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Date : 20030919

Dossier : T-166-00

Référence : 2003 CF 1080

ENTRE :

                      LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                    Partie demanderesse

ET:

                                                        WALTER OBODZINSKY

                                     (Alias Wlodzimierz ou Volodya Obodzinsky)

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                           MOTIFS DU RENVOI

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION

[1]                La Cour est saisie d'un renvoi demandé le 23 août 1999, par Walter Obodzinsky, né en Biélorussie et citoyen canadien depuis 1955.


[2]                Cette demande de renvoi est exercée par le défendeur en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la citoyenneté, 1976, (la « loi » ) telle que rédigée avant sa modification en 2001, suite à la réception par lui d'un avis ( « l'avis » ) prévu au paragraphe 18(1) de la loi émis le 29 juillet 1999 par la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (la « ministre » ) indiquant son intention selon l'article 10 de cette même loi de faire rapport au gouverneur en conseil que M. Obodzinsky a été admis au Canada avec droit d'établissement en résidence permanente et a acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[3]                Les articles 10 et 18 de la loi se lisent:



10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté ;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour ;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(3) La décision de la cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel. [je souligne]

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

(a) the person ceases to be a citizen, or

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation of fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

(a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or

(b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.

(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.


[4]                La jurisprudence établit clairement que la nature de la fonction du juge d'un renvoi sous la loi est de « colliger la preuve des faits entourant l'acquisition de la citoyenneté [du défendeur] en vue de déterminer si elle a été obtenue par des moyens dolosifs » (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2002) CAF 518, paragraphe 15).                                                                                    

[5]                Le juge Linden dans Canada (Secretary of State) v. Luitjens (1992), 142 N.R. 173 (C.A.F.) écrit au paragraphe 8 que « [A]ll that was decided by the trial judge was the fact that Mr. Luitjens obtained his Canadian citizenship by false representations...it is merely one stage of a proceeding which may or may not result in a final revocation of citizenship and deportation or extradition » .


[6]                Au même effet est la décision du juge Strayer dans Canada (Minister of Citizenship and Immigration v. Fast, [2001] C.A.F 373, lorsqu'il indique que la procédure de renvoi sous l'article 18 de la loi « concerne uniquement des conclusions de faits et qu'aucune décision n'est rendue quant à des droits » puisque sous la loi, avant sa modification, le juge des faits n'avait aucun pouvoir de révoquer la citoyenneté d'un individu.

[7]                Il est aussi bien reconnu que c'est à la ministre que revient le fardeau d'établir qu'un défendeur a acquis sa citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels et que la suffisance de la preuve de la ministre est jugée sur la balance des probabilités (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Bogutin, [1998] F.C.J. No. 211).

[8]                Déterminer un fait sur la balance des probabilités signifie que le juge des faits décide que la preuve est telle que le tribunal peut conclure qu'il est plus probable que le fardeau a été rencontré. En autres mots le juge doit déterminer que l'existence d'un fait contesté est plus probable que son inexistence. Voir La Loi sur la preuve, Sopinka et al, 1992, p. 143.


[9]                Comme l'explique Jean-Claude Royer dans son texte La preuve civile, les Éditions Yvon Blais, 1987, au paragraphe 166, en matière civile le tribunal décide sur la balance des probabilités « . . . c'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées . . . à la lumière de ce que relèvent les faits les plus probables. Pour remplir son obligation de convaincre, un plaideur doit établir suffisamment d'éléments pour rendre non seulement possible mais probable l'acte ou le fait juridique litigieux » .

LA TOILE DE FOND

1)         L'avis

[10]            Les motifs exprimés par la Ministre Robillard dans l'avis qu'elle fait parvenir au défendeur sont les suivants:

Vous avez été admis au Canada avec droit d'établissement en résidence permanente et avez acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, ayant omis de révéler aux autorités canadiennes chargées de la sélection des demandeurs vos activités au cours de la Seconde Guerre mondiale, notamment :

•                Votre collaboration avec les autorités d'occupation allemandes de ce qui constitue maintenant la Biélorussie (ou Belarus);

•                Vos liens avec le service de police auxiliaire autochtone organisé par les Allemands du district de Mir qui devint la Schutzmannschaft, qui a été impliqué dans la déportation et le massacre de civils juifs et non-juifs du district de Mir;

•               Vos liens avec une unité de lutte contre les partisans réunie en 1943 dans la ville de Baranovicze qui a été impliqué dans la déportation et le massacre de civils dans ce qui constitue maintenant la Biélorussie;

•               Vos liens avec la 30.Waffen-Grenadier-Division der SS;

ou

•               Diverses autres activités auxquelles vous avez été mêlé qui vous rendaient inadmissible et vous interdisaient l'entrée au Canada. [je souligne]


2)         La déclaration

[11]            Suite à la demande de Walter Obodzinsky que la ministre saisisse la Cour de l'affaire, celle-ci prend action, par moyen d'une déclaration, contre lui le 1er février 2000.

[12]            D'après la déclaration, le défendeur est né le 7 mai 1919 dans le village de Turez, dans le district de Mir, une région qui entre 1921 et 1939 faisait partie de la Pologne avant de passer sous l'emprise de l'Union des Républiques socialistes soviétiques ( « URSS » ) en 1939, conséquence de l'Entente Molotov-Ribbentrop. Ce territoire fut par la suite envahi par les troupes allemandes le 22 juin 1941, qui après un blitzkrieg l'occupait déjà fin juin 1941, une occupation qui prend fin au milieu de 1944 lorsque l'Armée rouge chasse les envahisseurs.

[13]            La ministre prétend que durant l'été 1941, le défendeur s'est volontairement joint, en tant que policier, à l'unité de police auxiliaire formée dans le district de Mir par l'administration militaire d'occupation allemande et qu'il a continué d'exercer les fonctions de policier lorsque les Schutzmannschaften du district de Mir, unités stationnaires au niveau des villages, furent établis durant l'automne 1941 par l'occupation civile allemande qui prenait la relève des militaires.


[14]          Heinrich Himmler, commandant suprême des SS (Schutztaffel) et de la police allemande, s'est vu confier en grande partie la responsabilité du maintien de la sécurité et de l'ordre dans les nouveaux territoires occupés relevant de la juridiction civile d'occupation allemande. C'est Himmler qui, d'après la déclaration, ordonna la formation d'unités de police auxiliaire formées de volontaires issus de la population locale, subordonnées et intégrées à la structure des SS et de la police allemande.

[15]            Le rôle des Schutzmannschaften était d'appuyer les autorités allemandes dans les territoires occupés: 1) assurer l'ordre, la sécurité et le contrôle, 2) combattre les partisans, et 3) mettre en oeuvre les politiques allemandes d'occupation, telles que l'exploitation des ressources naturelles et humaines et l'extermination systématique des ennemis politiques et raciaux du Reich, dont notamment les Communistes et les Juifs.

[16]            Les Schutzmannschaften étaient commandés et supervisés par un petit nombre d'officiers de la police allemande (la « Gendarmerie » ).

[17]            La déclaration allègue qu'en 1941, le défendeur était stationné dans les villages de Turez et de Jeremichi, et qu'il a été muté au poste de Schutzmannschaft de la ville de Mir en août 1942 où il continuait d'exercer les fonctions de policier.

[18]            Le paragraphe 21 de la déclaration est important puisqu'il décrit le rôle à l'époque des policiers locaux du district de Mir dans la participation à certaines atrocités dont les suivantes:


21.            Les policiers locaux du district de Mir, à l'époque où le défendeur en était un, ont participé à la commission d'atrocités, dont notamment celles mentionnées ci-après:

a)             Dès la mise sur pied de l'unité de police auxiliaire dans le district de Mir, durant l'été 1941, les policiers locaux ont participé à la saisie des biens, à l'exploitation, au mauvais traitement, au harcèlement et à l'humiliation de la population juive;

b)             Plus tard les policiers locaux du district de Mir ont pris part à l'exécution de civils juifs et non-juifs. Plus particulièrement, le 28 octobre 1941, à Turez, des policiers locaux ordonnèrent à environ une douzaine de Juifs de creuser une large fosse à l'intérieur du cimetière juif. Les autres Juifs de Turez reçurent l'ordre de se rassembler au village, à la place du marché. Environ cinquante-sept hommes et femmes juifs furent choisis et escortés jusqu'au cimetière, où il leur fut ordonné de se déshabiller. Après avoir été séparés en trois groupes, ils furent alignés face au bord de la fosse et fusillés par les policiers locaux;

c)             Le 4 novembre 1941, des Allemands et des policiers locaux forcèrent les Juifs de Jeremitsche, qui étaient environ au nombre de cent, à se rendre à une fosse creusée à l'extrémité du village, à se dévêtir et à s'étendre dans la fosse. Ils furent ensuite fusillés par les policiers locaux et quelques Allemands tous alignés sur le côté de la fosse;

d)             Plus tard, le même jour, le reste de la population juive de Turez, comprenant entre 500 et 600 hommes, femmes et enfants, reçut l'ordre de se rassembler dans la grande place. Environ cent Juifs furent sélectionnés pour déportation vers un camp de travail, soit une scierie dans le village de Nowy Swierschen. Les autres Juifs furent fusillés par des Allemands et des policiers locaux du district de Mir, après qu'on leur eut ordonné de s'étendre dans une fosse creusée dans le cimetière juif du village;

e)             Le 9 novembre 1941, environ 1 500 habitants juifs de la ville de Mir furent exécutés par les Allemands et les policiers locaux. Tous les postes de l'unité de police auxiliaire du district de Mir participèrent à ce grand massacre;

f)             Les Juifs de Mir qui survécurent à cette tuerie furent confinés à demeurer dans une partie limitée de cette ville. En mai 1942, ils furent transférés au ghetto créé dans le château Mirsky situé dans la ville de Mir.

g)             Le 13 août 1942, les Allemands, aidés des membres du Schutzmannschaft du district de Mir, tuèrent tous les Juifs demeurant au ghetto du château de Mirsky, soit environ 560 personnes;


h)             Certains Juifs avaient cependant réussi à s'évader du château quelques jours avant la liquidation du ghetto. Dans les semaines suivantes, les membres du Schutzmannschaft, du district de Mir ont patrouillé la région avoisinante à la recherche des Juifs qui s'étaient échappés du château. Environ soixante-cinq Juifs furent ainsi capturés puis exécutés;

[19]            Selon la ministre, la police auxiliaire du district de Mir fut impliquée dans la lutte contre les partisans. La déclaration mentionne un raid sur Lyadki le 13 janvier 1943 où une escouade d'exécution allait de maison en maison, la police auxiliaire assurant la garde et que le 7 mars 1943, plusieurs villages furent incendiés et un grand nombre de civils tués.

[20]            La participation du défendeur comme membre du Jagdzug Baranowitsche (le « Jagdzug » ), constitue un nouvel aspect de la prétendue collaboration de Walter Obodzinsky avec les occupants allemands. Cette formation aurait commis des atrocités à l'endroit de la population locale et, en particulier, lors de sa lutte contre les partisans. L'adhésion volontaire du défendeur au Jagdzug comme chef de peloton, se situe en avril ou mai 1943.


[21]            La déclaration détaille certaines opérations du Jagdzug. Le Jagdzug combattit pour la première fois en juillet 1943 en tant que sous-unité du groupe de combat von Gottberg durant l'opération Hermann, une des offensives majeures des Allemands et des policiers locaux contre les partisans. « Ces opérations visaient à rendre de larges régions inhabitables en brûlant des villages, en tuant les présumés partisans et en déportant le reste de la population vers des camps de travaux forcés. Durant l'opération Hermann, le Jagdzug était rattaché au bataillon Schutzmannschaft 57 » (paragraphe 24 de la déclaration).

[22]            L'opération Hermann causa des pertes humaines importantes se chiffrant à plus de 4 000 civils tués et plus de 20 000 hommes, femmes et enfants déportés vers des camps de travaux forcés. De plus, durant la période de l'été 1943 à juin 1944, le Jagdzug participa à de nombreuses patrouilles et opérations visant à combattre les partisans.

[23]            La troisième étape du périple du défendeur avec les Allemands, commence, allègue la déclaration, fin juin 1944 lorsque plusieurs membres du Schutzmannschaft du district de Mir et du Jagdzug, y compris le défendeur, se sont repliés à l'Ouest avec les Allemands fuyant l'avance de l'Armée rouge. Ils se sont regroupés dans la région d'Ostenburg pour ensuite se déplacer à Rosenberg, un camp d'entraînement militaire au nord de Schwerin en Allemagne où les différentes unités furent dissoutes et intégrées dans le 30 Waffen-Grenadier-Division der SS ( « 30e Waffen SS » ).

[24]            C'est vers le 22 août 1944 que le défendeur au sein de sa nouvelle unité aurait été transféré en France. Peu de temps après, M. Obodzinsky et plusieurs autres membres d'origine polonaise du 30e Waffen SS, désertent et rejoignent la Résistance française.

[25]            Quatre semaines après ces événements, la ministre soutient que le défendeur et ses compatriotes furent invités à faire partie du Second Corps polonais, à l'époque sous commandement britannique, une armée formée en 1942 en URSS quand les Soviétiques ont permis à certains prisonniers de guerre ou des déportés polonais de quitter l'URSS suite à l'opération Barbarossa.

[26]            Après son enrôlement jusqu'en novembre 1946, le défendeur se retrouve en Italie avec le Second Corps polonais.

[27]            Le Canada, en 1946, accepta d'accueillir 4 000 ex-membres des Forces armées polonaises qui avaient servi au côté des Alliés. Ce programme spécial et unique fut sanctionné par le décret du Conseil privé, C.P. 3112, du 23 juillet 1946 (le « décret » ).

[28]            Le décret C.P. 3112 crée une équipe de sélection (la « Mission » ) et lui donne son mandat. Les dispositions pertinentes du décret dont seulement la version anglaise a été déposée en preuve, se lisent:

                              AT THE GOVERNMENT HOUSE AT OTTAWA

                                       TUESDAY, the 23rd day of JULY, 1946.

                                                               PRESENT:

HIS EXCELLENCY,

THE GOVERNOR GENERAL IN COUNCIL:

WHEREAS there exists in Canada an acute shortage of suitable labour for agricultural employment;


AND WHEREAS the Minister of Labour and the Minister of Mines and Resources represent that it is considered necessary to make provision for the early acquisition of suitable labour for agricultural employment;

AND WHEREAS the Minister of Mines and Resources proposes to permit entry into Canada under the authority of the Immigration Act of 4,000 single ex-members of the Polish Armed Forces who served with the Allied Forces engaged in hostilities against the Axis powers and who are presently located in the United Kingdom and Italy and are qualified for and willing to undertake agricultural employment in Canada;

AND WHEREAS the Minister of Labour and the Minister of Mines and Resources represent that it is considered desirable that provision be made for the selection and examination overseas of men for entry into Canada as aforesaid, to settle the conditions relative to their employment in agriculture in Canada, to provide for their placement in employment and for their supervision and welfare while so employed;

NOW, THEREFORE, His Excellency the Governor General in Council, on the joint recommendation of the Minister of Labour and the Minister of Mines and Resources is pleased to order and doth hereby order as follows:-

1.             The Minister of Labour is hereby authorized

    (a)        by arrangement with the Departments concerned to send representatives of the Departments of Mines and Resources and Labour and the Royal Canadian Mounted Police to the United Kingdom and Italy to interview and examine persons of the above-mentioned description for the purpose of selecting 4,000 of such persons for agricultural employment in Canada and to pay the necessary transportation and living expenses of such representatives while so engaged;

                                                                      . . .

3.             Each person permitted entry into Canada as aforesaid shall be granted permanent admission to Canada upon due fulfilment and observance by him of the terms and conditions of the undertaking given by him pursuant to Section 2 of this Order and if otherwise eligible to enter or remain in Canada under the Immigration Act. [je souligne]


[29]            La Mission, composée de deux médecins, deux membres de la Gendarmerie royale du Canada ( « GRC » ) et deux fonctionnaires du Service national de placement, arrive en Italie le 20 août 1946. Selon la ministre, le processus de sélection était le suivant:

36.           Le processus de sélection auquel le défendeur dut se soumettre, en vertu du décret du Conseil privé susmentionné, comportait plusieurs étapes. À chacune d'elles, le défendeur devait être en possession de son formulaire de demande d'immigration en polonais, d'une traduction anglaise de ce formulaire, ainsi que de son carnet militaire confidentiel du Second Corps Polonais.

37.           Tous les candidats devaient rencontrer les agents médicaux, les agents du Service national de placement, et finalement les agents de la GRC. Ils devaient passer avec succès chacune des étapes afin d'être sélectionnés pour entrer au Canada.

38.           Les agents de la GRC ont rencontré les candidats et ces derniers ont dû présenter leur carnet militaire et leur formulaire de demande d'immigration. En compagnie d'un interprète, les agents de la GRC ont questionné les candidats sur les circonstances dans lesquelles ils se sont joints au Second Corps Polonais et sur leurs antécédents et leurs activités avant de s'y joindre.

39.           L'examen était plus rigoureux dans le cas de candidats qui avaient servi avec les Allemands avant leur enrôlement dans le Second Corps Polonais.

40.           Les agents de la GRC voulaient savoir, notamment, si les candidats qui ont servi avec les Allemands pouvaient être considérés comme s'étant volontairement joints aux forces de sécurité allemandes. Dans l'affirmative, les candidats étaient rejetés. [je souligne]

[30]            La dissimulation reprochée au défendeur est d'avoir caché aux agents de la GRC:                                                          

4(a)          son enrôlement volontaire dans une unité de police auxiliaire établie par l'administration militaire d'occupation allemande et dans le Schutzmannschaft du district de Mir;

b)             son appartenance à une unité de police auxiliaire établie par l'administration militaire d'occupation allemande, au Schutzmannschaft du district de Mir, au Jagdzug Baranowitsche et au 30e Waffen SS; et

c)             ses activités au sein de ces organisations.

[31]            La ministre affirme que le défendeur a fourni aux agents de la GRC un carnet militaire « contenant des informations fausses et trompeuses en ce que ce document indiquait seulement que le défendeur avait été dans l'Armée allemande du 3 février 1944 au 7 mai 1944 » (paragraphe 42 de la déclaration).

