Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020930

Dossier : IMM-5767-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1021

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2002

En présence de monsieur le juge Blais

ENTRE :

                                                  KANAGARAYAN SAVERIMUTTU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi) contre la décision que la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendue le 15 novembre 2001 et dans laquelle elle a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Le demandeur est né le 22 juillet 1925 à Jaffna, au Sri Lanka. Il est de religion catholique. Avant de prendre sa retraite, il était professeur d'anglais et précepteur.

[3]                 Il prétend qu'en mai 1989, il a été forcé à traduire des documents pour les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). La situation a duré pendant cinq à six ans après la prise de contrôle de la région de Jaffna par l'armée en 1995.

[4]                 Au cours de l'année 2000, l'armée a su que le demandeur aidait les TLET et a commencé à surveiller ses déplacements.

[5]                 En mars 2000, le demandeur a déménagé à Wellawatte. Il y a vécu heureux jusqu'en août 2000.

[6]                 Une nuit, il a été arrêté par la police de Wellawatte qui l'a interrogé sur sa participation au mouvement des TLET. Il a été frappé à l'oreille gauche, ce qui lui a causé une déficience auditive. Il a également été battu.

[7]                 Après avoir subi d'autres actes de harcèlement, le demandeur a fui le Sri Lanka. Il est arrivé au Canada et a revendiqué le statut de réfugié le 28 janvier 2001.


[8]                 Le demandeur prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social. Il prétend également craindre d'être persécuté par la police sri-lankaise qui le soupçonne de collaborer avec les TLET.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[9]                 1.        La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité d'une manière arbitraire ou sans dûment tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

2.        La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère lorsqu'elle a établi le fardeau de la preuve dont devait s'acquitter le demandeur?

L'ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité d'une manière arbitraire ou sans dûment tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait?

[10]            Non, la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité d'une manière arbitraire ou sans dûment tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

La crédibilité du demandeur


[11]            La Commission a douté de la crédibilité du demandeur en raison de certaines divergences et contradictions entre son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage. Plus particulièrement, elle a exprimé des doutes quant à l'emploi ou au non-emploi du demandeur à des périodes-clés et quant à la question de savoir si l'armée était au courant des liens du demandeur avec les TLET. En outre, la Commission a conclu que le témoignage du demandeur était évasif et contradictoire pour ce qui est de la fréquence des travaux de traduction exécutés pour les TLET. Elle a aussi mis en doute la crédibilité du demandeur parce qu'il a omis d'inclure dans son FRP un incident important où l'armée est arrivée chez lui alors qu'il s'y trouvait des étudiants. Enfin, la Commission a conclu que le comportement du demandeur ne correspondait pas au comportement d'une personne ayant une crainte subjective réelle de persécution.

[12]            La Section du statut est autorisée à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur parce que l'évaluation de la crédibilité du demandeur est au centre de sa compétence en tant que juge des faits.

[13]            La jurisprudence de la Cour indique que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité du demandeur. La Cour ne peut pas modifier les conclusions de fait tirées par la Commission, à moins qu'il ne soit démontré que ces conclusions ont été tirées de façon déraisonnable ou de mauvaise foi, qu'elles sont arbitraires ou qu'elles ne sont pas appuyées par la preuve. Cette position a récemment été confirmée dans Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800 (C.F. 1re inst.), où la Cour a conclu :

[38]          Il est clair en droit que la Commission a le pouvoir discrétionnaire pour évaluer la crédibilité d'un demandeur et qu'elle est la mieux placée pour le faire : Dan-Ash c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.).

[14]            Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), la Cour a conclu :


Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[15]            Compte tenu de la jurisprudence applicable, il est évident que la façon dont la Commission a traité la preuve relevait de son domaine d'expertise et de sa compétence.

2.         La Commission a-t-elle appliqué le mauvais critère lorsqu'elle a établi le fardeau de la preuve dont devait s'acquitter le demandeur?

[16]            Non, la Commission n'a pas appliqué le mauvais critère lorsqu'elle a établi le fardeau de la preuve dont devait s'acquitter le demandeur.

La crainte subjective de persécution

[17]            Le critère applicable pour évaluer le risque de persécution est établi dans l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.), et la Cour s'y est référée à maintes reprises depuis. Ce critère est exposé comme suit :

[8]            Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse » , par opposition à une simple possibilité.

[18]            Pour satisfaire à ce critère, le demandeur doit établir, suivant la prépondérance des probabilités, qu'il craint avec raison d'être persécuté en cas de renvoi au Sri Lanka. La Commission a conclu que le demandeur ne pouvait s'acquitter de son fardeau de preuve et a donc écrit ce qui suit à la page 9 de sa décision :


Le revendicateur est un homme d'âge mûr et il a été conclu qu'il n'avait pas une crainte fondée de persécution s'il retournait au Sri Lanka. Le tribunal estime que le revendicateur ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve et qu'il n'a donc pas établi qu'il éprouverait les problèmes allégués s'il devait retourner au Sri Lanka. [Caractères gras ajoutés.]

  

[19]            Dans l'arrêt Zhu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 396 (C.A.F.), l'utilisation du conditionnel était en cause. Le juge Heald, au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré :

Nous sommes tous d'avis que le présent appel doit être accueilli, puisque le tribunal a appliqué un mauvais critère en décidant que l'appelant n'avait pas raison de craindre d'être persécuté.   

