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                                                                                                                                 Date : 20050224

                                                                                                                    Dossier : IMM-4740-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 292

ENTRE :

                                                CHRISTIAN KABUNDA KAZADI

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge de MONTIGNY

[1]                Cette demande de contrôle judiciaire vise à faire annuler la décision rendue par la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ), rendue le 28 avril 2004, concluant que le demandeur n'a pas la qualité de « réfugié » ni celle de « personne à protéger » au sens de la Convention et des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27).


[2]                Monsieur Christian Kabunda Kazadi est un citoyen de la République Démocratique du Congo. Il était commerçant entre Kinshasa et le Kasaï oriental, où il allait acheter du maïs ou des haricots pour les revendre à des commerçants de Kinshasa.

[3]                Le demandeur allègue être allé à Kisangani le 28 août 2003, où il a rencontré deux amis avec qui il aurait acheté cent sacs de haricots pour aller les vendre à Mme Nyota, la concubine du général Kalume à Kinshasa. Le 8 septembre 2003, alors que lui et ses amis négociaient les modalités de paiement de ces sacs de haricot avec Mme Nyota, le général Kalume les aurait surpris et se serait mis à la battre. Le demandeur prétend que lui et ses amis se seraient alors interposés, ce qui aurait provoqué leur arrestation et leur détention. Ils auraient alors été accusés de comploter en vue d'infiltrer le pouvoir par le biais de la concubine du général.

[4]                Le 24 septembre 2003, le demandeur s'est évadé de prison avec l'aide d'un oncle de son ami, qui est maintenant citoyen britannique et qui était en vacances en Kinshasa avec ses deux fils. L'oncle en question aurait alors accepté de l'emmener avec lui en laissant un de ses fils à Kinshasa pour qu'il puisse utiliser son passeport. Il est finalement arrivé au Canada le 30 octobre 2003, et il a revendiqué le statut de réfugié deux semaines plus tard.


[5]                Dans sa décision, la Commission a d'abord conclu que le demandeur n'avait pas réussi à établir son identité. Non seulement le demandeur a-t-il déclaré avoir voyagé avec un faux passeport, qu'il aurait remis à son passeur avec son billet d'avion et sa carte d'embarquement, mais encore les documents déposés au soutien de son identité n'étaient-ils d'aucune valeur probante. Certains de ces documents ne contenaient pas de photos, ne permettant pas d'identifier le demandeur, ou semblaient tout simplement contrefaits aux yeux de la Commission.

[6]                D'autre part, la Commission a relevé plusieurs contradictions et omissions dans son témoignage et son Formulaire de renseignements personnels, sur lesquels il n'est pas nécessaire de revenir ici. Qu'il suffise de mentionner que la Commission ne pouvait s'expliquer qu'un commandant de la Détection militaire des activités anti-patrie ait pu faciliter son évasion alors que ses trois frères et ses deux amis étaient toujours en prison, compte tenu du fait que le demandeur avait déclaré être le plus ciblé du groupe.

[7]                Le demandeur a prétendu que la Commission a erré en refusant d'accorder quelque valeur probante que ce soit aux documents d'identité qui lui avaient été soumis, puisque de tels documents délivrés par un gouvernement étranger sont présumés authentiques en l'absence de preuve contraire. On a soutenu que la Commission aurait dû demander une expertise si elle doutait de leur validité. Enfin, on a allégué que la Commission ne pouvait s'appuyer sur l'absence de documents de voyage pour remettre en question la crédibilité du demandeur.


[8]                Il est bien établi que la personne qui revendique le statut de réfugié doit d'abord établir son identité. Il est en effet essentiel que le demandeur puisse démontrer qu'il est bien la personne qu'il prétend être avant que sa revendication puisse être considérée. Cette exigence découle d'ailleurs de la règle 7 des Règles de la section de la protection des réfugiés, laquelle stipule :


7. Document d'identité et autres éléments de la demande - Le demandeur d'asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S'il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s'en procurer.

7. Documents establishing identity and other elements of the claim - The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who des not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.


[9]                L'article 106 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, établit d'autre part que la Section de la protection des réfugiés doit tenir compte de l'absence de papiers d'identité acceptables dans son évaluation de la crédibilité du demandeur :


106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s'agissant de crédibilité, le fait que, n'étant pas muni de papiers d'identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n'a pas pris les mesures voulues pour s'en procurer.


106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.


[10]            Puisque la question de savoir si le demandeur possède des documents permettant d'établir son identité est essentiellement une question de fait et de crédibilité, il va de soi que cette Cour n'interviendra que si la décision de la Commission est manifestement déraisonnable (Najam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] C.F. 425 (C.F.) (QL); Husein c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no. 726 (C.F.) (QL); Gasparyan c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 1103 (C.F.) (QL)).


