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Date : 20040712

Dossier : T-1166-02

Référence : 2004 CF 979

Winnipeg (Manitoba), le 12 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                YVONNE GUAY

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision rendue le 18 juin 2002 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte de la demanderesse contre le Service correctionnel du Canada (SCC).

[2]                La demanderesse sollicite une ordonnance :

1.          annulant la décision par laquelle la Commission a rejeté la plainte de la demanderesse;


2.          enjoignant à la Commission de renvoyer la plainte de la demanderesse au Tribunal canadien des droits de la personne sous le régime de l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (Loi);

3.          et adjugeant ses dépens à la demanderesse dans la présente affaire.

Les faits

[3]                La demanderesse, Yvonne Guay, a été engagée sur une base contractuelle comme agente de correction de niveau CX-1 à l'établissement pour femmes d'Edmonton (ÉFE). Son premier contrat de travail a débuté le 15 novembre 1998 et s'est terminé le 14 février 1999, mais a été renouvelé jusqu'au 15 mai 1999. Durant toute la période pertinente, la demanderesse a travaillé également à temps plein au Edmonton Remand Centre (ERC) comme agente de correction.

[4]                En janvier 1999, tous les employés occasionnels et tous les employés embauchés pour une durée déterminée à l'ÉFE ont été invités à poser leur candidature au concours public visant à établir une liste d'admissibilité pour des postes de durée indéterminée d'agent de correction de niveau CX-2. La demanderesse n'a pas posé sa candidature parce qu'elle n'était pas intéressée à travailler à temps plein à l'ÉFE.


[5]                Les qualités personnelles requises pour être agent de correction de niveau CX-1 et CX-2 ont été changées en septembre 1998 de sorte que chaque candidat était obligé de passer un test axé sur l'évaluation des valeurs (TÉV). Même si la note de service du concours ne le mentionnait pas, les employés occasionnels qui ne voulaient pas postuler pour des postes de niveau CX-2 devaient quand même se soumettre à l'évaluation des qualités personnelles au moyen du TÉV. En février 1999, on a dit à la demanderesse que tous les employés devaient passer le TÉV et qu'elle devrait subir ce test pour renouveler son contrat occasionnel.

[6]                Le 11 mars 1999, la demanderesse a été convoquée en entrevue par le Comité d'évaluation du mérite (CÉM) constitué en vertu des directives du TÉV. Au cours de l'entrevue, on a demandé à la demanderesse des questions sur la façon dont elle agirait dans certaines circonstances et on lui a dit qu'elle pourrait obtenir les résultats à une date ultérieure.

[7]                Le 24 mars 1999, une détenue a formulé une allégation de mauvaise conduite contre la demanderesse affirmant que cette dernière lui avait volé certains biens et qu'elle les avait donnés à une détenue homosexuelle. Cette plainte a été ensuite réglée par voie de médiation et n'a pas apparemment influé sur la décision de ne pas renouveler le contrat de la demanderesse à l'ÉFE.


[8]                On a demandé à la demanderesse de fournir des références le 12 ou le 13 avril 1999, et non au moment de l'entrevue initiale, comme le prévoit les directives du TÉV. Au cours de l'évaluation et de la vérification des références, le CÉM a appris que la demanderesse faisait l'objet d'une enquête au ERC relativement à des voies de fait qu'elle aurait commises sur un collègue. Le CME a décidé qu'en raison des allégations de voies de fait, la demanderesse ne pouvait pas recevoir une évaluation indiquant qu'elle possédait les qualités personnelles exigées d'un employé du SCC.

[9]                Le ou vers le 27 avril 1999, la demanderesse a appris qu'elle avait échoué au TÉV et qu'on ne lui offrirait plus de périodes de travail à l'ÉFE. La demanderesse a été informée qu'elle aurait probablement réussi le TÉV s'il n'y avait pas eu l'enquête concernant l'allégation de voies de fait. Le CÉM lui a aussi indiqué qu'il ne pouvait pas l'embaucher en attendant les conclusions de l'enquête, mais que si elle était blanchie de l'allégation, elle pourrait poser sa candidature à nouveau. Le CÉM a décidé de n'inscrire aucune information concernant l'enquête dans les résultats du TÉV afin de ne pas porter préjudice à de prochaines demandes d'emploi de la demanderesse. La demanderesse n'a pas posé à nouveau sa candidature pour obtenir un statut d'employé occasionnel à l'ÉFE.

