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Date : 20050815

Dossier : IMM-4356-04

Référence : 2005 CF 1096

Toronto (Ontario), le 15 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

SAKINEH TAJADODI et FARGOL NOWGHANI BEHAMBARI

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'MMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 28 avril 2004 (décision rendue de vive voix) et du 30 août 2004 (motifs écrits), dans laquelle elle a jugé que Sakineh Tajadodi et sa fille Fargol Nowghani Behambari (les demanderesses) s'étaient désistées de leur revendication du statut de réfugié (la revendication).

LES FAITS

[2]                 La demanderesse et sa fille ont revendiqué le statut de réfugié le 12 mars 2004. Deux jours plus tard, elles ont reçu en mains propres leur formulaire de renseignements personnels (FRP), qu'elles devaient remplir et retourner dans les 28 jours.

[3]                 Les FRP n'ont pas été retournés dans le délai fixé et par avis du 16 avril 2004, la Commission a informé les demanderesses qu'une audience aurait lieu le 28 avril 2004 afin qu'elles aient la possibilité d'expliquer pourquoi la Commission ne devrait pas prononcer le désistement de leur revendication.

[4]                 Entre-temps, la Commission a reçu les FRP le 23 avril 2004, soit dix jours après l'expiration du délai imparti. Une demande de prorogation de délai de dix jours accompagnait les FRP, mais cette demande a été rejetée par la Commission car elle ne faisait pas état des efforts des demanderesses en vue de remplir leur FRP dans le délai prescrit.

[5]                 Les demanderesses ont présenté leurs arguments le 28 avril 2004, mais la Commission a jugé qu'elles n'avaient pas fourni de motifs suffisants et que, par conséquent, elles étaient réputées s'être désistées de leur revendication.

LA QUESTION EN LITIGE

[6]                 La Commission a-t-elle commis une erreur en appliquant le critère des « circonstances exceptionnelles » , pour décider d'accorder ou non une prorogation du délai de transmission des FRP et décider si elle devait prononcer le désistement des revendications?

ANALYSE

[7]                 Lorsqu'ils revendiquent le statut de réfugié, les demandeurs doivent remettre leur FRP dans les 28 jours suivant la réception du formulaire, tel que prévu au paragraphe 6(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles) :

6 . (1) The claimant must provide to the Division the original and two copies of the completed Personal Information Form by one of the means, other than fax or electronic mail, described in rule 33. The completed forms must be received by the Division no later than 28 days after the claimant received the form.

6. (1) Le demandeur d'asile transmet l'original et deux copies du formulaire sur les renseignements personnels rempli à la Section par un des moyens prévus à la règle 33, à l'exception du courrier électronique et du télécopieur. Les documents doivent être reçus par la Section au plus tard vingt-huit jours suivant la date à laquelle le demandeur d'asile reçoit le formulaire.

[8]                 En l'espèce, le jour précédant l'expiration du délai de 28 jours, l'avocat des demanderesses a envoyé une lettre à la Commission pour demander une prorogation de délai. Cette demande a été refusée et les demanderesses ont été convoquées à une audience sur le désistement, le 28 avril 2004. À l'audience, le commissaire a commencé par dire que la demande de prorogation du délai de transmission des FRP n'avait pas satisfait au critère des « circonstances exceptionnelles » applicable à l'examen d'une telle demande. Il a ensuite poursuivi en appliquant le même critère pour juger de l'issue de l'audience sur le désistement :

[Traduction]

Le tribunal fait remarquer que dans les Directives n ° 5, le président de la Commission définit la norme des « circonstances exceptionnelles » que l'on doit appliquer à l'examen d'une demande de prorogation de délai de transmission du FRP. Les paragraphes 8 et 9 des Directives n ° 5, qui concernent l'audience sur le désistement, ne contiennent aucune mention des « circonstances exceptionnelles » . Toutefois, ce critère doit être implicitement transposé car autrement, les mots « circonstances exceptionnelles » n'auraient aucune signification en ce qui concerne le délai de transmission.

(Pages 4 et 5 des motifs de la décision de la Commission - 30 avril 2004)

[9]                 En appliquant le critère des « circonstances exceptionnelles » à l'audience sur le désistement, la Commission a commis une erreur de droit. Les Directives ne précisent pas que le critère applicable est celui qu'a retenu la Commission. Au contraire, le paragraphe 9 des Directives indique que la Commission doit tenir compte de plusieurs facteurs et que l'un de ces critères, par exemple, est la disposition du demandeur à poursuivre l'affaire :

9. Le fait que le demandeur d'asile se présente à l'audience sur le désistement et y transmet son FRP ne constitue pas en soi un motif valable de permettre la poursuite de l'affaire. La disposition du demandeur d'asile à poursuivre l'affaire constitue seulement l'un des facteurs que la SPR doit prendre en compte pour décider si elle doit prononcer le désistement de l'affaire. La SPR examine les explications données par le demandeur d'asile et toute autre information pertinente. [Non souligné dans l'original.]

[10]            En outre, le paragraphe 58(3) des Règles précise les facteurs à prendre en considération avant de prononcer le désistement d'une revendication du statut de réfugié :

58(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

58(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

[11]            Le fait qu'il n'existe pas de circonstances exceptionnelles pour justifier la prorogation du délai de transmission des FPR n'est qu'un des facteurs pertinents dont la Commission doit tenir compte; il ne s'agit pas d'un critère déterminant pour décider de prononcer le désistement de la revendication.