[32]            La ministre prétend qu'en raison « des fausses représentations du défendeur et de sa dissimulation intentionnelle de faits majeurs concernant ses antécédents et activités pendant la guerre, les autorités canadiennes furent privées de renseignements essentiels qui leur auraient permis de valablement déterminer l'admissibilité du défendeur au Canada en connaissance de cause » et qu'il « n'aurait pas été admis au Canada si ses associations avec diverses unités subordonnées aux Allemands et ses activités pendant la guerre avaient été connues des agents de la GRC » (paragraphes 43 et 44 de la déclaration).


[33]            De plus, « [À] l'époque où le défendeur a fait sa demande pour obtenir la citoyenneté canadienne, la bonne moralité et l'acquisition d'un domicile canadien étaient deux des conditions essentielles auxquelles une personne devait satisfaire pour se voir octroyer la citoyenneté canadienne » mais que le défendeur « s'est présenté aux autorités canadiennes comme étant une personne de bonne moralité, malgré ses activités pendant la guerre, notamment sa collaboration avec le régime nazi » par son enrôlement volontaire et son appartenance dans la police auxiliaire du district de Mir et le Jagdzug ainsi que ses activités au sein de ces organisations (paragraphes 45 et 46 de la déclaration).

[34]            La ministre plaide que le défendeur, dans le cadre de sa demande de citoyenneté, s'est également présenté comme une personne ayant acquis le domicile canadien, c'est-à-dire avoir été légalement admis au Canada afin d'acquérir le domicile canadien et qu'en raison de ses fausses déclarations et sa dissimulation intentionnelle de faits essentiels lors de sa demande de participation au programme agricole de 1946, il n'a pas été légalement admis au Canada et que, par conséquent, il n'a jamais acquis le domicile canadien et sa demande de citoyenneté ne satisfaisait pas aux conditions d'obtention prévues par la loi.

[35]            Les autorités canadiennes furent privées, la ministre allègue, de renseignements nécessaires leur permettant de valablement statuer sur la demande de citoyenneté du défendeur parce que ce dernier s'est faussement présenté comme une personne de bonne moralité et comme une personne ayant acquis le domicile canadien. Agissant comme tel, le défendeur a caché aux autorités canadiennes des renseignements qui auraient entraîné un refus de lui accorder la citoyenneté canadienne.


3)         La défense

[36]            Après un examen au préalable avant défense et suite à une demande de sursis permanent qui fut entendue et rejetée par le juge Nadon, alors juge de la Division de première instance de cette Cour, appel rejeté par la Cour d'appel fédérale et permission d'en appeler refusée par la Cour suprême du Canada, Walter Obodzinsky dépose sa défense le 15 juillet 2002.

[37]            Il reconnaît avoir été admis au Canada sur une base temporaire en novembre 1946 selon les conditions énoncées au décret 3112.

[38]            Il affirme que le 28 septembre 1946, le gouvernement canadien a émis une directive écrite finale (notamment à l'égard de la classe du défendeur), à la Mission qui établissait la position du gouvernement sur la sélection des Polonais du Second Corps.

[39]            Cette directive « établissait clairement que les instructions à suivre étaient que ces agents devaient accepter non seulement les Polonais qui avaient déserté des unités allemandes et qui avaient combattu contre les Allemands durant la Guerre mais aussi ceux ayant pris part à des activités hostiles aux Allemands, après avoir été capturés par les Alliés, alors qu'ils combattaient du côté allemand » [je souligne] (paragraphe 10 de la défense).

[40]            Selon la défense, « le seul groupe exclu était même précisé dans la dite directive et était celui qui avait rejoint le corps polonais après la fin des hostilités avec les Allemands » et qu'en conséquence, « le demandeur savait très bien, dès 1946, qu'il admettait des personnes qui avant d'être membre du Corps polonais avaient servi dans les unités allemandes, que ces unités soient des unités régulières ou des unités allemandes SS » avec résultat « même si les déclarations du demandeur [la ministre] étaient vraies, elles ne peuvent être reprochées au défendeur » [je souligne] (paragraphes 11, 12 et 14 de la défense).

[41]            Plusieurs défenses d'ordre juridiques ont été soulevées par Walter Obodzinsky en réponse à la conclusion recherchée par la ministre:

a)         Il allègue qu'il se trouve dans « l'incapacité de collaborer avec son procureur pour la préparation de sa défense; ses capacités étant atteintes ou diminuées au point de ne pas lui permettre de se défendre sans mettre sa vie et sa santé en danger; ne pouvant assister à aucune audience ou enquête; la continuation des procédures risquant de mettre en péril sa santé et sa vie par l'effet du stress en lui créant des douleurs angineuses répétées » , le tout ayant comme résultat que la poursuite du demandeur constitue un traitement cruel et inusité prohibé par l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ) (paragraphe 3 de la défense).


b)         Les dispositions législatives relatives à la procédure de révocation de citoyenneté, soit les articles 10 et 18 de la loi en corrélation avec la Loi sur l'Immigration contreviennent et sont incompatibles à certains articles de la Déclaration canadienne des droits (la « déclaration » ) de même qu'avec les articles 7, 12 et 15 de la Charte et doivent être déclarées inopérantes à l'égard du défendeur en ce que la loi ne prévoit pas d'audition complète devant un tribunal indépendant qui détermine le droit du citoyen attaqué en révocation de citoyenneté, n'assure pas le respect des règles de justice fondamentale, porte atteinte aux droits à l'égalité des citoyens naturalisés, est discriminatoire et expose les citoyens canadiens à un traitement prohibé par l'article 12 de la Charte.


c)         L'action contre Walter Obodzinsky est prise dans le cadre du Programme canadien contre les crimes de guerre, programme qui nie au défendeur, comme citoyen naturalisé, « l'application régulière de la loi et les mêmes bénéfices de la loi qu'aux citoyens canadiens de naissance qui ne sont pas ainsi l'objet d'une stratégie de lutte ou d'attaque de leur statut, pour des raisons politiques, ou des soupçons allégués de criminalité, de complicité dans des crimes de guerre ou crimes contre l'humanité » . Ce programme, de même que l'action contre le défendeur, « constituent à l'endroit des citoyens naturalisés et du défendeur des mesures de discrimination qui sont déclarées être, selon le programme lui-même, de nature punitives prises pour des motifs politiques et ou ethniques et ou en raison de l'appartenance réelle ou présumée à un certain groupe social et ou autres motifs analogues » , le tout contraire à l'article 15 de la Charte et des traitements prohibés par l'article 12 de celle-ci (paragraphes 5 et 6 de la défense).

d)         L'action de la ministre est prescrite selon la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ou selon la Loi sur la Cour fédérale et, de façon subsidiaire, elle est contraire à la doctrine d'inaction [latches]. La défense affirme que si la ministre l'ignorait avant, le 1er juillet 1993, elle a été informée que Walter Obodzinsky aurait prétendument fait partie, avant de se joindre au Second Corps polonais, d'une unité allemande le Jagdzug ou autres unités allemandes et que malgré cette connaissance, l'action n'a été déposée que le 1er février 2000 et est donc prescrite selon la loi.                                           


e)         Si tel n'était pas le cas, le défendeur soulève que la ministre « a tardé indûment à soulever sa cause d'action et qu'en conséquence, le défendeur . . . est trop malade pour se défendre, collaborer à sa défense, y participer et assister à son procès justifiant le rejet de l'action » et, au surplus, Citoyenneté et Immigration Canada ( « CIC » ) a détruit les dossiers d'immigration et de citoyenneté de cette époque, y inclus celui de Walter Obodzinsky et tous les agents de sélection sont morts (paragraphe 18 de la défense).

f)          Walter Obodzinsky allègue aussi qu'au moment de son admission temporaire et permanente, le Canada n'avait pas le pouvoir légal de refuser l'admission pour motifs de sécurité quand bien même des motifs de sécurité auraient existés, tels que ceux invoqués par la déclaration, c'est-à-dire l'appartenance à des unités allemandes SS ou comme membres de police auxiliaire ayant servi les unités allemandes SS et qu'en conséquence, il remplissait toutes les conditions du décret 3112, et donc l'action de la ministre est mal fondée.

g)         De plus, c'est en 1950 qu'il a été admis de façon permanente au Canada et il rencontrait toutes les conditions du décret 3112 et de la Loi sur l'Immigration.

h)         Au surplus, la défense prétend que la ministre est « aujourd'hui parfaitement informée par un témoin qui a immigré au Canada selon le PC3112 (et qui n'est pas ciblé dans le Programme Canadien concernant les crimes de guerre) qu'on ne lui a rien demandé de son passé avant de procéder à son admission selon le décret 3112 et avant de lui octroyer l'admission permanente, tel le défendeur » .


i)          La défense allègue qu'au moment de l'octroi de sa citoyenneté, Walter Obodzinsky remplissait toutes les conditions de bonne moralité prévues par la loi et dans l'alternative, l'allégation lui reprochant de ne pas avoir été une personne de bonne moralité lors de l'octroi de sa citoyenneté pour les motifs invoqués à la déclaration constitue une violation de l'article 15 de la Charte.

4)          Certaines procédures prises par le défendeur

[42]            Durant l'évolution de ce dossier, la procureur du défendeur a présenté à la Cour plusieurs requêtes dont je fais état maintenant comme éléments de fond qui serviront à l'appréciation de la preuve recueillie durant la Commission rogatoire (la « Commission » ) et durant le procès et aideront à la solution de certaines questions de droit.

a)         Requête pour suspension définitive des procédures

[43]            C'est le juge Nadon qui a entendu le 27 juin 2000 la requête du défendeur en vue d'obtenir une ordonnance de suspension définitive de l'action de la ministre et qui, dans un jugement motivé rendu le 12 octobre 2000, Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2000] A.C.F. no 1675, la rejette.

[44]            Cette requête s'appuyait sur les motifs suivants:


a)         l'état de santé de celui-ci qui ne lui permet pas de participer au procès;

b)         la divulgation tardive et incomplète de son dossier de citoyenneté;

c)         la non-divulgation de son dossier d'immigration détruit; et

d)         l'institution des procédures après un délai excessif.

[45]            Le juge Nadon reconnaît la preuve sur l'état de santé du défendeur, preuve non-contestée par la ministre, et conclut au paragraphe 9 que sa santé « est précaire et qu'il sera difficile, voire impossible, pour lui de participer activement aux procédures en cours sans aggraver son état » . Il rejette cependant l'argument du défendeur que la continuation des procédures, dans ces circonstances, constituerait un abus grave portant atteinte à l'intégrité du système judiciaire et créerait une injustice fondamentale et, qui en plus, entraînerait une violation à des principes de justice fondamentale prévus à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ).

[46]            S'appuyant sur le jugement de la Cour d'appel fédérale dans Canada (Secretary of State) v. Luitjens, précité, il juge que l'article 7 de la Charte ne s'applique pas aux procédures prescrites sous l'article 18 de la loi, aux motifs que cette procédure ne portait pas atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Il note dans l'affaire Luitjens, le juge de première instance, le juge Collier, avait simplement statué que M. Luitjens avait obtenu sa citoyenneté par fausse déclaration, une simple constatation de faits, constatation qui n'avait pas pour effet de lui retirer sa citoyenneté ou de le déporter ainsi portant atteinte ou menaçant son droit à la sécurité.


[47]            Le juge Nadon rejette, après une longue analyse, la prétention du défendeur que la continuation de la procédure de révocation constituerait un abus de procédure grave du fait « de le mettre en péril et de le soumettre à un processus au bout duquel sa citoyenneté risque d'être révoquée et ce, malgré son état de santé et l'impossibilité pour lui de se défendre » (paragraphe 15). Il estime que le principe d'abus grave de procédure, dans les circonstances en l'espèce, ne peut être engagé en l'absence de conduite répréhensible de l'État, ce qui n'est pas le cas d'après la preuve devant lui. De plus, il écarte l'argument du défendeur fondé sur le droit pénal s'appuyant sur une jurisprudence constante que la procédure intentée en vertu de l'article 18 de la loi est une procédure civile.

[48]            Quant à l'argument du défendeur fondé sur le délai d'institution de procédure, le défendeur avait soutenu, selon le juge Nadon, que ce délai lui avait été clairement préjudiciable car il est aujourd'hui trop malade pour se défendre. Par conséquent, le délai affecte son droit de se défendre ainsi que l'équité de l'audience à être tenue, et constitue un abus de la part de la demanderesse. Le juge Nadon écarte cette prétention en écrivant ceci au paragraphe 36 de ses motifs:

Certes, l'état de santé du défendeur s'aggrave avec le temps, mais cela est dû à la progression de ses problèmes cardiaques, et non au délai des procédures en l'espèce. Ce n'est, à mon avis, qu'une coïncidence que l'état de santé du défendeur soit tel qu'il est à ce stage-ci de la procédure de révocation. Ce n'est pas à cause d'un délai déraisonnable que le défendeur éprouve des difficultés à participer au procès et à se défendre, c'est à cause de sa santé. Ses problèmes de santé ne sont pas attribuables à une faute de la demanderesse. À mon avis, le défendeur n'a pas démontré que le délai dans les procédures lui cause préjudice.


[49]            Le défendeur porte le jugement du juge Nadon devant la Cour d'appel fédérale qui le maintient le 23 mai 2001, (Walter Obodzinsky c. la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2001], A.C.F. no 797). Le juge Létourneau, au nom de ses collègues, prenant en considération une jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada en matière de l'article 7 de la Charte, est d'avis que le juge Nadon s'est bien dirigé en droit, qu'il a exercé judicieusement sa discrétion après avoir considéré les arguments basés sur la Charte et ceux fondés sur la théorie de l'abus de procédure.

[50]            Le 14 février 2002, la Cour suprême du Canada rejette une demande de suspension de l'instance et une demande d'autorisation d'appel de la décision de la Cour d'appel fédérale dans ce renvoi.

b)          Requête selon la Règle 220 demandant à la Cour de statuer sur deux questions préliminaires de droit avant procès

[51]            Fin mars 2002, le défendeur présente une requête demandant à la Cour de décider, avant procès, deux questions préliminaires de droit. Il veut que la Cour décide si les articles 10 et 18 de la loi en corrélation avec certaines dispositions de la Loi sur l'immigration, sont conformes à la Déclaration et à la Charte.

[52]            Le juge Nadon, le 13 juin 2002, rejette cette requête (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, [2002] CFPI 669) pour quatre motifs.

[53]            Premièrement, il est d'avis au paragraphe 9 que « les questions de droit auxquelles le défendeur demande à la Cour de répondre, ne sont qu'une reformulation, en grande partie, des points de droit que le défendeur a soulevés dans le cadre de sa requête visant à obtenir une ordonnance de suspension. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le mémoire des faits et de droit déposé par le défendeur devant la Cour d'appel fédérale, et sa demande d'autorisation d'appel déposée devant la Cour suprême du Canada » .

[54]            Deuxièmement, le juge Nadon constate au paragraphe 10 que le défendeur « tente à nouveau de contester le bien-fondé de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Luitjens c. Canada (Secrétaire d'État) » précité, décision que la Cour d'appel fédérale avait récemment réitérée dans sa décision rendue le 29 novembre 2001 dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) c. Fast, précité.

[55]            Troisièmement, il précise que le défendeur, par ses questions de droit, « demande à cette Cour de décider de la constitutionnalité du processus de révocation prévu aux articles 10 et 18 de la Loi » et conclut ceci au paragraphe 12 de sa décision:


¶ 12       Puisque le renvoi prévu à l'article 18.1 de la Loi ne vise qu'une conclusion factuelle, à savoir si le défendeur a obtenu sa citoyenneté par fraude, au moyen d'une fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, je suis d'avis que les questions proposées par le défendeur ne sont nullement pertinentes puisque, tel que décidé par la Cour d'appel fédérale dans Luitjens, Fast, précités, et dans Katriuk c. Canada (1999), 252 N.R. 68, la décision rendue par cette Cour dans le cadre du renvoi de l'article 18.1 ne constitue qu'une décision préliminaire, "susceptible de fonder ultérieurement une décision du gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté de la personne visée" et que, par conséquent, une telle décision n'a aucun impact sur la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. [je souligne]

[56]            Citant encore l'arrêt Luitjens, précité, le juge Nadon rejette un autre aspect de l'argument soulevé par le défendeur en ce qui concerne la deuxième étape du processus de révocation, à savoir la décision que pourrait rendre le gouverneur en conseil étant d'avis que les questions proposées par le défendeur sont prématurées.

[57]            Quatrièmement, au paragraphe 14, il refuse de formuler les questions demandées étant donné « que compte tenu de la jurisprudence pertinente de cette Cour et celle de la Cour suprême du Canada, les réponses aux questions proposées par le défendeur ne lui seront pas favorables et, par conséquent, la détermination avant procès que recherche le défendeur ne réglera nullement le dossier, soit en partie ou en totalité » .

c)          Requête pour jugement sommaire                                        


[58]            Par requête déposée le 5 août 2002 en vertu de la règle 213 desRègles de la Cour fédérale (1998), (les « Règles » ) le défendeur demande jugement sommaire aux motifs que la ministre n'avait pas le pouvoir légal d'interdire l'entrée ou l'admission permanente du défendeur en vertu du décret 3112 ou de la prérogative royale, que les faits allégués de fausses représentations portaient sur l'admission temporaire du défendeur et non sur son admission permanente et, enfin, que la déclaration du ministre doit être rejetée entièrement parce que prescrite.

[59]            Le 6 septembre 2002, la juge des requêtes accueille en partie cette requête décidant qu'il n'existait pas, en 1946, d'autorité légale permettant de refuser Walter Obodzinsky pour motifs de sécurité. Elle rejeta, cependant, son argument sur la prescription.

[60]            Dans une décision rendue le 20 décembre 2002, la Cour d'appel fédérale accueille l'appel du ministre (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Walter Obodzinsky, 2002 CAF 518). De cette décision, je retiens les éléments suivants.

[61]            Premièrement, le juge Létourneau, au nom de la Cour d'appel fédérale, conclut au paragraphe 25 de ses motifs que, la juge des requêtes « n'a pas accordé suffisamment de poids à tous les éléments pertinents » dans l'exercice de sa discrétion. La juge des requêtes, dit-il, s'était appuyée sur le jugement du juge Noël, alors juge de première instance, dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203, qui concluait qu'il n'existait pas avant 1950 d'autorité légale pour rejeter des candidats à l'admission au Canada pour des motifs de sécurité.