[10]            Le 8 juin 1999, la demanderesse a produit une « demande d'enquête » auprès de la Commission de la fonction publique (CFP). L'exposé des allégations ne faisait pas état d'un congédiement fondé sur l'orientation sexuelle de la demanderesse. La CFP a conclu que l'allégation concernant le manque de transparence dans la conduite du concours était fondée puisque le SCC n'avait pas expliqué à la demanderesse qu'elle serait congédiée si, à cause des résultats du TÉV, elle ne satisfaisait pas aux exigences minimums en matière de qualités personnelles. La CFP a également conclu qu'elle n'avait pas compétence pour réviser le statut d'emploi de la demanderesse ou ses autres allégations concernant la tenue du concours.


[11]            Le 25 avril 2000, la demanderesse a déposé une plainte devant Commission, faisant état de discrimination dans l'emploi fondée sur l'orientation sexuelle, une pratique interdite par l'article 7 de la Loi. Le 20 mars 2002, l'enquêteur a recommandé le rejet de la plainte. Après avoir examiné le rapport de l'enquêteur et les observations de la demanderesse, la Commission a, par lettre datée du 18 juin 2002, rejeté la plainte. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas de preuve suffisante que la demanderesse avait fait l'objet de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et a rejeté la plainte de la demanderesse en vertu de l'alinéa 44(3)b) de la Loi.

Questions en litige

[12]            1.          A-t-on désigné à tort le SCC à titre de partie dans la présente affaire?

2.          Laquelle des normes de contrôle est applicable?

3.          La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité envers la                                demanderesse?

Dispositions législatives pertinentes

[13]            Les articles pertinents de la Loi canadienne sur les droits de la personne, précitée, prévoient ce qui suit :


3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l'enquêteur » , d'enquêter sur une plainte.

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

40. (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

43. (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an "investigator", to investigate a complaint.

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.



(2) La Commission renvoie le plaignant à l'autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

(ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

it shall refer the complainant to the appropriate authority.

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).       


49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée.

(2) Sur réception de la demande, le président désigne un membre pour instruire la plainte. Il peut, s'il estime que la difficulté de l'affaire le justifie, désigner trois membres, auxquels dès lors les articles 50 à 58 s'appliquent.

49. (1) At any stage after the filing of a complaint, the Commission may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry into the complaint if the Commission is satisfied that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry is warranted.

(2) On receipt of a request, the Chairperson shall institute an inquiry by assigning a member of the Tribunal to inquire into the complaint, but the Chairperson may assign a panel of three members if he or she considers that the complexity of the complaint requires the inquiry to be conducted by three members.

Observations de la demanderesse

[14]            La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter : Singh c. Le procureur général du Canada, _2001_ A.C.F. no 367 (QL), 2001 CFPI 198.

[15]            La demanderesse fait valoir que compte tenu de la gravité des erreurs ou des omissions contenues dans le rapport de l'enquêteur, sa capacité d'y répondre n'était pas suffisante pour corriger les erreurs ou les omissions : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, page 598 (1re inst.), conf. par [1996] A.C.F. no 385 (C.A.) (QL). Par conséquent, la demanderesse soutient que l'obligation d'équité a été violée et que l'adoption par la Commission du rapport de l'enquêteur constituait une erreur ouvrant droit au contrôle.

[16]            La demanderesse fait valoir que le rapport de l'enquêteur contient trois erreurs importantes : (i) l'enquêteur n'a pas examiné adéquatement les éléments circonstanciels et contextuels des allégations de la demanderesse, y compris la preuve circonstancielle et contextuelle que le défendeur a eu des comportements discriminatoires et l'allégation de la demanderesse selon laquelle il y avait un lien entre l'allégation faite par la détenue le 24 mars 1999 et le résultat négatif du TÉV; (ii) l'enquêteur n'a pas compris des éléments importants de la plainte de la demanderesse, en particulier le lien entre la plainte du 24 mars 1999 de la détenue et les mauvais résultats au TÉV; (iii) l'enquêteur a tiré des conclusions de faits déraisonnables.

[17]            De plus, la demanderesse soutient que l'enquêteur a commis une erreur en n'évaluant pas la crédibilité de l'allégation du défendeur selon laquelle la demanderesse avait échoué au TÉV parce qu'elle faisait l'objet d'une enquête concernant des voies de fait commises au ERC et, en particulier, de l'allégation que la non-divulgation de ce fait visait à protéger la demanderesse dans l'éventualité où elle souhaiterait poser sa candidature pour un emploi futur. La demanderesse fait valoir qu'il était déraisonnable pour l'enquêteur d'accepter cette explication puisque le TÉV comporte des conclusions négatives concernant les caractéristiques personnelles de la demanderesse et que ces conclusions feraient autant sinon plus de tort à la demanderesse si elle posait sa candidature pour un emploi futur.


