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Date : 20010529

Dossier : IMM-1011-00

Référence neutre : 2001 CFPI 541

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

CESAR PATULO RUECA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), à l'encontre d'une décision datée du 24 janvier 2000, par laquelle W.A. Sheppit (le représentant du ministre) a conclu que le demandeur constitue un danger pour le public en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi.


Le contexte

[2]                 Le demandeur, M. Cesar Patulot Rueca (le nom tel qu'il apparaît dans l'avis de danger), a la qualité de résident permanent au Canada et est un ressortissant des Philippines. En octobre 1998, le demandeur a été arrêté et accusé de plusieurs infractions au Code criminel. Il avait agressé avec un couteau le portier d'une salle de divertissement pour adultes à Toronto. À la suite d'une transaction pénale, le demandeur n'a été reconnu coupable que de voies de fait graves. Il a été condamné à trois ans et cinq mois d'emprisonnement en plus de l'emprisonnement avant la tenue du procès d'une durée de six mois et 28 jours.

[3]                 Par lettre datée du 9 décembre 1999 et reçue le 20 décembre 1999, le demandeur a été informé de l'intention de Citoyenneté et Immigration Canada de demander un avis du ministre, en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)(iv) de la Loi, déclarant qu'il constitue un danger pour le public au Canada. Le demandeur a été informé que les observations écrites ou les arguments présentés pour son compte devaient être reçus dans le délai de 15 jours à compter de la réception de l'avis. En raison des congés, on prévenait le demandeur que la date limite pour les observations serait le 7 janvier 2000. Avec l'incorporation du délai d'attente accordé par l'agent d'immigration, cette date a été reportée au 10 janvier 2000.


[4]                 Le demandeur a envoyé une lettre contenant ses observations, datée du 14 janvier 2000 et affranchie le 19 janvier 2000. Toutefois, cette lettre n'a été reçue que le 25 janvier 2000, soit le lendemain du jour où le représentant du ministre a décidé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. La décision du représentant du ministre porte :

[TRADUCTION] Sur la base des renseignements que j'ai considérés, je suis d'avis, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, que

NOM : Cesar Patulot RUECA

DDN : 16 mars 1956

constitue un danger pour le public au Canada.

[5]    L'agent d'immigration David a répondu à la lettre du demandeur du 14 janvier 2000 par lettre datée du 2 février 2000. Cette lettre indique notamment :

[Traduction] [. . .] J'ai été informé du fait que, comme vos observations ont été reçues après que le représentant du ministre a pris sa décision, la décision tient toujours et vos arguments tardifs ne seront pas considérés.

. . .

Compte tenu de ce qui précède, j'ai examiné avec soin le contenu de votre lettre par rapport à la possibilité de réexamen. Je conclus, toutefois, que vous n'avez pas fourni des faits nouveaux ou une preuve nouvelle qui me justifient de transmettre au représentant du ministre une recommandation de réexamen. Par conséquent, la décision prise le 24 janvier 2000 par le représentant du ministre reste en vigueur.

Le demandeur a demandé une prorogation de délai dans son avis de demande d'autorisation et de demande de contrôle judiciaire, parce qu'il avait attendu plus de 15 jours après la réception de la décision pour déposer son avis.


[6]                 Les questions en litige

1.                    Le défendeur a-t-il commis un excès de compétence, une erreur de droit ou une erreur du point de vue de l'équité en décidant que le demandeur n'avait que 15 jours pour présenter des observations, en général ou dans les circonstances de l'espèce?

2.                    Qui a le pouvoir de décider d'un réexamen selon le paragraphe 70(5)?

3.                    Quelle est le critère applicable au réexamen selon le paragraphe 70(5)?

4.                    Le refus de reconsidérer la question était-il inéquitable ou déraisonnable?

5.                    a)          La décision prise en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi doit-elle être motivée, compte tenu des arrêts Baker et Suresh? En l'espèce, la décision était-elle motivée?

b)          Si la décision est motivée, les motifs sont-ils adéquats?