[62]            Pour sa part, le juge Létourneau constate au paragraphe 26:

Avec respect, je crois que la situation factuelle et légale dont était saisie la juge des requêtes était nettement différente de celle sur laquelle le juge Noël s'est penché.

précisant au paragraphe suivant:

En effet, la juge des requêtes a omis de considérer comme élément, à la fois pertinent et important, le fait que le décret C.P. 3112 faisait mention expresse d'un représentant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) comme membre du comité d'évaluation des postulants polonais à un emploi agricole, ce que ne contenait pas le décret C.P. 1947-2180 que le juge Noël avait à interpréter dans l'affaire Dueck et sur lequel la ministre se fondait.

[63]            Après avoir reproduit l'extrait pertinent du décret C.P. 1946-3112, le juge Létourneau mentionne au paragraphe 29 de ses motifs que dans Dueck, le juge Noël avait spécifiquement noté que dans le décret devant lui (qui était le décret C.P. 1947-2180 et non pas le décret 3112), il y avait absence de références à la force policière qui l'amenait à conclure que le décret en question « témoignait de la part des autorités de préoccupations reliées à l'immigration comme telle et non à la sécurité » et qu'il « est certainement possible d'en venir à une conclusion différente lorsqu'un représentant de la GRC est spécifiquement assigné à la sélection de candidats à l'agriculture, surtout lorsque l'on s'arrête un instant sur l'origine des candidats potentiels » au sujet desquels il constate au paragraphe 30 de ses motifs:

[30] De fait, les candidats étaient des ressortissants polonais et les autorités canadiennes avaient des motifs raisonnables de croire que ce groupe contenait en son sein un certain nombre de personnes soupçonnées d'avoir collaboré avec les nazis avant de joindre les troupes alliées et la résistance.

[64]            Il mentionne certains affidavits devant la juge des requêtes et il est d'avis au paragraphe 32 « que la juge des requêtes avait devant elle plusieurs documents entourant l'adoption du décret C.P. 1946-3112 qui tendent à démontrer les préoccupations d'ordre sécuritaire du gouvernement canadien à l'égard de ces ressortissants et qui ont abouti à un décret les visant spécifiquement. Les témoignages qui n'avaient pas encore été entendus à l'époque où la juge des requêtes fut saisie de la demande pour jugement sommaire et en l'absence desquels elle a statué sur la question de sécurité pouvaient apporter un éclairage utile sur la teneur et la portée du décret en litige » .

[65]            Devant la Cour d'appel fédérale, le défendeur avait logé un appel incident à deux tranchants dont le juge Létourneau au paragraphe 43 décrit le premier à l'effet « que les fausses déclarations qui ont conduit à l'acquisition de la citoyenneté doivent se rapporter à la demande de résidence permanente et, en conséquence, qu'il n'importe en rien que l'intimé ait menti lors de sa demande d'admission temporaire » , argument fondé sur l'alinéa 10(2) de la loi. Le deuxième argument est basé sur la prescription. Ces deux arguments sont rejetés par le juge Létourneau.


[66]            Quant au point fondé sur le paragraphe 10(2) de la loi, il souligne, au paragraphe 44, que celui-ci ne fait que soulever une présomption et qu'il « n'a pas pour effet de limiter et de restreindre la portée du paragraphe 10(1) et les motifs de révocation de l'acquisition de la citoyenneté » . Il écrit au paragraphe 44 que « le gouverneur en conseil peut, en dehors du cadre de la présomption du paragraphe 10(2), retirer la citoyenneté à une personne lorsqu'il est convaincu que l'acquisition de celle-ci est intervenue par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » et que « la présomption au paragraphe 10(2) est utile mais elle ne limite pas la question de fraude ou l'usage de moyens dolosifs au seul moment de la demande d'admission au Canada à titre de résident permanent » .

[67]            Quant à l'appel incident sur la prescription, le juge Létourneau est convaincu que cette objection « découle à la fois d'une mauvaise conception et d'une compréhension erronée de la procédure de renvoi dans laquelle il s'est engagé » (paragraphe 46).

[68]            Il souligne que d'après l'article 18 de la loi, c'est le défendeur qui a demandé le renvoi à cette Cour afin de lui permettre de réfuter les allégations dans l'avis que la ministre lui a donné. Il pose la question au paragraphe 48, « [C]omment peut-elle [la partie défenderesse] alors demander qu'il soit mis un terme, au motif de prescription à un renvoi qu'elle a elle-même demandé pour son propre bénéfice? » .

[69]            Il ne croit pas que la prescription puisse courir en sa faveur tant qu'il n'a pas fait demande à cette Cour, que les faits devant la juge des requêtes étaient très peu connus et que le défendeur ayant été retracé au Canada qu'en 1995, « il est dès lors peu probable que la prescription . . . ait commencé à courir avant cette date » .

[70]            Le défendeur n'a pas porté cette décision devant la Cour suprême du Canada afin d'obtenir permission d'en appeler.

d)          Les objections du défendeur sur la preuve

[71]            Le défendeur m'a présenté une requête recherchant que soient déclarés inadmissibles en preuve:

a)          certains documents déposés au procès par la ministre; et

b)          une partie des témoignages et documents présentés durant la Commission.

[72]            J'ai tranché cette requête le 26 février 2003 (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Walter Obodzinsky, 2003 CFPI 239) avant la date prévue pour la plaidoirie. Je l'ai rejetée et j'ai ordonné que la preuve recueillie en Commission soit versée au dossier de l'instruction à l'exception de certaines parties des témoignages de M. Grigorovich et de Joseph Harkavi.

[73]            En somme, pour les motifs exprimés, j'ai statué que les documents présentés par la ministre étaient admissibles en preuve.


[74]            Premièrement, le défendeur voulait exclure les rapports Hare et Shakespeare. M. Hare fut le chef de la Mission. Le 26 novembre 1946, il produit un rapport écrit des activités de l'équipe. Le sergent-major Ken Shakespeare dirige les efforts de la GRC au sein de la Mission. Il dépose son rapport écrit le 4 janvier 1947. Messieurs Hare et Shakespeare sont décédés depuis longtemps. J'ai conclu que les deux rapports étaient admissibles soit en vertu de l'article 30 de la Loi sur la preuve ou soit en vertu des principes de nécessité et de fiabilité tels qu'énoncés par la Cour suprême du Canada dans plusieurs arrêts.

[75]            Deuxièmement, le défendeur voulait exclure quelques autres documents d'immigration cités par les experts dans leurs rapports, soit parce que ces documents n'étaient pas des pièces au sens de l'article 30 de la Loi sur la preuve ou soit qu'il s'agissait exclusivement d'opinions. On retrouve ces pièces aux onglets 51, 100, 103, 233, 235 et 236 de la preuve produite par le ministre. Par exemple, le défendeur avait prétendu que le document à l'onglet 51, adressé par le Commissaire adjoint Gagnon de la GRC au Sous-secrétaire adjoint d'État aux Affaires extérieures en date du 16 mai 1946, concernant les contrôles de sécurité à exercer sur les immigrants futurs, n'était qu'une opinion et que les documents aux onglets 100, 233 et 236 n'étaient que des comptes-rendus des débats à la Chambre des communes. Pour différentes raisons, j'ai rejeté ces objections.

[76]            Troisièmement, le défendeur voulait exclure certains documents historiques, y inclus:


a)          un document à l'onglet 10 intitulé « Event Report USSR #31 » en date du 23 août 1941, du chef de la police de sécurité et de la SD à Berlin;

b)         un rapport à l'onglet 40 intitulé « Overall Report from 16 October 1941 to 31 January 1942 » , provenant des Einstazgruppen le disant incomplet; et

c)         le document à l'onglet 105, un rapport rédigé sur la police auxiliaire en Biélorussie et libellé « Minsk, 10 April 1943 » .

J'ai décidé que je ne pouvais souscrire aux exclusions recherchées par la procureur du défendeur. Quant aux documents de guerre, tels que des rapports provenant des unités de campagne rédigés par l'Armée allemande, j'ai conclu que le juge MacKay avait déjà tranché sur l'admissibilité de cette classe de documents (voir Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [1998] A.C.F. 1380) et que les prétentions soulevées par la procureur du défendeur quant aux autres documents étaient erronées.

[77]            Quatrièmement, il y avait une catégorie de documents, recueillis en Commission, dont l'exclusion était voulue par le défendeur dans le cadre du témoignage de M. Suchcitz. Le défendeur invoquait l'inadmissibilité de certains commentaires et de certaines pièces de son témoignage au motif que son rapport d'expert n'en faisant nulle mention ou ne portait nullement sur ces pièces. J'ai conclu à l'encontre de ces prétentions.

[78]            Enfin, le défendeur s'était objecté que plusieurs réponses des témoins en Commission se fondaient sur le ouï-dire. Après analyse du procès-verbal, j'ai conclu que le défendeur avait en partie raison.

FAITS ADMIS OU NON CONTESTÉS

[79]            Je crois utile, à ce stage, d'énumérer certains faits sur lesquels les parties s'entendent puisqu'admis ou non contestés.

[80]            La précarité de la santé du défendeur n'est aucunement en doute. Il a subi deux infarctus du myocarde (1984 et 1999) et souffre présentement de l'angine provoquée par le stress. Les deux cardiologues du défendeur (les docteurs Sestier et D'Avirro) et celui de la ministre (le docteur Burgess) sont du même avis: « le patient n'a pas la capacité cardio-vasculaire de préparer et de subir le procès envisagé » (Dr Sestier); « Mr. Obodzinsky must not be required to attend any court or inquiry as this would entail a high risk of a serious cardiac complication » (Dr. Burgess).

[81]            Wlodzimierz Obodzinsky s'est vu octroyer la citoyenneté canadienne le 12 août 1955 sur présentation d'une pétition assermentée dans laquelle il affirme les faits suivants:

a)         date de naissance: 7 mai 1919 à Turez, Pologne;


b)         son arrivée à Halifax, Nouvelle-Écosse à bord le navire S.S. Sea Snipe le 24 novembre 1946 en provenance de l'Italie;

c)         son travail pendant deux ans à contrat sur une ferme au Nouveau-Brunswick pour ensuite s'établir à Montréal;

d)         l'acquisition de son droit d'établissement (résidence permanente) le 11 avril 1950;

e)         sa déclaration qu'il était "I am of good character";

f)          son mariage à Lydia Logodycz le 24 février 1951 à Montréal;

g)         être connu sous le nom de Walter Obodzinsky.

[82]            Walter Obodzinsky admet, dans sa défense, qu'il « a été admis au Canada sur une base temporaire en novembre 1946 selon les conditions qui étaient énoncées par le décret 3112 » .

[83]            L'entrée de Walter Obodzinsky au Canada en novembre 1946 fut autorisée par un permis du Ministre des Mines et Ressources en date du 12 novembre 1946 émis en vertu de l'article 4 de la Loi sur l'immigration (1910). Le texte du permis est le suivant:

This is to certify that the Polish citizens named in the attached list are hereby permitted to enter Canada for a period of two years from the date hereof provided they remain employed at agricultural work in accordance with contract entered into with the Department of Labour.

[84]            L'article 4 de la Loi de l'immigration (1910) se lit comme suit:


4. (1) Le ministre peut émettre un permis par écrit autorisant une personne à entrer au Canada, ou qui, étant entrée ou ayant débarqué au Canada, à y demeurer, sans être assujettie aux dispositions de la présente loi.

(2) Ce permis doit être selon la formule A de l'annexe de la présente loi, et porter qu'il n'est en vigueur que pour une période déterminée, mais il peut à l'occasion être prorogé ou à toute époque révoqué sur un ordre écrit du ministre. Cette prorogation ou cette révocation doit être selon la formule B de l'annexe de la présente loi.

(3) Le ministre doit déposer devant le Parlement, dans les trente jours de sa réunion, un rapport de tous ces permis émis dans le cours de l'année, avec les détails et les noms auxquels ils sont émis. [1924, c. 45, art.3]

[85]            Le nom de W. Obodzinsky apparaît sur la liste annexée au permis du 12 novembre 1946, liste intitulée « S.S. Sea Snipe Halifax November 24 - 46, Province - Maritimes - Distribution Point - Halifax Group No. 4 » .

[86]            Dans son rapport annuel sur les permis émis en vertu de l'article 4 de la Loi sur l'immigration de 1910, le ministre des Mines et Ressources avise de l'émission des permis aux « Polish Veterans » au motif que « Order in Council PC 3112 of July 25th 1946 . . . authorized the entry of Polish veterans to be employed at farm work for a period of two years » .

[87]            À l'appui de la requête du défendeur pour jugement sommaire, Anita Obodzinsky, fille du défendeur, produit une documentation personnelle sur son père dont:


1)         L'identification personnelle de son père émise par la GRC en Italie en 1946. Celle-ci porte le numéro 2738 et confirme sa date de naissance comme étant le 7 mai 1919. Son empreinte digitale y est apposée.

2)         Un certificat émis à son père (PI No. 2738) par le Ministère des Mines et des Ressources certifiant « that Polish veteran Obodzinsky Wlodzimierz has discharged the undertaking made with the Government of Canada to remain in specified employment for a fixed period of time upon admission to Canada » .

[88]            Le carnet militaire de Wlodzimierz Obodzinsky en provenance du Second Corps polonais a été reçu en preuve durant la Commission rogatoire. Je reproduis les informations pertinentes qu'il contient:

a)         Birth on the 5th day of July 1919[sic], locality Turzec commune Turzec;

b)         Military specialty and familiarity with weapons systems: infantry rifleman in foreign army / according to his own testimony;

c)         Civilian occupation: farmer according to his own testimony;

d)         Service in foreign army: 2.3.44 - 5.7.1944 in German Army according to his own testimony;

e)         Recruitment results: Recruitment Commission in Italy 4.1.1945;

f)          Record of military service: enrolled in 21 Infantry Battalion on 15.12.44;

g)         Presence at Front, participation in battles: Italian Front from 15.12.44 to 2.V.45;


[89]            Durant l'interrogatoire avant et après défense, le représentant de la ministre a admis les faits suivants:

(i)         quelque temps après son arrivée en France, le défendeur a déserté le 30e Waffen SS;

(ii)        après sa désertion, le défendeur a combattu avec les Alliés, en temps que membre du Second Corps polonais, contre les Forces de l'Axe;

(iii)       lorsque M. Obodzinsky a demandé, en 1950, le statut de résident permanent, le représentant de la ministre n'a aucune raison de croire que M. Obodzinsky a été questionné sur ses activités durant la Seconde Guerre mondiale;

(iv)       Après que M. Obodzinsky eut déposé sa demande pour l'octroi de la citoyenneté, ce même représentant dit n'avoir aucune raison de croire qu'il a été questionné sur ses activités durant la Seconde Guerre mondiale (notes sténographiques du 22 novembre, 2002, page 162).

QUESTIONS EN LITIGE

[90]            Ce renvoi soulève les questions de droit et de faits suivantes:

1)          Questions de droit


1)         Les dispositions pertinentes de la Loi sur la Citoyenneté contreviennent-elles ou sont-elles incompatibles avec les articles 1a), 1b), 2a), 2b) et e) de la Déclaration canadienne des droits (la « déclaration » ) ainsi que les articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et doivent-elles être déclarées inopérantes à l'égard du défendeur et conduire au rejet de l'action, ou à toute autre réparation que la Cour peut estimer juste et appropriée;

2)         L'action de la ministre constitue-t-elle un détournement de pouvoir (ou abus de procédure et/ou discriminatoire) donc entachée d'illégalités conduisant à son rejet ?

3)         La nouvelle Loi sur la citoyenneté de 1977 a-t-elle comme résultat de rendre la procédure de révocation qu'elle contient (ses articles 9 et 17 sont semblables aux présents articles 10 et 18), inapplicable vis-à-vis le défendeur Walter Obodzinsky qui fut naturalisé sous l'ancienne Loi sur la citoyenneté de 1946 ?

4)         L'action est-elle prescrite ou assujettie à la doctrine d'inaction ?


5)         Les fausses déclarations, s'il y en a eu, sont-elles survenues à une étape non pertinente soit en Italie lors de sa sélection pour entrée temporaire, la ministre ayant admis que le défendeur n'a pas été ré-examiné pour l'admission permanente et pour l'octroi de la citoyenneté ?

6)          Est-ce que son admission temporaire au Canada en 1946 pouvait être interdite légalement ?

2)          Questions de faits

    a)     Se rapportant à la personne du défendeur

7)         Peut-on situer le défendeur à Turez durant l'été 1941 ?

8)         La preuve identifie-t-elle le défendeur comme policier auxiliaire durant l'été 1941 au début de l'occupation allemande et ensuite comme policier à Mir ?

9)         Le défendeur s'est-il joint volontairement à cette police auxiliaire ?

10)       Où se situait cette police auxiliaire dans l'hiérarchie de l'occupation civile allemande en Biélorussie?


11)       L'existence d'atrocités commises contre les Juifs a-t-elle été démontrée ?

12)       Y a-t-il preuve de la participation de la police auxiliaire dans ces atrocités?

13)       Y a-t-il preuve de la présence de Walter Obodzinsky durant une ou plusieurs de ces atrocités en 1941?

14)       La preuve démontre-t-elle la présence de Walter Obodzinsky dans le Jagdzug comme chef d'une sous-unité ?

15)       Est-ce que le Jagdzug a participé à des atrocités commises contre les partisans et la population civile lors des opérations qu'il entreprenait seul ou avec l'Armée allemande ou la SS ?

16)       Walter Obodzinsky était-il présent en Allemagne avec le 30e Waffen SS et en France durant l'été 1944 ?

17)       Walter Obodzinsky a-t-il déserté son unité allemande pour se joindre au Maquis français ?


18)       Walter Obodzinsky a-t-il combattu avec la Résistance française et le Second Corps polonais contre les Allemands avant la fin de la Seconde guerre mondiale en mai 1945 ?

   b)      Se rapportant à la Mission de sélection en Italie

19)       Le défendeur a-t-il été questionné par la GRC et pour quels motifs?

ANALYSE

1)          Remarques préliminaires

a)         Sur la preuve

i)          En Commission rogatoire

[91]            La preuve de la ministre a été recueillie de deux façons: a) en Commission; et b) au procès. La procureur du défendeur a avisé la Commission qu'elle ne participerait pas à ses travaux et donc n'était pas présente soit pour contre-interroger les témoins ou déposer une contre preuve.

