portant sur le médicament lui-même ou sur l'utilisation du médicament visé par le brevet 377 ne serait contrefaite par la production, la fabrication, l'utilisation ou la vente de ses comprimés d'oméprazole. Plus précisément, Apotex a fait valoir que ses comprimés échappaient à la portée de toute revendication du brevet 377 et, en particulier, qu'ils ne renfermaient aucun des agents stabilisants mentionnés dans le brevet.


[4]                 Le 23 avril 2002, Astrazeneca a demandé une ordonnance d'interdiction pour quatre motifs : premièrement, le produit d'Apotex renfermerait l'un des agents stabilisants visés par le brevet, deuxièmement, au moment considéré, Apotex n'avait pas saisi le ministre d'une présentation de drogue nouvelle (PDN) comme l'exigeait le Règlement, troisièmement, l'AA ne respecte pas le Règlement, Apotex ayant omis d'identifier le médicament ou l'ingrédient actif contenu dans ses comprimés et, quatrièmement, les principes de la chose jugée, de l'abus de procédure et de l'irrecevabilité empêchent Apotex de s'appuyer sur l'AA. Astrazeneca a déposé deux affidavits à l'appui de sa demande.      

[5]                 En réponse, Apotex a produit l'affidavit de son président, le Dr Bernard Sherman. Ce dernier déclare que la PDN d'Apotex a été déposée avant la signification de l'AA et que toute allégation semblable antérieure signifiée par Apotex a été retirée en raison de difficultés d'observation du Règlement. Le déposant a joint à son affidavit un témoignage antérieur et des documents concernant ces difficultés. Enfin, il a indiqué que les comprimés d'Apotex ne renfermeront pas d'agent stabilisant visé par le brevet 377.

[6]                 Par avis de requête daté du 24 juin 2002, Apotex a demandé le rejet, par jugement sommaire, de la demande d'Astrazeneca. Le protonotaire a entendu la requête le 12 août 2002. Il est arrivé à la conclusion qu'elle n'avait aucune chance d'être accueillie. L'essentiel de son raisonnement figure dans l'extrait suivant de son ordonnance datée du 27 août :

[TRADUCTION] Bien que les observations d'Apotex concernant les trois premiers motifs énumérés précédemment soient convaincantes, je ne puis conclure, à partir de la preuve dont je suis saisi, que la demanderesse n'a aucune chance d'avoir gain de cause quant au dernier motif, savoir que l'avis d'allégation constitue un abus de procédure. La demanderesse allègue que l'avis d'allégation n'est ni séparé ni distinct des allégations antérieures formulées par Apotex dans les dossiers T-180-98 et 179-98 et selon lesquelles ses comprimés ne renfermeraient aucun sel mentionné dans le brevet 377. À mon avis, les faits de la présente instance, qui met en cause la crédibilité du témoin d'Apotex, se distinguent de ceux des dossiers T-1747-00 (juge Blais) et T-2026-99 (juge McKeown), dans lesquels la Cour a pu conclure que les instances engagées précédemment par Apotex n'avaient fait l'objet d'un désistement qu'à cause de difficultés éprouvées par Apotex.


[7]                 Les parties conviennent que la décision du protonotaire de rejeter ou non une demande présentée en application de l'alinéa 6(5)b) du Règlement est cruciale quant à l'issue ultime de l'instance, cette décision étant susceptible de sceller le sort de celle-ci. En conséquence, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, et le juge saisi d'une demande de contrôle judiciaire doit examiner les questions en litige dans le cadre d'une instruction de novo : Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

[8]                 Ce n'est que dans des cas très exceptionnels qu'un avis de demande sera radié, c'est-à-dire lorsque la demande est manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. et al., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.). Apotex doit donc établir la futilité de chacun des motifs invoqués par Astrazeneca.

[9]                 J'examinerai tout d'abord le motif sur lequel le protonotaire a fondé sa décision, c.-à-d. que la demanderesse n'a aucune chance d'établir que l'AA constitue un abus de procédure. Selon la demanderesse, Apotex ne saurait invoquer l'AA compte tenu des AA antérieurs ayant donné lieu à l'instance dans les dossiers T-179-98 et T-180-98.


[10]            Les 17 et 18 décembre 1997, Apotex a signifié deux AA relativement aux comprimés d'oméprazole et aux comprimés de magnésium d'oméprazole. En réponse à ces AA, des demandes d'interdiction ont été présentées dans les dossiers susmentionnés. Depuis, Apotex dit avoir eu du mal à respecter les exigences en matière de santé et de sécurité établies par laLoi sur les aliments et drogues et son règlement d'application. L'avocat d'Apotex s'est mis en rapport ave celui des demanderesses et, finalement, ils ont convenu du retrait des deux AA. Dans une ordonnance datée du 18 mai 1999, la Cour fédérale du Canada a présumé que les AA ayant donné naissance aux instances avaient été retirés et que les demandes avaient fait l'objet d'un désistement. Fait à signaler, même si Astrazeneca reconnaît que le Dr Sherman a témoigné que les avis antérieurs avaient été retirés à cause de difficultés liées à la formulation, elle maintient que, en contre-interrogatoire, le Dr Sherman n'a pas été en mesure de donner des précisions sur le moment où ces difficultés sont survenues et qu'il n'était pas disposé à le faire, se contentant d'affirmer que la formulation pose toujours des difficultés jusqu'à ce que le produit soit présentable au ministre.