6.                    Le défendeur a-t-il violé les principes de la justice fondamentale ou de l'équité en prenant en considération des rapports qui n'ont pas été fournis au demandeur?

Les observations du demandeur

[7]                 La norme de contrôle

Le demandeur plaide que la norme de contrôle applicable à l'espèce est celle du caractère raisonnable simpliciter et cite à l'appui l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Le demandeur fait valoir que les mêmes facteurs qui ont été utilisés pour déterminer la norme dans l'arrêt Baker, précité, s'appliquent en l'espèce, particulièrement parce qu'une décision fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi est rendue par exception, alors qu'une décision fondée sur le paragraphe 70(5) supprime un droit d'appel accordé par la loi et, selon le demandeur, est de la nature d'un « superexamen » fondé sur le paragraphe 114(2).

[8]                 L'excès de compétence, l'erreur de droit et la violation de la justice naturelle ou de l'équité

Le demandeur note, dans son exposé supplémentaire des points d'argument, qu'aucun fonctionnaire du ministre n'a déposé d'affidavit. Donc, le demandeur plaide qu'on devrait lui donner pleinement le bénéfice du doute.


Le demandeur soutient que le délai de 15 jours qu'on lui a imparti pour présenter des observations (qui a été prorogé au 10 janvier 2000 en raison des congés et d'un délai d'attente qui lui a été accordé par l'agent d'immigration) est, sur le plan juridique, très rigoureux, compte tenu du fait qu'il purge une peine d'emprisonnement. Selon lui, rien ne presse dans son affaire et le sens commun nous dit que les détenus éprouvent de la difficulté à retenir les services d'un avocat, à moins qu'ils ne soient détenus dans un grand centre urbain. Les prisonniers, plaide-t-il, ne peuvent simplement donner un coup de fil à leur avocat et, compte tenu de l'époque de l'année (le congé de Noël), il est beaucoup plus difficile d'entrer en rapport avec un avocat. Le demandeur soutient que la Loi ou les règlements ne prévoient pas le pouvoir de fixer le délai de 15 jours qu'on lui a donné pour présenter ses observations. Il prétend donc que ce délai était déraisonnablement court.

[9]                 Qui décide si la décision sur le danger devrait faire l'objet d'un réexamen?

Selon le demandeur, l'agent d'immigration David n'avait pas le pouvoir de lui refuser un réexamen. Le demandeur cite l'arrêt Ihunwo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 58 (C.A.F.), où la Cour a jugé que la personne qui décide de rouvrir une cause doit avoir la compétence pour juger l'affaire. De façon précise, la Cour a jugé que l'arbitre siégeant seul à propos d'une requête visant la réouverture d'une audition de la Section du statut de réfugié ayant statué sur le minimum de fondement (audience qui avait eu lieu devant un arbitre et un membre de la Section du statut de réfugié), n'avait pas compétence pour rouvrir la demande.


Bien que M. Sheppit ait décidé que le demandeur constituait un danger pour le public, c'est l'agent d'immigration David, au dire du demandeur, qui a décidé que l'affaire ne serait pas réexaminée. Le demandeur fait valoir que c'est donc M. Sheppit qui devrait avoir le pouvoir de réexaminer la décision, puisque c'est lui qui a pris la décision. La preuve en est, selon le demandeur, que l'agent d'immigration David, s'il avait décidé que l'affaire soulevait de nouveaux points qui mériteraient d'être considérés, n'aurait pas eu le pouvoir d'annuler la décision de M. Sheppit. Le pouvoir de délivrer un avis de danger n'a été délégué, selon le demandeur, qu'aux personnes du niveau de la direction dans l'administration centrale. En outre, le demandeur soutient qu'il semble, d'après les mentions dans la jurisprudence, que M. Sheppit soit actuellement la seule personne qui exerce ce pouvoir. À défaut d'un régime établi par la Loi, le demandeur plaide que c'est la personne exerçant le pouvoir susmentionné qui devrait décider si l'affaire doit être réexaminée.

