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                                                                                                                                 Date : 20021119

 

                                                                                                                        Dossier : IMM-256-02

 

                                                                                                   Référence neutre : 2002 CFPI 1194

 

Ottawa (Ontario), le mardi 19 novembre 2002

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

 

 

YOU CHEN

QIANG CHEN

 

                                                                                                                                         demandeurs

 

 

                                                                          - et -

 

 

                                                          LE MINISTRE DE LA

                                       CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                             

 

                                                                                                                                            défendeur

 

 

                               MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]        Les demandeurs sollicitent, en application de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, le contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 19 décembre 2001, par laquelle la Commission avait jugé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, selon la définition de cette expression à l’article 2 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.


 

[2]        Les demandeurs, ressortissants de la République populaire de Chine, sont tous deux mineurs et affirment craindre avec raison d’être persécutés par le Bureau de la sécurité publique (le BSP) en raison de leur appartenance à un groupe social, celui des enfants de dissidents politiques. Leur oncle au Canada était leur représentant désigné (le RD) et il a comparu comme témoin principal à l’audience. Les deux demandeurs ont également témoigné.

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE AUX CONCLUSIONS DE LA COMMISSION EN MATIÈRE DE CRÉDIBILITÉ

 

 

[3]        Le grief unique sur lequel se fonde cette demande se rapporte aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité. La Commission a rejeté les revendications du statut de réfugié présentées par les demandeurs parce que leurs témoignages n’étaient pas crédibles. La Commission a jugé que les deux enfants avaient été envoyés au Canada par leurs parents pour qu’ils vivent avec leur oncle, et cela pour des raisons « autres que la persécution et l’exploitation ». La Commission a énuméré sept raisons pour lesquelles elle a conclu que les allégations de persécution avaient été inventées pour faire valider les revendications du statut de réfugié. J’ai soigneusement examiné lesdites raisons ainsi que les arguments des parties, et j’arrive à la conclusion que les raisons avancées par la Commission ne sont pas manifestement déraisonnables, ni abusives ou arbitraires, ni tirées sans égard aux éléments de preuve.

 

[4]        La Commission est un tribunal spécialisé en ce qui a trait aux revendications du statut de réfugié. En 2001, la Commission a instruit plus de 22 000 revendications du statut de réfugié, elle en a admis 13 336 et elle en a refusé 9 551. Par ailleurs, la Commission a un accès direct aux dépositions des témoins, et elle est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des témoins. Par conséquent, la norme de contrôle applicable aux conclusions de crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir l’arrêt Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale s’était exprimée ainsi :


Qui, en effet, mieux que la section du statut de réfugié, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

 

 

Avant qu’une conclusion de la Commission en matière de crédibilité ne soit annulée (et avant que ne soit accordée l’autorisation de présenter une demande touchant une conclusion en matière de crédibilité), l’un des critères suivants doit être rempli (ou suffisamment défendable dans le cas d’une demande d’autorisation) :

 

1.                  la Commission n’a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n’était pas crédible;

 

2.                  les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d’invraisemblance qui, de l’avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

 

3.                  la décision était fondée sur des conclusions qui n’étaient pas autorisées par la preuve; ou

 

4.                  la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.

 

Voir l’affaire Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11 (Madame le juge Reed).

 

[5]        Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n’annulera une décision de ce genre, ou n’autorisera une demande de contrôle judiciaire d’une telle décision, qu’en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C’est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s’acquitter d’une très lourde charge, à la fois au stade de la demande d’autorisation et au stade de l’audience si l’autorisation est accordée.