Dans ses motifs de décision, le tribunal a dit : (Dossier d'appel, page 166) [TRADUCTION] « . . . la question qu'il nous faut trancher est : le traitement qu'il pourrait recevoir équivaudrait-il à de la persécution entendue au sens de la définition de réfugié au sens de la Convention? » , et il a également ajouté à la page 166 : [TRADUCTION] « Le demandeur n'a pas réussi à établir devant le BSB ni devant toute autre autorité l'existence de l'intention de le persécuter. » [...]

Le langage employé ci-dessus par le tribunal ne saurait être distingué de celui employé par le tribunal dans l'affaire Arduengo [...]. Dans cette affaire, la Cour a estimé que « . . . la Commission a commis une erreur en exigeant que le requérant et son épouse démontrent qu'ils seraient persécutés alors que la définition légale précitée exige seulement qu'ils établissent qu'ils "craignent avec raison d'être persécutés". Le critère imposé par la Commission est plus rigoureux que celui qu'impose la Loi. Dans ces circonstances, il est impossible de conclure que si la Commission avait appliqué le critère approprié à la situation de fait dans ces causes, elle serait arrivée à la même décision » .

À notre avis, ce raisonnement s'applique avec le même poids aux faits de l'espèce. [Caractères gras ajoutés.]

[20]            Dans l'arrêt Osei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 12 Imm. L.R. (2d) 49, [1990] A.C.F. no 940 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a conclu :

De la même façon que l'effet de l'énonciation incorrecte du critère par le tribunal peut être annulé si celui-ci est appliqué comme il convient, l'effet d'une énonciation correcte peut être annulé s'il est mal appliqué.


[21]            Dans l'arrêt Caballero c. Canada [1993] A.C.F. no 483, page 1, paragraphe 2, le juge Létourneau a déclaré :

[2]            Il s'agit d'une demande de statut de réfugié faite par le mari et son épouse tous deux citoyens du Honduras et refusée par la Section du statut de réfugié. Nous ne sommes pas convaincus que celle-ci a, en ce faisant, commis des erreurs qui méritent l'intervention de cette Cour. Certes, elle a, par exemple, techniquement commis une erreur de formulation du test applicable en la matière lorsqu'elle énonce dans les dernières lignes d'une décision de 32 pages bien motivée que rien n'indique de façon claire et précise que l'épouse du requérant serait l'objet de persécution si elle retourne au Honduras pour un des motifs prévus à la définition de réfugié [Dossier d'appel, vol. 6, p. 1057]. Mais en l'occurrence cette erreur est sans conséquence puisque la preuve au dossier n'établit aucune crainte raisonnable de persécution, l'appelant, et à l'occasion son épouse, ayant régulièrement et fréquemment voyagé entre le Honduras et les États-Unis.

[22]            Dans Kadiosha c. M.C.I., [2000] A.C.F. no 1562 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard a conclu :

[7]            De toute évidence, le tribunal a énoncé incorrectement le critère applicable à la détermination du statut de réfugié. Le bon critère consiste non pas à déterminer si la personne revendiquant le statut de réfugié est persécutée dans son pays, mais bien si celle-ci craint avec raison d'y être persécutée. Cependant, ce qui importe c'est que le bon critère soit bien appliqué, non pas qu'il ait été énoncé correctement. Ce principe est souligné par la Cour d'appel fédérale dans Osei v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1990), 12 Imm.L.R. (2d) 49, où monsieur le juge Décary a écrit à la page 51 :

[TRADUCTION]

De la même façon que l'effet de l'énonciation incorrecte du critère par le tribunal peut être annulé si celui-ci est appliqué comme il convient, l'effet d'une énonciation correcte peut être annulé s'il est mal appliqué. . . .

[8]            Or, en l'espèce, la perception d'absence de crédibilité de la demanderesse principale, vu les nombreuses contradictions, invraisemblances et omissions émanant de la preuve, équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel fonder les demandes concernées (voir Sheikh c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238, à la page 244).

[9]            Ainsi, bien que le tribunal ait techniquement commis une erreur de formulation du test applicable en la matière, cette erreur est sans conséquence, le manque de crédibilité de la demanderesse principale empêchant la preuve de démontrer une crainte raisonnable de persécution.

[23]            Même s'il y a différentes décisions issues de différents juges, le principe reste clair : il faut se demander si la Commission a correctement appliqué le critère quand elle a rejeté la revendication du demandeur après avoir conclu qu'il n'était pas un témoin crédible. En l'espèce, la réponse est oui.


[24]            La Commission a conclu à l'absence générale de crédibilité et a fourni plusieurs exemples de contradictions dans le témoignage du demandeur sur des éléments centraux de sa revendication.

[25]            Ces conclusions suffisaient pour qu'on rejette la revendication du demandeur, lequel n'a pas démontré que les conclusions quant à la crédibilité étaient déraisonnables.

[26]            À mon avis, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

                                           ORDONNANCE

En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aucune question ne sera certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

  

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                        IMM-5767-01

INTITULÉ :                                         

KANAGARAYAN SAVERIMUTTU           

                                                                                                 demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

                                                                                                  défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 24 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                     Le 30 septembre 2002

COMPARUTIONS :                                       Me Diane N. Doray

                                                                                          pour le demandeur

Me Sébastien Dasylva

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Me Diane N. Doray

6855, de l'Épée, bureau 203

Montréal (Québec) H3N 2C7

pour le demandeur

Me Sébastien Dasylva

Ministère de la Justice

pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.