[10]            S'il ne se pose pas de question quant à la compétence, le demandeur prétend qu'il y a eu violation de l'équité, parce que des observations n'ont pas été examinées par le décideur. Il cite l'arrêt Kane c. University of British Columbia, [1980] 3 W.W.R. 125 (C.S.C.), où il a été jugé qu'un demandeur n'avait pas à démontrer qu'il avait subi un préjudice du fait d'une violation de la justice naturelle, mais seulement qu'il existe une possibilité sérieuse qu'il ait subi un préjudice.


[11]            L'agent a-t-il appliqué le mauvais critère pour décider s'il devait transmettre le document au décideur ou rouvrir la cause?

Selon le demandeur, l'agent d'immigration David a appliqué, en vue du réexamen (c'est-à-dire du réexamen tel qu'il est défini par l'agent, qui pouvait consister 1) soit à faire réexaminer la décision relative au danger, 2) soit à transmettre le document au décideur véritable), un critère qui est dépourvu de tout fondement. Essentiellement, le demandeur prétend que l'agent d'immigration David ne pouvait savoir ce qui avait influencé le décideur et ne pouvait donc déterminer si le demandeur avait établi des faits nouveaux ou une preuve nouvelle.

[12]            La motivation

Le demandeur soutient que le décideur devrait avoir motivé sa décision. Il soutient encore que, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C. F. 592 (C.A.F.), la Cour a conclu qu'il fallait une décision motivée dans le cas du paragraphe 53(1) de la Loi. Le demandeur en déduit qu'il faut également une décision motivée dans le cas du paragraphe 70(5) de la Loi. En outre, fait valoir le demandeur, si la Cour devait estimer que les documents pertinents comportent des motifs, la suffisance de ces motifs peut être attaquée par la voie du contrôle judiciaire.


[13]            Dans le cas du demandeur, le tribunal administratif qui a pris la décision a répondu à la demande formulée par le greffe de la Cour fédérale en vue d'obtenir les motifs en disant qu'il n'y en avait pas. Donc, soutient le demandeur, si la décision devait être motivée, le tribunal administratif a indiqué qu'il n'y avait pas de motifs.

[14]            Dans son exposé supplémentaire des points d'argument, le demandeur prétend que la Cour a jugé récemment, dans la décision Ip c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 77 (C.F. 1re inst.), que la décision devait être motivée dans le cas du paragraphe 70(5) de la Loi. Toutefois, le demandeur note que, plus récemment, dans la décision Tewelde c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 5 Imm. L.R. (3d) 86 (C.F. 1re inst.), la Cour a jugé que le paragraphe 70(5) de la Loi n'exigeait pas une décision motivée.

[15]          L'équité procédurale : le non-respect de la décision Bhagwandass, infra

Le demandeur invoque la décision Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (C.F. 1re inst.), où la Cour a jugé que, par rapport à un avis de danger délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, le ministre est tenu de fournir au demandeur les rapports du défendeur avant que la décision soit prise, si ces rapports ont été présentés au décideur. Selon le demandeur, il n'y a pas de différence significative entre la décision Bhagwandass, précitée, et la présente espèce. Donc, comme cette décision a été prononcée juste avant que l'avis ne lui soit transmis, le demandeur soutient que le défendeur a commis une erreur en ne lui fournissant pas les rapports.


[16]            Le demandeur fait encore valoir que, dans son affaire tout comme dans la décision Bhagwandass, précitée, ni la « Demande en vue d'obtenir l'avis du ministre » , ni le rapport « Danger pour le public - Rapport sur l'avis du ministre » ne lui ont été communiqués. À tout le moins, soutient-il, il incombe au défendeur de démontrer, suivant la prépondérance de la preuve, que ces documents n'ont pas été établis ni fournis au ministre, puisque c'est la procédure qui est actuellement suivie.