 

 


ANALYSE DES SEPT CONCLUSIONS TOUCHANT LA CRÉDIBILITÉ

 

[6]        Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tiré trois importantes conclusions touchant la crédibilité. Les demandeurs soutiennent en particulier que la Commission a erré :

 

e)                  parce qu’elle a tiré une conclusion défavorable de ce que le RD n’avait pas modifié les Formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs au début de l’audience pour y mentionner sa récente visite aux parents des demandeurs;

 

f)                   parce qu’elle a jugé comme une marque d’insincérité l’absence d’indication des activités prodémocratiques des parents, alors même que le RD les avait visités en Chine et communiquait régulièrement avec eux par téléphone; et

 

g)                  parce qu’elle n’a pas trouvé vraisemblable, pour absence de preuve documentaire, que les demandeurs seraient détenus au motif que leurs parents sont recherchés.

 

Les demandeurs soutiennent que, sans ces trois obstacles à leur crédibilité, la conclusion générale de la Commission au chapitre de la crédibilité ne peut subsister. Les demandeurs ne contestent pas les quatre autres motifs avancés par la Commission pour dire qu’ils n’étaient pas crédibles.

 

1.                  Non-modification des Formulaires de renseignements personnels

 


[7]        D’abord, selon les demandeurs, la Commission a erré parce qu’elle a tiré une conclusion défavorable de ce que le RD n’avait pas, au début de l’audience, modifié les Formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs, pour y mentionner sa récente visite aux parents des demandeurs. Les demandeurs ont produit leurs FRP le 22 juin 2001. En juillet 2001, le RD s’est rendu en Chine pour y rencontrer les parents des demandeurs. Au début de l’audience, le RD n’a pas modifié les FRP des demandeurs pour y faire état de son récent voyage en Chine. La Commission, s’appuyant sur le jugement Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (1re inst.), a jugé défavorablement le fait que le RD avait négligé d’insérer une mention utile dans les FRP des demandeurs. Selon les demandeurs, c’était là une conclusion arbitraire et abusive de la part de la Commission, et ils appellent l’attention de la Cour sur le jugement rendu dans l’affaire Chahal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1482 (1re inst.).

 

[8]        La présente affaire peut être distinguée de l’affaire Chahal, dans laquelle M. le juge Denault a estimé que la Commission avait erré en rejetant une revendication du statut de réfugié parce que le revendicateur avait négligé de modifier son FRP pour y mentionner des événements qui étaient survenus après la production du FRP. Dans l’affaire Chahal, les événements impliquaient des tiers et « ne concernaient qu’indirectement sa revendication du statut de réfugié fondée sur la persécution dont il se disait l’objet ». Voir le jugement Chahal, au paragraphe 14. En revanche, le voyage qu’a fait le RD en Chine en juillet 2001 pour visiter les parents des demandeurs est directement rattaché à la revendication du statut de réfugié présentée par les demandeurs. La visite du RD aux parents des demandeurs est sans aucun doute un facteur à considérer lorsqu’il s’agit de vérifier l’authenticité de la crainte des parents. Comme la revendication des demandeurs est fondée sur les activités politiques de leurs parents, l’authenticité de la crainte de leurs parents d’être persécutés est une considération importante pour savoir si la revendication des demandeurs est authentique.

 

[9]        La Commission a aussi trouvé que le RD avait été évasif lorsqu’il avait exposé les raisons pour lesquelles il n’avait pas indiqué cette information dans les FRP. Il a d’abord dit que les demandeurs avaient dû oublier de le mentionner à l’avocat. Lorsque le commissaire a fait observer au RD que c’était à lui de traiter avec l’avocat, le RD a répondu qu’il avait montré son passeport à l’avocat quelques jours auparavant comme preuve qu’il était allé en Chine. Il n’a pu expliquer d’une manière satisfaisante pourquoi cette information n’apparaissait pas dans les FRP. Par conséquent, la Cour estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en tirant une conclusion défavorable parce que le RD avait négligé d’inclure cette information dans les FRP des demandeurs.