[11]            En l'occurrence, la Commission était parfaitement justifiée de ne pas considérer crédibles les documents soumis par le demandeur pour attester de son identité. Ces documents ne comportaient pas de photographie du demandeur, contenaient plusieurs fautes d'orthographe, et remontaient parfois à plusieurs années; s'agissant plus particulièrement de l'attestation de naissance, sa facture douteuse (lettrage irrégulier, pointillés parfois très rapprochés, parfois plus éloignés, alignement très variable) permettait certes au tribunal de conclure que ce document était contrefait. Cette conclusion était au demeurant étayée par d'autres conclusions défavorables au demandeur eu égard à la crédibilité de son récit.

[12]            La Commission n'était pas tenu de demander une expertise afin d'évaluer la valeur probante de ces documents, compte tenu des nombreuses irrégularités qu'ils comportaient à leur face même. C'est ce que cette Cour a décidé à de nombreuses reprises, et les commentaires du juge Joyal dans l'affaire Culinescu c. Canada (M.C.I.) ([1997] A.C.F. no 1200 (C.F.) (QL)) en fournissent une bonne illustration :

En l'espèce, les requérants prétendent que le tribunal a commis une erreur déraisonnable en concluant que leurs prétentions au sujet de l'existence de poursuites judiciaires étaient invraisemblables. Ils fondent leur argument sur le fait qu'il n'y avait aucune preuve qui contredisait leur témoignage ou qui aurait pu le rendre invraisemblable. Ils soutiennent que la Commission avait l'obligation d'expertiser les documents qu'ils avaient déposés en preuve, surtout si elle avait des doutes quant à leur authenticité.

La Commission n'avait aucune obligation d'agir de la sorte. Il suffit qu'elle dispose de suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en question l'authenticité de la citation à procès pour conclure que le témoignage des requérants était invraisemblable.

-         Voir aussi : Akinele c. M.C.I., [2002] A.C.F. no. 68 (C.F.) (QL)

-         Hossain c. M.C.I., [2000] A.C.F. no 160 (C.F.) (QL)

-         Tshimanga c. M.C.I., [1999] A.C.F. no 891 (C.F.) (QL)

-         Tcheremnykh c. M.C.I., [1998] A.C.F. no 1310 (C.F.) (QL)


[13]            Enfin, la Commission était parfaitement justifiée de tirer une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur du fait que ce dernier n'avait aucun passeport, billet d'avion ou carte d'embarquement pour établir son identité et confirmer son itinéraire. Elle s'est d'ailleurs appuyée sur la décision rendue par cette Cour dans Elazi c. M.C.I. ([2000] A.C.F. no 212 (QL)), dont elle a cité le passage suivant :

J'en profite pour ajouter qu'il est tout à fait raisonnable pour la Section du Statut de donner une grande importance au passeport d'un demandeur ainsi qu'à son billet d'avion. Ces documents, à mon avis, sont des documents essentiels pour démontrer l'identité d'un demandeur et son périple pour venir au Canada. À moins de présumer qu'un demandeur du statut de réfugié est effectivement un réfugié, il m'apparaît déraisonnable d'excuser la perte de ces documents à moins de motifs sérieux. Il est trop facile à mon avis, pour un demandeur, de simplement affirmer qu'il a soit perdu ces documents ou que le passeur les a repris. Si la Section du Statut insiste à ce que ces documents soient produits, il est possible que les passeurs auront à changer leurs méthodes.

De diminuer l'importance du passeport et du billet d'avion comme documents devant être produits ou d'excuser leur non-production pour toutes sortes de motifs, ne sert, à mon avis, qu'à encourager tous ceux qui ne pensent qu'à prendre avantage d'un système ayant comme seul but de permettre à de véritables réfugiés de venir au Canada.

[14]            Le demandeur a tenté de s'appuyer sur une décision postérieure du juge Martineau (R.K.L. c. M.C.I., [2003] A.C.F. no 162 (QL)), dans laquelle il s'est dit d'avis que le fait pour un revendicateur d'asile d'avoir menti sur la validité de son passeport n'était pas pertinent pour déterminer s'il est vraiment un réfugié. Il importe cependant de souligner que la Cour a explicitement opéré une distinction avec l'arrêt Elazi, où l'identité même du demandeur était remise en question. C'est précisément la situation à laquelle la Commission était confrontée.