Observations du défendeur

[18]            Le défendeur fait valoir que le SCC a été désigné à tort comme partie dans la présente affaire parce qu'il n'est pas directement touché par l'ordonnance recherchée. Le défendeur fait valoir également que la Commission ne peut pas être désignée comme défenderesse et qu'en raison du paragraphe 303(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, le seul à pouvoir être désigné défendeur dans la présente demande de contrôle judiciaire est le procureur général du Canada.

[19]            Le défendeur soutient que la décision de la Commission selon laquelle la plainte devait être rejetée pour insuffisance de preuve était une conclusion de fait, et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), _2003_ A.C.F. no 763 (QL), 2003 CAF 222.

[20]            Le défendeur allègue qu'il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de rejeter la plainte, compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée.

[21]            Le défendeur allègue que les règles d'équité procédurale et de justice naturelle ont été respectées. Le défendeur affirme qu'en fournissant à la demanderesse le rapport de l'enquêteur et la possibilité d'y répondre, la Commission s'est conformée à son obligation d'équité, conformément à la décision Slattery, précitée, rendue par la Cour d'appel fédérale.


[22]            Selon le défendeur, il est évident que l'enquêteur a très bien compris les allégations de la demanderesse et qu'il a effectué un examen approfondi de la preuve avant de conclure qu'il n'y avait pas assez d'éléments de preuve pour procéder à une enquête. Par conséquent, le défendeur soutient qu'il n'y a aucun fondement pour accueillir la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse : Murray, précitée.

Analyse et décision

[23]            Question 1

A-t-on désigné à tort le SCC à titre de partie dans la présente affaire?

Le défendeur a fait valoir que le Service correctionnel du Canada a été désigné à tort à titre de partie et que le défendeur devrait être le procureur général du Canada.    La demanderesse ne partage pas cette opinion.

[24]            Après un examen des paragraphes 303(1) et 303(2) des Règles de la Cour fédérale (1998), précitées, je conclus que le défendeur devrait être le procureur général du Canada, et je modifierais l'intitulé de la cause en conséquence.

[25]            Question 2

Laquelle des normes de contrôle est applicable?

Dans MacLean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. no 1854 (QL), 2003 CF 1459, aux paragraphes 35 à 42, j'ai conclu que la norme de contrôle à appliquer à la décision de la Commission de rejeter une plainte était la norme de la décision raisonnable simpliciter.

[26]            Comme dans MacLean, précitée, la demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de rejeter sa plainte de discrimination dans l'emploi. Toutefois, en l'espèce, la demanderesse a fait porter son attaque sur des irrégularités qui seraient contenues dans le rapport de l'enquêteur. Elle a fait valoir que ces irrégularités sont si fondamentales qu'elles ne peuvent être corrigée en lui accordant la possibilité de présenter des observations écrites à la Commission en réponse au rapport, avant que cette dernière décide de rejeter ou de renvoyer la plainte au Tribunal pour enquête. Essentiellement, la demanderesse fait valoir qu'on a manqué à son égard au principe d'équité procédurale et que la décision de la Commission de rejeter sa plainte est viciée parce qu'elle était fondée sur une enquête entachée de vices fondamentaux.

[27]            Par conséquent, la question que la Cour doit trancher en l'espèce n'est pas celle du caractère raisonnable du rejet de la plainte par la Commission, mais plutôt celle de savoir si, considérant le contenu du rapport de l'enquêteur, l'obligation d'équité a été respectée.


[28]            Comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, 2002 CSC 11, page 292 :

La troisième question n'exige pas qu'on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l'équité procédurale ou l'obligation d'équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier. (Voir de façon générale Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, et Baker, précité.)

L'obligation de se conformer aux règles de justice naturelle et à celles de l'équité procédurale s'étend à tous les organismes administratifs qui agissent en vertu de la loi (voir Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, p. 653; Baker, précité, par. 20; Therrien, précité, par. 81). Ces règles comportent l'obligation d'agir équitablement, notamment d'accorder aux parties le droit d'être entendu (la règle audi alteram partem). Cette obligation a une nature et une étendue « éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas » (le juge L'Heureux-Dubé dans Baker, précité, par. 21).