[17]            D'après le demandeur, dans la décision Bhagwandass, précitée, la Cour a conclu que l'arrêt Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.) (où la Cour a décidé que l'équité n'obligeait pas à fournir une motivation lorsque la loi ne prévoyait pas cette obligation) ne liait plus la Section de première instance de la Cour fédérale. La Cour a également conclu, d'après le demandeur, qu'une décision prise en vertu du paragraphe 70(5) était très importante et exigeait donc un degré élevé d'équité. En outre, la Cour a écrit, aux pages 637 et 638, ce qui suit :


Comme dans l'affaire Baker, l'avis ou la décision faisant l'objet du présent contrôle n'était pas étayé par des motifs. En outre, comme dans cette affaire, il ressort des documents qui ont été soumis à la Cour en l'espèce que le représentant du défendeur disposait de « notes » qui prenaient la forme de deux documents : premièrement, un formulaire de demande de l'avis du ministre comprenant un résumé sur le danger que le demandeur était susceptible de constituer et les considérations sur le risque auquel ce dernier serait exposé s'il était renvoyé, résumé qui contenait également les remarques et recommandations de l'agent qui a examiné le cas et qui faisait état non seulement des recommandations de l'agent mais également de l'avis concordant d'un analyste principal de l'examen des cas rattaché à la Direction générale du règlement des cas; deuxièmement, un rapport faisant état de l'avis du ministre selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public. Ces deux documents paraissent ensemble résumer les documents qui, selon ce qu'on a dit au demandeur, auraient servi au défendeur pour déterminer s'il devait ou non formuler un avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public, de même que la réponse du demandeur face à ces documents. Le demandeur a eu l'occasion de faire des observations et de fournir des documents concernant tous les autres documents dont le représentant du défendeur a été saisi, mais il n'a pu consulter ces deux documents « récapitulatifs » et n'a pas eu l'occasion d'y répondre. On pourrait soutenir à tout le moins, ce que l'avocat du demandeur a d'ailleurs fait devant moi, que ces documents ne constituaient pas un résumé équilibré.

[18]            Dans son exposé supplémentaire des points d'argument, le demandeur prétend que le rapport d'un agent qui argumente farouchement en faveur d'un avis de danger devrait lui avoir été communiqué pour qu'il puisse le commenter. Il souligne le fait que la jurisprudence récente de la Cour d'appel fédérale appuie sa position selon laquelle il existe une obligation de fournir les rapports avant que le décideur ne prenne la décision. Dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.), la Cour a statué que l'obligation d'équité dans les réexamens pour des raisons d'ordre humanitaire est plus forte à la suite de l'arrêt Baker, précité, et exige que les évaluations des risques établies par les ARRR soient communiquées au demandeur qui invoque des raisons humanitaires pour lui permettre à lui ou à son avocat de déposer des observations en réponse avant une décision définitive.


[19]            Selon le demandeur, ces propositions sont étayées par une jurisprudence très récente. Les deux décisions Qazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 1222, IMM-5317-99 (26 juillet 2000) (C.F. 1re inst.) et Andino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 6 Imm. L.R. (3d) 205 (C.F. 1re inst.) ont suivi la décision Bhagwandass, précitée. Selon le demandeur, la Cour a laissé entendre que l'arrêt Haghighi, précité, aurait conduit au même résultat, bien que cet arrêt n'ait pas été discuté par les parties. Le demandeur note également que la Cour a cité la décision Bhagwandass, précitée, avec approbation dans la décision Nemouchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 2 C.F. 528 (C.F. 1re inst.). Le demandeur plaide donc que, puisqu'il y a eu des rapports non communiqués, la décision doit être annulée. Il prétend en outre que les rapports contenaient des renseignements qui devaient, par équité, être examinés par le demandeur de sorte qu'il ait une véritable occasion de présenter sa cause.