 


2.                  Absence d’indication des activités prodémocratiques des parents

 

[10]      Deuxièmement, selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur parce qu’elle a considéré comme une marque d’insincérité l’absence d’indication des activités prodémocratiques des parents alors même que le RD les avait visités en Chine et communiquait régulièrement avec eux par téléphone. Il était déraisonnable pour la Commission d’affirmer que les parents des demandeurs pouvaient divulguer cette information alors que, selon la preuve documentaire, les fonctionnaires chinois exercent une surveillance constante sur les appels téléphoniques. Les demandeurs prétendent aussi que la surveillance serrée dont les visiteurs sont l’objet en Chine n’aurait pas permis aux parents de discuter de leurs activités politiques avec le RD.

 

[11]      La Cour ne croit pas que la Commission a tiré sur ce point une conclusion manifestement déraisonnable. Selon le paragraphe 45(4) de la Loi sur l’immigration, il appartient à un requérant de prouver sa revendication. Les demandeurs n’ont donné aucune indication sur le rôle de leurs parents dans le mouvement prodémocratique, un aspect essentiel de leur revendication. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que cette information pouvait être produite. Si le RD a pu sans réel danger rencontrer les parents des demandeurs alors qu’il était en Chine, il pouvait sans réel danger discuter de leurs activités politiques. Si le RD était surveillé aussi étroitement que le prétendent les demandeurs, alors il est raisonnable de penser qu’il n’aurait pas pris le risque de rencontrer les parents des demandeurs à l’endroit où ils se cachaient.

 

3.                  Absence de preuve montrant que les enfants seront arrêtés

 


[12]      Troisièmement, les demandeurs font valoir que la Commission a erré parce qu’elle n’a pas jugé crédible, pour absence de preuve documentaire, que les demandeurs seraient détenus au motif que leurs parents sont recherchés. La Commission a dit qu’aucun fait n’appuyait l’affirmation des demandeurs selon laquelle le BSP arrêtait les enfants dans la province du Fujian en raison des activités politiques de leurs parents. La Commission a conclu que, selon la preuve, le seul endroit en Chine où les enfants étaient arrêtés était le Tibet, où la situation ne pouvait être comparée à celle du Fujian. Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur parce qu’il n’est pas prouvé que les enfants de personnes recherchées dans la province du Fujian ne sont pas arrêtés. Il y avait d’ailleurs lieu de croire que les parents de dissidents sont arrêtés en Chine.

 

[13]      La Commission a eu raison de conclure que les demandeurs ne seraient pas détenus en Chine. Elle n’était pas tenue d’apporter la preuve que les enfants de personnes recherchées dans la province du Fujian ne sont pas arrêtés. Comme je l’ai indiqué plus haut, il incombe à un requérant de prouver sa revendication. La Cour refuse de modifier la conclusion de la Commission, parce que la Commission n’a pas agi d’une manière manifestement déraisonnable lorsqu’elle a apprécié la preuve.

 

4.                  Les quatre conclusions restantes en matière de crédibilité

 

[14]      Outre qu’elle a jugé que la Commission a eu raison de tirer les trois importantes conclusions ci-dessus relatives à la crédibilité, la Cour a examiné les quatre conclusions restantes en la matière et elle est d’avis que les demandeurs n’ont pas prouvé qu’elles sont manifestement déraisonnables.

 

[15]      Les avocats n’ont pas proposé que soit certifiée une question.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

                      « Michael A. Kelen »         

            Juge                      

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

 

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

            Date : 20021119

 

            Dossier : IMM-256-02

 

 

ENTRE :

 

 

YOU CHEN & QIANG CHEN

 

demandeurs

 

 

 

- et -

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

            défendeur

 

 

 

           

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

           

 


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                        Avocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                                 IMM-256-02

 

INTITULÉ :                                              YOU CHEN et QIANG CHEN

demandeurs

 

- et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE JEUDI 7 NOVEMBRE 2002

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                             LE MARDI 19 NOVEMBRE 2002

 

COMPARUTIONS :                                 M. Hart A. Kaminker

 

pour les demandeurs

 

Mme Patricia McPhee

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                M. Hart A. Kaminder

                                                                     Avocat

425, avenue University

Bureau 500

Toronto (Ontario)

M5H 1K5

 

pour les demandeurs

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur


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