[92]            La Commission recueillit la preuve des témoins suivants de la ministre:

ii)         En Biélorussie


1)         Ivan Ivanovich Biyut, né en 1925 à Jeremichi, situé à cinq kilomètres de Turez;

2)         Boris Ivanovich Gruschevsky, né en 1921, qui, en 1941, habitait dans un village à dix kilomètres de Mir;

3)         Valentina Alexeyevna Keda, née en 1931 dans le village de Pogorelka, situé à environ cinq ou sept kilomètres de Turez;

4)         Nikolai Antonovich Grigorovich, né en 1921 dans le village de Labuzi, situé à environ dix kilomètres de Baranowitsche (ou Baranovichi);

5)         Nikolai Zayats, né en 1927 à Turez habitant ce village en 1941.

(iii)       En Angleterre

6)         Anatol Olezkiewicz, né en 1923, qui, en 1939, habitait à Baranovichi;

7)         Jan Mazurek, né en 1922 à Mir;

8)         Leon Bogdan, né en 1922 à Zhukovici, une vingtaine de kilomètres de Mir;

9)         Andrezij Suchcitz, témoin expert sur le Second Corps polonais;

iv)        En Israël

10)       Joseph Harkavi, né en 1921, à Turez, situé à environ treize kilomètres de Mir;

11)       Zeev Schreiber, né en 1924, à Mir.


[93]            En 1941, Jeremichi était un village de 600 personnes. Monsieur Biyut allait souvent à Turez où résidaient plusieurs membres de sa parenté. Il témoigne connaître Walter Obodzinsky à Turez, M. Obodzinsky venant souvent chez lui visiter sa soeur (procès-verbal ( « P.V. » ) vol. 1, page 34).

[94]            Le témoignage de Monsieur Gruschevsky porte sur sa connaissance de la police de Mir en 1941 et sur ce qui s'est passé dans cette petite ville de 6 000 âmes durant l'automne de 1941. Il a témoigné ne pas connaître personnellement M. Obodzinsky.

[95]            Madame Keda avait dix ans lorsque les Allemands ont brisé leur pacte avec les Russes en juin 1941 par l'invasion éclair de la Biélorussie et la défaite subite de l'Armée rouge. Madame Keda se souvient et nous décrit des opérations contre les partisans en 1942.

[96]            Le dernier événement que Madame Keda a partagé avec la Commission a eu lieu en 1943 dans la forêt où sa famille et plusieurs autres personnes de son village s'étaient cachées pour fuir les Allemands et les policiers que l'on soupçonnait s'apprêter à brûler le village ou les saisir. On les a découverts. Elle a été témoin d'une fusillade de deux ou trois partisans. Elle nous a dit que l'un des chefs de la police et des Allemands était Serafimovich, accompagné de deux jeunes hommes habillés en uniforme noir.

[97]            L'histoire de Monsieur Grigorovich repose sur deux éléments: 1) une opération dont il a été témoin contre une maison dans son village qui abritait des partisans et 2) sa participation dans le Jagdzug depuis 1943 jusqu'à l'été 1944. Il ne s'est pas refoulé avec les Allemands mais a déserté le Jagdzug.

[98]            Le point du témoignage de Monsieur Zayats est qu'il vivait à Turez en juin 1941 lors de l'invasion allemande et qu'il connaissait bien la famille Obodzinsky dont la maison familiale était à cinquante mètres de la sienne.

[99]            Monsieur Olezkiewicz nous a affirmé qu'il vivait à Baranowitsche à l'époque où les Allemands ont envahi cette ville durant l'été 1941. Il dit s'être involontairement joint à la police régionale qui servait d'escorte pour les officiers allemands haut-gradés. Cette police est intégrée au Jagdzug. Il affirme avoir été forcé de collaborer avec les Allemands.

[100]        En mai 1944, c'est l'offensive de l'Armée rouge. Monsieur Olezkiewicz témoigne que lui et d'autres du Jagdzug, se sont refoulés vers l'Allemagne et, avec d'autres unités, deviennent la 30e Division d'infanterie de la Waffen SS qui ensuite fut transportée au nord de la France où il a été capturé. Il réussit à devenir membre du Second Corps polonais. Il est parmi ceux qui en mai 1946 s'établirent en Angleterre.

[101]        Le récit de Jan Mazurek comporte des éléments inusités. Né à Mir, il grandit en Ukraine, est conscrit dans l'Armée rouge et se retrouve avec elle en Biélorussie en 1941 lors de l'attaque des Allemands. Suite à la déroute et la désintégration de l'Armée russe, Monsieur Mazurek s'établit dans son pays natal, travaille sur une ferme et en 1942 se joint aux partisans polonais. Il se réfugie chez les Allemands à Mir en juin 1942 lorsque les partisans russes décident d'attaquer les partisans polonais. Il rencontre un dénommé Serafimovich qui lui offre d'intégrer la police de Mir. Il accepte. Par la suite, il entre dans le Jagdzug en 1943, est blessé, revient à Mir où il habite entre l'été 1943 et l'été 1944.

[102]        Face à l'offensive de l'Armée rouge, il accompagne certains éléments du Jagdzug vers la Pologne et l'Allemagne, entre dans le 30e Waffen SS, se retrouve en France, déserte et se joint au Second Corps polonais.

[103]        Leon Bogdan témoigne que durant l'été 1942, il a été conscrit dans la police de Mir dont le commandant était Serafimovich, un biélorusse. Son uniforme était noir avec des manchettes et un col gris. Le rôle de la police était de maintenir l'ordre mais aussi de combattre les partisans. Il fut affecté dans plusieurs villages dans la région de Mir.


[104]        Il confirme que durant les opérations de la police contre les partisans, plusieurs équipes travaillaient ensemble. Une de ces opérations, en janvier 1943, se déroule dans le village de Lyadki. Là, il nous raconte avoir eu connaissance qu'une famille d'un partisan a été tuée par des policiers qu'il a vu à une certaine distance.

[105]        En juillet 1944, les policiers du district de Mir partent pour l'Allemagne où ils prennent l'uniforme vert des soldats allemands pour ensuite être transportés à Dijon. Un peu plus tard, plusieurs d'entre eux désertent les forces allemandes, se joignent aux Maquis français avec lesquels ils ont combattu pendant cinq ou six semaines (P.V., vol. 2, page 103). En novembre 1944, il devient soldat dans l'Armée polonaise après avoir subi un interrogatoire sur ses activités passées. Il nous dit qu'il a dévoilé au commandant polonais qui le questionnait qu'il avait été un policier dont le rôle était « to defend our people from the partisan bandits. In our country, there were small farmers and they were taking their clothes, taking their food, they were robbing. That's what they were doing and we were defending the people » (P.V., vol. 2, page 102).

[106]        Joseph Harkavi, aujourd'hui habite un endroit près de Tel Aviv. Il est né à Turez et a étudié la comptabilité à Vilnius. Il était à Turez en 1939 et en mars 1940, à Mir où il fit connaissance de Serafimovich à l'époque, directeur adjoint du moulin de farine à Obrina. Il retourne à Turez en juillet 1941 après l'invasion de la Biélorussie par les Allemands.

[107]        Il témoigne sur certains événements à Turez durant l'automne 1941 nous disant qu'il avait été forcé à travailler dans un moulin puis dans une scierie dans un village au nord de Turez d'où, début janvier 1943, il s'est évadé pour lutter avec les partisans.

[108]        Un autre habitant d'Israël est Zeev Schreiber qui habitait Mir en 1941 au début des combats. Il nous décrit la création des postes de police par les Allemands. À l'époque, il était peintre, travaillant à la maison des policiers.

[109]        Tel que mentionné, le témoignage d'Andrezij Suchcitz a été reçu par la Commission à Londres le 31 octobre 2002. M. Suchcitz est l'archiviste principal du Musée Sikorski à Londres et il est un expert de l'histoire militaire polonaise durant la Seconde guerre mondiale.

[110]        Son rapport d'expert et son témoignage comportent deux éléments distincts: l'historique du Second Corps polonais et le dossier personnel de Walter Obodzinsky en tant que membre de ce Corps y inclus le dépôt en preuve de son carnet militaire.


[111]        Le Second Corps polonais, sous le commandement du Général Anders, a été formé durant l'été 1942 par la fusion en Palestine de deux unités militaires polonaises. La première unité, d'environ 70 000 hommes, a été organisée en U.R.S.S. durant les mois d'août et septembre 1941, après l'invasion allemande. Les membres de cette unité sont des polonais qui avaient été déportés en Sibérie de la partie polonaise de la Biélorussie en 1939 suite à l'occupation soviétique. Cette unité traverse la frontière perse durant l'été 1942 pour se rendre en Palestine, alors sous mandat britannique. On fusionne à cette unité une partie de l'Armée polonaise qui se trouvait déjà au Moyen-Orient. C'est à cette époque que le Second Corps polonais a été placé, du point de vue opérationnel, sous le commandement britannique de la Huitième Armée.

[112]        Le Second Corps polonais participe à la bataille de Rome, saisi Monte Cassino le 18 mai 1944, et participe à des opérations sur la Côte adriatique. En janvier 1945, le Second Corps polonais combat sur les rives de la rivière Senio et libère la ville de Bologna le 21 avril 1945.

[113]        M. Suchcitz nous explique aussi les différentes composantes du programme de recrutement des soldats pour l'Armée polonaise en 1944 avec l'établissement de centres de recrutement, surtout sur le territoire français. Il nous explique, qu'avant d'être incorporé dans l'Armée polonaise, dépendant des circonstances, la recrue devait se présenter et être approuvée par une commission polonaise et/ou anglo-américaine qui lui posait plusieurs questions sur son passé. Dans ce contexte, il mentionne la directive émise le 5 août 1944 par le Quartier général des Forces alliées sur les polonais capturés, ayant servi dans la Wehrmacht ou dans des organisations paramilitaires.

[114]        M. Suchcitz affirme la fiabilité du dossier personnel de Walter Obodzinsky en tant que membre du Second Corps polonais et son carnet militaire qui en résulte. Les informations que contiennent ce carnet militaire ne sont pas contestées devant moi.

[115]        Le carnet militaire de Walter Obodzinsky indique que le 15 décembre 1944, il a été accepté dans la Deuxième Compagnie du 21e Bataillon d'infanterie du Second Corps polonais et qu'il était présent et a combattu au Front italien du 15 décembre 1944 au 2 mai 1945.

ii)          Au procès

[116]        La preuve de la ministre au procès nous provient de quatre témoins experts dont deux historiens allemands, les docteurs Messerschmidt et Chiari, le docteur Nicholas d'Ombrain et John Baker, tous deux anciens hauts fonctionnaires dans la Fonction publique fédérale.

[117]        La méthodologie de ces témoins experts est la même: ils ont produit un rapport d'expert et, pour chaque proposition énoncée dans le texte, chacun faisait référence à certains documents historiques qui ont été admis en preuve par la Cour.

[118]        Les docteurs Messerschmidt et Chiari se spécialisent dans l'histoire militaire allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Leurs témoignages sont semblables et se complètent ce qui me permet de résumer leur preuve sans les traiter séparément.


[119]        Les deux experts allemands situent dans l'histoire les événements qui nous concernent:

a)         La Biélorussie, en 1921, après le Traité de Riga, est divisé en deux parties: la partie polonaise dont le rayon de Mir et la région de Baranowitsche et le territoire à l'Est de celle-ci connue sous le nom de la République socialiste soviétique de la Biélorussie ( « RSSB » );

b)         L'annexation en 1939 de la partie polonaise de l'ancienne Biélorussie à la RSSB après le pacte de non-agression entre l'Allemagne et la Russie;

c)         L'opération Barbarossa lancée par les Allemands le 22 juin 1941 et l'avance rapide de la Wehrmacht sur le territoire de la RSSB;

d)         L'occupation allemande de la région de Baranowitsche y inclus le rayon de Mir en juillet 1941;

e)         La mise en place par l'administration militaire allemande d'une police auxiliaire volontaire (Ordnungsdienst) recrutée parmi les habitants de cette région laquelle fut organisée en postes surtout dans les villages ruraux du territoire occupé;

f)          La transformation de cette police auxiliaire sous l'administration civile allemande en Schutzmansschaft;


g)         L'intégration des Schutzmansschaft au sein de l'organisation et de la hiérarchie policière d'occupation allemande en Biélorussie, dont le Reichsfuhrer était Himmler, composée de la police de sécurité (SS), de la SD (service d'intelligence), et de la police de l'ordre qui incluait au niveau local, la gendarmerie sous commandement allemand. La police auxiliaire recrutée parmi les habitants de la région (surtout d'origine biélorusse ou polonaise rattachée aux postes ruraux de la Gendarmerie allemande) était au bas de l'organigramme.

h)         Cette police auxiliaire desservait l'occupation allemande. Un aspect de son service était l'apport qu'elle donnait à la politique allemande d'extermination des Juifs en Biélorussie et le combat que celle-ci menait contre les partisans en association avec les Forces armées et la police allemandes.

[120]        Tel qu'indiqué, ces deux experts allemands ont appuyé leur expertise par de multiples références à une documentation conservée dans les archives allemandes, polonaises, biélorusses et soviétiques.

[121]        Cette documentation historique prenait souvent la forme de rapports ou de directives émanant des autorités militaires allemandes elles-mêmes, documentation que le juge MacKay dans Oberlander, précité, caractérise comme documents de guerre, admissible en preuve.

[122]        Il n'est pas nécessaire que je passe en revue toute cette documentation massive. Il suffit de dire que celle-ci aborde des sujets tels que:


a)         La nécessité d'une police auxiliaire indigène pour appuyer les efforts de la police allemande dans les territoires occupés;

b)         L'organisation de la Schtzmannschaften dans les territoires occupés de l'Est. Cette documentation démontre clairement que la police auxiliaire dans les postes de la Gendarmerie est sous le contrôle de la police allemande sur place et que les bataillons de la Schutzmansschaften tel que le Jagdzug sont sous le commandement des hautes autorités de l'Armée allemande de l'occupation. Cette police auxiliaire est sous la juridiction de la SS et SD à chaque niveau ou palier de l'organisation civile d'occupation allemande.

[123]        Je fais mention ici de quelques documents de guerre de source allemande:

a)         Le rapport d'une opération contre les partisans en date du 23 juillet 1942 par Hein, chef de la Gendarmerie à Mir, opération qui comprenait deux gendarmes et 27 policiers auxiliaires;

b)         Un rapport semblable en date du 29 juillet 1942 d'une opération par la Gendarmerie du poste de Mir contre les partisans dans lequel il y est fait état de l'exécution d'un prisonnier partisan Juif, « he was executed on the spot » . Cette opération était composée de Hein et de 20 policiers auxiliaires;


c)         Un rapport similaire du Sergent Hein en date du 13 août 1942 sur l'exécution sommaire d'un individu et trois autres partisans qui avaient été capturés et interrogés;

d)         Un rapport du chef de la Gendarmerie en date du 26 août 1942 intitulé « Clearing the Region of Jews » , qui se lit en partie comme suit:

The Regional Commissar in Baranovichi has given me the general order ... to rid the region of Jews, especially the countryside. As a result of the larger-scale actions carried out in recent months, a very large number of Jews have fled and gone over to the groups of bandits. In order to prevent any further escape, I have got rid of the Jews who were still on hand in the towns of Polonka and Mir. Altogether, 719 Jews were executed. Meanwhile, 320 Jews who had fled during the larger-scale actions were apprehended again by the Gendarmerie posts and summarily executed.

e)         Un rapport de Mir en date du 1er octobre 1942 sur l'exécution sommaire de six Juifs par une patrouille des Schutzmansschaft du rayon de Mir;

f)          Rapport de la police protectrice de Mir en date du 15 novembre 1942 d'une opération dirigée par trois gendarmes et 60 Schutzmanner (policiers auxiliaires) qui rapporte l'exécution de cinq Juifs, « after a brief interrogation, they were executed on the spot and duly buried » ;

g)         Un rapport de Mir le 11 mars 1943 à l'effet que plusieurs grandes opérations entre le 5 mars 1943 et le 9 mars 1943 contre les partisans étaient appuyées par la Wehrmacht, la police protectrice et 60 Schutzmanner dans un cas et 410 Schutzmanner dans un autre cas. Ce rapport mentionne que trois villages ont été brûlés.

[124]        La documentation présentée par les experts allemands de la ministre inclut un document de guerre en date du 7 juillet 1943 signé par le Major général von Gottberg de la SS dans lequel il détaille la planification d'une grande opération contre les partisans. Ce plan opérationnel envisage l'utilisation de tous les éléments de l'appareil de l'occupation allemande: la Première brigade de la police SS, quatre bataillons de la Wehrmacht et quatre bataillons de la Schutzmannschaft. Ainsi est décrit par le Général von Gottberg l'opération Hermann.

[125]        La preuve porte aussi sur le déroulement actuel de plusieurs jours de l'opération Hermann. Ces rapports confirment l'utilisation des bataillons des Schutzmansschaft et de la police auxiliaire, notamment ceux de Baranowitsche et de Turez.

[126]        Dans son rapport d'ensemble du 20 août 1943, le Général von Gottberg donne son bilan: Enemy Losses - Killed in battle - 4,280; Prisoners - 654; Workers taken: men - 9,065, women - 7,701, children - 4,178.

[127]      Enfin, deux rapports tracent quelles unités ont été intégrées à la 30e Waffen Rifle Division of the SS. On y retrouve l'ancienne unité de la Jagdzug de Baranowitsche.


[128]        Je traiterai la preuve apportée par les témoins d'Ombrain et Baker de la même façon que j'ai résumé celle des docteurs Messerschmidt et Chiari étant donné que l'expertise de Messieurs d'Ombrain et Baker, bien que différente, porte essentiellement sur le même sujet - la politique d'immigration du Canada après la Seconde Guerre mondiale, son système de contrôle pour motif de sécurité et en particulier son application dans le cas des ex-soldats, membres du Second Corps polonais en Italie, qui ont participé au programme sanctionné par le décret 3112.

[129]        L'expertise du docteur d'Ombrain se situe au niveau des mécanismes du fonctionnement interne du Gouvernement du Canada et, plus particulièrement, sa connaissance du processus décisionnel au niveau du Conseil des ministres, la façon que la documentation est acheminée pour alimenter ce processus, comment les décisions prises étaient communiquées et qui était responsable pour l'application de ces décisions. Le docteur d'Ombrain a travaillé pendant vingt-cinq ans dans la fonction publique fédérale dont quatre comme sous-ministre, neuf comme sous-ministre associé et de nombreuses années au sein du Bureau du Conseil privé, organisme central, assurant la coordination de l'activité gouvernementale et la mise en application des politiques décidées par le Conseil des Ministres.