[11]            Au moment où l'entente est intervenue, Astrazeneca n'a pas demandé qu'il soit interdit à Apotex de signifier un nouvel AA en liaison avec le brevet 377, ni fait en sorte qu'il s'agisse de l'une des conditions de l'ordonnance. Astrazeneca n'a pas non plus donné à Apotex l'assurance que, si cette dernière déposait un nouvel AA, elle n'invoquerait pas l'abus de procédure au motif qu'un fabricant de produits génériques ne peut contester à nouveau une allégation sur le fondement d'éléments de droit et de fait invoqués dans une instance antérieure ou qu'il soulève des questions qui auraient pu l'être précédemment. En résumé, Astrazeneca allègue que l'AA constitue un abus de procédure en ce qu'il ne se distingue pas des allégations antérieures. Astrazeneca fait valoir que, dans les instances antérieures susmentionnées, Apotex a fait exactement la même allégation selon laquelle ses comprimés ne renfermeront aucun sel mentionné dans le brevet 377. L'actuel AA ne constitue donc pas une allégation au sens du Règlement.

[12]            Apotex soutient qu'il est bien établi en droit que signifier à nouveau un AA retiré précédemment à cause de difficultés liées au respect des exigences réglementaires ne constitue pas un abus de procédure. Elle fait valoir que dans trois décisions distinctes portant sur le même médicament et mettant en cause les mêmes parties et les mêmes avocats qu'en l'espèce, la Cour fédérale a statué que le fait, pour Apotex, de signifier à nouveau un AA qui avait été retiré ne constituait pas un abus de procédure. Apotex prétend avec vigueur que les faits de l'espèce ne diffèrent en rien de ceux des instances antérieures, que ces dernières sont en tous points identiques et que la preuve y afférente est précisément la même. Il serait donc manifeste, selon Apotex, que la demande n'a aucune chance d'être accueillie et que le protonotaire a commis une erreur de droit en concluant le contraire.

[13]            Astrazeneca dit pour sa part que les instances antérieures auxquelles renvoie Apotex n'étaient pas identiques. L'une portait sur des brevets et des faits différents. Dans l'autre, une entente était intervenue entre les parties concernant le dépôt d'une nouvelle allégation relativement à des gélules (et non à des comprimés) et l'entente limitait jusqu'à un certain point le droit d'Astrazeneca d'invoquer l'abus de procédure. Tel n'est pas le cas en l'espèce. De plus, Astrazeneca fait valoir que la décision au fond s'appuyait sur des faits sensiblement différents de ceux de la présente espèce. Plus précisément, le témoignage du Dr Sherman portait sur des gélules, et non sur des comprimés, et le témoin n'a pas été contre-interrogé comme en l'espèce.


[14]            Astrazeneca dit que le témoignage du Dr Sherman n'est pas crédible et que la Cour doit faire abstraction de l'appui qu'il donne à la thèse d'Apotex : le témoin a un intérêt personnel dans l'issue de l'instance, il n'a ni les connaissances ni l'expertise nécessaires pour interpréter le mot « sels » employé dans le brevet 377, son affirmation selon laquelle les comprimés ne renfermeront aucun sel visé par ce brevet n'est pas crédible et va directement à l'encontre de la monographie d'Apotex, sa position actuelle selon laquelle la présence d'un agent stabilisant dans l'enrobage gastro-résistant n'est pas pertinent est incompatible avec l'affirmation contenue dans l'allégation antérieure, son témoignage dans une autre instance connexe au sujet de l'absence de toute mention de l'administration concomitante d'oméprazole et d'un antibiotique est directement contredit par la teneur d'un document produit subséquemment par Apotex, il a reconnu ne pas pouvoir confirmer que toutes ses déclarations étaient nécessairement exactes et son témoignage a déjà été écarté faute de crédibilité. Astrazeneca prétend que la question de la crédibilité du témoignage du Dr Sherman se pose sérieusement et que, pour trancher, la Cour doit tirer une conclusion de fait, ce que seul le juge saisi de la demande peut et doit faire, car il ne convient pas de statuer sur la crédibilité dans le cadre d'une requête pour rejet par jugement sommaire.


[15]            La Cour ne saurait se prononcer sur le fond d'une demande dans le cadre d'une requête pour rejet fondée sur l'alinéa 6(5)b) du Règlement. Il incombe au juge des requêtes de décider si la demande est manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie. L'issue dépendra en grande partie du témoignage du Dr Sherman en ce qui concerne l'allégation voulant que l'AA constitue un abus de procédure. La crédibilité du témoignage est importante, celui-ci portant directement sur plusieurs questions, dont celle de savoir si les AA antérieurs ont été retirés à cause de difficultés liées au respect des exigences réglementaires n'est pas la moindre. Astrazeneca a fait état d'un certain nombre de différences entre les instances antérieures et la présente instance, les principales étant selon moi le contre-interrogatoire du Dr Sherman et le doute soulevé quant à sa crédibilité. Je ne puis conclure, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, même si la plaidoirie a duré plus de quatre heures un jour d'audience générale, que la demande est manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie. Apotex n'a pas réussi à m'en convaincre. Je n'ai donc pas besoin d'examiner les autres motifs invoqués.

[16]            La requête est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

          Carolyn A. Layden-Stevenson    

     Juge

Ottawa (Ontario)

2 décembre 2002

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

           Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            T-660-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :             ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                              demanderesse

- et -

APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL

INDUSTRIES LTD. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                   défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE        :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 28 OCTOBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

PAR :                                                     LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                        2 DÉCEMBRE 2002

ONT COMPARU :                               Me Gaikis

                                                                                          pour la demanderesse

Me Brodkin      

pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU

AU DOSSIER :                                    Gunars Gaikis

Smart and Biggar

Toronto (Ontario)

pour la partie demanderesse

Andrew Brodkin

Goodmans, s.r.l.

Toronto (Ontario)

pour la partie défenderesse


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.