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Date : 19990831


Dossier : IMM-6440-98

Entre :

     IBIYINKA WASIU THANNI

     Partie demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision rendue par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, dans laquelle le tribunal conclut que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration 1.

[2]      Le demandeur, citoyen du Nigéria, allègue avoir une crainte bien fondée de persécution basée sur ses opinions politiques et plus particulièrement, quant au fait qu"il est un membre actif d"une organisation nommée EGBE OMO YORUBA (EOY) militant en faveur de l"autonomie du peuple YORUBA.

[3]      Il aurait été arrêté à deux occasions. Lors de sa première arrestation, le 10 novembre 1996, il aurait été battu et questionné sur son appartenance avec le EOY. Il indique avoir été libéré après que son épouse ait soudoyé les dirigeants de la prison, en leur remettant une forte somme d"argent.

[4]      Le demandeur allègue ne pas avoir connu aucun ennui avec les autorités du pays jusqu"au 3 mars 1998, date à laquelle il déclare avoir participé à une manifestation pro-démocratique et avoir eu en sa possession, lors de la manifestation, des tracts visant à promouvoir l"EOY. Le demandeur rapporte avoir été arrêté à cette occasion, lors d"un contrôle de sécurité effectué alors qu"il voyageait par transport en commun. Il aurait été détenu durant 9 jours et aurait été relâché après que son épouse ait de nouveau soudoyé les autorités de la prison.

[5]      Après sa remise en liberté, le demandeur relate s"être déplacé de villages en villages jusqu"à ce que les dirigeants de EOY aient organisé sa fuite en République du Bénin le 21 mars et par la suite, au Ghana où il prit l"avion pour New York, le 2 mai 1998 pour finalement revendiquer le statut de réfugié au Canada le 6 mai 1998.

[6]      Le tribunal a conclu à l"implausibilité de l"histoire du demandeur à cause de quelques contradictions dans son témoignage. Il mentionne cependant qu"elles n"étaient pas assez importantes individuellement pour entraîner une conclusion négative. Ce n"est que l"effet cumulatif de ces contradictions qui a entraîné une telle conclusion.

[7]      Bien que généralement je n"intervienne pas dans les décisions qui touchent la crédibilité d"un demandeur, après avoir relu attentivement le FRP, les notes sténographiques et plus particulièrement les explications du demandeur, je n"ai trouvé que des contradictions insignifiantes dans son témoignage. Le demandeur a longuement répondu aux questions des commissaires; ses explications étaient raisonnables et, à mon avis, ne pouvaient justifier une conclusion que son récit n"était pas plausible.

[8]      Il s"agit d"une situation similaire à l"affaire Attakora v. Minister of Employment and Immigration2 où un tribunal zélé avait examiné à la loupe le témoignage d"un demandeur pour y chercher des contradictions alors que les explications données étaient parfaitement raisonnables.

[9]      Par surcroît, je note que le tribunal est demeuré silencieux sur la preuve directement reliée à la revendication. Deux lettres du EOY furent déposées confirmant que le demandeur est membre de ce groupe. De plus, celles-ci élaboraient sur les problèmes de persécution subis par les membres des formations d"opposition.

[10]      Tel que l"a mentionné cette Cour dans l"affaire Berete3, " l"appréciation de la preuve relève de la juridiction du tribunal. Cependant, celui-ci doit d"abord considérer cette preuve au dossier et la commenter lorsqu"elle peut avoir un impact sérieux sur la revendication d"un demandeur. S"il décide de l"écarter, il doit indiquer clairement les motifs de son rejet "4.

[11]      De plus, je suis parfaitement en accord avec les propos tenus par mon collègue le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez : " l"obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés "5.

[12]      En outre, bien que le tribunal puisse conclure à l"absence de preuve crédible lorsqu"il estime qu"un revendicateur n"est pas crédible et que la seule preuve dont il dispose est celle qui émane de son témoignage6, ce dernier (comme je l"ai dit dans Seevaratnam7 et Vijayarajah8) a toutefois l"obligation de tenir compte d"éléments de preuve pertinents qui ne proviennent pas du témoignage du revendicateur et qui peuvent établir un lien direct entre le revendicateur et la persécution, ce qu"il n"a pas fait en l"espèce.

[13]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier est retourné pour redétermination devant un panel nouvellement constitué.

[14]      Aucun des avocats n"a recommandé la certification d"une question.

     "Danièle Tremblay-Lamer"

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 31 août_1999.

__________________

1      L.R.C. 1985, c. I-2.

2      99 N.R. at 168 (F.C.A.).

3      Sire Berete c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (3 mars 1999), IMM-1804-98 (C.F. 1ère inst.).

4      Ibid. à la p. 4.

5      Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (6 octobre 1998), IMM-596-98, au par. 17 (C.F. 1ère inst.).

6      Sheikh c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.).

7      Sukunamari Seevaratnam et al c. MCI (11 mai 1999), IMM-3728-98 (C.F. 1ère inst.).

8      Sasitharan Vijayarajah c. MCI (12 mai 1999), IMM-4538-98 (C.F. 1ère inst.).

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