Les arguments du défendeur

[20]            La norme de contrôle

Selon le défendeur, la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Suresh, précité, a jugé que le caractère raisonnable simpliciter constituait la norme de contrôle appropriée à l'égard d'un avis de danger fondé sur l'alinéa 53(1)d) de la Loi. Toutefois, le défendeur note que la Cour n'a pas formulé d'observations sur la norme de contrôle applicable aux avis de danger fondés sur le paragraphe 70(5) de la Loi. Il soutient que la norme de contrôle est différente pour les deux types d'avis de danger et qu'en l'espèce, la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable ainsi qu'il est exposé dans l'arrêt Williams, précité. Cette norme est toujours valable selon le défendeur : la Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation dans l'arrêt Williams et cette norme n'a pas été désapprouvée de façon expresse dans l'arrêt Baker, précité.


[21]            Quoi qu'il en soit, le défendeur prétend que le demandeur n'a pas établi en quoi la question de la norme de contrôle est pertinente par rapport aux arguments qu'il a présentés. Le demandeur n'a pas attaqué directement la décision elle-même. Il a plutôt soulevé une question touchant la communication de documents, contesté la façon dont ont été traitées ses observations tardives et indiqué qu'il fallait une décision motivée. Le défendeur invoque la décision Tewelde, précitée, où la Cour a déclaré, à la page 93, que s'il n'y a pas de preuve d'une erreur entachant la décision elle-même, il n'est pas nécessaire de décider de la norme de contrôle appropriée.

Comme aucune erreur ne ressort d'un examen approfondi du dossier, il n'est pas nécessaire que la Cour se pose la question de savoir si la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision déraisonnable ou celle de la décision manifestement déraisonnable. En fait, l'avis du représentant satisfait aux exigences de ces deux normes.

[22]            Traitement correct des observations tardives

Le défendeur indique que le demandeur a été informé de la décision imminente du représentant du ministre le 20 décembre 1999 et qu'on lui a indiqué de fournir ses observations avant le 7 janvier 2000. Le demandeur n'a pas respecté ce délai et a envoyé des observations datées du 14 janvier 2000 (lesquelles ont été reçues le 25 janvier 2000, soit le lendemain du jour où l'avis de danger a été délivré). Il fait également valoir qu'il n'y a pas de violation de l'équité en ce qui concerne le délai imparti au demandeur pour présenter ses observations. Le demandeur aurait pu simplement demander une prorogation de délai, mais il n'a formulé aucune objection.

[23]            Selon le défendeur, la lettre de l'agent d'immigration David est la preuve que les arguments du demandeur n'ont pas été ignorés. Même si le demandeur n'avait pas demandé un réexamen de l'avis de danger, on a eu l'obligeance de traiter ses observations tardives comme une demande de réexamen de l'avis de danger :


[Traduction] . . . J'ai examiné avec soin le contenu de votre lettre par rapport à la possibilité de réexamen. Je conclus, toutefois, que vous n'avez pas fourni des faits nouveaux ou une preuve nouvelle qui me justifient de transmettre au représentant du ministre une recommandation de réexamen.

[24]            Selon le défendeur, cette situation est traitée dans le texte Danger pour le public : Politique et procédure de la façon suivante :

Lorsqu'une demande de réexamen est présentée à partir de nouveaux faits ou éléments de preuve auxquels on n'avait pas raisonnablement accès au moment de l'avis original et que l'agent établit qu'il s'agit de motifs raisonnables de réexamen, le demande devrait être transmise pour examen au représentant du Ministre.

Les cas où l'intéressé ou son conseil prétendent qu'on a violé un principe de justice naturelle en rendant la première décision (p. ex., l'intéressé n'avait pas été convenablement avisé de la possibilité de faire des observations, la décision reposait sur de l'information qui n'avait pas été fournie à l'intéressé) devraient aussi être transmis pour réexamen au représentant du Ministre.