[29]            Par conséquent, la question n'est pas de savoir quelle est la norme de contrôle à appliquer mais plutôt de savoir si la Commission a manqué à l'obligation qu'elle avait envers la demanderesse dans les circonstances de la présente affaire. J'examinerai sous la rubrique suivante la teneur de cette obligation et si la demanderesse a établi l'existence d'une violation de l'obligation d'équité justifiant l'intervention de la Cour.

[30]            Question 3

La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité envers la demanderesse?

Pour déterminer si l'intervention de la Cour est justifiée, je dois établir ce que la Commission devait faire pour satisfaire à l'obligation d'équité qu'elle avait envers la demanderesse dans la présente affaire.


[31]            Le juge Kelen a examiné la teneur de l'obligation d'équité que la Commission a envers un plaignant dans Murray c. Canada (Commission des droits de la personne), [2002] A.C.F. no 1002 (QL), 2002 CFPI 699, conf. par [2003] A.C.F. no 763 (QL), 2003 CAF 222, paragraphe 24 :

Les principes de justice naturelle et l'obligation d'équité procédurale, en ce qui a trait à une enquête et à une décision subséquente de la Commission, consistant [sic] à donner au plaignant le rapport de l'enquêteur, à lui fournir pleinement l'occasion de répondre et à examiner cette réponse avant que la Commission ne prenne une décision. L'enquêteur n'a pas l'obligation d'interroger tous et chacun des témoins, comme l'aurait souhaité le demandeur, ni l'obligation d'aborder tous et chacun des prétendus incidents de discrimination, comme l'aurait souhaité le demandeur. En l'espèce, la demanderesse a eu l'occasion de répondre au rapport de l'enquêteur et d'aborder toute lacune laissée par l'enquêteur ou de porter à l'attention de l'enquêteur tout témoin important manquant. Cependant, l'enquêteur et la Commission doivent contrôler l'enquête et notre Cour n'annulera, suite à une demande de contrôle judiciaire, une enquête et une décision que lorsque l'enquête et la décision sont manifestement déficients. Voir la décision du juge Nadon (tel était alors son titre) dans Slattery, précitée, et celle du juge Hugessen (tel était alors son titre) au nom de la Cour d'appel.

[32]            Dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), conf. par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) a reconnu que l'enquête sur une plainte doit satisfaire à deux conditions, à savoir la neutralité et la rigueur, pour que la Commission puisse disposer d'un fondement juste pour décider de rejeter ou de renvoyer la décision.


[33]            La demanderesse fait valoir que l'enquête sur sa plainte n'a pas été rigoureuse. Dans Slattery, précitée, le juge Nadon a fait les remarques suivantes aux paragraphes 55 à 57 relativement au degré de rigueur requis et a établi un critère pour l'intervention de la Cour lorsqu'il y a des lacunes dans le rapport d'enquête :

Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu: les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif. En réalité, l'extrait suivant de l'ouvrage Discrimination and the Law du juge Tarnopolsky (Don Mills: De Boo, 1985), à la page 131, semble aussi s'appliquer à la détermination du degré de rigueur nécessaire pour l'enquête:

[traduction] Avec la lourde charge de travail qui est imposée aux Commissions et la complexité croissante des questions de droit et de fait en cause dans bon nombre des plaintes, ce serait se condamner à un cauchemar administratif que de tenir une pleine audience orale avant de rejeter une plainte que l'enquête a estimée ne pas être fondée. D'autre part, la Commission ne devrait pas évaluer la crédibilité lorsqu'elle prend ces décisions, et elle devrait être consciente du simple fait que le rejet de la plupart des plaintes entraîne la perte de tous les autres moyens de réparation légale pour le préjudice que la personne invoque.

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l'enquêteur, comme c'est le cas en l'espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l'attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s'il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l'enquêteur devraient comprendre: (1) les cas où l'omission est de nature si fondamentale que le seul fait d'attirer l'attention du décideur sur l'omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n'a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l'information ou encore du rejet explicite qu'il en a fait.


[34]            En l'espèce, la demanderesse fait valoir que le rapport de l'enquêteur contient trois erreurs importantes : (i) l'enquêteur n'a pas procédé à un examen adéquat des éléments circonstanciels et contextuels des allégations de la demanderesse; (ii) l'enquêteur n'a pas compris des éléments importants de la plainte, en particulier l'importance de la plainte de la détenue déposée le 24 mars 1999; (iii) et l'enquêteur a tiré des conclusions de faits déraisonnables.