[130]        Le docteur d'Ombrain fut entre 1982 et 1994 Sous-secrétaire du comité du Cabinet en matière de sécurité et d'intelligence et celui des mécanismes du fonctionnement du gouvernement.


[131]        La procureur du défendeur s'est objectée à l'admissibilité de l'ensemble de son rapport aux motifs du manque de nécessité et de pertinence et aussi pour certaines raisons techniques. Dans la mesure où je ne l'avais pas déjà tranchée le 18 novembre 2002, je rejette la balance des objections portées à l'encontre du rapport et du témoignage du docteur d'Ombrain. Ma lecture de la décision de la Cour d'appel fédérale dans cette affaire rendue le 22 décembre 2002 me convainc que les objections du défendeur n'ont aucun mérite.

[132]        Les connaissances de M. Baker sont fondées sur son expérience durant 28 ans dans la Fonction publique fédérale faisant ses débuts en 1968 comme officier de visas en poste dans plusieurs ambassades pour y devenir gérant du programme d'immigration en poste. En 1975, il est en charge de la Direction du recrutement et de la sélection au ministère des Affaires extérieures et ensuite, le représentant du ministère sur le comité de rédaction de la Loi sur l'immigration (1976) et ses règlements de 1978. De 1978 à 1987, il est gérant du programme d'immigration dans plusieurs ambassades pour devenir Directeur des affaires d'immigration et de réfugiés au ministère des Affaires extérieures dont les fonctions incluaient le développement de politiques et la liaison avec la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité ( « SCRS » ). De 1990 à 1994, il est Consul et Gérant de programme en immigration au Consulat général de New York où, à l'époque, on appliquait un nouveau système de vérification aux fins de sécurité. Il se retire de la Fonction publique en 1995 après avoir été nommé, en 1994, Directeur général de la direction de la gérance de cas au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration où il était responsable de solutionner des causes difficiles et complexes.


[133]        Comme je l'ai indiqué, la preuve du docteur d'Ombrain et de M. Baker se rapproche et j'en fais un résumé conjoint. Une partie de leur témoignage touche sur la façon dont la Mission en Italie a exercé son mandat et, pour ainsi faire, ils s'appuient sur les rapports Hare et Shakespeare et sur plusieurs documents historiques de contexte.

[134]        L'idée d'un programme canadien visant l'admission de 4 000 soldats du Second Corps polonais fut soulevée en mai 1946 à Londres par le premier ministre Atlee durant une réunion des premiers ministres du Commonwealth. M. Atlee a demandé au premier ministre canadien, Mackenzie King, l'aide du Canada, suite à la démobilisation du Second Corps et à la réalisation que ses membres refusaient d'être rapatriés en Pologne alors sous le joug soviétique.

[135]        Le Premier ministre du Canada donne son accord en principe et le Conseil des ministres, à sa réunion du 22 mai 1946, demanda au ministre du Travail et au ministre des Mines et Ressources (qui avait, à cette époque, la responsabilité en matière d'immigration) de formuler un plan et de faire rapport, ce que ces deux ministres ont fait le 24 mai 1946. Leur plan est reflété dans une note au Conseil des ministres préparée par Arthur Heeney alors greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet que le Cabinet entérina le 29 mai 1946.

[136]        Je reproduis les parties pertinentes de cette note:

3.             If the demobilized Polish soldiers can be carefully selected and dealt with somewhat along the lines indicated hereunder, it is recommended that the plan be proceeded with and that they be assigned to agriculture to take the place of the German prisoners of war.

Briefly the arrangements might be somewhat as follows:

(a) the number be limited to 4,000; single men only who will agree to accept direction to agriculture or similar work for a period of three years and enter into an individual contract to this effect;

(b) ...

(c)    a meticulously careful selection should be made on grounds of medical fitness; security (no Nazis or agents); and suitability for agricultural work, and in this connexion, it is proposed that three senior officials be sent to select them: one from the Mounted Police, to check up on security; a medical officer and an agricultural employment officer who knows the type of men required;

(d) they would be given temporary status until the three year period was up and subject to good behaviour during the three years they could then be given permanent status.

                                                                      . . .

In order that the details might be developed, a small inter-departmental committee might be set up, consisting of the Deputy Minister of Labour, the Director of Immigration and Commissioner Wood of the Royal Canadian Mounted Police. [je souligne]

[137]        Les détails du programme furent discutés et négociés avec l'Angleterre, la question la plus difficile tournant autour de l'obligation de celle-ci d'accepter le retour en Angleterre des Polonais admis au Canada au sein du programme mais qui, pour une raison ou l'autre, ne désiraient plus y participer, étaient contraints de partir du Canada ou ne remplissaient plus leurs obligations contractuelles.

[138]        Le programme tel que négocié entre le Canada et l'Angleterre fut, une nouvelle fois, étudié et approuvé par le Conseil des ministres lors d'une réunion le 16 juillet 1946, qui autorise que le décret 3112 soit pris.

[139]        La Mission fut organisée très rapidement. Elle se rend à Londres le 18 août 1946 pour des consultations avec le War Office et avec le M.I.5 ("to discuss the question of investigations to be made concerning any doubtful Polish applicants under this program", voir le rapport Shakespeare, paragraphe 4). Le processus de sélection débute à Porto Recanati le 29 août 1946.

[140]     Ce programme qui autorisait l'admission temporaire des 4 000 soldats polonais fut élaboré durant une période où le Gouvernement du Canada, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, était à ses débuts dans le développement d'une nouvelle politique d'immigration axée sur le sort de plusieurs millions de personnes déplacées et au besoin d'une main-d'oeuvre adaptée à une économie en période de paix.

[141]        La question de la sécurité rattachée à l'immigration ou à l'entrée temporaire au Canada tels les touristes fut à l'ordre du jour. Je résume ici les étapes principales dans le développement d'une politique de sécurité en matière d'immigration, y inclus le filtrage pour sécurité et les critères pertinents d'application.

[142]        L'accès à la résidence permanente pour 3 600 réfugiés admis au Canada depuis le début de la Seconde Guerre mondiale en tant que non-immigrant représente la première épreuve. Le ministre des Mines et des Ressources, J. A. Glen, en discute dans son mémoire au Conseil des ministres le 15 octobre 1945. Il recommande ceci:

It is, therefore, recommended that appropriate action be taken to provide authority for the permanent admission to Canada of the refugees described in this memorandum, subject to the proviso that only those granted a clearance from the Royal Canadian Mounted Police be eligible for a landing within the meaning of the Immigration Act, those not qualified for such clearance to continue under their present status until their cases can be finally disposed of. (je souligne)

[143]        Le 25 octobre 1945, le Conseil des ministres endosse la proposition du ministre Glen. Dans une note en date du 20 septembre 1946 à Norman Robertson, Sous-secrétaire d'État aux Affaires extérieures concernant la décision du Conseil des ministres le 25 octobre 1945, faisant référence au filtrage par la GRC et à l'Ordre en conseil émis le jour suivant (P.C. 6687, 26 octobre 1945) Arnold Heeney écrit ceci:

4.             You will observe that the Order in Council, which, of course, embodies the only "law "on the subject, makes no reference to security vetting. At the same time, it is quite clear that the Cabinet, having approved the Minister's supporting memorandum, intended that "landings" should only be granted by the officials concerned to those who had been cleared by the R.C.M. Police.

5.             In my opinion, therefore, clearance by the R.C.M. Police was an administrative and not a legal requirement for the issue of landing documents to persons coming within the terms of the Order in Council. [je souligne]

[144]        Cette préoccupation en matière de filtrage sécuritaire est abordée à une réunion informelle de fonctionnaires supérieurs du ministère des Affaires extérieures le 6 février 1946. Voici ce que le procès-verbal reflète sur le sujet "security aspects of immigration":

Security

1. The meeting considered that the following activities would be evidence of an unsatisfactory security background:

(a)            collaborating with the enemy during the war of 1939-1945;

                                           . . . [je souligne]

[145]        Le 16 mai 1946, le Sous-commissaire Gagnon en charge des renseignements criminels à la GRC écrit à Laurent Beaudry, Sous-secrétaire d'État adjoint au ministère des Affaires extérieures. Ce qui le concerne est:

There are an extremely large number of Europeans who are anxious to immigrate to America and especially to Canada ... Many of these, thousands of them, would be good and desirable citizens, but there are also many thousands who would be most undesirable. We are advised, and have reason to believe, that several hundred thousand Nazis and Fascists collaborators in Europe find it difficult to place themselves amid hostile compatriots and are anxious to go abroad and to come to Canada. This type of person is hardly desirable. [je souligne]

[146]        Le Sous-commissaire Gagnon voit la nécessité d'un filtrage pour la sécurité et fait référence à certains paragraphes de l'article 3 de la Loi sur l'immigration de 1910 qui interdit l'entrée au Canada de certaines catégories de personnes.


[147]        La journée suivante, le Comité de la défense du Cabinet endosse une recommandation émanant, entre autres, de la GRC que soit constitué un Comité sur la sécurité présidé par le secrétaire du Cabinet incluant un représentant du ministère des Affaires extérieures et de la GRC, dont le mandat serait de coordonner la planification, l'organisation et l'application de mesures de sécurité. Le Conseil des ministres à sa réunion du 22 mai 1946 appuya cette proposition.

[148]        Le Comité sur la sécurité, durant sa deuxième réunion tenue le 8 juillet 1946, entame le sujet de la sécurité en immigration et forme un sous-comité pour étudier une question soulevée par A. L. Jolliffe, Directeur adjoint à la direction d'immigration au ministère des Mines et Ressources parce que, pour lui, "doubt existed as to whether existing immigration regulations provided authority for the refusal of entry of persons deemed undesirable from a security point of view and, if the situation demanded it, some new procedure would have to be devised".

[149]        M. Jolliffe, dans une note en date du 5 juillet 1946, suite à plusieurs discussions au ministère des Affaires extérieures, à la GRC et dans son propre ministère "regarding the possibility of undesirable aliens entering Canada" avait conclu ceci quant à la question "to what classes should screening be applied":

1.             Persons entering Canada are either immigrants or non-immigrants; the screening of alien immigrants would be comparatively simple as under existing regulations, all such immigrants, other than United States citizens, require a passport and visa. The visa would be refused the immigrant reported undesirable on security grounds. [je souligne]


[150]        Deux propositions de modifications à la Loi sur l'Immigration de 1910 furent rédigées visant à renforcer l'autorité du gouvernement en matière de sécurité en immigration. Une modification ajouterait une nouvelle classe interdite de personnes qui avaient appartenu au "Nazi Party ... the Fascist Party ... the Gestappo ... the Schutzstaffel ... the Sturm Abteilung ... any organization or party auxiliary to or supporting Naziism or Fascism or persons classified as war criminals by the United Nations' War Crime Commission". L'autre proposition autoriserait le ministre des Mines et des ressources à émettre un certificat refusant l'entrée au Canada d'un demandeur au motif de sécurité.

[151]        Le Conseil des ministres, à sa réunion du 5 août 1946, décida de ne pas aller de l'avant avec l'une ou l'autre de ses modifications législatives. La conclusion du Cabinet était celle-ci:

Consideration had been given to the possibility of inserting some general principle to cover all such groups but in view of difficulty in drafting a suitable clause, it was proposed not to include any special prohibition of this sort. The problem could be dealt with by other means. [je souligne]

[152]        Dans une note en date du 18 septembre 1946, adressée à M. Jolliffe, maintenant Directeur de l'immigration, le Sous-secrétaire d'État au ministère des Affaires extérieures revient sur la question de comment la GRC s'acquitterait de son mandat de filtrer pour fins de sécurité les demandes d'entrée au Canada. Il remarque que dans les Ordres en conseil autorisant l'établissement au Canada (et en l'espèce, il faisait référence au C.P. 6687), on ne faisait nulle mention à la GRC. Il explique:


In adopting the Memorandum the Cabinet accepted the proviso whereby clearance by the RCMP is a condition precedent to the "landing" of a refugee under P.C. 6687. It appears clear, therefore, that the intention in security cases is not to require proof that a refugee falls within one of the prohibited classes in order to withhold such "landing". [je souligne]

[153]        Le groupe de travail chargé de développer le système de filtrage décide, le 23 octobre 1946, qu'un officier de la GRC devrait se rendre à Londres pour examiner les    6 000 demandes extentes et de fournir son approbation ou son refus le cas échéant. La lettre d'instructions reçue par la Sergent Hinton de la GRC avant de se rendre à Londres incluait:

10. All reports both to Immigration Department and this headquarters will be classified as "secret".

11. In deciding what factors render a potential immigrant undesirable you will be guided by the verbal instructions given at this headquarters. You will also pay attention to any additional information you may be able to secure from your U.K. contacts as to the background and status of any organizations which have not been specifically dealt with or with which you may not be acquainted.

12. The objective is to deny admission to any persons who, from their known history and background, would be unlikely to adapt themselves to the Canadian way of life and to our system of Democratic government. [je souligne]

[154]        Les rapports Hare et Shakespeare et la documentation connexe à ces rapports, selon la ministre, nous aide à comprendre comment la Mission a sélectionné les candidats du Second Corps polonais pour le programme autorisé par le décret 3112.

[155]        Dès le début, un problème épineux se présente. Le chef de la Mission demande l'avis d'Ottawa dans un télégramme reçu le 9 septembre 1946 à son sous-ministre:


4.              As a result of interviews, find that approximately 15% of applicants prior to joining Polish Corps were conscripted into the German Army or work camps after the fall of Poland, in many cases under threat to their families. These men joined Polish Corps after hostilities, but prior to enlistment in Polish Corps, were carefully screened by Polish Corps staff. These men are young and good material, and loyalty will be carefully checked by Mission if authorized by Canadian Government to give consideration to these men. Request Canadian Government attitude regarding their acceptance. Would point out that, if these men cannot be accepted, number suitable and available in Italy will be less than 4,000. [je souligne]

[156]        Le ministre des Affaires extérieures donne sa réponse le 11 septembre 1946:

Reference: Your inquiry re Polish soldiers formerly conscripted into German Army or German work camps. Under no consideration should any of these men be accepted to come to Canada. [je souligne]

[157]        Cette décision du Gouvernement du Canada fut très mal reçue par l'État major du Second Corps polonais en Italie; celui-ci exige une suspension du processus de sélection entre le 13 septembre 1946 et le 23 septembre 1946, espérant que la position canadienne changerait suite aux représentations du Second Corps aux autorités britanniques qui, eux, feraient pression sur les Canadiens.

[158]        L'extrait suivant d'un télégramme envoyé par un officier anglais au Quartier général des Forces alliées de la Méditerranée ( « CMF » ) en date du 17 septembre 1946 au War Office à Londres me semble bien résumer la situation:

Canadian Government's decision cabled to Mr. Hare Chief of Canadian Mission here, that it cannot accept men who were formerly in German Army or labour camps has caused much concern among Polish Corps with result that process of screening is now held up.


We appreciate that the Canadian government has no doubt strong reasons for the restriction and that it may well have to be accepted. Nevertheless its imposition inevitably bars a large number of Poles who fought actively against Germany and who undertook the additional risk of deserting the German Forces in order to do so. Its effect is also to limit to about 2,000 the total number of unmarried Poles eligible for resettlement in Canada according to Mr. Hare's calculations. There is a danger also that the exclusion of Poles who fought for allies but who were originally in Wehrmacht may become a precedent in resettlement with the result that a large proportion of the Corps who might be settled abroad would be left on our hands as a British responsibility.

I have instructed 2 Pol Corps that screening of those Poles who are eligible for acceptance by Canada must continue as a matter of urgency. Meanwhile, request that the Canadian government be asked if they can find a way to accept Poles who actually fought for allies in Italy and who are otherwise eligible. Matter if[sic] urgent as it is likely to effect speed and efficiency of transfer of remainder of Polish Corps from Italy to U.K. [je souligne]

[159]        Le 18 septembre 1946, M. Hare écrit au Sous-ministre du Travail à Ottawa concernant les instructions qu'il a reçues le 11 septembre 1946. Voici ce qu'il constate et comment il les interprète:

Members of 2nd Pol Corps fall into the following categories:

1.             Poles who joined General Anders in Middle East before 1943.

2.             Poles who were conscripted in the German Army or labour camps and who subsequently escaped and joined the Pol Corps and were in action with Pol Corps against the Germans.

3.             Poles who served in German Army and were taken prisoner by Allied forces and after screening joined Pol Corps and were in action against the Germans.

4.             Poles who served in German Army were taken prisoner by Allied forces and after the termination of the war in the European zone were taken into Pol Corps.

5.             Poles who lived in Poland during the war participating in underground activities and after the European war joined the Pol Corps in Italy.

6.             Poles who remained on their farms more or less unmolested and after the European war ended made their way to Italy.


7.             Poles who were taken prisoner by the Germans in 1939 and remained interned to the end of the European war and were subsequently taken into Pol Corps in Italy.

The mission's interpretation of your message exclude from our program all those falling outside category 1 and 5. Since receipt of your message, we have continued selection on basis of instructions contained therein.

This procedure not acceptable to 2 Pol Corps as they consider discrimination will lower morale of Pol Corps personnel. The 2 Pol Corps consider loyalties and war service equal in all categories and ask that no such discrimination be made.

We advise the 2 Pol Corps that on that basis, your instructions we have no alternative. Two Pol Corps intimates that under the circumstances, they could not submit further applicants for selection and ask that we put the matter before our government for consideration.

Pending receipt of advice from Canada, selection operations have been suspended in meantime. The problem has been referred to GHQ CMF Caserta. Procedure by the selection mission on basis of present understanding would we believe result in only 1,500 to 2,000 selectees from those available in Italy and might create embarrassing situation. Selections only can be renewed on receipt of your further instructions. [je souligne]

[160]        Le Sergent-major Ken Shakespeare avait envoyé un message semblable au Commissaire de la GRC le 17 septembre 1946.

[161]        La Maison du Canada à Londres, le 20 septembre 1946, est le lieu d'une rencontre entre les autorités britanniques responsables du transfert du Second Corps polonais de l'Italie en Angleterre et les autorités canadiennes au Haut-Commissariat. D'après le procès-verbal de cette réunion « [T]he purpose of the visit was, in brief, to inquire whether the Canadian Government would not reconsider its decision to exclude from the 4,000 immigrants all of those Poles who had been conscripted into the German army or into German work camps » .