[12]            La Cour a donné des précisions sur le critère à appliquer, dans Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109, [2000] A.C.F. n ° 289, au paragraphe 32 :

Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d'examens de décisions de la SSR statuant que l'intéressé s'était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l'intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s'intéresser à sa revendication; (...)

[13]            En l'espèce, la Commission a indiqué que le critère applicable à la prorogation de délai est celui des circonstances exceptionnelles. Dans la décision précitée, cependant, il s'agissait d'un cas de désistement où la Cour devait examiner la véritable intention et les agissements du demandeur avant de conclure que ce dernier s'était désisté de sa revendication. Il ne s'agissait pas d'une demande de prorogation de délai présentée en vertu du paragraphe 6(2) des Règles, qui aurait justifié l'application des Directives n ° 5 et du critère des circonstances exceptionnelles.

[14]       La Cour a rendu des décisions sur la question précise examinée en l'espèce, mais selon le défendeur, elles ne s'appliquent pas car les décisions de la Commission sur lesquelles elles portent précèdent l'entrée en vigueur des Directives n ° 5, le 30 octobre 2003. Je ne suis pas d'accord avec cet argument car je constate que les Directives n ° 5 définissent le critère applicable aux demandes de prorogation de délai et non aux audiences sur le désistement. Je mentionnerai donc Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 357, [2004] A.C.F. n ° 408, au paragraphe 5, une affaire très semblable à celle en l'espèce, où mon collègue le juge O'Reilly s'exprime ainsi :

Les Règles font état des éléments que la Commission doit prendre en considération. Je n'ai aucune raison de douter que la Commission ait tenu compte des éléments appropriés en l'espèce. Toutefois, le passage cité ci-dessus semble révéler que la Commission s'attendait à ce que M. Ahmed démontre l'existence de [traduction] « circonstances exceptionnelles » avant de lui donner la permission de poursuivre sa demande. Selon mon interprétation de la disposition applicable, la Commission doit prendre en considération les explications données par le demandeur, déterminer s'il a présenté les formulaires requis et s'il est prêt à poursuivre sa demande, et tenir compte de « tout autre élément pertinent » . Bien sûr, la Commission ne permettra à un demandeur de poursuivre sa demande que si les explications qu'il donne pour justifier le retard sont raisonnables. Toutefois, je ne crois pas que l'on puisse déduire de cette disposition que le demandeur est tenu de démontrer l'existence de [traduction] « circonstances exceptionnelles » . À mon avis, la norme que prévoient les Règles n'est pas aussi exigeante.

[15]       Je mentionnerai également la décision Rahman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 430, [2005] A.C.F. n ° 534, dans laquelle mon collègue le juge Dawson affirme ce qui suit, au paragraphe 2 :

Dans des décisions antérieures, la Cour a déjà précisé que le fait d'exiger du demandeur qu'il prouve l'existence de « circonstances exceptionnelles » pour l'autoriser à poursuivre l'affaire (et ne pas prononcer le désistement) constitue une erreur de droit car ce critère est plus strict que la norme définie dans la disposition des Règles applicable. Voir : Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 248 F.T.R. 157, et Anjum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 250 F.T.R. 311.

[16]       La Commission a commis une erreur de droit en transposant le critère des circonstances exceptionnelles à l'audience sur le désistement. Dès lors, la norme de contrôle applicable est la décision correcte et, dans la présente affaire, l'intervention de la Cour est justifiée.

[17]       L'avocat des demanderesses propose une question pour certification :

[Traduction]

La Commission commet-elle une erreur de droit lorsqu'elle exige du demandeur qu'il fasse la preuve de « circonstances exceptionnelles » avant de l'autoriser à poursuivre sa revendication et ne pas prononcer le désistement?

[18]       L'avocat du défendeur soutient que cette question ne doit pas être certifiée.

[19]       À mon avis, la Cour s'est déjà prononcée sur cette question à plusieurs reprises et il est clair que le critère des « circonstances exceptionnelles » s'applique à l'examen d'une demande de prorogation du délai de transmission du FRP; par ailleurs, ces « circonstances exceptionnelles » , le cas échéant, font partie des facteurs pertinents à prendre en considération, mais ils ne constituent pas le critère déterminant à appliquer pour prononcer le désistement d'une revendication. Pour ces motifs, il ne s'agit pas d'une question de portée générale et elle ne sera donc pas certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

·         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

·         La décision de la Commission déclarant que les demanderesses se sont désistées de leur revendication du statut de réfugié est annulée.

·         La revendication du statut de réfugié des demanderesses est renvoyée devant la Commission afin qu'elle se prononce sur le fond.


Aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4356-04

INTITULÉ :                                        SAKINEH TAJADODI et

FARGOL NOWGHANI BEHAMBARI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

lieu de l'audience :                 Toronto (Ontario)

DATE de l'audience :               LE 15 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Jack C. Martin                                   POUR LES DEMANDERESSES

Mary Matthews                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack C. Martin                                    POUR LES DEMANDERESSES

Avocat

Toronto (Ontario)                              

John H. Sims, c.r.                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                               

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