[35]            La demanderesse fait valoir notamment que l'enquêteur (i) a fait référence à la plainte de la détenue déposée contre la demanderesse mais n'a pas compris son importance; (ii) n'a pas mené une enquête raisonnable sur l'allégation de la demanderesse à l'égard des traitements discriminatoires survenus au cours de la formation de base; (iii) n'a pas enquêté pour déterminer si la demanderesse a été traitée différemment en ayant à passer le TÉV alors qu'il n'était pas obligatoire pour continuer à être une employée occasionnelle; (iv) n'a pas enquêté pour savoir si la demanderesse avait été traitée différemment dans l'administration du TÉV; (v) n'a pas tenu compte de la preuve que le traitement de la plainte de la détenue par le défendeur était exceptionnel et contraire au processus ordinaire; (vi) n'a pas enquêté pleinement sur l'information, qualifiée de fausse, selon laquelle la demanderesse faisait l'objet d'une enquête relativement à des voies de fait au ERC.


[36]            En examinant le bien-fondé des arguments de la demanderesse, il est important de signaler que la norme établie dans Slattery, précitée, et Murray, précitée, n'exige pas que le rapport de l'enquêteur soit parfait. La Cour ne doit pas chercher la perfection mais plutôt s'assurer que la demanderesse a été traitée de façon juste au cours de l'enquête et dans l'examen de sa plainte de discrimination. La Cour n'a pas à analyser à la loupe le rapport de l'enquêteur ou à reprendre son travail. La demanderesse ne peut avoir gain de cause dans ce contrôle judiciaire que si les lacunes qu'elle a alléguées rendent le rapport de l'enquêteur manifestement déficient.

[37]            J'examinerai d'abord la quatrième allégation faite par la demanderesse concernant le rapport de l'enquêteur et qui peut être formulée ainsi : l'enquêteur n'a pas enquêté pour savoir si la demanderesse avait été traitée différemment dans l'administration du TÉV.

[38]            La demanderesse a fait valoir qu'elle a été traitée différemment parce qu'on lui a demandé des références à l'extérieur des paramètres de la politique du département, qu'elle est la seule candidate pour laquelle on a tenté de joindre les personnes données en référence et qu'on a communiqué avec une personne qu'elle n'avait pas donnée comme référence.

[39]            On n'a pas demandé à la demanderesse de fournir ses références au moment de l'entrevue. La demande de références a été faite peu de temps après que la détenue ait révélé publiquement l'homosexualité de la demanderesse. Le SCC n'a pas parlé aux personnes énumérées à titre de références par la demanderesse. Il a plutôt communiqué avec une autre personne qui n'était pas sur la liste de références fournie par la demanderesse. Cette dernière a affirmé qu'elle n'avait pas indiqué cette personne à titre de référence parce qu'il ne la connaissait pas.

[40]            La demanderesse affirme qu'elle a été traitée différemment dans l'administration du test (en particulier quant au contrôle des références).

[41]            J'ai examiné le rapport de l'enquêteur, mais sauf une allusion au paragraphe 16 de son rapport, il n'aborde pas cette question.

[42]            À mon avis, le défaut de l'enquêteur d'examiner cette allégation constitue une omission déraisonnable qui porte atteinte à la rigueur de son enquête.    Puisque la Commission s'est appuyée sur le rapport de l'enquêteur, rapport fondé sur une enquête manquant de rigueur, la décision doit être annulée et la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse doit être accueillie. L'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci rende une nouvelle décision après examen de la plainte par un enquêteur différent.

[43]            La demanderesse a droit aux dépens dans la présente demande.

[44]            En raison de ma conclusion dans la présente affaire, je n'examinerai pas les autres points énumérés au paragraphe 35.


                                        ORDONNANCE

[45]            LA COUR ORDONNE :

1.          que l'intitulé de la cause soit modifié pour que le procureur général du Canada y soit désigné comme défendeur.

2.          que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit accueillie, avec dépens pour la demanderesse et que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui-ci rende une nouvelle décision après examen de la plainte par un enquêteur différent.

                                                                            « John A. O'Keefe »               

                                                                                                     Juge                           

Winnipeg (Manitoba)

Le 12 juillet 2004

Traduction certifiée conforme

Marie-Chantale Lamer, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            T-1166-02

INTITULÉ :                           YVONNE GUAY

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :      EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 13 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :         LE 12 JUILLET 2004

COMPARUTIONS:

Julie C. Lloyd                           POUR LA DEMANDERESSE

David Stam                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Julie C. Lloyd                           POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)    

Morris Rosenberg, c.r.               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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