[162]        Les deux hauts-gradés anglais « pointed out that a large number of such Poles who are, it is said, of excellent type, have already been selected by the Canadian Polish Movement Unit. These Poles found themselves after the joint German and Soviet advance into Poland in regions of Poland which had been actually annexed by Germany and therefore in the position of being German subjects liable as such to forceable conscription into the German forces. They escaped wherever possible, often at great risk to themselves, and many of them fought very gallantly and at very heavy cost at Bologna where 1,000 of them are buried » .

[163]        Suite à cette réunion, le Haut-Commissaire canadien dirige un télégramme au ministère des Affaires extérieures le 21 septembre 1946 que je reproduis:

1.             The War Office have expressed to me their concern over decision to exclude Poles conscripted into German forces or work camps and feel the points in my telegram under reference may not have been fully appreciated. In addition to the effect on our own scheme and the danger of creating a precedent for other resettlement, the resettlement and Corps scheme may be jeopardized by loss of faith in British intentions and likewise any further scheme devised to solve the general problem.

2.             It has been pointed out also that actual annexation of Poland made many Pol subjects of Germany and thereby liable for compulsory service. Among 2nd Polish Corps are large numbers who deserted at first opportunity and fought gallantly for the Allies, often earning British decorations.                                                      


[164]        Au paragraphe 77 de son rapport d'expertise, Nicholas d'Ombrain nous dit que Hume Wrong, alors Sous-secrétaire d'État adjoint au ministère des Affaires extérieures a suggéré au ministre des Affaires extérieures et au premier ministre, une solution qui fut adoptée et communiquée à la Mission le 28 septembre 1946, comme suit:

2.             The following are the instructions of the Canadian Government to the Canadian Polish movement unit:

It is agreed that we should accept persons not only from that group of Poles who deserted from German units and fought against the Germans in the war, but also from those who took part in active hostilities against the Germans after having been taken prisoner by the Allied Forces while serving in the German Army. The criterion should be active participation in hostilities against the Axis. Under this, the only groups barred would be those who joined the Polish Corps after the end of hostilities. This decision required no amendment to Order-in-Council P.C. 3112 which authorized the admission of "4,000 single ex-members of the Polish Armed Forces who served with the Allied Forces engaged in hostilities against the Axis powers.

3.             You should immediately recommence the interviewing and selection of these men on the basis of the above decision. If you are unable to fill the total quota from the Polish Corps in Italy, an offer will be made to complete the quota from the Polish Corps in the United Kingdom. If this fails, the Canadian Government may reconsider its decision that married men be excluded from the scheme. [je souligne]

[165]        Je termine cet aspect de la preuve en reproduisant un long extrait du rapport du Sergent-major Ken Shakespeare sur la façon dont la GRC s'est acquittée de la tâche que lui avait confié le Conseil des ministres:


22.           Work at selection commenced at this point on the 29th of August. Conditions were not favourable, accommodation being inadequate but in view of the desirability of starting work without further delay, the Mission decided to commence work immediately after making a request that improved facilities be placed at our disposal. The men presented for examination were those who had received a preliminary screening by the Poles from the original number of 8,000 applicants. This screening had resulted in 4,500 being assembled at different points, allowing for a 10% rejection by the Mission. On the basis of this information it was expected that the work of the Mission would proceed smoothly and expeditiously, however, after the first day's work it became obvious that such would not be the case as a large percentage of those presented were not as we had expected, veterans of the original 2 Polcorps. Our information had been that all members of the 2 Polcorps were men who had joined this military organization in 1942 when it was originally formed by General Anders in Teheran from men who had, in 1939, been transported to Russia and who were released by the Russians under a treaty entered into between USSR and General Anders. It was ascertained that the 2 Polcorps was cosmopolitan in its composition including men who had fought in the German army or who had worked in German labour camps and others who were more properly categorized as displaced persons, and who had joined the Polcorps under the various circumstances outlined below.

(a)            Genuine Polcorps veterans who had fought with the Corps since its organization.

(b)           Poles who had served in the German Armed Services. (These fall into three categories) (a) Those who deserted and joined the 2 Polcorps and subsequently were in action against the Germans. (b) Those who were taken prisoner by the Allies and subsequently joined the Polcorps and were in action against the Germans. (c) Those who were taken prisoner by the Allies and joined the Polcorps after the cessation of hostilities.

(c)            Poles who were employed at compulsory labour under German authority and who subsequently made their way to Italy and joined the Polcorps after the cessation of hostilities.

(d)           Poles who remained in Poland throughout the war and took part in underground activities against the Germans and who after the end of the war made their way to Italy and joined the Polcorps.

(e)            Poles who were in concentration camps in Poland and Germany and who after release by the Allies, joined the 2 Polcorps in Italy after the cessation of hostilities.

(f)            Poles who were taken prisoner by the Germans in 1939 and who were reportedly kept in POW camps throughout the war and who upon being released by the Allies made their way to Italy and joined the Polcorps.

23.           When this fact became apparent, the matter was discussed by the Mission and it was decided that Ottawa be informed and that instructions be requested. Meanwhile, selection proceeded on the basis that those having seen service with the Germans in any capacity, should be placed on a reserve list. On security grounds it was suggested that only those persons falling within categories (a) and (d) appeared to be acceptable under the Mission's program as we could not satisfy ourselves of the bona fides of those persons falling within the other categories. At this point, it became apparent that the original plan of two teams working at widely separated points was not pacticable and it was decided that the work of selection would be expedited by all selection personnel working together.

                                                                      . . .


27.           No suitable hotel accommodation being available, at Cesena, the Mission was based at Riocioni, which before the war was a fashionable seaside resort made popular by Mussolini who had a villa there. It was necessary for the Mission to drive 25 miles to Cesena daily. The work of selection commenced at Cesena on September 30th and carried on without particular incident to October 7th when cabled instructions were received from Ottawa which read in part:

"It is agreed that we should accept persons not only from that group of Poles who deserted from the German Units and fought against Germans in war but also those who took the first available opportunity of engaging in hostilities against Germans after having been taken prisoner while serving in the German Army. Criterion should be actual participation in hostilities against the Axis. Under these only groups barred would be those who joined the Polcorps after end of hostilities."

These instructions enlarged the field of selection and was gratefully received by the 2 Polcorps. It did not however, meet their full approval as they contended that it was unfair to many of the members of the Polcorps who were enlisted therein after the cessation of hostilities but who had contributed in some part to the Allied war effort whilst they were living in countries under German domination. Under the circumstances our instructions proved analogous [ambiguous] which caused the Mission some concern for the following reason. The instructions regarding the date of entry into the Polcorps were restrictive whereas the criterion quoted was a loose one inasmuch as some Poles had participated actively against the Axis but had not joined the Polcorps prior to the date quoted. Mr. Hare, Lt. Col. Parley and myself consulted on this point and decided that the Mission was bound to interpret the instructions regarding the date as mandatory and regard the criterion merely as an adjunct to these instructions. The Poles, who are masters of equivocation, quarrelled with our interpretation and Gen. Odzierzynski and his staff endeavoured to halt proceedings again until the point had been cleared. Mr. Hare advised by Lt. Col. Parley and myself, refused to compromise and insisted on selection continuing. Our decision was dictated by the necessity of finishing our work in Italy with as much despatch as possible having regard to the delays already occasioned by the Poles themselves and having in mind that at that time we had been instructed to proceed to the United Kingdom to complete selection.

                                                                      . . .


30.           The procedure adopted in screening applicants was necessarily based on the information contained in military records. The individual applicant presented his confidential Army book, to which was attached his original application under this program in Polish and an English translation thereof. Through an interpreter he was questioned as to the circumstances under which he joined the 2 Polcorps and as to his background and activities prior to that time. In the case of men who joined the 2 Polcorps in 1941 and 1942, the procedure was comparatively simple, where a man joined the Polcorps after service in the Wermacht or in German labour corps, it was of necessity more prolonged. In these latter cases, we worked on the assumption that if he had been in the German Army prior to certain dates, 1942 in the case of Poles from Upper Silesia and Pomerania and 1944 in the case of Poles from Eastern Poland, they had joined the German Army voluntarily and had undoubtedly declared themselves as Volksdeutsch and proceeded accordingly. In many cases we succeeded in extracting from these persons an admission to this effect and they were rejected. In other cases where we were not satisfied with their explanation we rejected them on principle. Many of these were young men whose parents had found it expedient to declare themselves Volksdeutsch, and had included the names of their children in the declaration. Consequently, the children had been called into the Army immediately they were considered old enough which in many cases was 16 years. One could not help but sympathize with the position of these young men but in the circumstances in which we found ourselves placed, it was felt that no consideration could be given to these cases in our program. Other cases came to our attention where young Poles had been allowed to remain at school until they were 20 years of age, even in areas under strict German domination. In these latter cases, although we were unable to establish it, there was an indication that such a circumstance could only exist through influence and they were rejected on these grounds. For the most part, the applicants were fundamentally of the simple, peasant type and in no case did any of them appear to be highly politicized. They were however, one and all bitterly opposed to Communism and when they were warned to refrain from political activities in Canada, and were advised to beware of the Communist propaganda agent who might approach them, they appeared to be sincere in their vehement denunciation of everything Communist. These men have only a minimum of education but their experience during the past seven years and their association with peoples of many lands, tend to remove them from the ignorant masses of Central Europe and they can be expected to be fully aware of what they consider their rights and most likely will be susceptible to the insidious propaganda which will be directed their way, particularly if they become dissatisfied with the conditions under which they work or if they consider the terms of their contracts too binding. [je souligne]

2)         Cadre juridique à l'époque

a)         En matière d'immigration

[166]        Tel qu'indiqué, c'est la Loi de l'immigration de 1910, en vigueur jusqu'en 1952, qui régit l'entrée temporaire du défendeur en 1946 et son acquisition à la résidence permanente en 1950 (voir Bogutin, précité, paragraphe 123).

[167]        La politique d'immigration du Canada entre 1931 et 1952 s'assoie sur les articles 3 et 38 de cette loi.

[168]        L'article 3 établit les catégories interdites et dispose que nul immigrant, passager, ni autre individu n'est admis à entrer ou à débarquer au Canada s'il appartient à l'une des catégories interdites parmi lesquelles on retrouve les idiots et les imbéciles, les personnes affligées de tuberculose, les immigrants muets ou aveugles, les personnes qui ont été trouvées coupables ou ont avoué avoir perpétré quelque crime impliquant turpitude morale, les prostituées, les personnes qui croient au renversement ou qui préconisent le renversement par la force ou la violence du Gouvernement du Canada, les personnes qui appartiennent ou sont affilées à une organisation qui préconise ou qui enseigne la non croyance ou l'opposition à un gouvernement organisé et les étrangers de nationalité ennemie ou les personnes qui ont été des étrangers de nationalité ennemie.

[169]        L'article 38 de cette loi autorise le gouverneur en conseil par proclamation ou arrêté d'interdire le débarquement au Canada de tout immigrant ou passager ou voyageur.

[170]        C'est par décret que le gouverneur en conseil établit les catégories de personnes qui sont éligibles d'entrer au Canada soit à titre d'immigrant ou de non immigrant tels les touristes et les étudiants. Comme John Baker l'exprime, et j'accepte son témoignage, « eligibility » signifie être apte à être considéré pour la sélection. Les critères sous l'article 3 et les critères de sécurité affectent l'admissibilité une fois l'éligibilité reconnue.


[171]        Durant la période pertinente, le décret de base est C.P. 695 du 21 mars 1931 pris par le gouverneur en conseil durant la crise économique de la Grande Dépression né en 1929. Sous ce décret, très peu de classes de personnes sont éligibles; le décret les limite aux sujets britanniques et aux citoyens américains avec moyens financiers suffisants et aux cultivateurs avec moyens de cultiver une terre ainsi que leur proche parenté.

[172]        Le premier élargissement des catégories d'immigrants éligibles au Canada est, tel qu'indiqué, celui des 3,500 réfugiés qui avaient entré au Canada comme non-immigrant durant la guerre. Cet élargissement trouve son expression dans le décret C.P. 6687 du 26 octobre 1945. Ces réfugiés sont assujettis au filtrage de sécurité.

[173]        Par la suite, le gouverneur en conseil prend les décrets suivants autorisant l'éligibilité de certaines personnes:

a)         le C.P. 3112 du 26 juillet 1946;

b)         le C.P. 2017 agrandissant la catégorie de parents proches;

c)         le C.P. 371 du 30 janvier 1947 rendant éligibles certains travailleurs agricoles parrainés;

d)         le C.P. 2180 du 6 juin 1947 et le C.P. 2856 du 18 juillet 1947 autorisant l'éligibilité de personnes déplacées durant la Seconde Guerre mondiale.

b)         En matière de citoyenneté


[174]        Walter Obodzinsky a acquis sa citoyenneté canadienne en 1955. C'est donc la Loi sur la Citoyenneté canadienne (1946) qui s'applique quant au droit substantif et la loi concernant la citoyenneté de 1976 qui l'a remplacée et était en vigueur en 1999 quant à la procédure de révocation. (Voir, Bogutin, précité, paragraphe 116).

[175]        Selon l'article 10 de la loi de 1946, le ministre pouvait, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal qu'elle a été licitement admise au Canada pour y résider en permanence et qu'elle a une bonne moralité. Cette loi contient une Partie III intitulée « Perte de la citoyenneté canadienne » . Parmi les dispositions de la Partie III, on retrouve l'article 19 qui autorise le gouverneur en conseil, à sa discrétion, d'ordonner qu'une personne cesse d'être un citoyen canadien si, sur un rapport du ministre, il était convaincu que la dite personne a obtenu un certificat de naturalisation ou de citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude, ou dissimulation de faits importants. Cet article 19 prévoyait à son alinéa (3) qu'avant de présenter un rapport, le ministre devait envoyer un avis à la personne visée lui fournissant l'occasion de demander que le cas soit soumis à l'enquête par une commission que le gouverneur en conseil, sur la recommandation du ministre, constitue à cet effet, commission présidée par une personne nommée par le gouverneur en conseil qui occupe ou a occupé une haute fonction judiciaire.


3)         Conclusions

a)         Sur les questions de droit

i)          Le détournement de pouvoir

[176]        Le défendeur soumet que l'action de la ministre est entachée d'un vice de fond - celui du détournement de pouvoir, en l'espèce, l'utilisation du pouvoir de révocation dans la Loi sur la citoyenneté pour un but impropre ou une fin autre que celle prévue par le législateur.

[177]        L'assise de ce détournement se situe dans la stratégie de 1995 du Gouvernement du Canada sur les crimes de guerre durant la Deuxième guerre mondiale.

[178]        Selon le défendeur, cette stratégie prévoit l'utilisation de la procédure de révocation contre les citoyens canadiens naturalisés soupçonnés être de prétendus criminels de guerre afin de les punir et d'expurger le Canada de ces personnes, le tout pour des motifs politiques.

[179]        Cette mauvaise utilisation de la loi est manifeste d'après l'extrait suivant d'un document émis par le Gouvernement du Canada intitulé Les Enquêtes sur les criminels de guerre au Canada, décrivant le critère essentiel des procédures:


Le critère essentiel, dans toutes ces poursuites, est l'existence d'une preuve quelconque que l'individu a lui-même commis un acte criminel. En l'absence de telle preuve, aucune poursuite ne sera envisagée. Lorsqu'il existe une preuve que l'individu a lui-même commis un acte criminel, la décision quant à la mesure choisie dépendra de la charge de la preuve applicable.

[180]        Une abondante jurisprudence canadienne reconnaît le principe du détournement de pouvoir dans le contexte de l'exercice d'une discrétion. Une loi doit être utilisée dans le but et pour la fin envisagée par le législateur (voir Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Prince George (Ville) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458; Re Multii-Malls Inc. & Minister of Transportation, (1977), 14 O.R. (2d) 49).

[181]        L'objectif visé par le Parlement en disposant, dans la Loi sur la citoyenneté, d'une procédure de révocation de citoyenneté aux motifs d'une acquisition par fraude, fausse déclaration ou dissimulation me paraît clair. Un citoyen canadien, si sa citoyenneté a été acquise par moyens dolosifs, ne peut jouir des bénéfices de cette citoyenneté canadienne dont le plus important, j'aurais cru, est le droit de demeurer au Canada et de gagner sa vie dans toute province (voir l'article 6 de la Charte).

[182]        Il m'apparaît que les deux extraits suivants de la Cour suprême du Canada dans Canada c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, sont pertinents. On se souviendra que dans l'affaire Tobiass, précitée, il s'agissait de savoir si une suspension définitive de l'instance d'une action en révocation de citoyenneté était un remède approprié dans les circonstances où on avait démontré une atteinte grave à l'impression d'indépendance que doit donner le pouvoir judiciaire. La Cour suprême a conclu qu'une suspension des procédures n'était pas un remède approprié en l'espèce.


[183]        La Cour suprême s'est exprimée comme ceci au paragraphe 93:

¶ 93      . . .Troisièmement, l'intérêt du Canada à ne pas donner refuge à ceux qui ont dissimulé leur participation en temps de guerre à des atrocités l'emporte sur tout préjudice prévisible que la poursuite des procédures pourrait causer aux appelants ou à l'intégrité du système. Dans la mesure où il a pensé le contraire, le juge de première instance se trompait.

[184]        Sur la question à savoir si les intérêts de la société l'emporte sur la suspension des procédures je reproduis les paragraphes 108 et 109 du jugement de la Cour:

¶ 108       Peut-être faut-il d'abord noter que l'enjeu n'est pas le même pour les appelants en l'espèce que pour l'accusé type dans une cause criminelle classique. L'État tente de priver les appelants de leur citoyenneté, non de leur liberté. La citoyenneté canadienne est indubitablement un "précieux privilège" (voir Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358, au par. 72). Pour certains, comme ceux qui pourraient devenir apatrides s'ils étaient privés de leur citoyenneté, elle peut être aussi précieuse que la liberté. Cependant, pour la plupart, la liberté est plus précieuse encore. Par conséquent, les intérêts des appelants ne pèsent pas autant dans la balance que si les procédures étaient de nature purement criminelle.

