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                                                                                                                                 Date : 20050506

                                                                                                                    Dossier : IMM-4438-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 637

ENTRE :

                                                               MUSTAFA CURE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 16 avril 2004 par la Section de la protection des réfugiés. Le tribunal a conclu que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.


[2]                Le demandeur conteste la décision pour le motif que le tribunal a commis les erreurs suivantes : (1) il n'a pas fourni les motifs pour lesquels il a conclu que le demandeur n'est pas crédible; (2) en concluant au manque de crédibilité, il s'est concentré sur les contradictions et les incohérences, sans analyser correctement l'ensemble de la preuve présentée par le demandeur; et (3) en ce qui concerne la crainte alléguée du demandeur d'être persécuté s'il devait retourner en Turquie parce qu'il a refusé de faire son service militaire, le tribunal n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve concernant les conséquences probables du retour du demandeur dans ce pays.

[3]                Les deux premiers énoncés concernent la conclusion du tribunal selon laquelle même si le demandeur a effectivement participé au mouvement Fethullah Gulen (FG), il n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ses opinions politiques et religieuses risquaient d'attirer l'attention des autorités lors de son retour au pays. Malgré la preuve fournie par le demandeur indiquant qu'il a été victime de harcèlement en Turquie en raison de ses liens avec le FG, le tribunal a suffisamment expliqué pourquoi il avait conclu que la version du demandeur manquait de crédibilité et pourquoi il ne croyait pas que certains des actes de répression qu'il a décrits ne s'étaient pas réellement produits. Il est bien établi que la Cour ne devrait pas modifier les conclusions du tribunal quant à la crédibilité sauf si elles sont manifestement erronées, c'est-à-dire manifestement déraisonnables. Je ne peux pas affirmer que les conclusions du tribunal concernant la crédibilité sont de cette nature. Je ne serais peut-être pas arrivé aux mêmes conclusions sur certaines questions relatives à la vraisemblance, mais je crois qu'il était loisible au tribunal de tirer de telles conclusions.


[4]                L'autre question porte sur les conséquences probables d'un retour en Turquie pour le demandeur, ce dernier ne s'étant pas présenté pour accomplir son service militaire lorsqu'il y était tenu. Le tribunal a conclu que le demandeur ne pouvait pas être reconnu comme un objecteur de conscience et le demandeur ne conteste pas cette conclusion dans la présente instance. Le tribunal a également conclu ce qui suit :

[Traduction] Il est vrai que le demandeur risque d'être puni pour insoumission, mais cette peine découle de la loi et ne constitue pas une persécution. En outre, rien dans la preuve dont dispose le tribunal ne permet de conclure que la peine pour insoumission est cruelle et inusitée.


[5]                Le demandeur affirme que le tribunal n'a pas tenu compte d'éléments de preuve importants démontrant le contraire. Il est évident que, lorsqu'un demandeur affirme qu'il fera l'objet d'une peine disproportinnée à son retour au pays, il lui incombe de prouver cette affirmation. Dans les observations écrites qu'il a présentées à la Commission, l'avocat du demandeur n'a mentionné aucune preuve documentaire pertinente à la situation du demandeur. Il a mentionné un document concernant un soldat turc qui avait refusé d'accomplir son service militaire. Le demandeur n'a pas refusé d'accomplir son service militaire, il a quitté la Turquie avant d être obligé de l'accomplir. L'avocat du demandeur a joint à ses observations un article concernant les mauvais traitements réservés aux objecteurs de conscience ainsi que des exemples de cas. Le tribunal a jugé que le demandeur n'était pas un objecteur de conscience, conclusion que ce dernier n'a pas contestée. Le demandeur affirme qu'une peine disproportionnée pour désertion peut constituer une persécution et je suis d'accord avec lui : voir Abramov c. Canada, [1998] A.C.F. no 844 (C.F. 1re inst.). Dans les observations qu'il a présentées à la Commission, le demandeur n'a fourni aucune preuve quant aux peines auxquelles s'expose un insoumis en vertu du droit truc. L'avocat du demandeur cite maintenant deux documents qui précisent que la question est régie par l'article 63 du Code pénal militaire. Il est clair que l'un de ces documents, un rapport du gouvernement du Royaume-Uni publié en 2002, faisait partie du dossier et le tribunal en a fait mention dans sa décision lorsqu'il a examiné la question de la peine démesurée dont sont passibles les insoumis. (Voir le dossier de la demande, page 25, note de bas de page 17). L'énoncé pertinent dans ce document est le suivant :

[Traduction] 5.82 Les peines applicables en cas d'insoumission (refus d'accomplir le service militaire ou désertion de l'armée en temps de paix) sont prévues à l'article 63 du Code pénal militaire turc. Les peines d'emprisonnement sont établies selon une échelle variable :

                                                          * * * * * * * * * *

v)              La personne qui se présente spontanément dans un délai de trois mois est condamnée à une peine allant de quatre mois à deux ans d'emprisonnement.

vi)             La personne arrêtée dans les trois mois est condamnée à une peine allant de six mois à trois ans d'emprisonnement rigoureux. (L'emprisonnement rigoureux se traduit par un régime d'emprisonnement plus strict, le dixième de la sentence étant purgée en isolement cellulaire. Article 13 du Code pénal turc).

Le demandeur cite seulement l'alinéa vi), qui prévoit une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement rigoureux, dont un dixième doit être purgé en isolement cellulaire. Selon moi, l'alinéa v) est plus pertinent; à tout le moins, il s'appliquerait au demandeur en cas de retour en Turquie, s'il se présentait de lui-même à l'armée sans qu'il soit nécessaire de procéder à son arrestation. Dans un tel cas, la peine serait comprise entre quatre mois et deux ans d'emprisonnement, sans isolement cellulaire. Je pense que, dans sa conclusion, le tribunal s'est appuyé sur l'information pertinente contenue dans le rapport du gouvernement du Royaume-Uni. Le demandeur n'a pas fourni de preuve concluante démontrant qu'il serait vraisemblablement persécuté ou condamné à une peine cruelle et inusitée, et il n'a pas établi que le tribunal aurait omis de tenir compte d'une telle preuve.


[6]                La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

                                                                                                                                    « B.L. Strayer »          

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4438-04

INTITULÉ :                                                    MUSTAFA CURE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 AVRIL 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 6 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Alex Billingsley                                      POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cintosun & Associates

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                               POUR LE DÉFENDEUR

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