[15]            Enfin, la Commission a également noté que le demandeur n'avait pas pris les mesures nécessaires pour se procurer des documents d'identité acceptables, et qu'il n'avait pas tenté de se procurer sa carte d'attestation de perte de pièce d'identité restée à Kinshasa alors même qu'il avait pu obtenir des lettres non signées de deux personnes de la République démocratique du Congo pour tenter d'attester de son identité.

[16]            Tout compte fait, la Commission n'a pas commis d'erreur déraisonnable en concluant, sur la base du dossier qu'elle avait en sa possession et du témoignage du demandeur, que ce dernier n'a pas établi son identité de façon satisfaisante. Cette conclusion, à elle seule, constituait une lacune fatale et aurait pu entraîner le rejet de la revendication du demandeur.

[17]            La Commission a néanmoins poursuivi son analyse de la preuve soumise, ce qui lui a permis de relever plusieurs omissions dans son Formulaire de Renseignements Personnels (FRP), des contradictions entre son témoignage et son FRP, et des invraisemblances dans son récit. Elle en a conclu que le demandeur n'était pas crédible.


[18]            Dans ses représentations écrites et lors de l'audition, l'avocat du demandeur a bien tenté d'expliquer ces contradictions et omissions. Il ne m'a cependant pas convaincu que la Commission a tiré des conclusions manifestement déraisonnables des faits qui lui ont été soumis. Une jurisprudence constante reconnaît qu'un tribunal peut se fonder sur les contradictions dans la preuve soumise (Kumar c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 219 (C.A.F.) (QL); Wen c. M.E.I., [1994] A.C.F. no 907 (C.A.F.) (QL); He c. M.E.I., [1994] A.C.F. no 1107 (C.F.) (QL); Alizadeh c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 11 (C.A.F.) (QL); Mostajelin c. M.E.I., [1993] A.C.F. no 28 (C.A.F.) (QL)), ou sur des omissions de faits importants dans le FRP (Basseghi c. M.C.I., [1994] A.C.F. no 1867 (C.F.) (QL); Grinevich c. M.C.I., [1997] A.C.F. no 444 (C.F.) (QL); Mostajelin c. M.E.I., précité; Lobo c. M.C.I., [1995] A.C.F. no 597 (C.F.) (QL); Kutuk c. M.C.I., [1995] A.C.F. no 1754 (C.F.) (QL)), pour conclure à l'absence de crédibilité du demandeur.

[19]            En tant que tribunal spécialisé, la Commission jouit d'une expertise certaine dans les domaines qui relèvent de sa juridiction. Qui plus est, elle a le bénéfice de voir et d'entendre le revendicateur du statut de réfugié, et est donc mieux placée que cette Cour pour évaluer sa crédibilité. Voilà pourquoi le pouvoir de contrôle judiciaire doit être utilisé avec circonspection, et uniquement dans les cas les plus flagrants. Après avoir entendu les parties et examiné soigneusement le dossier et les mémoires soumis de part et d'autre, je ne peux me convaincre qu'il s'agit d'une de ces situations exceptionnelles qui commande l'intervention de cette Cour.


[20]            Enfin, je ne saurais mettre un terme à ces motifs sans dire un mot de la preuve documentaire sur la situation en République Démocratique du Congo qu'a soumise le procureur du demandeur, et sur laquelle il a longuement insisté lors de l'audition. Cette preuve ne peut, à elle seule, être d'aucun secours au demandeur. Même si la situation dans un pays donné peut être particulièrement pénible, surtout au chapitre des droits de la personne ou de la sécurité en général, encore faut-il que la situation personnelle du demandeur soit telle qu'il puisse craindre (objectivement et subjectivement) d'être persécuté, torturé, ou menacé. Or, c'est justement ce lien entre la situation générale en RDC et le demandeur qui fait défaut, compte tenu du peu de crédibilité que la Commission a accordé à son récit (Rahaman c. M.C.I., [2002] 3 C.F. 537 (C.A.F.); Canada (Secrétaire d'État) c. Jules, [1994] A.C.F. no 835 (C.F.) (QL)).

[21]            Pour tous ces motifs, je serais d'avis de rejeter cette demande de contrôle judiciaire.

                                                                                                                      (s) « Yves de Montigny »          

Juge


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                          IMM-4740-04

INTITULÉ:                                         CHRISTIAN KABUNDA KAZADI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE:                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:                 le 26 janvier 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE:    le juge de Montigny

DATE DE L'ORDONNANCE:         24 février 2005

COMPARUTIONS:

Me Ella Lokrou                                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Me Suzon Létourneau                                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:


Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)                                                                                      POUR LE DEMANDEUR

M. John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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