¶ 109       De l'autre côté de la balance, l'intérêt de la société à ce que soit rendu un jugement définitif sur le fond est évident. Il est impératif que la vérité se manifeste. S'il n'est pas prouvé que les appelants ont fait les choses qu'on leur reproche, ils garderont leur citoyenneté. Mais si les actes allégués sont établis, en tout ou en partie, les mesures appropriées devront être prises. Ce qui est en jeu ici, si peu que ce soit, c'est la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale. À notre avis, cette préoccupation est de la plus haute importance.

[185]        À mon avis, la preuve sur laquelle la procureur du défendeur s'est fondée pour établir un abus de discrétion au motif de détournement de pouvoir ne justifie aucunement la conclusion recherchée et que de lui donner suite dénaturerait la réalité de la stratégie du Gouvernement du Canada.

[186]        Premièrement, la stratégie du Canada ne se limite pas aux crimes de guerre commis durant la Seconde Guerre mondiale. D'après le document Les Enquêtes sur les criminels de guerre au Canada, au premier paragraphe, l'engagement du Canada « est sans équivoque et n'est limité ni dans le temps ni dans l'espace ni à certains conflits particuliers » . Le rapport sur lequel la procureur du défendeur s'appuie était un rapport particulier qui donnait un aperçu du processus d'enquête suivi en regard des cas qui remontaient à la Seconde Guerre mondiale.

[187]        Deuxièmement, le défendeur semble se plaindre qu'on a ouvert une enquête contre lui. La preuve ne justifie pas une telle conclusion. Le paragraphe suivant du rapport, à la page 7, me paraît juste:

Les allégations qu'il y a des criminels de guerre qui vivent au Canada proviennent tant de sources nationales qu'étrangères. En premier lieu, il faut réunir autant de données personnelles sur le suspect que possible en ayant recours aux sources policières traditionnelles. Dans le cas d'allégations provenant de l'étranger, il faut établir d'abord que le suspect est vivant et qu'il réside au Canada. En second lieu, il faut vérifier si l'individu a un lien avec l'objet de l'allégation.

[188]        Troisièmement, la stratégie est consciente que les lois au Canada offrent au Gouvernement certains choix de procédures. Sous le chapitre intitulé « Poursuivre, révoquer la citoyenneté ou expulser? » il est écrit:


Toutes les enquêtes ouvertes sont menées en tenant compte de toutes les procédures possibles tant au criminel qu'au civil savoir la poursuite, la révocation de la citoyenneté et l'expulsion. La poursuite pénale est toujours la première option envisagée. Si elle est retenue, il n'y aura aucune instance civile avant la conclusion de l'instance pénale. Si la poursuite pénale n'est pas possible et que la personne soupçonnée a obtenu la citoyenneté ou le droit d'entrée au Canada par fraude, dont la preuve peut être faite, les procédures de révocation de la citoyenneté ou d'expulsion seront envisagées. Certains éléments de preuve nécessaires en matière de poursuite pénale demeureront pertinents dans une poursuite civile. [je souligne]

[189]        Quatrièmement, j'interprète le critère de l'existence d'une preuve que l'individu a lui-même commis un acte criminel comme étant relié à la poursuite pénale. Je crois que le contexte dans lequel ce critère est identifié mène à cette conclusion.

[190]        Cinquièmement, le rapport reconnaît, à la page 8, que l'abandon de l'option pénale ne résulte pas à la prise d'une mesure en révocation « [L]es personnes soupçonnées ne sont pas toutes entrées au Canada par fraude et n'ont pas toutes obtenues la citoyenneté frauduleusement » .

[191]        Sixièmement, ce n'est pas le Gouvernement du Canada qui prend la décision d'émettre un avis sous la loi « le procureur général transmet les dossiers au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration qui décidera s'il y a lieu d'introduire une instance en révocation de citoyenneté ou en expulsion. Des facteurs comme la solidité et la disponibilité des éléments de preuve et la nature des crimes en question seront pris en considération dans la prise de décision » .

[192]        Pour ces motifs, le défendeur ne m'a pas convaincu que la preuve appuyait sa prétention de détournement de pouvoir.

[193]        J'ajoute que le juge Nadon dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Katriuk, [1999] 3 C.F. 164, a tranché à l'encontre des prétentions du défendeur:

¶ 28       Je ne puis blâmer le gouvernement d'avoir choisi de procéder comme il l'a fait. Le fait que le ministère public aurait pu engager une poursuite criminelle n'est pas pertinent. En suivant la voie qu'il a choisie pour poursuivre le défendeur, le ministère public a, de fait, enlevé toute pertinence à la question de savoir si le défendeur avait commis des crimes de guerre. La question en litige en l'espèce est celle de savoir si le défendeur a obtenu la citoyenneté frauduleusement ou en cachant des faits importants. Même si le défendeur n'a commis aucun crime pendant la guerre, la preuve qu'il a soit fait des déclarations frauduleuses, soit caché des faits importants concernant ses activités pendant la guerre suffit pour établir le bien-fondé des allégations formulées contre lui. Ce comportement du ministère public équivaut-il à un acte fautif de sa part, qui justifierait la suspension de l'instance contre le défendeur? Certainement pas. Lorsque plusieurs voies de recours s'offrent à la Couronne, celle-ci est libre de suivre celle de son choix. Je ne connais aucun principe juridique en vertu duquel il devrait en être autrement. Répétons-le, la validité constitutionnelle des dispositions permettant au [page162] ministère public de procéder comme il l'a fait n'a pas été contestée.

ii)         L'inconstitutionnalité

[194]        Je n'ai pas l'intention de faire le tour des arguments présentés par la procureur du défendeur à l'appui de sa défense que les articles pertinents de la Loi sur la citoyenneté (les articles 10 et 18) conjugués avec certains articles de la Loi sur l'immigration, l'ancienne ou la nouvelle, enfreignent la Charte et la Déclaration.


[195]        Ma lecture des mémoires que la procureur du défendeur a déposé devant la Cour d'appel fédérale à l'encontre de la décision du juge Nadon de lui refuser une suspension définitive des procédures prises par la ministre ainsi que le mémoire qu'elle a déposé devant la Cour suprême du Canada afin de convaincre cette Cour d'accorder permission d'en appeler de la décision de la Cour d'appel fédérale, me persuade que ces deux tribunaux ont écarté, sur le fond, tous les arguments qu'elle m'a soumis mais sous une différente formule.

[196]        D'ailleurs, le juge Nadon arrive à cette même conclusion lorsqu'il a refusé la requête du défendeur de formuler une question préliminaire de droit soulevant l'inconstitutionnalité des dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté.

[197]        Notre système judiciaire ne permet pas qu'une fois décidé, le débat peut être repris à nouveau sur cette même question. Comme l'a bien dit le juge Strayer dans Canada (Minister of Citizenship and Immigration) c. Fast, précité, « Le stare decisis est la règle générale conférant un élément de certitude et de prévisibilité au droit canadien ainsi qu'une certaine efficacité dans l'administration de notre système de justice; il est aussi, en soi, l'un des "principes fondamentaux" de notre système de justice (donc un élément de la "justice fondamentale") » . (Voir aussi les remarques du juge Binnie dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460 à la page 473 que « [L]e droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances » .

[198]        L'article 15 de la Charte, bien qu'il aurait pu l'être, n'a pas été invoqué par le défendeur dans ses procédures antérieures. Je remarque que devant la Cour, une partie en cause ne peut pas garder en réserve un argument dans l'espoir de le soulever plus tard si les arguments présentés n'ont pas été acceptés.


[199]        Nonobstant ce principe, il m'est évident que les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté en matière de révocation ne violent aucunement l'article 15 de la Charte dont l'analyse se fait en fonction de l'arrêt Law c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] 1 R.C.S. 497, où trois grandes questions doivent être décidées chaque fois que cet article de la Charte est soulevé. Premièrement, la loi contestée établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et les autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles ou omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou plusieurs caractéristiques personnelles? Deuxièmement, le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues. Troisièmement, la différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotype, de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne qui mérite le même intérêt, le même respect ou la même considération.


[200]        La procureur du défendeur le compare aux citoyens nés au Canada. Comme l'a dit le juge McGuigan dans l'arrêt Roach c. Canada, [1994] 2 C.F. 406 à 416 « . . . la comparaison entre ces groupes ne mène à rien » . De plus, je trouve apte la comparaison suggérée par le procureur de la ministre, c'est-à-dire les personnes qui ont obtenu la citoyenneté par fraude, au moyen de fausses représentations ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels comparées à celles qui, comme le défendeur, n'étant pas nées au Canada, ont obtenu la citoyenneté sans recours à des moyens dolosifs.

[201]        Il va sans dire que de par cette comparaison le défendeur ne rencontre aucun des trois éléments nécessaires pour qu'il y est violation de l'article 15 de la Charte d'après l'arrêt Law, précité.

[202]        Le défendeur a aussi invoqué devant moi la Déclaration, un autre argument tenu en réserve. Le défendeur ne m'a pas convaincu que, dans l'espèce, la Déclaration ajoutait une dimension non couverte par la Charte.

iii)        Le droit acquis à la citoyenneté

[203]        Le défendeur soutient que la loi concernant la citoyenneté de 1976, telle que modifiée, a eu comme effet de l'immuniser contre les dispositions en révocation qu'elle renferme. Il fonde sa prétention sur les articles suivants de la nouvelle loi:

1)         L'article 3 qui dispose « [S]ous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne ... (d) ayant cette qualité au 14 février 1997 » .


2)         L'alinéa 10(1) qui dispose « [S]ous réserve du seul article 18 ...lorsqu'il [le gouverneur en conseil] est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition ... de la citoyenneté est intervenue sous le régime de la présente loi » . [je souligne]

3)         Les dispositions transitoires et abrogatives que l'on voit aux articles 35 et 36:

35. (1) Une procédure intentée en vertu de l'ancienne loi et non terminée à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi peut se poursuivre à titre de procédure intentée soit en vertu de l'ancienne loi et de ses règlements, soit en vertu de la présente loi et de ses règlements sur décision du Ministre laissée à sa discrétion, mais toute procédure poursuivie en vertu de l'ancienne loi et des règlements y afférents ne peut se poursuivre pendant plus d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.

(2) . . .

36. L'ancienne loi est abrogée. [je souligne]

[204]        Trois propositions, selon le défendeur, découlent du texte législatif:

1)         la procédure de révocation de citoyenneté vise celle acquise sous le régime de la présente loi;

2)         Walter Obodzinsky n'est plus simplement un citoyen naturalisé mais a été déclaré citoyen canadien selon l'article 3 de la nouvelle loi; et

3)         le but de ces modifications législatives est de mettre un terme aux effets de la présente loi.

[205]        J'écarte l'interprétation du défendeur pour deux motifs:


1)         les droits substantifs liés à l'acquisition de la citoyenneté sont régis par la législation en vigueur au moment de l'octroi de la citoyenneté, (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. no 229 (CFPI)); et

2)         l'article 44 de la Loi sur l'interprétation s'applique en cas d'abrogation et de remplacement d'une loi ce qui est le cas échéant.

[206]        J'ai déjà mentionné, dans ces motifs, les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté de 1946 quant à l'octroi et la perte de citoyenneté. Pour obtenir la citoyenneté, un demandeur devait avoir été licitement admis au Canada pour y résider en permanence, et avoir bonne moralité. Celui qui a acquis la citoyenneté canadienne pouvait la perdre aux termes de l'article 19 de la loi de 1946, disposition analogue à l'article 10 de la loi de 1976.

[207]        Les dispositions pertinentes de l'article 44 de la Loi sur l'interprétation se lisent comme suit:


44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent_:

                      . . .

d) la procédure établie par le nouveau texte doit être suivie, dans la mesure où l'adaptation en est possible_:

(i) pour le recouvrement des amendes ou pénalités et l'exécution des confiscations imposées sous le régime du texte antérieur,

(ii) pour l'exercice des droits acquis sous le régime du texte antérieur,

(iii) dans toute affaire se rapportant à des faits survenus avant l'abrogation; [je souligne]

44. Where an enactment, in this section called the "former enactment", is repealed and another enactment, in this section called the "new enactment", is substituted therefor,

                      . . .

(d) the procedure established by the new enactment shall be followed as far as it can be adapted thereto

(i) in the recovery or enforcement of fines, penalties and forfeitures imposed under the former enactment,

(ii) in the enforcement of rights, existing or accruing under the former enactment, and

(iii) in a proceeding in relation to matters that have happened before the repeal;         


[208]        En conclusion sur ce point, la procédure établie par la Loi sur la citoyenneté de 1976 doit être suivie dans toute affaire se rapportant à des faits survenus avant l'abrogation. C'est en 1946 que la ministre allègue que Walter Obodzinsky a dissimulé des faits essentiels sur son passé qui ont conduit à son admission temporaire cette année là au Canada et par enchaînement à l'obtention illégale d'une résidence permanente, d'un domicile canadien et en 1955 de la citoyenneté canadienne dont il pouvait être déchu sous la loi de 1946 si cette citoyenneté avait été acquise par moyens dolosifs.

[209]        De plus, la prétention du défendeur que l'article 3 de la Loi sur la citoyenneté de 1976 lui accorde un statut de citoyen irrévocable perd toute valeur si l'on considère, comme on le doit, que cette déclaration à l'article 3 est sous réserve de toutes les autres dispositions de la loi de 1976, notamment la procédure de révocation.

iv)        La prescription et l'inaction

[210]        Dans Canada c. Obodzinsky, [2002] C.A.F. 518, le juge Létourneau a longuement discuté, en obiter, la question à savoir si l'action de la ministre contre le défendeur était prescrite (voir les paragraphes 45 à 51 de son jugement). Je retiens en particulier les remarques faites au paragraphe 50 comme suit:


¶ 50      . . . Il n'était pas non plus opportun, d'autre part, de s'aventurer sur le terrain de la prescription quand les faits n'étaient pas tous connus. On voit, par exemple, du peu de preuve dont disposait la juge des requêtes, que les autorités canadiennes ont été informées en 1993 des allégations concernant l'intimé et que celui-ci n'a été retracé au Canada qu'en 1995. Il est dès lors peu probable que la prescription, dans l'hypothèse où elle peut être invoquée, ait commencé à courir avant cette date, encore moins en 1950 comme le prétend la procureur de l'intimé.

[211]        Nonobstant cette remarque du juge Létourneau sur le peu de preuves dans le dossier sur la question de la prescription, la procureur du défendeur, devant moi, n'a pas tenté de combler ce vide.

[212]        Toutes mes connaissances à ce sujet proviennent de la documentation produite devant la juge des requêtes en jugement sommaire et donc devant le juge Létourneau dans le dossier d'appel.

[213]        Cette preuve démontre les faits suivants:

1)         Dans le contexte de leur enquête sur M. Serafimovich, c'est en janvier 1993 que le Dr Dean du British War Crimes Unit a informé la Section des crimes de guerre au Canada que plusieurs témoins avaient identifié un dénommé Obodzinsky comme policier à Turez durant l'été 1941;

2)         En juillet 1993, le Dr Dean indique aux autorités canadiennes qu'il voulait interroger ce monsieur Obodzinsky disant « I think it is likely that the man living in Canada is indeed the Wlodzimierz Obodzinsky referred to by witnesses » . Walter Obodzinsky refusa de rencontrer les enquêteurs anglais;

3)          Le 31 août 1994, la GRC ouvre une enquête;

4)         Le 2 décembre 1995 les enquêteurs canadiens et anglais ont rencontré le défendeur à Montréal;


5)         Le défendeur a indiqué aux enquêteurs qu'il avait été déporté par les Russes avec presque toute sa famille quelques semaines avant l'arrivée des Allemands en juin-juillet 1941 et qu'il ne fut de retour en Pologne qu'en 1945 où il rejoignit l'Armée polonaise;

6)         L'enquête canadienne s'est donc poursuivie mais je n'ai aucune date précise quand elle fut terminée et quand une recommandation fut faite à la ministre.

7)         L'épouse du défendeur dépose aussi un affidavit reconnaissant l'interrogation de son mari en 1996.

[214]        Prenant pour fins de discussions, comme le juge Létourneau l'a fait, que les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté envisagent une cause d'action, à mon avis, cette cause d'action ne prend naissance que lorsque la ministre a raisonnablement découvert que le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou fausse déclaration ou dissimulation. Ce n'est certainement pas en 1993 que la ministre aurait raisonnablement découvert ceci tel que plaidé par la procureur du défendeur. La naissance de cette cause d'action n'a pas eu lieu fin décembre 1994 comme la preuve à laquelle je référerai plus tard démontre amplement.

[215]        Dans toutes les circonstances, le défendeur n'a pas rencontré le fardeau qui lui incombait d'établir une preuve suffisante que l'action contre lui était prescrite.

[216]        Sur la question d'inaction, j'accepte les prétentions du procureur de la ministre que le processus de révocation de la citoyenneté n'est pas une procédure en équité à laquelle pourrait se rattacher la doctrine d'inaction et, que de toute façon, cette question avait été soulevée devant le juge Nadon qui, sans en dire plus, n'y a pas donné suite. Qui plus est, cette question d'inaction a été soulevée devant la Cour d'appel et devant la Cour suprême du Canada dans le contexte de sa plaidoirie sur le délai.

v)         L'étape appropriée pour les moyens dolosifs

[217]        Le défendeur a repris devant moi l'argument qu'il n'y avait aucune preuve au dossier que Walter Obodzinsky n'avait pas été légalement admis au Canada pour y résider en permanence, condition préalable pour l'acquisition de la citoyenneté sous la loi de 1946 (voir, le paragraphe 10(1)(b) de cette loi).

[218]        Sous le décret 3112, poursuit la procureur du défendeur, Walter Obodzinsky a été admis temporairement comme résident au Canada mais cependant, sous la loi substantive de 1946, ce n'était pas une condition d'être admis comme visiteur légalement pour obtenir la citoyenneté. Le bon moment est lors de l'acquisition de la résidence permanente et le décret reconnaît cette exigence explicitement lorsqu'il est écrit au paragraphe 3 que la personne visée « shall be granted permanent admission ... and if otherwise eligible to enter or remain in Canada » .

[219]        Je considère clos le débat sur cette question en raison de la décision de la Cour d'appel fédérale de décembre 2002 qui l'a tranchée, abstraction faite du présent article 10(2) de la loi de 1976 que l'on ne retrouvait pas dans la loi de 1946.