Les bureaux locaux peuvent s'occuper des demandes de réexamen qui ne découlent pas des facteurs qui précèdent (p. ex., une décision sur laquelle l'intéressé ou son conseil ne sont pas d'accord ou dans le cas où ces derniers considèrent qu'il faudrait donner plus de poids à un élément de preuve en particulier). L'intéressé ou son conseil seront alors informés par écrit que la décision relative au danger a déjà été prise et restera en vigueur.

[25]            Selon le défendeur, on ne peut dire, contrairement à l'argumentation du demandeur, que l'agent d'immigration David a décidé s'il y avait lieu de réexaminer la décision relative au danger. L'agent d'immigration David n'a fait que procéder à une vérification pour s'assurer que les observations du demandeur ne contenaient pas de nouveaux faits ou éléments de preuve sur lesquels pourrait se fonder une décision de réexamen. Selon le défendeur, l'agent d'immigration David s'est limité à se demander s'il y avait des motifs le justifiant de recommander au représentant du ministre de réexaminer l'avis de danger.


[26]            Les observations tardives du demandeur sont simples, au dire du défendeur, et se ramènent essentiellement à des explications de son regret à l'égard de son comportement criminel. On n'y trouve pas de faits nouveaux auxquels le représentant du ministre n'avait pas accès lorsqu'il a pris la décision. Le défendeur soutient que, étant donné les faits de l'espèce, l'agent d'immigration David n'a pas commis d'erreur en prenant le parti de ne pas recommander un réexamen de la décision. D'après le défendeur, il n'y avait aucune raison qui aurait permis au représentant du ministre de réexaminer la décision.

[27]            La décision n'avait pas à être motivée

Selon l'arrêt Suresh, précité, les décisions fondées sur le paragraphe 53(1) de la Loi doivent être motivées. Cependant, le défendeur soutient que la Cour a récemment confirmé, dans la décision Tewelde, précitée, que la décision fondée sur le paragraphe 70(5) de la Loi n'avait pas à être motivée. En outre, le défendeur prétend que l'arrêt Williams, précité, a clairement décidé que les décisions fondées sur le paragraphe 70(5) n'avaient pas à être motivées et que l'arrêt Baker, précité, n'a en rien contredit les principes établis dans l'arrêt Williams.

[28]            L'absence d'obligation de communiquer le rapport ministériel

Selon le défendeur, le demandeur n'a pas démontré qu'il n'était pas au courant du moindre renseignement contenu dans une recommandation présentée au représentant du ministre. Cela étant, le défendeur plaide que le demandeur n'a pas établi qu'il y a eu violation de l'équité procédurale.


[29]            La Cour d'appel fédérale a confirmé l'équité générale de la procédure selon laquelle le ministre décide qu'une personne constitue un danger pour le public. Or, selon le défendeur, cette procédure comprend l'établissement de rapports ministériels qui ne sont pas fournis à la personne visée avant que la décision ne soit prise. On appuie cette position sur les arrêts Williams et Suresh, précités.

[30]            Le défendeur cite les décisions Bayani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 156 F.T.R. 119 (C.F. 1re inst.), Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Davis (1997), 132 F.T.R. 176 (C.F. 1re inst.) et Jarrett c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 139 F.T.R. 31 (C.F. 1re inst.), dans lesquelles la Cour a indiqué que la non-communication des rapports ministériels avant une décision déclarant qu'une personne constitue un danger pour le public n'était pas un déni d'équité procédurale ou de justice naturelle, dans la mesure où les rapports n'étaient pas fondés sur une preuve extrinsèque ou sur des renseignements faux. Selon le défendeur, le demandeur n'a pas démontré que les renseignements dont était saisi le représentant du ministre soient faux ou fondés sur une preuve extrinsèque.