[220]        Ce qui est important, à mon point de vue, c'est la portée que le juge Létourneau donne au paragraphe 10(1) de la loi de 1976 qui est rédigé de la même façon que l'article 19(1)(b) de la loi de 1946. Au paragraphe 44 le juge Létourneau écrit que le paragraphe 10(2) de la loi de 1976 « n'a pas pour effet de limiter et de restreindre la portée du paragraphe 10(1) et les motifs de révocation de l'acquisition de la citoyenneté.... En d'autres termes, la présomption du paragraphe 10(2) est utile mais ne limite pas la question de la fraude ou l'usage de moyens dolosifs au seul moment de la demande d'admission au Canada à titre de résident permanent » . [je souligne]

[221]        Cette interprétation par le juge Létourneau crée une ouverture à la théorie de la ministre en l'espèce ancrée sur l'existence d'une dissimulation en Italie qui aurait permis à Walter Obodzinsky de participer au programme sanctionné par le décret 3112 lui donna une porte d'entrée au Canada et que sans ce pied à terre détourné il n'aurait jamais obtenu sa résidence permanente et sa citoyenneté canadienne.


vi)        Pouvoir d'interdire le défendeur pour motifs de sécurité

[222]        Je réalise que le juge Noël dans Dueck, précité, est venu à la conclusion qu'il n'existait pas avant 1950 d'autorité légale pour rejeter des candidats à la résidence permanente pour des motifs de sécurité.

[223]        La Cour d'appel fédérale, dans son jugement de décembre 2002, a constaté les différences entre le décret 3112 et le décret 1947-2180 sur lequel le juge Noël s'était penché. Aussi, le juge Létourneau a fait certains commentaires sur la preuve qui était au dossier de la requête pour jugement sommaire.

[224]        Il ne faut pas oublier que l'entrée temporaire des soldats du Second Corps s'est effectuée sous le décret 3112 qui nourrit le document légal sous lequel les soldats du Second Corps polonais sont entrés au Canada, c'est-à-dire, un permis émis par le ministre des Mines et des Ressources en vertu du paragraphe 4 de la Loi sur l'immigration de 1910, qui lui confère un pouvoir discrétionnaire.


[225]        Je n'ai aucun doute que la GRC pouvait légalement refuser à un membre du Second Corps polonais en Italie de participer au programme établi par le décret 3112, au motif, parmi d'autres, de sécurité. La raison d'être de la Mission canadienne qui s'est déplacée en Italie était de rencontrer les candidats polonais qui voulaient participer à ce programme « to interview and examine persons » dans le but de sélection afin de permettre au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire. D'après la documentation devant le Conseil des ministres en 1946, un critère de sélection était « no Nazis, no agents » . C'est de cette façon, dans les faits, que la sélection s'est déroulée.

b)         Sur les questions de faits

[226]        Avant de tirer mes conclusions sur les questions de faits, quelques commentaires sur les témoignages que j'ai reçus sont nécessaires.

[227]        J'ai entendu plusieurs témoins en Commission rogatoire. Leurs témoignages portaient sur leurs connaissances personnelles du défendeur. D'ailleurs, la valeur principale de leurs preuves repose sur cet aspect de la déclaration de la ministre. J'accepte que cette preuve est crédible et c'est cette preuve sur la connaissance personnelle du défendeur que je retiens. Je remarque que certains ont témoigné contre intérêt lorsqu'ils ont admis avoir été membres de la police auxiliaire ou membres du Jagdzug.

[228]        Je retiens aussi la preuve des témoins sur l'apport rendu par la police auxiliaire et le Jagdzug à l'occupation allemande en Biélorussie dans les atrocités commises. Cette preuve est concordante avec la preuve documentaire.


[229]        On pourrait déceler dans quelques témoignages sur des points non essentiels une divergence entre la preuve documentaire et l'expérience vécue par le témoin durant l'occupation allemande. Il ne m'est pas nécessaire d'approfondir le point qui, pour le faire, m'obligerait à m'aventurer en dehors de ce qui est nécessaire dans ce renvoi. Je dois dire que cette réserve de ma part ne s'applique aucunement aux témoins que j'ai entendus en Biélorussie ou en Israël.

[230]        Je tire les conclusions de faits suivantes sur la balance des probabilités.

[231]        Premièrement, la preuve établie que Walter Obodzinsky était à Turez durant l'été 1941 et qu'il était un policier auxiliaire à ce moment au début de l'occupation allemande:

Biyut, P.V., vol. 1, pages 33-34;

Zayats, P.V., vol. 1, pages 152 à 155;

Harkavi, P.V., vol 3, pages 22 et 35.

[232]        Deuxièmement, je conclus que le défendeur s'est volontairement enrôlé dans la police locale, été 1941, dans le district de Mir:

Biyut, P.V., vol. 1, pages 15, 34;

Gruschevsky, P.V., vol. 1, pages 52-59-60;

Rapport de B. Chiari, page 13, paragraphe 7

Rapport allemand, (M-35) DHD 105


[233]        Troisièmement, la preuve des docteurs Messerschmidt et Chiari établit que la police auxiliaire sous l'occupation civile allemande en Biélorussie était sous le contrôle et la juridiction de la SS et que le Jagdzug était une organisation militaire sous les ordres des forces militaires allemandes durant plusieurs grandes opérations contre les partisans.

[234]        Quatrièmement, le défendeur est situé comme policier auxiliaire à Mir en 1942:

Mazurek, P.V., vol 2, pages 50, 52 à 54.

[235]        Cinquièmement, il y a une preuve abondante des atrocités commises contre les Juifs en Biélorussie et la participation de la police auxiliaire dans ces atrocités:

Biyut, P.V., vol. 1, pages 22 à 31 sur la fusillade le 11 novembre 1941;

Zayats, P.V., vol. 1, pages 158-159, à Turez;

Gruschevsky, P.V., vol. 1, pages 55 à 61, à Mir, automne 1941;

Harkavi, P.V., vol. 3, pages 29 et 30, le 4 novembre 1941, y inclus la connaissance du massacre le même jour à Jeremichi, pages 29 à 30);

Schreiber, P.V., vol. 3, pages 57 à 60, pour Mir, le 9 novembre 1941;

pages 65 à 73 pour les événements au Château de Mir en août 1942.

[236]        Sixièmement, il y a preuve que Walter Obodzinsky était présent, une fois, durant l'exécution de Juifs:

Biyut, P.V., vol. 1, page 31, au sujet de la fusillade à Jeremichi le 11 novembre 1941 mais il témoigne que Walter Obodzinsky avait son fusil à l'épaule. (Voir aussi P.V., vol. 1, page 42).

[237]        Septièmement, sur la foi de trois témoignages, je détermine que le défendeur était membre du Jagdzug, comme chef de peloton et instructeur militaire:

Grigorovich, P.V., vol. 1, pages 113 à 116 et page 139;

Olezkiewicz, P.V., vol. 2, pages 17 à 19;

Mazurek, P.V., vol. 2, pages 55 à 57;

[238]        Huitièmement, je constate la preuve suivante concernant les atrocités commises par la police locale ou le Jagdzug contre les partisans et la population civile en général y inclus au cours des opérations avec les Forces allemandes:

Keda, P.V., vol. 1, pages 71, 77, 80, 83 à 92;

Gruschevsky, P.V., vol. 1, pages 53-54;

Grigorovich, P.V., vol. 1, pages 109, 119 à 122;

Olezkiewicz, P.V., vol. 2, pages 22, 23 et 36;

L'ample preuve documentaire provenant des documents de guerre allemands.

[239]        Neuvièmement, je conclus que Walter Obodzinsky était présent en Allemagne avec le Waffen SS, qu'il a déserté en France durant l'été et qu'il a, par la suite, combattu avec la résistance française et le Second Corps polonais contre les Allemands avant la fin de la Seconde Guerre mondiale en mai 1945:

Le carnet militaire de Walter Obodzinsky -

Grigorovich, P.V., vol. 1, page 133;


Olezkiewicz, P.V., vol. 2, pages 25 à 29, pages 36 et 38;                     

Mazurek, P.V., vol. 2, pages 57 à 62, pages 65 et 66.

[240]        La preuve à laquelle j'ai fait référence me porte à conclure que le défendeur était un collaborateur volontaire des Allemands durant l'occupation de la Biélorussie entre 1941 et 1944 et ceci comme membre de la police auxiliaire et membre du Jagdzug, constatation que la retraite de la Biélorussie vers l'Allemagne du défendeur avec les Allemands en 1944 confirme.

[241]        Il n'y a aucune preuve devant moi qui me permet de conclure que le défendeur a personnellement tué des Juifs, des partisans ou d'autres membres de la population civile. Cependant, la preuve orale et documentaire démontre que le défendeur était complice dans la perpétration d'atrocités commises, faits indéniables, durant l'occupation allemande en Biélorussie.

[242]        J'ai deux dernières questions à résoudre avant de déterminer si le défendeur a acquis sa citoyenneté en 1955 par moyens dolosifs. Le défendeur a-t-il été questionné sur son passé par la GRC en Italie et est-ce que la collaboration avec les Allemands durant la Deuxième guerre mondiale était un motif d'exclusion du programme établi par le décret 3112.

[243]        La procureur du défendeur m'a suggéré, pour plusieurs raisons, qu'il était probable que le défendeur n'a pas été questionné par la GRC sur son passé:

1)         d'après les dernières instructions reçues par la Mission, le défendeur était éligible et admissible au programme parce qu'il avait combattu contre les Allemands; et que ce critère était le seul pertinent pour son accès.

2)         le programme ne lui accordait pas la résidence permanente mais seulement la résidence temporaire;

3)         la preuve écrite reçue sur consentement de William Makowski, qui a été sélectionné mais qui a dit ne pas avoir été questionné sur son passé; et

4)         le rapport de la Mission canadienne en 1947 en Angleterre.

[244]        Je donne très peu de poids aux éléments invoqués par le défendeur. Messieurs Hare & Shakespeare écrivent dans leurs rapports que les dernières instructions en date du 28 septembre 1946 élargissaient le champ de sélection, c'est-à-dire ceux qui étaient éligibles de participer au programme mais non nécessairement admissibles comme participant au programme (voir le rapport Shakespeare, paragraphes 25 et 27).


[245]        La Mission a très bien compris qu'effectivement si un candidat polonais membre du Second Corps était sélectionné, c'était pour toutes fins pratiques sélection à la résidence permanente à moins de défaillance de ceux choisis. Le Sergent Shakespeare l'indique bien dans son rapport au paragraphe 13 « as these veterans were expected to settle permanently . . . » et au paragraphe 34 « it seems to me that as these men have been so carefully selected it might be found advantageous to encourage them in becoming citizens of Canada ... » . D'ailleurs, la preuve démontre que c'est exactement de cette façon que le Gouvernement du Canada a procédé en leur accordant la résidence permanente.

[246]        Ça ne me surprend aucunement que M. Makowski n'ait pas été questionné sur son passé. Il était un de ceux qui s'est joint au Second Corps polonais en Russie, ce qui excluait automatiquement une collaboration avec les Allemands durant l'occupation.

[247]        Finalement, le rapport de la Mission canadienne qui s'est rendue en Angleterre en avril-juin 1947 pour faire la sélection de vétérans polonais (pièce D-30) offre très peu sur ce point. Comme le rapport Hare, le rapport de cette Mission a été rédigé par George Haythorne, chef de la Mission, fonctionnaire public et non membre de la GRC. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant qu'il n'a appliqué aucune des critères de sécurité comme c'est le cas de M. Hare d'ailleurs.

[248]        En dernier lieu, je conclus que la collaboration avec l'occupation allemande durant la Deuxième Guerre mondiale était un motif, que si connu, aurait exclu le défendeur du programme que le décret 3112 autorisait. La collaboration comme motif d'exclusion ou d'inadmissibilité au Canada pour fins de la Loi sur l'immigration était une préoccupation constante des autorités canadiennes qui se voit par l'examen de la documentation suivante, une documentation en large mesure contemporaine avec le développement du décret 3112 et la sélection par la Mission en Italie:


1)         mention, par un comité interne au Ministère des Affaires extérieures en février 1946 de collaborateurs comme personnes indésirables pour venir au Canada;

2)         lettre du 16 mai, 1946 du Sous-commissaire Gagnon de la GRC à Laurent Beaudry, Sous-ministre associé au Ministère des Affaires extérieures dans laquelle il exprime que les collaborateurs Nazis voulaient venir au Canada et que « this type of person is hardly desirable » ;

3)         quelques jours plus tard, le 24 mai 1946, les paramètres du programme pour les soldats du Second Corps polonais sont élaborés par deux ministères (le Ministère du Travail et le Ministère des Mines et Ressources) où il est indiqué « a meticulously careful selection should be made on grounds . . . security (no Nazis or agents) » . Ces paramètres ont été, tel qu'indiqué auparavant, entérinés par le Conseil des ministres;

4)         le texte de la proposition de modifications législatives élaboré en juin-juillet 1946 mais abandonné par la suite;

5)         les instructions reçues par le Sergent Hinton le 23 octobre 1946 (le premier membre de la GRC à se rendre à Londres pour entreprendre le filtrage de sécurité);

6)         lettre du 7 avril 1947 de N.A. Robertson, Haut-commissaire du Canada à Londres qui indique « persons who are collaborators would of course be screened out » . Il faut se rappeler que M. Robertson était l'un des architectes du décret 3112;


7)         discussion début 1948 des critères d'inadmissibilité des personnes déplacées; (voir document M-131, onglet 274, ainsi que le document M-229, onglet 279);

8)         lettre du Sous-commissaire Nicholson de la GRC au Surintendent McLellan du 22 juillet 1948 (document M-136, onglet 290) mentionnant la collaboration comme critère de refus au motif de sécurité;

9)         au même effet, les documents M-36 et M-37, onglet 291 et 292, visant la collaboration comme critère de refus.

[249]        Toutes ces mentions de collaboration comme critère de refus pour fins d'immigration se situent avant et après la sélection par la Mission canadienne de ceux qui pouvaient participer au programme du décret 3112. Ma lecture du rapport du Sergent Shakespeare me convainc que la collaboration avec l'occupation allemande aurait exclu le candidat collaborateur du programme. Cette conclusion découle du texte même de son rapport dont les extraits pertinents ont été reproduits.

DÉCISION

[250]        Le paragraphe 18(1)b) de la loi exige que je décide si Walter Obodzinsky a obtenu sa citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[251]        Après un examen approfondi de la preuve recueillie en Commission rogatoire et durant le procès, j'arrive à la conclusion que le défendeur a dissimulé son passé - sa collaboration active et volontaire avec l'occupation allemande - et que cette dissimulation a eu comme résultat sa participation illégitime au programme du décret 3112, et comme conséquence nécessaire dans le contexte et dans le but de ce décret et de ce programme, l'octroi de la résidence permanente, l'établissement d'un domicile canadien et l'octroi de la citoyenneté canadienne.

[252]        La dissimulation du défendeur se voit clairement dans ce qui est indiqué dans son carnet militaire. Le défendeur n'était pas durant l'été 1941 à avril 1943 un cultivateur mais était à l'emploi volontaire de l'occupation civile allemande comme policier auxiliaire.

[253]        De plus, du printemps 1943 au printemps 1944, il était à l'emploi de l'occupation civile allemande comme membre du Jagdzug, une organisation quasi-militaire intégrée fonctionnellement dans plusieurs opérations avec les Forces armées allemandes.

[254]        Aussi, son carnet militaire cache le fait qu'avant sa désertion, il faisait partie de la Waffen SS qui est une formation différente de la Wehrmacht et que la preuve démontre que l'appartenance à ce groupe à l'époque les rendaient indésirables au point de vue de la sécurité.

[255]        Le Sergent Shakespeare écrit au paragraphe 30 de son rapport que les candidats au programme du décret 3112 étaient interrogés « as to his background and activities prior to that time » . Il rapporte que « in the case of men who joined the 2 Pol Corps in 1941 and 1942, the procedure was comparatively simple, where a man joined the Pol Corps after service in the Wehrmacht . . ., it was of necessity more prolonged » .

[256]        Sur la balance des probabilités, je détermine que la GRC aurait interrogé le défendeur sur son passé et que les réponses qu'il a donné à ces questions auraient induit la GRC à approuver sa participation au programme, une approbation qui ne pouvait être accordée que s'il avait dissimulé sa collaboration, critère de refus pour motifs de sécurité.

[257]        Cette dissimulation de collaboration a une autre conséquence. Il n'était pas une personne de bonne moralité, une condition préalable à l'octroi de la citoyenneté selon la loi de 1946.

[258]        Voici ce que le juge McKeown écrit à ce sujet dans Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Baumgartner, [2001] F.C.T. 970, au paragraphe 132:


¶ 132       La "bonne moralité" était également exigée d'un citoyen éventuel en 1959, selon l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33. Comme je l'ai statué dans la décision Bogutin, ce critère est pertinent dans les procédures d'annulation de la citoyenneté. Au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, il n'aurait probablement pas été conclu que M. Baumgartner avait une "bonne moralité" s'il avait divulgué le rôle qu'il avait eu en tant que garde de camp de concentration et en tant que membre volontaire de la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale. En outre, M. Baumgartner n'aurait probablement pas satisfait à pareil critère si l'on avait su qu'il avait fait de fausses déclarations à ce sujet lors des entrevues qu'il avait eues aux fins de l'immigration et du contrôle sécuritaire ainsi que dans le formulaire OS-8, lorsqu'il avait demandé à être admis et à résider en permanence au Canada, en 1952-1953.

[259]        Pour tous ces motifs, je conclus que le défendeur a acquis sa citoyenneté canadienne par dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

                                                                                                                                                                                

                                                                                                J U G E                        

Ottawa (Ontario)

le 19 septembre 2003


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :     T-166-00

INTITULÉ :    MCI c. WALTER OBODZINSKY (AKA WLODZIMIERZ & VOLODYA OBODZINSKY)

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATES DE L'AUDIENCE : 12, 13, 18, 19, 21 ET 22 NOVEMBRE 2002

13 ET 17 JANVIER 2003

11, 12, 13, 14 ET 17 MARS 2003

MOTIFS :                                          L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                       le 19 septembre 2003

                                                                                                           

COMPARUTIONS :

Me DAVID LUCS

Me SÉBASTIEN DASYLVA                                       POUR LE DEMANDEUR

Me JOHANNE DOYON                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA       POUR LE DEMANDEUR       

DOYON, GUERTIN, MONTBRIAND &

PLAMONDON                                                                        POUR LE DÉFENDEUR                


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