[31]            Le défendeur plaide que dans la décision Tewelde, précitée, la Cour a statué aux pages 94 à 96 qu'il n'y avait pas violation de la justice fondamentale lorsque des copies de recommandations fournies au représentant du ministre n'étaient pas communiquées pour permettre à la personne visée de formuler des observations sur les recommandations :


Le demandeur soutient ensuite que le représentant a enfreint les principes de justice fondamentale garantis par l'article 7 de la Charte de la façon suivante : ... il n'a pas reçu copie des recommandations sur lesquelles le représentant s'est appuyé et n'a donc pas eu l'occasion de présenter son point de vue à leur sujet;

. . .

Le défendeur a raison d'alléguer qu'un avis rendu en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi ne fait pas intervenir les droits définis à l'article 7 de la Charte.

[32]            Le défendeur plaide qu'il ne faut pas suivre la position de la décision Bhagwandass, précitée, puisque, contrairement au raisonnement suivi dans cette décision, l'arrêt Baker, précité, n'indique aucunement que ce serait une violation de l'équité si on ne donne pas à la personne visée au paragraphe 70(5) l'occasion de formuler des observations sur les recommandations transmises au représentant du ministre.

La disposition législative

[33]            Le paragraphe 70(5) de la Loi est ainsi conçu :



70.(5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre_:

a)appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

b)relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

70.(5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or

(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.


Analyse et décision

[34]            Je commencerai par traiter de la question 6, à savoir :

Le défendeur a-t-il violé les principes de la justice fondamentale ou de l'équité en prenant en considération des rapports qui n'ont pas été fournis au demandeur?

Cette question porte sur un point fondamental : quels documents et rapports le défendeur doit-il mettre à la disposition du demandeur pour lui permettre de formuler des observations, avant de décider s'il doit ou non délivrer un avis fondé sur le paragraphe 70(5)? Selon son affidavit, le demandeur n'a pas reçu les deux rapports établis par le ministère, intitulés « Demande en vue d'obtenir l'avis du ministre » et « Danger pour le public - Rapport sur l'avis du ministre » , avant que le représentant du ministre décide, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Le demandeur plaide que le fait de ne pas lui fournir ces rapports constitue une violation de l'obligation d'équité procédurale à son endroit.


[35]            Selon son argumentation, le demandeur aurait dû avoir l'occasion de répondre à ces rapports et ses réponses auraient dû être transmises au représentant du ministre avant que la décision sur le fondement du paragraphe 70(5) ne soit prise.

[36]            Je souscris à la position du demandeur. La décision de déclarer que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada était très importante et avait des conséquences graves pour le demandeur. Pour ce seul motif, il aurait dû avoir l'occasion de prendre connaissance de toutes les observations qui ont été présentées au représentant du ministre. Du fait que les deux rapports n'ont pas été communiqués au demandeur avant que la décision ne soit prise, on lui a dénié la possibilité de répondre aux préoccupations qui y étaient soulevées. Cela constituait une violation de l'obligation d'équité.

[37]            Le juge Gibson de notre Cour est arrivé à la même conclusion dans la décision Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (10 décembre 1999), dossier n ° IMM-6496-98 (C.F. 1re inst.), confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (7 mars 2001), dossier n ° A-850-99 (C.A.F.).

[38]            La demande est accueillie. L'avis du défendeur portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada, délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi, est annulé et l'affaire est renvoyée au défendeur en vue du réexamen.


[39]            Compte tenu de la décision sur les documents non communiqués, il n'est pas nécessaire de trancher les autres questions.

[40]            J'ai examiné les questions soumises par les parties pour qu'elles soient certifiées en vertu de l'article 83 de la Loi. Je ne suis disposé à certifier aucune de ces questions.

ORDONNANCE

[41]            LA COUR ACCUEILLE la demande, l'avis du défendeur portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et délivré en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi est annulé et l'affaire est renvoyée au défendeur en vue du réexamen.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 29 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1011-00                                       

INTITULÉ :                                                        Cesar Patulo Rueca c. M.C.I.   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 5 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                                    Le 29 mai 2001

COMPARUTIONS:

MICHAEL CRANE                                                         POUR LE DEMANDEUR

ANN MARGARET OBERST                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michael Crane                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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